Chapitre 42 : pour Lev
Houston, Texas.
Un fou.
Il faut être fou pour revenir des cieux et survivre. Plus encore si l'idée te prend de subitement revenir comme si de rien n'était.
Comme si des mois ne s'étaient pas écoulés.
Comme si l'histoire n'avait pas été enfoncé dans un tiroir et que les autres n'étaient pas passés à autre chose.
On croit qu'on revient en fanfare. Que la reine viendrait elle-même te remettre une médaille. Qu'un million de caméras se braquent sur ta tête, t'aveuglent avec des flashs tandis que le mot "héros" est jeté comme du foin dans un champ de vaches affamés.
Je ne sais pas si c'est ce que j'aurais voulu.
Lev, si.
D'ailleurs il respirait pour ce genre de moments. Le torse gonflé, il buvait les questions des journalistes comme si c'était l'heure de l'apéro.
Il était doué pour ça.
Il était plus doué que moi sur un million d'autres trucs.
C'est lui, qui devrait être ici.
— Caleb Gallager... De retour parmi les vivants.
Les cheveux ardents de Chrystine volètent sur ses épaules alors qu'elle rejoint sa place à son bureau, en face de moi. Le nez plongé dans un dossier, elle laisse tomber sa carte d'identité de la NASA sur le plan du travail, pour se mettre à l'aise.
Ouais.
Parce qu'il s'agirait pas d'être gêné en face d'un mort-vivant.
Littéralement.
Je passe ma paume sous mon nez et tandis que je renifle, je me penche sur les feuilles qu'elle étale.
— Quand on m'a dit que tu étais en bas à l'accueil... J'ai cru qu'on me faisait une blague.
À vrai dire, je ne savais pas réellement comment faire les choses. Heden avait à peine tourné le dos que je savais que si ce n'était pas pour elle, je me casserai dans la seconde.
Elle me l'a fait comprendre... Je suis donc parti.
Et comme un con, je suis allé à Houston.
Je n'ai pas ouvert la bouche de tout le trajet. J'ai juste roulé, roulé et encore roulé, jusqu'à ce que les pins et la neige ne soient plus que des souvenirs et que la chaleur les esquive de ma tête comme s'ils n'avaient rien à foutre là.
Ma vie et ma destinée sont maintenant entre les mains de la directrice adjointe de ce taudis spatial, après avoir été trimbalé d'un responsable de mission à un autre.
Chrystine était pourtant une grande supportrice de la cause qui nous avait catapulté dans l'espace.
À présent, je ne vois dans ses yeux que l'irritation.
Pas la surprise.
Pas la peur.
Juste de l'irritation.
Elle lâche d'ailleurs un grand soupir, mais redresse vers moi un gars sourire.
— Tu es passé faire des tests médicaux, à ce que je vois. On a retrouvé chez toi de bien drôles de blessures... Certaines aggravées, d'autres complètement guéris.
Je baisse le bout de mon nez vers mon poignet en attèle et retient un petit rire.
Apparemment j'avais une fracture en trois emplacements de la main.
J'avais néanmoins réussi à faire soulever des haches, des planches et... Bien d'autres.
— Des gens bien m'ont aidé.
Me contenté-je de répondre. Chrystine se pince les lèvres et croise ses doigts sur le clavier de son Mac.
— C'est drôle, car quand nous avons envoyé la Sécurité Intérieure sur l'endroit du crash... C'est comme s'il n'y avait pas de traces de toi.
— C'est parce qu'ils n'ont pas bien regardé.
Marmonné-je en serrant les dents.
— Ah ? Pas bien regardé, tu es sûr ?
— Chrystine... Pourquoi est-ce que tu me regardes comme si j'étais un alien qui a juste pris ma peau pour venir envahir ce monde ? On n'est pas dans un film de Spielberg.
Elle lève les mains en l'air et réfute :
— On ne sait jamais.
— Je suis Caleb. C'est bon. C'est moi.
— C'est ça le problème.
Elle se lève et vient se figer en face de la grande baie vitrée. Comme un faucon, elle se met à fixer le véritable empire de gratte-ciel et de centres scientifiques qui font de cet endroit le plus épanoui surement de la Terre.
— Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Je suis là pour Lev. Et Jon. Pour les autres qui ont été avec moi.
— Ils sont bien morts eux, n'est-ce pas ?
Mon front se plisse sous la confusion et dans un dégluti, j'hoche la tête. Il y a une certaine satisfaction qui éclaire le visage de Chrystine qui revient vers son bureau, s'asseyant sur le recoin. Et alors que sa jupe se redresse sur ses genoux, elle se penche sur moi.
— Écoute-moi bien, Caleb... J'espère que tu ne vas pas mal prendre ce que je vais te dire, mais... Votre mission était un échec.
— Sans blague ? Pourquoi je le prendrai mal ?
— Parce qu'ici, nous n'aimons pas vraiment ça.
— Et c'est mon problème parce que... ?
La brune se redresse à demi, mais ce n'est que pour attraper une feuille de son dossier qui est bien plus fourni en chiffres qu'un calcul de demi-vie nucléaire.
— Si votre mission est classée aujourd'hui, on n'a plus le droit de l'ouvrir. Malgré un survivant. Sinon, des investigations vont être ouvertes.
— Au risque de me répéter, mais... En quoi c'est mon putain de problème ?
Elle abat une autre feuille entre mes mains. Celle qui comporte ma signature.
— Dans des mots que tu peux comprendre... Tu n'as pas intérêt à ouvrir ta bouche. Toutes nos missions doivent être des réussites. Sinon, on ne pourra plus envoyer des fusées pendant quelques années et tu le sais mieux que personne... Ce pays ne peut pas se permettre ça.
Un frisson froid me parcourt l'échine.
Ce n'est pas possible.
Ça doit être un cauchemar.
Je vais me réveiller.
La demande d'Heden me revient en tête comme les fameuses haches qu'elle lance avec tant de tact.
J'aurais dû accepter qu'elle m'accompagne. J'aurais pu m'accrocher à elle, au moins... Parce que je suis à deux doigts de m'écrouler, putain !
Chrystine doit le lire dans mes yeux, car c'est avec condescendance qu'elle pousse dans ma direction un verre d'eau.
Je n'ai jamais été violent avec une femme.
C'est surement pour ça que les pires insultes restent figées à l'aurore de mes lèvres scellées.
— Je suis désolée, Caleb. Mais tu l'as signé toi-même, ce document de confidence. Et si tu essayais ne serait-ce que...
Tant pis pour le respect.
Dans un revers de main, je balance le verre d'eau sur le mur et elle sursaute de son bureau.
Je m'en tape.
Qu'elle aille se faire foutre.
Que tout le monde dans ce foutu endroit aille se faire foutre !
— Ils sont morts. Morts, putain ! Et leurs familles, alors ?
— Ils sont au courant. La tienne aussi.
— Et je dois faire quoi ? Juste passer à autre chose ? Ça ne peut pas se dérouler juste comme ça ! Je n'ai pas survécu à tout ça pour que je vienne ici et que cette foutue conversation ne dure pas plus d'une dizaine de minutes, simplement parce que j'ai signé un putain de papier qui ne veut rien dire !
Un rire secoue la femme, à ma plus grande colère. Mes poings se serrent sur mes cuisses quand elle siffle :
— Pardon, mais... Tu désires quoi exactement ? La justice ? Ou que tout le monde te reconnaisse dans la rue et flatte ton petit égo en t'appelant "héro" ?
— La justice, bordel ! Lev n'est pas mort pour qu'une sale capitaliste sans âme me balance à travers la porte d'entrée comme un déchet inutile !
— Bien sûr, Caleb. D'ailleurs... le capitaine Malikov connaissait ces conditions que tu trouves si choquantes, dès le début. Et ça lui allait la première fois, comme toutes les autres où il est allé dans l'espace.
Lev voulait mourir dans les étoiles. Il aurait souhaité que son corps tourne en orbite autour de la Terre parce qu'il croyait qu'il avait ce droit bien plus que la foutue Lune elle-même... Pas qu'il se retrouve écrasé sur une planète qu'il a tant convoité quitter pendant toutes ces années.
Par désespoir, je noue mes mains derrière ma nuque et murmure.
Parce que si je parle plus fort, je me brise.
— Non. Non, vraiment... Je...
— Écoute... On peut te donner une compensation... Plus qu'honorable. Travailler ici. Peut-être même un jour retourner là-haut. Rien n'est perdu pour toi. Au contraire, même, tu sais ce qu'il faut éviter.
Les fous qui pensent que la vie humaine ne vaut pas le coup d'être vécu.
— ... J'aimerais pouvoir t'aider plus, Caleb. Mais honnêtement, à ce stade... Je suis très contente que tu es en vie, par contre. Sincèrement.
— Et je suis censé foutre quoi avec ta sincérité ?
Elle fait un geste de ses mains pour essayer de me calmer, mais mon nez se fronce alors que je m'accroche au dossier de ma chaise.
— Tu es quelqu'un. Tu es monté là-haut. Et tu es descendu. Tu te tiens en face de moi, debout, malgré une chute que personne ne pourrait survivre. Tu n'imagines à quel point tu as accompli !
— Ça ne me sert à rien.
— Je crois que si. Tu es incroyablement brillant, alors...
Je l'arrête en brandissant ma main et gronde sourdement en attrapant le peu qui m'appartient.
— Arrête. Arrête, Chrystine... Ce n'est pas avec des mots doux que tu vas réussir à m'amadouer. Ce n'est pas avec des fausses promesses, du chantage à la con et des fleurs que tu vas effacer ces derniers putains de mois ! Tu as ruiné ma vie... Toi et tous les baltringues dans cet endroit de merde ! Vous vous croyez missionnaires en envoyant tous ces scientifiques en l'air sans avoir une seule capacité à les ramener en sécurité sur Terre ?! Vous n'êtes rien... Ni toi, ni ceux qui m'ont fait signer cette horreur... Parce que toi, tu vas pouvoir rentrer chez toi, près de ta famille, alors que ni Lev, ni Jon auront ce privilège... Et tout ça pour quoi, précisément ? Hein ? Pour prouver au monde que cet endroit n'a pas été conçu en tant qu'arme pitoyable dans une guerre de celui qui a la plus grosse bite entre les jambes ?!
Je suis à bout de souffle. Et si j'avais plus d'air dans les poumons, j'aurais surement déversé encore plus de haine. Mais je ne sais pas si ce sont les mois à supporter la douceur presque écœurante de quelqu'un comme Prescott ou encore la fougue tellement humaine d'Heden, mais...
Je n'en ai plus assez.
Pas pour cette cause.
Je veux simplement me recueillir sur les tombes de mes amis, mais là-dessus, je peux surement faire la plus grande des croix.
— Personne n'a mis un flingue sur ta tempe, quand tu as signé ces documents, Caleb. On t'as donné une occasion à plus de quatre milliard devant toi et tu y as foncé tête baissée. Pour toi, c'était unique. Et c'est le moins qu'on puisse dire, pas vrai ? Mais ma véritable question est... Qu'est-ce que t'as bien pu foutre pendant tous ces mois, après ta chute ? Parce que tu ne viens pas de sortir d'un coma, à ce que je sache...
Chrystine se rapproche de moi, suffisamment pour que je puisse sentir l'odeur douçâtre du lait d'amande sur sa gorge où palpite un cœur nerveux, malgré la confiance qu'elle affiche.
— Toi non plus, tu n'as pas envie de t'en souvenir, Caleb... Toi, comme nous, tu as surtout besoin de passer à autre chose.
— Comment est-ce que je peux passer à autre chose alors que je suis coincé dans ce que vous m'imposez ? Il est où le courage, là-dedans ?
La brune hausse naïvement les épaules et fait tambouriner ses doigts sur son bras croisé.
— Surement là où tu abandonnes les personnes à qui tu tiens vraiment... Parce qu'autant d'absence... Tu ne pouvais pas te le permettre seul, pas vrai ? Et à en juger les sutures de tes blessures...
— La ferme, Chrystine...
Elle ne frémit pas face à ma voix tonitruante et se contente de me tendre une petite carte avec un numéro.
— Peu importe en fin de compte. Nous ne t'abandons pas. Prends ce numéro et appelle-nous quand tu es prêt. Tu as toujours été et sera toujours un excellent élément pour notre équipe.
— Tu te fous de moi ?
— Réfléchis. C'est tout.
***
C'est ce que je fais.
Je réfléchis.
Tel un zombie, je sors de l'édifice, les mains dans les poches.
Tous les autres sont bien trop occupés à avancer, dans leurs vies. Littéralement, qui plus est. Ils me dépassent, sans même m'accorder ne serait-ce qu'un regard... Et quand j'ai officiellement dépassé les portiques automatiques et que je me retrouve figé dans l'allée bordé d'arbres artificiellement plantés...
Les mots de Chrystine semblent prendre une tournure véridique. D'une façon détestable et maladive, bien sûr, mais...
Je jette un coup d'œil derrière moi et je peux sentir mon visage blêmir.
Parce que si je suis parti du Maine avec autant de conviction...
Maintenant...
Je ne sais plus rien.
On me bouscule et la personne s'excuse brièvement avant de retourner à son appel téléphonique qui semble si important et... C'est tout. Je me masse le bras et déglutis en baissant le regard vers le sol.
Ce n'est pas grave.
Rien de tout ça n'est pas grave, apparemment.
Alors autant abandonner.
Parce que pour beaucoup, le retour est compliqué... Et parce que les gouvernements sont fourbes, malheureusement 🥺
Caleb est à deux doigts de penser qu'il comprend les pensées de Penrose, quand il a fait exploser l'I.S.S Alpha 33 🥺
Comment est-ce que vous croyez que ça va se finir ? Est ce qu'il va accepter ? Que va t il faire maintenant ?
Où en est Heden 🤭
N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez ! Et à la prochaine pour la suite ! 🤭💜
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