Chapitre 30 : ricocher

Quand on jette un caillou dans un étang, une centaine de petits cercles d'eau en résultent, jusqu'à ricocher des vaguelettes nerveuses sur les rebords. Un chaos unique provoqué par un élément, peu importe sa taille, d'ailleurs.

Voilà comment le karma marche. C'est un foutu étang à emmerdes.

Alors lorsque je rentre chez moi et que je découvre avec horreur que la porte est restée à demi ouverte...

Mon cœur s'arrête.

Plus d'Ollie. Plus de fourrure blanche dans laquelle noyer les tourments croisés par encore un homme... Tout ce qui reste d'elle, ce sont des traces à moitié effacées dans la neige épaisse.

En règle générale, la pyrénéenne revient après quelques minutes. Son panier l'appelle à lui à la manière d'un aimant.

Mais pas cette fois-ci.

Même si j'ai laissé des croquettes sur le pallier et que je me levais toutes les trois minutes... Elle ne revenait toujours pas.

Et alors que je regarde l'aube se lever, des larmes silencieuses coulant le long de mes joues, je toussote au gré de ma fièvre encore présente, faisant frissonner mes limbes.

Les doigts accrochés avec une ferveur presque cadavérique sur le collier qu'elle a laissé derrière elle, je force mes paupières à rester ouvertes.

J'ai besoin de ma peluche. De ses coups de museau dans mon flanc quand elle a envie d'avoir un câlin, de sa façon de garder la croupe en l'air quand je décide enfin de lui en fournir un. Merde, même de sa manière de m'étouffer lorsqu'elle l'écrase de tout son poids, lorsqu'on se couche ensemble.

C'est cent mille fois mieux que l'enclume qui me pèse actuellement à cause de ce que Caleb m'a si brutalement accusé.

— Ollie ?

Ma voix se casse dans ma gorge et se meurt pour la énième fois. Mon cri se projette à peine autour de moi et même les perdrix qui sillonnent les bordures du lac ne l'entendent pas.

— Ollie ?

Rien. Toujours rien. Comme les deux cents autres fois que j'ai appelé.

Je renifle.

Encore une fois.

Jusqu'à ce que je n'y arrive plus et que je lâche un sanglot.

Dans cette vie remplie d'hommes, j'ai appris à me pourvoir d'assez de répliques cinglantes afin de me préserver de certaines de leurs remarques. Avec ma mère partie, je me suis retrouvée unique dans un milieu principalement masculin...

Et mes faiblesses n'appartenaient qu'à cette petite boule de poils plus immaculée encore que la neige.

Si j'étais vulnérable... Il n'y avait qu'elle pour le voir.

Mais à présent, j'ai l'impression d'être dénudée. Exposée au monde comme si je me suis retrouvée au pilori, blessée et meurtrie.

Mes larmes coulent si violemment sur mes joues et mes poumons sont si douloureusement secoués par les sanglots qui les font verser, que je peine à remarquer le break de Carsen garée dans l'allée.

— Heden ?

Je me redresse péniblement face au bûcheron et alors que j'essuie furtivement mes larmes du bout de la manche de mon polaire, son regard change du tout au tout. Son pas se fait plus vite avant de venir figer ses mains sur mes épaules.

— Heden ! Qu'est-ce qu'il t'arrives ? Tu as l'air en piteux état ! Tu es restée debout toute la nuit ?

J'hoquette faiblement en guise de réponse, ce qui suffit de le persuader à enrouler mon bras autour de son cou. Il me porte jusqu'à l'intérieur de mon chalet et s'agenouille en face de moi.

— Je suis justement venu te dire que le docteur est enfin arrivé en ville... Je l'appelle tout de suite pour qu'il vienne.

Il s'apprête à se redresser, mais je le rattrape par le poignet.

Je ne suis pas sûre si je peux parler, pas après avoir crié toute la nuit. Merde, je ne suis même pas sûre de pouvoir me coucher sans aide... Mes genoux grincent à chaque mouvement que j'essaye d'émettre.

Cependant, je parviens tout de même à couiner faiblement.

— Ollie a disparu.

— Quoi ? Mais non, elle va revenir. Elle le fait toujours.

— Non... Non, vraiment, elle n'est pas là depuis hier soir. Je suis revenue su bar et j'ai remarqué que... Que la porte était restée ouverte et...

— OK, OK, OK, Heden, écoute-moi. Tu vas rester couchée, d'accord ? Je vais aller chercher autour de ton lac pour la retrouver. Je suis sûr qu'elle n'est pas loin.

— Je vais t'aider.

Je fait mine de me redresser, mais d'une main autoritaire, Carsen me force à me recoucher dans le même canapé auquel Caleb a été cloué pendant de longs jours fiévreux.

— Si je vois ton petit cul bouger d'ici, je t'y agraferai autant que tu l'as fait avec ton britannique. Tu m'as bien compris ?

Je n'ai pas le temps de répondre qu'il me couvre déjà d'une couverture qui trônait sur un autre siège et qu'il sort son téléphone pour appeler quelqu'un.

Mais entre mon manque de sommeil et mes démons intérieurs, je ne l'entends déjà plus, trop occupée à sombrer dans les abysses infernaux qu'offre cet endroit.

***

Ce sont des voix qui me réveillent. Encore enfoncée dans une brume de limbes, elles ricochent dans mon crâne dans des échos tumultueux.

C'est désagréable.

C'est insupportable.

C'est innommable.

Dans un froncement de sourcils, j'essaye de redresser ma tête de mon coussin, mais elle parait plus lourde encore qu'un tronçon d'arbre après s'être fait tronçonner de son socle.

— Essaye de rester couchée, Heden. Je t'ai donné un médicament contre la fièvre, mais tu vas avoir besoin de repos.

Je reconnais tout de suite la voix caleuse du docteur de notre village, pour l'avoir entendu durant toute mon enfance. Parce qu'entre les blessures aux genoux à force de grimper dans les pins ou encore les chutes de ces mêmes cimes, je la reconnaîtrai les yeux fermés.

Je déglutis douloureusement, ignorant l'affliction qui me transperce de toute part et porte ma main à mon front. Celui-ci, moite sous la transpiration, dégouline des perles de fièvre le long de ma gorge.

Entre les bouffées de chaleur et le froid, je ne sais sur quel front me tenir. Vacillant entre douleur et peine, je manque plusieurs fois de me ployer en deux.

Si j'avais râlé lorsque Caleb avait vomi sur mon tapis, je le retrouve à l'imiter très vite.

— O.... Ollie...

— Je l'ai retrouvé, petite.

Carsen.

Je m'essuie la bouche et rouvre péniblement les paupières. Se tenant debout dans l'halo d'un feu de cheminée crépitant, Carsen tient Prescott par les épaules. Celle-ci a les yeux si grandement écarquillés qu'on dirait qu'à tout instant, ils sortiront de ses orbites. Dans un soupir, elle s'assoit difficilement, une main posée sur son ventre, l'autre se portant à ma cuisse allongée.

— On a mis deux heures à chercher, mais on a fini par la trouver dans les bois. Elle est blessée.

— Elle vit ?

— Oui, mais...

— Elle vit ? Elle vit, hein ?

Le docteur s'éloigne, Carsen et Prescott s'échangent un regard... Et moi, je reste plongée dans un silence accablant.

Grâce à un effort herculéen, je parviens à me redresser sur mes coudes afin de leur faire face.

— Où est-ce qu'elle est ? Où est-ce qu'elle est ?

— Elle est chez le vétérinaire. Elle a été sévèrement mordue et...

— Heden, Ollie a la rage.

La coupure de Carsen a l'effet de l'eau, quand on saute dedans. Elle coupe la peau, déchire l'épiderme et s'attaque à la manière d'un virus, aux organes.

La vérité semble létale. Malveillante et funeste. Elle s'empare de moi et dépourvoit mes coudes de leur force, me forçant à me coucher à nouveau dans mon canapé.

— Non. Non, non, non, Ollie va bien. Ce n'est pas grave, on amputera la parcelle infectée.

— Heden...

— Ce n'est rien. Ce n'est rien. Ce n'est rien.

Répéter me le fera peut-être convaincre à moi-même.

— On devrait la laisser.

— Je vais rester avec elle. Tu devrais renter, Carsen.

— Toi aussi, tu as besoin de repos.

— Ça va aller.

Je sens la carrure fluette de Prescott venir s'insérer près de la mienne et son souffle chaud fait frissonner ma peau à vif.

Elle me serre dans ses bras, mais Carsen persiste.

— Elle est malade, tu ne devrais pas être près d'elle.

— Touche-moi encore une fois et je t'arrache la main.

Agacée, je finis par répliquer, les paupières à nouveau closes.

— Allez plutôt me chercher ma chienne, si vous voulez vraiment vous rendre utiles.

— Heden...

— Viens, Prescott.

Je prends une petite inspiration lorsqu'elle se redresse et me recroqueville sur moi-même.

Misérablement, tortueusement, pathétiquement.

Tout ce qu'il faut pour me persuader à moi-même que, oui...

Dans une minute, ma petite peluche Ollie serait dans mes bras.

Dans une minute, je pourrais la serrer et toute cette histoire ne sera rien d'autre que l'hasard qui a forgé une hallucination fiévreuse.

Oui...

Tout ira bien.

Pas vrai ?

Pauvre Heden, pas vrai ? Tout lui retombe dessus comme une pluie de météorites 🥺 quant à Caleb... D'ailleurs oui, qu'est-ce qu'il fait Caleb ? 🤔 à vendredi soir pour le découvrir 🤭

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