Chapitre 23 : la jalousie
Prescott est encore occupée à me présenter à tout le monde lorsque des crissements de pneus retentissent depuis l'allée de la menuiserie. Elle se glisse de sa chaise aussi subtilement que possible, à la suite d'Eva, la comptable et se ruent toutes les deux vers l'origine de la tumulte.
— Il s'est passé quelque chose !
J'attrape ma veste, rabat mon bonnet sur mes cheveux et les poursuit, tandis qu'elles ouvrent déjà la grande portière. L'un des camions les plus grands s'arrête à un cheveu de Prescott qu'Eva tire en arrière à temps.
Mais mon souffle reste bloqué lorsque la portière s'ouvre sur Carsen, tenant entre ses bras puissants une Heden emmitouflée dans une multitude de parkas colorées et des couvertures étincelantes servant à la réchauffer.
Je dois me mordre la lèvre pour ne pas tomber à genoux devant elle et la serrer dans mes bras. Mon système en entier est embrasé alors que ses lèvres sont plus bleues encore que les cieux de ce foutu pays, quand l'hiver daigne être plus clément. Tremblante, les yeux plissés, elle peine à garder ses bras noués autour du cou du grand bûcheron qui est tout aussi trempé qu'elle. Des gouttelettes ruissèlent le long de ses tempes où battent des veines furieuses. Plus encore lorsqu'il se fige à mes côtés, l'espace d'une fraction de seconde, et me murmure dans le creux de l'oreille.
— On dirait bien que c'est à ton tour de lui venir en aide, le touriste...
Je le regarde rentrer à l'intérieur, les autres sur ses talons et manque de me faire bousculer par le père de ma sauveuse dont les yeux sont plus écarquillés que jamais...
Jusqu'à rester seul, dans l'allée, me faisant recouvrir par la neige hurlante.
Bordel, c'est quoi mon problème ?!
***
Mes narines palpitent tandis que je rejoins la horde de bûcherons. Plus j'effectue de pas parmi la sciure de bois et les feuilles mortes apportées par les courants d'air furieux, plus mes poings se serrent dans les tréfonds de mes poches. Je peux les trouer à tout instant.
Mon cœur menace d'en faire autant avec mes veines qui saillent sous mon épiderme qui semble à présent bien trop fin pour le contenir.
Mon corps se révolte, tout entier. Surtout lorsque les gémissements d'Heden parviennent à transpercer ses lèvres et qu'ils ricochent à travers les couloirs de la menuiserie. Mon pas s'accélère et j'accours derrière la montagne de bûcherons qui bloquent mon passage jusqu'à elle. Je remarque à peine Eva, qui me retient par le poignet.
— Attends un peu, petit. Ils sont occupés.
Attendre ? Attendre ?!
La femme qui vient pourtant de passer l'après-midi avec moi et Prescott ainsi que ses blagues inutiles et épuisantes, devine mes pensées enragées. L'impuissance me gagne à un point où mes mâchoires peinent à se desserrer. Aucun mot ne fraye la barrière de mes lèvres pincées.
Aucun foutu mot pour la femme qui m'a sauvé la vie.
Eva retire ses lunettes de ses cheveux, les remet sur le bout de son nez et alerte Jonah en lui faisant un petit geste de la main.
— Je vais essayer d'appeler le docteur en urgence. Il est encore en ville, mais je vais essayer.
— Fais ça, fais ça.
Eva s'éloigne après m'avoir serré l'épaule dans un geste affectueux et je me tourne à nouveau vers la scène. Si Carsen ne semble être affecté en rien, malgré les questions virevoltantes de sa femme, il n'en est rien. Il n'y a pas que de l'eau qui vient tremper le sol. Mais aussi du sang. Ses bras puissants sont complètement déchirés de toute part. Son épiderme pâli par le froid est tranchée de toute part comme s'il s'était retrouvé dans les mains d'un boucher.
Des plaies qui sillonnent mon corps aussi...
Des blessures causées par la glace.
Est-ce que le géant sauveur de catastrophe a dû vivre une ultime fois ce cauchemar qui ne cesse de le hanter à chaque coin de de sa vie ? Malgré son retrait dans ces terres recluses ?
Je passe ma paumes sur mes yeux pour éviter de croiser le regard d'Heden. Celle-ci semble me fusiller, comme si j'en étais la cause.
Ou peut-être qu'elle sait que ceci n'est rien d'autre qu'une affreuse blague du destin...
Ses doigts rigides sont accrochés autour de ceux de son père, agenouillé devant elle comme il le ferait devant son trésor le plus cher. Elle essaye de lui assurer qu'elle va bien, mais ses paupières peinent de plus en plus à rester ouvertes. Ses cheveux d'habitude flamboyants ne chutent plus en cascades embrasées sur ses épaules élancées... Non, à présent, ce ne sont que de vulgaires mèches noircies par une eau impitoyable, encerclant son visage ovale dont la pâleur ne fait qu'augmenter le brasier qui ravage ma poitrine.
Heden est blessée.
Heden est blessée.
Heden est blessée.
Ces mots résonnent dans ma tête, surement bien plus que dans celles des bûcherons qui murmurent à mes côtés.
Le monde semble s'être arrêté. Pour moi, il n'y a plus personne. Juste elle, blessée, ainsi que moi-même.
Et c'est dans cet esprit que je parviens à me frayer une place parmi les autres. Je m'agenouille près d'elle et aide son père à déployer le restant des plaids, rejetant ceux qui sont trempés.
— Qu'est-ce qui se passe, Heden ? Tu étais jalouse ? Tu voulais m'imiter, c'est ça ?
— Il... Il semble que oui... Tu devrais être reconnaissant.
— Ah ouais ?
Elle renifle un grand coup et enfonce son menton dans ses nouvelles couvertures pour s'approprier plus de chaleur.
— Ouais... J'ai une plaie au ventre... Je te laisse l'honneur de m'agrafer.
Je remonte le regard vers elle et rencontre enfin les yeux que j'ai tant cherché à éviter. S'il y a bien quelque chose que le froid hypothermique ne lui a pas volé, ce sont les émeraudes qui lui servent d'iris.
Je n'ai malheureusement pas le temps de me noyer dans autant de verdure, car elle geint de nouveau. Son père se redresse et frappe un coup sec dans ses mains.
— Je veux que tous ceux qui ne sont pas trempés ou blessés sortent d'ici ! Laissez-leur de la place, merde !
— Papa, je t'ai dit, je vais bien...
— Tu ne vas pas bien. Et toi Carsen, si tu bouges ton cul de cette chaise...
Vitupère le grand chef menuisier en pivotant vers le bucheron qui tente de s'éclipser au même rythme que les autres. Celui-ci grogne un grand coup et repose sa joue contre le ventre bombée de sa femme. Prescott remonte ses mains à sa bouche et s'acharne sur ses ongles. Je me redresse donc, après avoir subtilement caressé la main d'Heden et murmure à son oreille.
— Hey. Ça va aller. Tu ne m'as pas dit que ton homme avait déjà fait ça avant ?
— Ouais. Avant. Il m'a aussi promis qu'il ne ferait plus jamais un truc aussi stupide.
— Et qu'est-ce que j'aurais dû faire, Cookie ? Hein ? Laisser Heden se noyer ?
Réplique son mari en passant son avant-bras sous ses narines, essuyant le sang qui y coule finement.
— Je n'allais pas me noyer.
Grogne la rouquine en repliant ses jambes sur elle-même afin de mieux se coucher dans son cocon de draps chauds. Je lui adresse un sourire en coin avant de m'éloigner à mon tour.
Je n'en ai pas envie. Je peine à sortir de la pièce d'ailleurs. La seule chose que je veux réellement, c'est de rester à ses côtés et m'assurer qu'elle aille bien.
Mais à en juger le regard que me lance son père... Je ne suis pas sûr que je suis la bienvenue.
Il me faut que je me crée une raison. Toutes ces conneries... Elles ne sont clairement pas pour moi. Et peut-être que ce ne sera jamais le cas.
Dans un soupir étouffé, je rejoins donc le bureau d'Eva, enfonçant à nouveau mes mains dans mes poches pour cacher aux yeux de tout le monde que mes ongles sont en train d'ouvrir des brèches dans le creux de mes paumes.
Heden va finir par me tuer...
Grande frayeur, grande frayeur... Oulalalala on se demande VRAIMENT ce que Caleb est prêt à faire hein... 🤭🤭🤭🤔🤔🤔😏😏😏
Je vous dis à très vite pour la suite et... À vos impressions ! 😁😍🥰
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top