Chapitre 43 : jour de compétition
L'heure du championnat du lancer de haches a enfin sonné. Et aucune peine au monde ne me fera louper ça.
Après Thanksgiving et avant Noël, c'est l'évènement qui rassemble le plus de gens. Et pas seulement de notre village.
Autant dire que c'est la période préférée des frères Trope, qui, déployés dans le service de la menuiserie, de l'hôtellerie et la restauration, voient leurs chiffres d'affaires exploser pour le lancer... Sans oublier que leur champion, AKA Colby, est toujours plus gonflé d'orgueil durant cette période.
Enfin...
Avant de se faire ramasser en demi-finales, face à Carsen, bien sûr.
Tandis que j'aide tout le monde à dresser la table à l'extérieur, je me redresse légèrement pour jeter un coup d'œil dans sa direction. Les jours passent et le silence s'amplifie, entre nous. Et peut-être qu'ainsi, il passe enfin à autre chose. Je frotte mes moufles douillettes sur mes joues rougies par le froid et détourne le regard quand je croise le sien.
Non. Ce n'est pas encore le moment d'aller présenter mes excuses. Je viens à peine de quitter le canapé de mon père et je pense que j'ai suffisamment allongé mon drama lié à des garçons, pour le moment.
Je veux simplement être avec les miens, lancer des haches, manger avec ma famille et me coucher devant le lever du soleil, des souvenirs pleins la tête.
Le championnat, c'est plus qu'un sport, ici, pour nous. C'est un moment de retrouvailles, de lien.
Ce n'est surement pas des disputes égoïstes.
Les bras chargés d'assiettes, j'aide les cuisiniers à venir faire de la place sur les grandes tables externes pour tous les plats qu'ils préparent. Le souvenir du premier restaurant de Caleb après sa chute m'effleure l'esprit. Ce petit moment acerbe où je devais encore supporter son sarcasme, alors que je lui faisais découvrir mon petit village sorti tout droit d'un livre de Dr. Seuss. Ça ne devrait pas, mais ça m'arrache un sourire.
J'avais encore peur qu'il n'allait pas passer la nuit, à l'époque... Maintenant, il s'est envolé, lui et ses ailes brisées.
Et voilà que le sourire disparait.
Je m'arrête devant les plats fumants d'homards et d'autres fruits de mer et m'incline sur la chaise où est assise une Prescott prête à exploser. Les pieds posés sur un autre meuble, elle beugle des ordres aux bûcherons et compétiteurs de passage qui transpercent la zone de lancée en portant des cibles.
Allez, Heden. Concentre-toi sur la famille qui reste.
Je lui lance donc un petit coup dans l'épaule et ricane en arquant un sourcil :
— Hey, Biscuit, tu vas arrêter ? Tu peux te lever aussi et nous aider !
— Je porte un autre être humain et il est trop coincé dans mon utérus pour te faire un doigt d'honneur !
— J'ai hâte qu'il vienne au monde pour lui apprendre que sa mère l'utilisait comme excuse pour être exécrable.
Outragée, la jeune femme obliqua vers elle son visage le plus innocent et s'insurge :
— Franchement, Heden ! Moi ? Utiliser mon bébé ?!
— Par pitié, ne me l'énerve pas... Bientôt, il n'y aura que Popeye et Lolita qui pourront entendre ce qu'elle a à dire.
Face au grognement de Carsen, qui passe devant nous avec un panier rempli de haches, comme si c'était un cadi de golf, j'éclate de rire et retrouve un peu de la joie presque mondaine de l'évènement. Les villageois de New Garden et les compétiteurs ainsi que leurs familles qui nous viennent d'ailleurs, font de même, autour de nous. Des brasiers sont montés autour de nous, les barbecues fument sous la coupole de pins et l'odeur des fruits de mer et des rôties se mettent à valser parmi les timbres des voix des sportifs...
La définition même du bonheur.
New Garden est un havre de fête. Quand l'une d'elle se finit, une autre prend le relais. J'aime cette importance. Peut-être que sans elle, sans toutes ces traditions et ces soutiens, je ne serai pas la même aujourd'hui.
On est des piliers les uns pour les autres.
On ne s'écroulera pas.
Pas aujourd'hui et ni demain.
Tandis que je suis en train de passer ma main sur les manches des haches enfoncées dans des paniers devant chaque cible, West se rapproche de moi. Une casquette des Dodgers enfoncé à l'envers sur ses cheveux blonds, une bouteille de bière à la main, le maître du gîte m'accorde un sourire avant de plonger sa main dans un bol de pistaches.
— Salut, petite. Ça faisait longtemps.
— C'est incroyable à quel point je manque à tout le monde, dès que mon visage n'apparaît plus dans les rues.
— C'est parce qu'il n'y en a pas d'autres, des comme toi.
Je souris, mais il s'empresse de me corriger en crachant les coquilles de ses pistaches, sur le côté.
— C'est toujours inquiétant, quand les coqs ne se pavanent plus dans les rues. Même s'ils font chier chaque matin, on a toujours tendance à croire que c'est la fin du monde quand ils ne le font pas.
— Je suis le poulet en rute, dans ton histoire ?
Il penche la tête sur son épaule avec exagération et tandis qu'il reprend une gorgée de sa bière, il poursuit :
— Au moins tu ne rates pas le concours.
— Pour rien au monde.
— Et alors ? Tes pronostics ?
West se tourne vers les massifs bûcherons qui se positionnent déjà en s'enguirlandant sur celui qui a la plus grosse hache et je le rejoins en cherchant celui qui exulte son égo, le plus. Je tombe sur un homme dont la tête semble vissée sur les épaules, sans même une seule cervicale.
— Je crois que même celui-là ferait blêmir Carsen.
— Qui est censé me faire blêmir ?
On se retourne tous les deux vers le bûcheron en question, qui, vexé, croise ses bras sur son torse.
— Montre-leur ce que tu vaux, Carsen. Donne-leur un avant-goût.
— Tu n'as pas à me le demander deux fois...
Il me bouscule presque et c'est avec une précaution exagérée que que je lui tends l'une de ces armes qu'on ne voit que dans les films d'horreur ou dans les pubs Timberland. West, quant à lui, enfonce ses doigts dans sa bouche et siffle suffisamment fort pour capter l'attention de tout le monde. Même les cuisiniers s'arrêtent aux fourneaux et Carsen, tel Rocky Balboa sur son ring avant un combat, redresse les manches de sa chemise de cowboy sur ses coudes massifs afin d'entamer des cercles de vautour orgueilleux, sur lui-même.
— Je vous demande d'accueillir bien fort, l'un de vos concurrents, les amis ! Le champion en titre de la 70ᵉ édition du lancer et grand gagnant de la Hache d'Or, cinq fois de suite : Carsen O'Malley !
Si tout le monde se met à applaudir, Prescott la première, il n'y a que Colby qui le hue et avec lui, tous les frères Trope, en guise de soutien... Hormis West qui ne cesse de ricaner, au détriment de sa fratrie déchue.
— Carsen ! Carsen ! Carsen !
Le bûcheron fait rouler ses muscles taillés dans le bloc de roche qu'il est et après avoir choisi une cible dans le parcours le plus complexe, à plus de cinquante mètres, il se figea, concentré.
Ce n'est pas une blague ici ou une quelconque passion.
Une démonstration de qui a la plus grosse bite, entre les jambes.
Non.
Ici, toutes les formes de troncs se devaient d'être prouvés dans les cibles. Ce n'est pas pour rien que bûcheronnes et bûcherons de tout le Maine venaient à New Garden, malgré sa quasi-inexistence sur les cartes routières.
C'est notre Excalibur. Notre table ronde et à la fin de la compétition, notre roi Arthur.
Carsen brandit donc le bras et sans prendre le temps d'hésiter, lança si fort l'arme qu'il ne se planta pas seulement dans la cible, mais en arrache le bout du haut, aussi. Ce n'était peut-être pas centré, mais le coup était féroce et très certainement létal, si ç'avait été une tête. Prescott s'exclame et sautille pour venir pendre au cou de son mari que tout le monde se met à idolâtrer dans d'applaudissements tonitruants, malgré la fierté et l'orgueil.
Je souris dans sa direction quand West se penche sur mon épaule et murmure dans le creux de mon oreille.
— Mon Dieu... S'il peut lancer une hache comme ça et fracasser la cible, je commence à avoir peur pour Prescott. Imagine, au lit ?
J'oblique un regard horripilé dans sa direction et m'écrie :
— Mais tu es un gros malade ?!
— Imagine, Heden... Imagine.
— Non ! C'est quoi ton problème ?!
Il éclate de rire quand soudain, la voix de Colby retentit derrière nos dos.
— Je m'en branle. Je gagnerai cette année. Je me suis entraîné dur, putain !
West fait gigoter sa bouteille de bière, pourtant encore à moitié-remplie et souffle avec fausseté.
— La vache, je suis à sec moi ! Je vais aller me chercher une autre bière.
Traître.
Colby attend que son frère s'éloigne pour se rapprocher de moi. Son sourire diminue au gré de ses pas et disparaît même totalement lorsqu'il attrape une chaise et qu'il s'y assit à califourchon, près de moi. Je retrouve le pas de l'escalier qui mène à l'intérieur de la salle d'entraînement et passe une main nerveuse dans mes cheveux roux.
Bon sang, j'ai fait ça trop souvent, cette année. Est-ce qu'on ne peut pas juste oublier qu'on se dispute, comme on faisait autrefois ?
On parle plus que des gamines prépubères, quand l'une vole le copain de l'autre.
— Je suis content de te voir ici, Heden, je ne vais pas mentir là-dessus.
— J'aime quand on te met une raclée. Comment rater ça ?
J'essaye de rire, mais il reste sérieux.
Et merde. Pas d'humour.
Mes yeux roulent dans le fond de mes orbites et je soutiens son regard par une force miraculeuse.
— Tu veux qu'on fasse ça ici et maintenant, Colby ?
— Non. Non, à vrai dire. Je ne rien faire du tout avec toi. Je souhaite juste que ça s'arrête. Les crises. La colère et la jalousie. On l'est un peu trop souvent, l'un pour l'autre, non ?
J'acquiesce à contrecœur et il redresse la tête vers ses concurrents qui picorent les apéritifs sur la table.
— Je ne suis pas spécialement heureux que ton anglais a décidé de te plaquer.
— Il ne m'a pas plaqué.
Protesté-je en pinçant mes lèvres, sous l'agacement.
— Ouais. C'est ça. Mais n'empêche que j'aurais bien aimé continuer à te voir t'épanouir avec quelqu'un d'autre.
— Tu mens, Colby.
— Pas vraiment. C'était un gars vraiment bien.
Je baisse la tête vers mes mains nouées et enfonce le bout de mes ongles dans mes moufles colorées. Que répondre à ça ? Que j'utilise des mots nostalgiques comme si nous avions perdu un soldat à la guerre ?
Non.
Caleb était de passage et avait eu besoin d'aide, mais plus maintenant.
Alors tant pis.
Tant pis.
— Ouais. Mais comme tu l'as dit, il est parti.
— Je suis désolé, pour ça.
— Avoue que tu jubiles.
J'arque un sourcil, mais il ne montre toujours aucune faille. S'en est presque agaçant.
— Tu crois qu'il va revenir ?
— J'en sais rien.
— Tu veux qu'il revienne ?
Plus que tout au monde.
— Non.
Il sourit enfin et ricane :
— Regarde-nous, Heden... Deux menteurs. C'est magnifique.
J'ouvre la bouche pour protester, mais la referme aussitôt. Parce qu'il a raison. Et ça, c'est encore pire. Par reflexe, au nom de tant de souvenirs crées ensemble, je presse mon bras contre le sien et demande en murmurant, balayant la foule heureuse d'un regard presque désespéré :
— Tu crois qu'on va s'en sortir, un jour ?
— Ouais. Bien sûr.
Il me répond peut-être un peu trop rapidement. De sa bouche aussi, sort ce que je me convaincs chaque jour de croire.
— Il faut juste qu'on s'accroche et qu'on arrête de s'entremêler. Parce qu'on ne s'aime pas, toi et moi, Heden... On ne s'est jamais aimé, hein ?
— Non. Non, en effet.
— On avait simplement trop peur d'être seuls.
Mes sourcils se froncent sous la peine et je m'avance avec douceur.
— Crois-moi, je n'ai jamais voulu ça.
— Non, non... On a merdé tous les deux. Il faut qu'on apprenne à vivre avec l'idée que la solitude fait partie de nos chemins. C'est tout.
Je me rassies avec précaution sur la marche et secoue la tête.
— Ça fait mal.
— Salement.
— On va devoir aussi apprendre à éviter de se soigner mutuellement. Parce qu'on se fait encore plus mal, pas vrai ?
Cette fois-ci, c'est à lui d'hocher la tête et de couper la conversation avec un silence.
Bizarrement, ça me fait rire.
— Je rêve ou... Est-ce qu'on vient de rompre ?
— Un peu. C'est officiel, cette fois-ci, au moins. Je te signales quand même que, si on suit cette logique, tu m'as trompé.
Je lui assène un violent coup dans le bras et il s'offusque plus encore.
— Pardon mais... Avec un anglais, qui plus est ? Un anglais ? Un putain d'anglais ?!
— Je sais... Honte à moi.
Colby passe une main dans ses cheveux blonds et me lance un sourire en coin.
— Tu l'aimais ?
Sans une seule hésitation, ce que je déteste, j'hoche la tête.
C'est con.
Et c'est encore plus stupide, maintenant qu'il ne reste de lui que l'ADN qu'il a laissé dans mes arbres et mon lac en atterrissant chez-moi.
Mais encore une fois... Tant pis.
La main de mon ancien amant effleure ma joue pendant une seconde et il m'assure avec une gentillesse presque sincère.
Presque
— Alors tu le retrouveras. Je suis sûr.
Je ne préfère pas répondre. Pas alors que la vraie compétition s'apprête à enfin commencer. Officiellement, du moins. Je claque donc mes mains sur mes genoux et me redresse dans un souffle, bien déterminé à laisser cette conversation derrière moi.
— Allez. On doit aller gagner cette compétition, Colby.
— Moi, plutôt.
Il enroule les manches de sa chemise sur ses coudes et j'en profite pour me redresser sur la pointe de mes pieds et de l'embrasser sur sa joue rougie par le froid.
— Merci. T'es un ami précieux, mine de rien.
— Ca semble te surprendre.
En guise de réponse, je lui souris et m'éloigne vers Prescott qui s'est faite une place de choix pour contempler son mari en train de se préparer à lancer une autre hache.
Au moins ce soir, j'ai le cœur un tout petit peu plus léger.
Rien qu'un peu.
Et c'est déjà ça.
Bon... Voilà... Il était grand temps pour Heden et Colby d'officiellement passer à autre chose !
Vous pensez que ça va leur permettre à vraiment être apaisé ? Ou... ? 🤭
En attendant c'est quand même la fête et Prescott est plus qu'heureuse et fière que son mari sois autant le plus fort... Encore un championnat dans la poche pour notre bucheron ? 🤭
Qu'en avez vous pensé ? 🤭💙
À très vite pour savoir qu'est ce qui se passe de l'autre côté de l'océan... 🤭💙
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