Chapitre 31 : le plus important.

La main perdue dans la fourrure d'Ollie, j'écoute ses gémissements s'étouffer de plus en plus. Parfois, la pyrénéenne spasme, avant de refermer les paupières et de recoucher sa tête sur la table métallique. Dans un petit soupir, j'attrape un tabouret et vient prendre sa patte.

Quand Carsen est revenu en annonçant qu'il avait retrouvé la chienne d'Heden lourdement blessée et qu'on allait devoir la piquer, je n'ai pas hésité et je suis venu direct.

Les animaux sont précieux.

Surtout ceux qui chassent la Sécurité Intérieure quand tu les fuis tant.

Les lèvres pincées, je peine à chasser l'émotion de mon esprit.

Deux jours se sont écoulées depuis ma dispute d'ivrogne au bar avec Heden. Deux jours que je ne l'ai pas, mais aussi deux jours qui ont permis au vétérinaire du village de comprendre que les antibiotiques n'agissaient pas sur la pauvre Ollie.

Pas de doutes.

Elle n'allait pas survivre.

— Hey... Tu m'as étouffé, à mon arrivée, tu t'es incrustée chez moi alors que j'étais moi-même sur mon lit de mort... Comment est-ce que tu oses me faire ça ?

J'essaye de rire, mais le son ne fait que ricocher sur les murs vides du cabinet.

Je me rapproche donc du chien et presse mon front contre sa truffe noir.

— Les grands chiens ne devraient jamais mourir.

Ollie ouvre brusquement les yeux, mais je me redresse avant qu'un grognement sourd fait vibrer sa gorge.

Je ne saurai dire si c'est la chance ou le destin funeste qui attend l'animal, mais elle n'a pas assez de force pour se redresser et me mordre.

Tandis que j'essuie la bave écumeuse d'Ollie de ma joue, Carsen fait irruption dans le cabinet. Soufflant de l'air chaud dans ses grandes mains rougies par le froid, il secoue négativement la tête.

— Je n'aurai jamais cru que j'allais te trouver ici, Caleb.

— Je voulais juste dire au revoir.

— C'est un chien. Pas ton enfant.

— Ça se voit que tu n'as jamais eu de chien.

Répliqué-je immédiatement face à son ton dubitatif. Je fait mine de le contourner afin de partir, mais il me rattrape en se tournant vers moi.

— Tu viendras voir Heden ? Elle a besoin de toi.

Je ne peux m'empêcher de rire.

Parce que c'est drôle de mentir pour ne pas froisser les sentiments de quelqu'un, pas vrai ? J'enfonce donc un ongle dans mon sourcil dans un geste irrité et peste :

— Je suis sûre qu'elle se débrouille très bien sans moi.

— C'est vrai. Mais elle ne se débrouille pas bien sans Ollie. Et tu es ce qui se rapproche le plus d'un chien, pour elle. Autant retomber sur quelqu'un.

Je n'ai même pas la force de révéler sa pique. Moins encore d'en lancer une autre.

New Garden est composé de gens comme ça et je le comprends petit à petit. Rentrer dans leur jeu ne ferait que rendre tout ceci bien plus insupportable et ça l'est déjà bien assez.

J'hausse donc simplement les épaules et indique l'extérieur du bout du menton.

— Je vais devoir rentrer.

— Caleb...

— Quoi ?

Il se rapproche de moi et s'incline sur les charnières de la porte.

— Elle a été là pour toi quand tu en avais besoin. Et on sait tous les deux que ça a été bien plus grave.

— Où tu veux en venir ?

— Tu fais trois mille calculs pour savoir quand tu frôles le coma éthylique, mais ça, tu n'es pas foutu capable de le voir ? Ça s'appelle du respect, fiston. Par ici, on rend les services qu'on nous fait.

— Et donc ?

— Merde, Caleb !

J'hausse les sourcils et gronde.

— Je ne suis pas insensible à tout ce qu'elle a fait, mais elle m'a bien fait comprendre qu'elle n'a pas envie de moi dans son entourage.

— Elle a une fièvre exponentielle, crétin. Elle est persuadée que son chalet est fait de gelée, à ce stade ! Ne prends pas en compte les débilités qu'elle dit. Je sais qu'il y en a beaucoup, mais...

— Non, ça n'a rien avoir.

C'est moi. C'est juste moi.

— Alors quoi ? Ne me dis pas que tu es en train de réfléchir avec ce qu'il y a entre tes jambes, bordel, parce que sinon tu vas voler.

— Carsen, fous-moi la paix.

— Oh. L'anglais se rebelle ?

— Non. Vraiment. Fous. Moi. La. Paix. Je sais faire mes propres choix en dépit de ce que tu peux bien penser. J'ai dû en faire de bien pires.

Ma menace l'oblige à relâcher la porte sur laquelle il se tient et c'est avec une pointe de peine qu'il murmure, plus bas encore que jusqu'à présent.

— Écoute-moi bien, Caleb... Je ne sais pas ce qui a bien pu t'arriver, mais je sais une chose... J'ai côtoyé assez de déchets et de rejetés de la sociétés pour savoir qu'on cache tous des squelettes plus ou moins monstrueux dans nos placards. Et si Heden t'as raconté ce que New Garden est réellement, tu saurais que tu n'es pas seul à ne pas être blanc comme neige.

— Ouais. Elle m'a raconté.

— Alors arrête d'agir comme un con ! Au nom des blessures que Heden a dû te recoudre. Reprends-toi, merde !

Cette fois-ci, c'est lui qui s'en va, me laissant avec rien d'autre qu'une légère suffocation.

J'en ai marre de ces villageois avec un besoin pathologique de se mêler de ce qui ne les regarde pas.

J'en ai marre de ce village tout court.

***

Le ciel est rose, lorsque je m'embarque dans un virage. Je peine à en décrocher mes yeux, mais après tout, il ne s'agirait pas de crever le ventre ouvert, au milieu de la neige, des cimes de pins, sur une route délabrée au milieu du froid.

Personne n'a besoin de ça.

Je me redresse donc mollement dans mon siège et laisse mon esprit divaguer encore vers Ollie. Vers cette merveilleuse boule de poils gémissante et blessée...

Pourtant, quand j'étais aux portes de la mort, agonisant, vacillant entre conscience et abysses, on ne m'a pas piqué. Alors pourquoi est-ce que l'injustice frappe aussi violemment, quand il s'agit d'animaux ? Qui plus est, je suis persuadé que si Heden devait faire un choix entre Ollie et moi, il serait vite fait.

Dans un soupir exaspéré, je repose attentivement mon regard sur la route et découvre seulement maintenant que j'ai déjà raté plusieurs virages. Suffisamment pour que je conduise ma voiture d'emprunt à l'extérieur de New Garden.

Les sourcils froncés, j'essaye de repérer l'un de ces chalets bienheureux, digne d'une comptine de Dr Seuss, mais il n'y a que des pins, à perte de vue.

— Merde... Où est-ce que je me suis encore foutu ?

Mes doigts se cramponnent un peu plus à mon volant et je commence à jeter des coups d'yeux de plus en plus nerveux autour de moi, jusqu'à ce que j'aperçois quelque chose enfoncé dans le caniveau à côté de la route.

J'appuie si brusquement mon pied sur le frein que je manque de me prendre le volant dans la poitrine.

Une douleur en plus ou en moins... Quelle importance ?

Le vent qui s'écrase sur mon visage m'arrache un grognement dolent, mais je l'ignore fermement et me dirige vers l'objet en question. Là, écrasé dans un ravin creusé se trouve la panneau de New Garden, abattu par une force indescriptible. Du bout du pied, j'en dégage la fine couche de neige qui la recouvre et plisse nerveusement les lèvres.

C'est ici.

Ici.

Et nulle part ailleurs.

C'est ici que j'aurai dû associer r ma déchéance.

Mon souffle se bloque lorsque je regarde au-delà des pins et que d'autres ravins, plus profonds, franchissent mon champ de vision.

C'est ici.

J'avance mollement d'un pas.

Lev. Jon.

Foutu Penrose.

Je me laisse glisser le long du flanc et m'arrête face au désastre causé par l'atterrissage. Les arbres abattus, aux troncs éviscérés, les crevasses de plus en plus profondes...

Mais pas de vaisseau.

Pourtant, je sais que ça s'est passé ici. Je sais que mes amis et collègues ne sont plus rien que des noms qu'on murmure à bout de lèvres.

Ou non.

Qui peut bien savoir ce que la Sécurité Intérieure et le gouvernement ont décidé d'annoncer ou non ?

Si ça se trouve cette histoire est autant enterré qu'ils le sont.

Je noue mes mains derrière ma nuque et laisse ma vision s'embrumer.

Je suis partie de Terre avec des espoirs pleins la tête. Avec la sensation de devenir un sorte de dieu vivant, transperçant la stratosphère pour conquérir ce que si peu de gens ont réellement vu. Cette capacité de pouvoir devenir quelqu'un de meilleur, voletant sur un nuage d'orgueil... Elle est indescriptible. Et oui, on se permettait de se laisser submerger par cette vanité capricieuse, parce qu'on était téméraires. Décoller d'une planète afin de toucher les étoiles du bout des doigts... Voilà un vœu qu'on fait tous, mais que très peu son capables de réaliser.

J'ai construit une bombe. J'ai construit une foutue bombe et tué des gens bien.

J'ai tué.

J'ai tué.

J'ai tué.

J'étais censé construire un amplificateur de rayons et à la place, j'ai tué.

— Je suis désolé...

Mes genoux se ploient et la froide sensation de la glace paralyse ma peau tandis que je m'écroule dans l'une de ces crevasses.

— Je suis tellement désolé, Lev... Je t'avais promis.

Jusqu'à son dernier souffle, il avait cru en moi.

Il n'aurait pas dû, parce que même aujourd'hui, je continue de foirer.

Mes paumes glacées font frémir mes coudes et je m'allonge sur mon dos, le regard rivé vers les cieux que j'ai trahi. Me voilà écroulé sur les tombes forgées dans le chaos de mes pairs, parce que je n'ai pas été foutu capable de comprendre.

Mais alors que mon souffle se bloque dans mes poumons, que des méandres brumeux s'emparent de mon esprit... Un unique flocon vient se déposer sur le bout de mon nez, fondant instantanément sous la chaleur fiévreuse de mon épiderme.

Et puis soudain un souvenir. Celui de l'étouffement de l'eau brouilleuse. De la douleur dans mes muscles et la mort chantante. Mais aussi celui d'une main héroïque. Une main qui m'a tiré et m'a sauvé. Un souffle qu'on m'a redonné.

Heden.

Celle qui m'a bercé dans la rêverie, celle qui m'a reconstruite, celle que j'ai repoussé par peur de froisser.

Celle que je suis en train d'abandonner alors qu'elle a surement besoin de moi.

Il ne reste peut-être plus rien de Lev ou de Jon, mais il reste cette petite flamme téméraire qui vacille quelque part, fiévreuse et brisée.

Dans un reniflement, je parviens à me redresser et essaye de ne pas lancer un regard en arrière, alors que je retourne à ma voiture, toujours en warning sur le bas-côté de cette route si virgulée.

Parfois, il ne faut pas regarder en arrière.

Je regarderai plus tard.

Peut-être couillon, peut être acariâtre, mais avouez, il est tout cassé mon bébé Caleb 🥺💙

J'aime bien les trucs cassés, je sais pas si vous avez remarqué 😂😂💙

Bon, je vous dit à jeudi pour la suite ! À votre avis, que va t il se passer quand Heden, toute malade et meurtrie qu'elle est, va tomber face au sale nez de l'astronaute ? 🤭

Que de joie ! 😈💙

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