Chapitre 29 : West

Qu'est-ce qui m'a pris ?

Pourquoi est-ce qu'il faut que je sois aussi con comme ça ?

Putain...

Dans un reniflement, je déloge mon bras du cou de Colby qui m'entraîne dans une petite bâtisse boisée à l'entrée même de la ville, cachée quelque part parmi une multitude d'arbres enneigés, de quelques parkings assez remplis et d'un enclos à chiens de traineau. Leurs aboiements cinglants me vrillent les tympans alors que nous rentrons, mais s'étouffent lorsque Colby parvient à fermer la porte d'entrée derrière nous.

Bordel, j'ai juste envie de dormir.

Titubant sous les effets de l'alcool, le bûcheron peine à marcher droit jusqu'à un comptoir où il ne se trouve rien d'autre que quelques brochures sur les environs, un ordinateur éteint et une flopée de clefs accrochées à un tableau en liège.

— Weeeeeest ! Debout frangin !

— Je suis debout, connard. Qu'est-ce que tu veux ?

Un blond, identique à Colby, sort de derrière une porte, baillant à s'en décrocher la mâchoire. Les yeux plissés sous la fatigue et son sweat-shirt gris mal mis sur son torse musclé, il n'a pas réellement l'air ravi de s'être fait réveiller.

Décidément, je gêne tout le monde, aujourd'hui.

— Tu dormais ?

— Moi ? À quatre heures du matin ? Non, Colby, ne t'en fais pas. Quel être humain sur Terre peut possiblement dormir à cette heure-là ?

— Ouf ! Pendant une seconde, j'ai cru que je t'ai réveillé !

Le dénommé West soupire et se tourne vers moi en croisant ses bras sur son torse.

— Qui c'est, le nouveau ?

— Un client.

— Plus de chambres, Colby.

— Et les quatre clefs encore accrochées à ton tableau ? C'est pour déloger ton sens de l'hospitalité ?

— Je suis sûr qu'il y en a une de disponible à partir de demain matin.

Réplique l'autre blond aussitôt.

— T'es un crevard.

— Tu veux faire ça maintenant, petit frère ?

Avant que les frères Trope ne se disputent, je m'incline sur le comptoir, braillant sous l'alcool qui fuse dans mes veines à la manière d'une course poursuite.

— Écoute, East...

— C'est West.

— Ouais... West... Bref. Je viens d'envoyer chier une magnifique personne et j'ai envie de me pendre, à cause de ça... Alors laisse-moi aller dormir et tu n'auras pas à faire évacuer un soulard à coup de pelle... Ça te va ?

Quelque chose me dit que je vais regretter tout ça demain.

West et Colby s'échangent un regard curieux avant que le tenancier du gîte ne soupire et ne se penche sur son bureau afin d'attraper un petit trousseau de clefs.

— File. On règlera le reste demain matin.

— Merci.

— Hey, Caleb tu veux que...

— Rentre chez-toi, Colby, tu parleras à ton petit copain plus tard.

Je suis trop bourré pour ces conneries.

Beaucoup trop bourré.

***

Je claque la porte de la chambre derrière moi et laisse la petite lumière de la table de chevet venir illuminer la pièce d'un aura luisant. Si l'obscurité glaciale reste dehors, ici, la chaleur du lit couvert de draps douillets et d'un petit fauteuil semble résister comme une armure en acier. Alors dans un soupir, je m'écroule, visage le premier, en espérant m'étouffer avec les trois oreillers qui jonchent l'entête du lit à deux place.

Je viens sérieusement d'insulter Heden de proxénète affamée ?

Un râle sévère s'échappe de ma gorge et s'étouffe dans mes draps, ricochant à peine dans la pièce où je me retrouve à présent solitaire.

J'ai mérité cette gifle.

J'ai mérité bien plus.

Mais bon sang, rien qu'à l'idée qu'elle se rapproche de moi me retourne le cerveau.

Tout le monde finit par crever, quand c'est le cas.

Je redresse lentement la tête vers l'unique fenêtre de la chambre et plisse les paupières afin de sonder ce qu'il se cache dans la nuit. Cependant, à part des arbres, des épais flocons de neige et des décorations de Noël éteintes... Il n'y a rien. C'est à ce moment précis que je prends conscience du silence qui règne.

Je ne sais pas si Heden sait qu'elle a des troubles du sommeil, mais je ne peux m'endormir qu'une fois que j'entends ses ongles riper sur les structures en bois de la mezzanine dans son chalet. J'aimais l'idée que la personne qui m'a sauvé le faisait en dépit d'elle-même.

J'aimais savoir que je n'étais pas quelque chose qu'elle regarderait en pitié, mais qu'elle soit sincère, honnête... Dans l'espoir qu'on s'aiderait un jour mutuellement.

Merde, même Ollie me manque.

Je passe ma main sur mon visage et grimace lorsque la douleur se prononce à nouveau dans mon ventre. Je me relève maladroitement, me débarrasse de mes vêtements et effleure ma blessure encore cousue avec mes doigts glacés. L'irritation de la cicatrisation va finir par me rendre dingue, alors avant que je ne le soit plus encore, j'arrache les points de suture. Des petites gouttes de sang viennent moucheter ma peau blême, mais je continue mon travail de boucher sans même prendre en compte la douleur.

Après tout, ce soir, ce n'est pas moi qui a mal.

Une fois fini, je m'écrase dans les draps et rive mon regard au plafond. Là, il n'y a pas d'étoiles, pas de constellations phosphorescentes. Il n'y a que des poutrelles en bois qui me séparent de la constellation Orion.

Une larme vient immédiatement frayer son passage dans mes yeux.

Je n'aurais jamais dû aider Penrose à fabriquer sa putain de bombe. J'aurais dû savoir que ç'en était une et le signaler immédiatement à Lev ou à Jon. J'aurais dû réfléchir à notre sécurité à tous, plutôt que de trouver une logique à ce putain de fou qui angoissait tellement à l'idée de son existence dans l'univers qu'il a préféré tous nous exploser plutôt que de nous laisser en vie.

Penrose avait perdu foi en l'humanité et je l'accusais pour tous ses maux... Mais en attendant, c'est moi qui lui a construit la mèche, pour qu'il puisse nous exécuter.

Craig est mort.

Lev est mort.

Jon est mort.

On suppose que je le suis aussi...

Et tout ce que j'ai cherché à faire, c'est détruire la seule personne restante qui n'a prêté attention à aucun de mes défauts afin de m'aider.

Pour une fois, je laisse la larme perler le long de ma joue. Je ne la cache pas, ne l'enfonce pas pour qu'elle se meure dans mes orbites, comme toujours... Non, je la laisse couler.

J'ai trahi la promesse que j'ai faite à Lev et je ne sais même pas si la Sécurité Intérieure a pu retrouver son corps pour aller l'enterrer. Parce qu'en attendant, c'est comme si j'avais craché sur la décomposition qui a résulté de ma connerie.

Ils sont morts et moi... je vis.

Je croise mes bras derrière ma nuque et plisse légèrement les lèvres, tandis que je sens le poids d'une enclume venir écraser mes poumons.

Si je pouvais donner ma vie en échange de celle de Lev, je le ferais dans un battement de cil. Il vaut plus que moi aujourd'hui.

Il a toujours valu plus, d'ailleurs. Aucun entraînement ne l'avait fait flancher, aucun exercice, aucun vol au-dessus du mur de son, aucun tapis à course auquel il était accroché en perpendiculaire... Car Lev a aimé les étoiles avec trop de ferveur pour laisser la gravité l'écraser.

Mes yeux se pointent à nouveau sur l'extérieur et s'aventurent dans ces cieux devenus si obscurs, dans le vain espoir que je me réveillerai à nouveau dans les dortoirs spatiaux, aux côtés de ce grincheux de russe et de Jon et ses chaussettes volantes.

Ouais...

Pas de doutes.

Le silence et l'alcool ne font pas bon ménage.

Première nuit loin de Heden pour Caleb, et on dirait bien que ça ne lui réussit pas trop !

Entre l'alcool et le syndrome du survivant, on dirait bien qu'il ne va pas rester longtemps joyeux... Mais l'a-t-il un jour été ? 😂

Je vous dit à mercredi nuit pour la suite 🤭💙

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top