Chapitre 37 : Thanksgiving
Thanksgiving.
J'ai toujours aimé les fêtes. Les magnifiques décorations que l'on prépare avec des mois d'avance, les installations où l'on reste tous ensemble...
C'est une ouverture entre imagination et réalité. Une brèche bienheureuse enduite de miel qu'on a envie de déguster comme un gâteau.
C'est sûrement pour ça que je reste assise à ma place, en train de sourire bêtement.
Prescott à mes côtés est si occupée à manger qu'elle s'est entourée de la plupart des plats présents sur notre table. Si elle ouvre la bouche, c'est seulement pour engloutir encore plus de nourriture. Beignet au crabe après cuisse de dinde... j'ai l'impression qu'elle s'est métamorphosée en réel gouffre.
Inquiète, mais surtout amusée, je pose ma main sur son épaule et lui murmure :
— Calme-toi, Prescott. Il y a assez de bouffe pour trois générations !
Elle me répond en volant la dernière pince sur mon assiette et je soupire.
— Peut-être que non, finalement.
Je fais un signe à Carsen, occupé à discuter avec Monroe à une autre table, de venir, mais il semble occupé, aussi. En réalité, tout le monde est hors de portée.
C'est être là, sans être là.
Il est loin, le jour où j'ai cru que rien n'allait.
Où l'orage avait détruit les maisons des bûcherons.
Où les livraisons avaient du retard.
Où un astronaute déchu comatait sur mon canapé...
Il n'y a plus aucune colère. Que de la joie. Les enfants courent autour des tables, les lumières étincellent au-dessus de nos têtes...
Et bien sûr, Prescott mange l'équivalent d'un éléphanteau prépubère. Je pense qu'elle va exploser... Mais ce n'est pas son enfant à naître qui en sortira.
Malheureusement, je ne suis pas certaine qu'il soit utile de le lui rappeler.
Dans un petit soupir, je me laisse retomber dans ma chaise et noue mes bras autour de mes joues repliés. Thanksgiving, c'est un peu le souvenir marquant qu'on garde avant les festivités.
Les Baftas avant les Oscars.
Noël est à nos pieds, mais pourtant, c'est maintenant où tout se passe. Les premières chutes de neige perdurées, les sapins déjà prêts...
Tous les sourires devraient être présents...
Mais pourtant, quand je croise le regard de Caleb, je réalise vite que ce n'est pas le cas. Debout, au loin, appuyé contre un mur, il semble fait de marbre. Une réelle statue, à quelques détails près. Sa main perdue dans ses boucles blondes, il tire sur les mèches avec nervosité et si j'étais près de lui, je pourrais percevoir ses dents en train de grincer.
Je décide donc de le rejoindre, mais pas avant d'avoir volé le plateau de petits fours tant convoité par Prescott.
— Essaye de voler ailleurs, morfale.
— Mais ! Redonne ça !
— Lève-toi si tu peux !
Sa vaine tentative me fait éclater de rire et c'est avec le plateau fourni que je rejoins Caleb qui m'accorde un tendre sourire.
— Pourquoi est-ce que les Anglais ne savent pas sourire ?
— On sait le faire, l'américaine.
Réplique-t-il aussitôt en posant sa main dans le bas de mon dos pour m'attirer contre lui. Ce simple contact suffit à me faire sourire bêtement alors que je guette la présence de mon père dans la salle de fêtes de New Garden.
C'est stupide, pas vrai ?
Cinq allumettes peuvent se suivre. Il suffit d'une flamme pour faire un feu. Alors le nombre de bâtonnets est inutile à prendre en compte... Ce que je ressens pour Caleb, c'est ça. Un millier de contraintes et d'aspects différents, mais une unique vibration fait tressaillir mon cœur.
Il y a cette stupide chanson romantique qui résonne dans mes tympans quand je croise son regard azur. Je déteste ça.
Je n'ai jamais été comme ça.
Pour personne.
Alors pourquoi est-ce qu'il a dû tomber dans mon stupide lac et venir bouleverser ce merveilleux plan ?
Caleb se penche au-dessus de mon épaule et se sert dans mon plateau de petits fours qu'il engloutis avec la même délicatesse que Prescott. Je lui essuie une miette de sa barbe et demande à nouveau :
— Non, plus sérieusement, qu'est-ce qui t'arrives ? Tu restes là à broyer du noir. Tu sais que c'est interdit, ici, à New Garden ?
— Ah bon ? Depuis la première fois que j'ai ouvert les yeux sur toi, tu n'as pas arrêté de le faire pourtant.
Il essaye de se resservir, mais je le lui vole de sa bouche.
— C'est parce que tu venais de vomir sur mon tapis.
— Toi aussi, tu as vomi sur ton tapis. C'est un dépôt à vomis, ton putain de tapis.
— Bon. On parle de mon tapis, ou de toi ?
Un sourire apparaît enfin sur son visage et accentue le miens au passage. Parce que c'est ce qu'on fait, lui et moi, pas vrai ? C'est une danse avec des sabres. Pour finir, on se salue et on recommence.
C'est magnifique, bordel.
— Je n'ai rien, Heden. Je réalise seulement que je suis heureux.
— Et bah putain ! Tu as une drôle de façon de le montrer.
— Comment veux-tu que je te le montres ? En te prenant ici et devant tout le monde ?
Je manque de m'étouffer sur mon petit four et tandis que mes joues s'empourprent, il poursuit.
— Je sais qu'aujourd'hui c'est une fête qui célèbre la reconnaissance, mais... Je ne le suis pas.
— Tu parles de...
— Oui.
Je dépose mon plateau sur la grande table du buffet et encercle son poignet d'une douce main afin de le tirer dans la cuisine. J'attends qu'on soit seuls dans la pièce avant de me tourner vers lui et de lui assurer :
— Arrête, Caleb. On en a déjà parlé.
— Pas vraiment.
— Si. Bien sûr que si. Rien de ce qui t'es arrivé n'est ta faute.
Il baisse la tête, mais je la lui redresse en lui empoignant fermement les joues.
— Hey. Hey, Caleb, regarde-moi. Regarde-moi. Ta survie est un miracle, pas un fardeau.
— Qui dit que les deux sont dissociables ? C'est lourd, de porter un fardeau.
Nerveuse, je frappe dans son bras musclé et grogne.
— Et ça ? ça te sers à quoi ? Tu vois, je te l'avais dit, Caleb. Tu as des muscles décoratifs.
Malheureusement, pas un sourire étire ses lèvres, cette fois-ci. J'enfonce ma main dans mes cheveux et soupire lourdement, enfonçant toujours un peu plus mes ongles dans ma peau. J'espère surement qu'ainsi tous les problèmes s'effaceront.
Mais ce sera jamais le cas.
Pourquoi est-ce que je ne peux pas passer Thanksgiving avec le même état d'esprit qu'absolument tout le reste de mon village ?
— Pardon. Pardon, ce n'est pas ce que je voulais dire.
— Tu sais, Heden, peut-être que je n'ai pas réellement envie que tu me dises quelque chose.
— Mais...
— Non, non, ce n'est rien. Ne te soucie pas de moi, vis ta soirée à fond. Tu l'as mérité.
Il se penche sur ma joue, y presse un baiser bref avant de me contourner et de repartir. J'essaye de le rattraper, mais il disparaît dans la foule presque comme un fantôme.
Et malheureusement, quand je me retourne à nouveau, je tombe face au sourire sournois de Colby qui me toise depuis le fond de la cuisine. Assis jusqu'à présent sur une table dans le clair-obscur, il se laisse glisser jusqu'au sol, frappant dans ses mains comme s'il était face à une audience.
— Bravo. Bravo ! Déjà... Vingt sur vingt pour la discrétion, si tant soit peu, c'était l'effet voulu, et ensuite... Peut-on parler deux secondes de comment tu es attentive et à l'écoute face à ton si merveilleux amant britannique ?
Agacée, je lui assène un violent coup de poing dans l'épaule, mais c'est inutile. Colby est surement la personne la plus immunisée face à mes réactions impulsives, dans tout New Garden, et il sait aussi que je ne suis pas vraiment apte à supporter une interrogation. Ses prunelles semblent même se dilater face à l'intérêt qui fuse à même ses veines quand il se penche pour me demander :
— Alors ?
— Alors quoi ?
— C'est quoi ce secret ? Qu'est-ce qu'il cache ?
— Depuis quand tu es dans les potins, toi ?
— Depuis qu'il léchouille ton visage comme une glace Italienne.
— La ferme, Colby.
À force de l'avoir répété, je pense que cette phrase est devenue culte. Mais Colby l'essuie d'un revers de main et vient se presser contre le mur où il retrousse l'une de ses jambes. Ses bras puissamment croisés sur son torse renforcent l'air hargneux qu'il aborde et tout sérieux enduit son visage comme une seconde peau.
— Dis-moi.
— Il n'y a rien à dire.
— Tu n'es peut-être pas capable de l'aider quand il a visiblement des problèmes, mais peut-être que nous, si.
— Ah oui ? Tiens donc ? Et dis-moi ce que tu ferais différemment ?
Au lieu de me répondre, il me décoche un regard acerbe qui m'arrache un gémissement dolent. C'est un glapissement qui résonne en écho avec son grondement strident qui ferait frémir un pin hivernal.
— Heden.
— Je l'ai déjà dit à Carsen quand il me l'a demandé, mais ce n'est pas mon secret à divulguer. Il n'a clairement pas envie d'en parler, alors je n'interviens pas.
— Peut-être qu'il serait temps d'intervenir.
— Mais qu'est-ce que tu y connais, toi ? Et puis d'ailleurs, tu te tiens là à me donner des conseils de couple sans même te souvenir une seule fois de qui tu es !
— Ah oui ? Et qui est-ce que je peux bien être, mademoiselle parfaite ?
Ses muscles se mettent à saillir sous les parcelles de sa peau non recouverte par sa chemise bleue tandis qu'il se redresse du mur.
— Rien. Ce...
— Laisse-moi deviner... "Ce n'est pas ce que tu voulais dire". C'est incroyable à quel point tu sembles maladroite, aujourd'hui !
Sa pique me transperce l'épiderme telle une épine déchirante.
— Je suis désolée, Colby.
— Rien à foutre, de tes excuses, Heden. Parce que tout au fond de toi, tu ne le penses pas. Tu es toujours là, à me rappeler à quel point j'ai foutu mon couple et mon futur mariage en l'air, mais faut-il que je te rappelle que c'est avec toi, que je l'ai fait ?
J'essaye de le calmer en baissant ma voix, mais ses poings se serrent contre ses cuisses. Je manque de glapir, parce qu'à cet instant précis, il ressemble au Colby qui m'avait piégé contre le mur, pile avant que Caleb ne s'introduise dans ma vie. Sa haine et sa rancœur paraissent l'enduire comme un poison extérieur. Une injection qui ne fait qu'envenimer n'importe quelle conversation, une fois qu'on l'aborde. La dolence est souvent complexe à cerner avec lui.
Et pourtant j'enfonce ma main dans cette jarre avec précipice, inconsciente des répercutions cinglantes qui peuvent en résulter.
Colby s'avance encore un peu plus vers moi et pointe sur moi un doigt accusateur.
— Tu sais quoi, Heden ? Tu mérites qu'on te laisse, parfois. Parce que c'est juste insupportable d'être à tes côtés. On a beau faire des efforts... Tu en fais aucun.
— Je t'emmerde !
— Et c'est toujours la même forme de réponse que tu donnes. Grandis un peu.
Il recule d'un pas et éclate d'un rire cynique.
— Joyeux Thanksgiving, chère Heden. Je suis vraiment reconnaissant de t'avoir dans ma vie. Un pur plaisir !
Lui aussi, disparaît dans la foule festive. Mais je ne le rattrape pas.
Parce qu'il a raison.
Je n'ai toujours rien appris.
Je reviens enfiiiin ! Et oui ! Avec un nouveau rythme de publication ! Le mercredi et le lundi ! Que deux chapitres par semaine mais ça c'est normal !
Je suis actuellement en pleine finalisation du dernier tome de ma saga bikers ! (D'ailleurs merci pour l'accueil de l'édition du premier tome c'était fou !) donc je suis trèeees occupée !
Et sinon, par rapport à ce chapitre...
Heden a un don de se braquer quand les choses deviennent complexes 🙄 maos se mettre à dos Caleb ET Colby en l'espace de cinq minutes, c'est un reccord personnel 😂
Comment pensez vous que ça s'arrangera ? Et encore, est ce que ca s'arrangera tout court ?
À lundi pour la suiiite 🥰💙
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