Chapitre 3 : le réveil
Survis.
Survis, Caleb.
Pour moi.
Et puis l'obscurité. Rien. Le vide. Plus envahissant encore que l'espace d'où je viens. Même lorsque j'ouvre lentement les yeux et qu'une fine auréole orangée déchire mon champ de vision, je ne ressens que ça.
Ah non.
La douleur, aussi.
Un cri fraye son passage dans ma gorge, mais même quand j'ouvre les lèvres, il n'y a rien qui sort.
Il stagne entre mes muscles, m'empoisonne et me force à me plier en deux. Mes bras, mes jambes, mon ventre... Absolument tout me fait mal.
Je manque de tomber d'une hauteur que je n'ai pas encore identifié, mais quelque chose me rattrape. Du moins quelque chose de vivant, à en sentir la fourrure et le geignement sauvage qui s'en échappe.
J'ouvre brutalement les yeux et tombe face à un chien des Pyrénées haletant qui passe très vite sa grande langue rouge sur mon visage.
OK. Qu'est-ce qui se passe ?
— Ton... Ton nom était... Brûlé. Alors euh... Je ne le connaissais pas. Je ne le connais pas, pardon. tu... Euh...
Je me tourne vers l'origine d'une voix mielleuse et découvre, debout près d'une cheminée crépitante, une jeune femme aux cheveux roux. Son pull à col roulé, trop grand pour elle, dévoile une clavicule tatouée et un porte de tête svelte et gracieux qui souligne sa délicatesse.
Mais bordel.
Son air apeuré ride son visage au point où elle semble grimacer.
J'ouvre la bouche pour répondre, mais c'est un haut le cœur qui sort de mes entrailles. Je me plie en deux et manque de vomir sur le pauvre chien à la fourrure immaculée.
— Tu me dois un tapis.
Réprimande la jeune femme en soufflant, exaspérée.
Je me recouche péniblement sur un petit coussin rose fuchsia et porte mes mains à mon visage. De la pulpe de mes doigts, je discerne des blessures recouvertes de mauvais pansements qui entaillent mes joues, mon front, mes arcades. Bordel.
J'ai mal. J'ai vraiment mal. J'ai envie de mourir.
— Je... Je n'ai que des aspirines. Le docteur de mon village est parti en ville, la semaine dernière et... Enfin... Je ne pense pas avoir quoi que ce soit pour toi, pour tes douleurs et...
Si j'ouvre la bouche encore une fois, je vomirais sur ton canapé, ma jolie.
Mes pensées restent cloîtrées dans ma tête. Tant mieux, peut-être. Elle aurait sûrement achevé mon cas à coup de massue, si elle m'avait entendu.
La rouquine étouffe un soupir entre ses lèvres pincées et s'agenouille près du canapé, replaçant l'une de ses mèches derrière son oreille où figure une petite boucle d'oreille en forme de sapin.
— Tu dois sûrement avoir un millier de questions... Alors je vais juste essayer de... De répondre pour toi.
Je distingue nettement le désarroi qui brille dans ses prunelles émeraude. Qu'est-ce qui a dû se passer pour que j'en suis là ?
Et merde, où est-ce que je suis ?!
J'essaye de me redresser sur mes coudes, mais elle plaque sa main sur mon torse que je remarque être nu. Et comme si elle me jetait un sort à travers ses doigts, je me recouche à nouveau.
— Ne panique pas. Je vais t'expliquer.
Dépêche-toi, rouquine, je vais pas tarder à retomber dans les vapes, sinon.
— En réalité, je... Je ne sais pas quoi dire. Tu étais... Tombé, dans le lac, juste là-bas, il y a deux jours, maintenant.
Elle tend le bras vers une fenêtre derrière moi et je bascule la tête en arrière pour la regarder. De grosses couches de neige creusent les sillons du bois, mais je peux quand même distinguer une vue apaisante sur un lac à moitié gelé. De grands pins sillonnent leurs bordures et il y a même quelques arbres qui, crochetés, forment une sorte de dôme au-dessus du plan d'eau glacé.
Un horrible frisson me transit lorsque le souvenir de mes douleurs me percute à nouveau. Je peux sentir à nouveau les branches me déchirer comme si je n'étais qu'un vulgaire sac en plastique, étriqué sans aucune pitié. Et puis la glace... L'eau froide qui avait paralysé mes muscles déjà à vif...
Comment j'ai fait pour survivre ?
Je reporte mon attention sur la rouquine qui hausse ses épaules élancées avant de poursuivre.
- Donc voilà. Il y a ça. Tu étais blessé alors j'ai fait du mieux que je pouvais. Je ne suis pas Meredith Grey, mais...
Ses prunelles vertes descendent jusqu'à mon ventre qui me fait un mal de chien à chaque fois que je tente d'inspirer et dans un geste prudent, je soulève le plaid duveteux qui me recouvre. Je décroche légèrement l'immense pansement qui cache ma blessure et manque de crier face à ce que je vois.
- J'ai fait ce que je pouvais, j'ai dit ! Je n'avais pas d'aiguille, pas de fil et je n'ai retrouvé mon kit de premiers soins qu'hier soir.
Elle m'a agrafé. Comme une putain de feuille en papier. J'ai des foutues agrafes enfoncées dans le ventre !
Face à mon visage ridé de panique, la jeune femme se redresse et me tourne le dos pour se diriger dans la cuisine.
- J'ai bien essayé d'appeler la police ou d'aller en ville, mais manque de chance, on est en pleine période de blizzard. Je vais y aller ce soir pour appeler de l'aide, au moins te signaler... Mais...
Je déloge le coussin de sous ma tête et lui lance dessus. Lorsqu'elle se le prend dans le dos, elle se retourne avec véhémence, ses sourcils froncés sur un air draconique qui me fait grimacer. À tout instant, elle crache du feu et ça en est fini de moi.
- C'était quoi ça ? Je viens de te dire que je t'ai sauvé la vie ! C'est ça, votre façon de me remercier ?
- C...
- Quoi ?
Elle se détend et relâche le sac qu'elle tient en main afin de se rapprocher à nouveau de moi.
- De l'eau. S'il te plaît.
Mes mots butent contre mon palais et renforcent probablement mon accent qui ferait rire Lev, s'il avait été là. La peine me force à incliner la tête sur le canapé et je me mets à serrer les dents sur le tissu duveteux qui me protège contre les conneries que cette nana ait pu faire avec mon ventre.
- Anglais, hein ? Je suppose que c'était de l'eau, que tu voulais ?
Avant de m'éjecter de la capsule d'urgence, Lev me disait que les Américains mouraient toujours en premier. Je pense que ça va vite se confirmer une nouvelle fois. Je n'ai cependant pas le temps de réagir que la rouquine revient dans la cuisine aux plans charbonnés. Elle se hisse sur la pointe des pieds afin de saisir un verre d'eau dans l'un des placards et ouvre le robinet. Je profite qu'elle soit occupée pour jeter un coup d'œil au chalet dans lequel j'ai visiblement été traîné. La première chose que je vois, c'est le petit escalier en spirale qui monte à l'étage d'une mezzanine illuminée par des guirlandes colorées. Sous ses marches écartées, il y avait le fameux chien sur lequel j'ai failli vomir. Je pense qu'elle le sait, d'ailleurs, car la bête semble me toiser comme si à tout instant, j'allais recommencer.
Je dévie le bout de mon menton vers les petits canapés qui séparent le salon à la cuisine moderne et manque de lâcher un soupir lorsque mes yeux passent d'un coussin à un autre. Je pense que le chalet ne sert à rien. Son habitante pourrait sincèrement construire un château fort avec autant de tissu. Je suis moi-même emmitouflé dans trois plaids différents. Si je n'avais pas les abdos agrafés, je m'en serai débarrassé dans une secousse. À la place, j'essaye péniblement de les empoigner du bout de mes doigts, jusqu'à ce que la rouquine ne revienne et ne me force, encore une fois, à me recoucher.
- Reste allongé et bois ça.
Elle me tend, avec le verre d'eau, une pathétique pilule d'aspirine, comme si ça allait sincèrement me guérir de tous les problèmes qui m'attendent. Je m'apprête à refuser d'une main dédaigneuse, mais un spasme endolori me force à accepter.
- Je vais aller en ville et je vais essayer de demander de l'aide. Je pense qu'il y en a qui savent bien plus que moi comment prendre soin d'un... D'un gars qui tombe du ciel.
Je prends d'abord une petite gorgée d'eau qui fraye péniblement son passage à travers ma gorge nouée et attends que la salive m'emplit à nouveau la bouche avant de répondre.
- Caleb. Je m'appelle Caleb.
- Ah. Moi, c'est...
Elle n'a pas le temps de continuer que je fais brutalement tomber le verre d'eau qui file rouler sur le parquet. Un grondement sourd fait vibrer mon torse et la rouquine s'empresse de ramasser le verre avant que son chien ne vienne jouer avec.
- Ce n'est pas grave.
La gravité m'écrase de plus en plus et me force à me recoucher sur le tas de coussins et de plaids sur lesquels elle m'a installé. J'ai soulevé des poids bien plus imposants dans ma vie, pour que je vienne lâcher un fichu verre d'eau.
- Ollie, arrête !
Au moins, je connais le nom du chien.
- Essaye de ne pas bouger de là. Je vais tout faire pour te venir en aide, mais je t'ai déjà tiré du lac, d'accord ? Tu es en sécurité, ici, il ne t'arriveras plus rien, mais tu dois vraiment éviter de bouger ou tu rouvriras tes blessures. Et potentiellement m'énerver.
Oui, dragonne.
- J'en aurais pour quelques heures. Je te mets un seau pour éviter que tu me salis encore mon tapis.
Je rêve ou elle pense plus à son tapis qu'à moi ?
Elle se baisse à nouveau près de moi et une fine odeur d'amande douce frôle mes narines. Je parviens à tendre ma main et elle manque de sursauter lorsque mes doigts viennent s'agripper autour de son poignet.
- Où... Où...
- Maine. On est à cent kilomètres de Fort Point. Maintenant, reste tranquille.
Elle se dégage subtilement de mon emprise et mon bras retombe mollement à mes côtés.
Maine. Traduction : au milieu de nulle part. Rien que ça.
Heden et Caleb : la rencontre 😂 et laissez-moi vous dire qu'entre la bucheronne et l'astronaute, ça ne va pas toujours faire d'étincelles 😂😂😏
Qu'en avez vous pensé ? 🤔
À vendredi pour un nouveau chapitre !
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