Chapitre 19 : la proposition

La nuit tombe doucement autour du lac tandis que je suis Heden et Ollie sur les petits sentiers de neige écrasée. La difficulté se prononce de plus en plus dans les muscles atrophiés de mes mollets et j'ai à peine fait deux centaines de mètres que le souffle se coupe dans mes poumons. Je m'arrête donc entre deux buissons et pose ma main gantée sur le tronc sec de l'un des grands pins qui sillonnent le lac du chalet d'Heden.

Celle-ci ne remarque que je me suis arrêté qu'au bout d'une bonne minute. Le front froncé sous son bonnet, le souffle chaud s'évaporant de ses narines dilatées, elle revient sur ses pas et tend sa main vers moi.

— Tu veux de l'aide ?

— N... Non...

— C'est toi qui avait insisté, l'anglais. Tu devrais savoir ce que tu veux.

— Je sais qu'il faut que je le fasse... Laisse-moi juste prendre une inspiration, merde...

Je ne lui dis pas que je n'ai pas envie de sa main parce que j'ai peur de la toucher. Depuis qu'elle est revenue, depuis ce que j'ai fait ce matin, j'ai du mal à la regarder dans les yeux. Et je sais que les deux feuilles de houx qui les remplacent ne m'aident en rien. Ollie presse sa truffe contre ma cuisse et je dégage les flocons de sa fourrure, au gré des soupirs agacés d'Heden. Je lui jette un regard en coin et gronde sur le même ton.

— Qu'est-ce qu'il t'arrives aujourd'hui ?

— À moi ? Rien. Tu m'énerves, c'est tout. Pour changer...

Je presse ma main contre ma bouche dans un geste exagéré et elle vient la balayer avec sérieux.

— Arrête. Tu m'énerves encore plus.

— Comment est-ce que c'est possible ? Je suis si adorable, pourtant...

— Arrête de forcer sur ton accent, quand tu fais ça.

— Avoue, c'est craquant.

Si elle ne s'était pas retourné aussi rapidement, j'aurais juré voir ses pommettes se teindre de pourpre sous les rayons envenimés de la Lune.

— Tu m'énerves, Caleb. On est sortis pour marcher. Alors dépêchons de marcher. On n'est pas obligés de faire ça en parlant.

Je roule les yeux au ciel et m'empresse de la rattraper. La curiosité me noue férocement le ventre et j'insiste en abaissant la voix au fur et à mesure qu'on s'enfonce dans les bois sauvages.

— Allez, Heden. Je crois que tu connais assez de secrets sur moi pour que tu m'en dévoiles un peu plus sur toi.

— C'est là où tu te trompes. Je ne connais rien sur toi.

— Tu veux connaître quelque chose sur moi ?

Lancé-je avec un rire ironique. Mais je sais que je me retrouve dans une impasse lorsqu'elle oblique son menton vers moi, le retirant des rebords douillets de son écharpe épaisse. Je lâche un violent soupir et hausse les épaules en guise de réponse.

— Laisse tomber.

— Non, non, allez ! Dis-moi.

— Laisse tomber, j'ai dit.

— Non, plus sérieusement ! J'abrite littéralement un étranger chez moi.

— Et tu ne l'as jamais fait avant ?

— N'esquive pas ma question.

— Dis celle qui esquive la mienne.

Il y a toujours un silence qui suit nos réparties échangées. Là, non seulement il me vrille les tympans, en même temps que le vent glacial, mais il est aussi accompagné d'un regard peiné. J'abaisse ma garde et presse mon épaule contre la sienne alors qu'on dévie vers le rivage du lac.

— Je suis désolé.

— J'en ai marre que tout le monde se mêle de ça, comme si c'était un si grand crime.

— Revenons à la conversation initiale, si ça t'embête autant.

Heden frappe un grand coup dans ses mains pour ordonner à Ollie de laisser la glace étincelante du lac tranquille avant d'enrouler son bras dans le mien pour m'aider à rester debout.

— OK. On fait comme ça. Je pose une question et on répond tous les deux.

— Comment ça ?

— Par exemple... D'où est-ce que l'on vient et moi je te répond ici, tandis que toi, tu me réponds Londres.

— Manchester.

Corrigé-je une nouvelle fois avec agacement.

— Oui. C'est ça. Manchester.

— C'est littéralement l'autre côté de l'Angleterre !

— Je veux un cours de toi, pas un cours de géographie.

Je laisse glisser sa remarque en plissant mes lèvres et tandis que j'arrache la chair qui la recouvre, Heden fait le tour d'un tronc en se laissant glisser avec son bras.

— T'es-tu déjà retrouvé devant tes parents pour défendre ce que tu aimais ?

— Wow. C'est très spécifique.

— Réponds.

M'ordonne-t-elle en balayant la neige qui jonche sa parka rouge. J'enfonce mes mains dans les poches de la mienne et prends une légère inspiration avant de répondre.

— Ma mère est croyante. Elle croit formellement que le ciel, c'est le Paradis, donc... J'ai eu droit à trois mille sermons sur les lois physiques avant que je ne parte pour l'espace. Elle n'a jamais voulu que j'y aille et pour mon bien... J'ai dû lui faire comprendre que son avis n'était pas important.

— Merde...

Heden relâche l'arbre et ses yeux s'agrandissent avec cette même peine que tout le monde m'accorde à chaque fois que je raconte cette histoire. Merde, même Lev avait tiré une moue.

Et je déteste ça.

Tandis que je chasse le défunt russe de mon esprit, j'indique à ma sauveuse de remplir sa part du contrat et elle s'exécute en venant s'asseoir sur un arbre mort.

— Tout à l'heure, mon père m'a... insulté.

— Insulté ?

— Oui. Ma mère a... Elle est partie pour la ville, quand j'étais petite. Et elle n'est jamais revenue. Alors mon père a vraiment du mal quand je parle d'hommes ou qu'il... Me retrouve avec l'un d'eux. Sauf que je ne peux jamais répondre, parce qu'au fond... Ma mère me manque. Mais je commence à en avoir marre.

L'air peiné qui traverse son visage pourtant si courageux m'arrache un petit grognement. Je ne la connais peut-être pas depuis si longtemps, mais je suis à peu près sûr que je ne préfère pas la voir dans cet état. Peinée et écrasée par une responsabilité qui n'est pas sienne à porter. Après une courte hésitation, je viens m'asseoir à ses côtés. Mes muscles chauffés se mettent à picoter sous mes frottements vigoureux, mais au moins, je sais qu'ils sont là.

Mon regard se porte sur la magnifique Lune qui brille au-dessus des pins. Sur les cratères que j'ai étudié, petit. Sur la passion qui m'avait suivi, à chaque nuit, jusqu'à ce que la NASA rende cette passion une réalité à portée de mains.

Sur ces étoiles étincelantes, non polluées par les lumières citadines de ma ville natale.

Puis, sur Heden. Sur son visage pâle et ses cheveux de feu qui dépassent de son bonnet pour s'écraser sauvagement sur ses épaules graciles.

L'antonyme de la Lune. Ou son homonyme ?

Ma pomme d'Adam tressaute sous un dégluti que je veux pourtant discret et remercie le ciel qu'elle soit cachée par mon attirail hivernal.

— Je résume : on a tous les deux des parents indignes.

— Indignes de nous ? C'est très présomptueux, tu ne trouves pas ?

— Peut-être. Mais personnellement, si je ne l'étais pas, jamais je ne serais parti dans l'espace et réalisé mon rêve.

— Un rêve qui s'est littéralement crashé sur Terre.

Je lui administre une violente frappe dans l'épaule et elle éclate d'un rire satisfait.

— Tu es pire que ma mère, ma parole !

— Il faut bien que ton nouveau cauchemar le soit, non ?

— Oh, parce que tu te considères comme étant un cauchemar ? Et qui est-ce qui est présomptueux à présent ?

— Je ne le suis probablement pas assez.

Marmonne-t-elle en baissant son regard émeraude sur le sol sous nos pieds. Ollie vient s'asseoir sur les pieds de sa maîtresse et ouvre la gueule pour laisser échapper un grand bâillement perçant. Des oiseaux de nuit s'envolent sous le bruit et filent rejoindre les zones d'ombres. Tandis que j'ai le regard perdu dans cette nature sauvage, je retire les dernières croûtes qui barrent les traces roses de mon visage et souffle pour les faire glisser de mes joues.

Des problèmes en moins.

— Et bien devient le ?

— De quoi ?

— Présomptueuse.

— Ce n'est pas vraiment une qualité.

— Qui dit qu'il faut avoir des qualités pour survivre ? Regarde ces connards qui survivent éternellement.

— Ce n'est pas vraiment un exemple.

— Je vais te dire un truc. La vie... C'est une pute. Alors soit pire qu'elle. C'est la seule manière de survivre.

J'essaye de lui sourire, mais elle oblique vers moi des sourcils plus froncés que jamais.

— Tu... Tu viens de m'insulter de pute ?

— Quoi ? Non ! Non, je...

— Je ne rêve pas, tu viens vraiment de m'insulter de pute ! Espèce de sale connard !

— Mais non, tu n'as pas compris ce que je veux... Hey !

Avant que je n'ai le temps de protester, elle empoigne une grande boule de neige entre ses doigts furieux et me l'écrase en plein visage. Le froid vient mordre les zones de peau encore fragiles et un geignement dolent naît dans ma gorge avant de mourir sous une autre attaque.

Peu importe les jappements joyeux de la chienne, Heden devient de plus en plus virulente, jusqu'à me dompter, au sol. Ses genoux serrant ma taille, elle ne cesse d'écarter mes bras pour enfoncer le plus de neige possible.

— Arrête ! Merde !

— Excuse-toi, ou je te balance à nouveau dans le lac !

— C'est ça, parce que tu crois avoir la force ?

— Je t'en ai tiré, je peux très bien t'y foutre à nouveau dedans !

— Lâche-moi !

— Excuse-toi !

— Lâche-moi, Heden !

L'hilarité me gagne, même si ses fesses se pressent contre ma blessure abdominale. Je parviens néanmoins à attraper ses poignets et les écarter de mon visage pour récupérer mon visage.

— C'est bon ? Tu as fini ?

— Lâche-moi, Caleb.

— Oh, c'est à moi de te lâcher, maintenant ?

Elle se rassoit, en défaite, mais malheureusement pour moi, elle le fait sur mon bassin. Alors avant que mon sang ne reparte dans une certaine direction, je la relâche et on se redresse tous les deux.

— Désolée.

Mine-t-elle, un grand sourire satisfait taillant ses lèvres bombées.

— Gamine.

Réponds-je en ouvrant ma parka pour en sortir la neige, avant qu'elle ne fonde.

— Tu veux que je recommence ?

— T'emportes-tu toujours aussi souvent ?

— Et toi, tu es toujours aussi faible ? Je ne comprends pas comment tu as été apte à décoller pour l'espace.

— Geins autant que tu veux. J'ai vu les étoiles de près, moi, ma grande.

Un pincement au cœur vient effacer mon sourire de mes lèvres. En redressant la tête aux cieux, un froid vient s'emparer de mes veines, les glaçant plus encore que la neige qu'Heden m'a enfoncé dans le visage.

Certains n'aiment pas voir les étoiles de près.

Ils en deviennent même fous.

— Caleb ?

— Hm ? Ah. On... On devrait rentrer.

— Tu es sûr ? On n'a pas vraiment marché...

— Ce n'est pas grave. Ça va déjà mieux.

Heden m'aide à me remettre debout et me rend mon bonnet pour que je le remette avant d'indiquer son chalet, au loin. La fumée de la cheminée ainsi que la lueur qu'elle émet dans son salon nous permettent de retrouver vite notre chemin, malgré l'obscurité de plus en plus envahissante.

— Plus sérieusement, il fallait que je te parles d'un truc.

— De quoi donc ?

— Et bien crois le ou non, mon père a appris pour ton existence et je...

— Pourquoi je ne devrais pas le croire ? Tu m'as promené comme une star de cinéma promènerait son chihuahua à Beverly Hills... Putain, on a eu le droit à plus de paparazzis qu'à une sortie de la reine d'Angleterre.

— Ne soit pas chiant.

— Je ne suis pas chiant, je pointe juste du doigt l'évident.

— Ouais. Ben moi je pointerai autre chose si tu ne la fermes pas pour que je puisse finir ma phrase !

Je grommelle une excuse entre mes dents serrées et elle poursuit en sortant ses clefs de la poche de sa parka.

— Je disais donc... Avant que mon père et moi nous nous disputions, il m'a proposé, si tu... "Restais plus longtemps" de venir nous aider ?

La surprise ainsi que la curiosité me forcent à ralentir mon pas et à étudier ma sauveuse de plus près.

— C'est une blague ?

— Je le croyais aussi... Mais non, apparemment.

— Heden, je sais à peine marcher, je ressemble à quelqu'un qui vient de se prendre un bus et un train dans la gueule...

— Oh, mais on ne te demanderait pas de trancher tous les arbres du territoire, juste des trucs bureaucratiques, pour l'instant.

— J'ai une tête à être secrétaire ? Pourquoi je suis allé à Oxford si c'est pour...

— Tu es ingénieur, pas vrai ? C'est toujours utile.

Ollie saute les escaliers du chalet dans un bon élégant et gratte la porte encore fermée, hâtive de rentrer. Heden la balaye un instant pour y insérer ses clefs et lorsqu'elle l'ouvre la vague de chaleur menace de me voler le souffle pur dans mes poumons. On rentre et alors que je retire ma veste, L'inquiétude transperce ma voix lorsque je réponds.

— Je ne suis vraiment pas sûr, Heden. Je ne veux pas t'attirer des ennuis.

— Tu le fais déjà.

— Tu leur a dit que...

— Non. Il n'y a que Carsen qui sait que tu n'es pas un touriste. Et encore, pas tout à fait. Du moins, je peux t'assurer que la Sécurité Intérieure ne sait pas que tu es ici.

En retirant sa parka, son pull remonte sur une taille gracile dont les courbes dessinées donnent envie d'être empoignées à pleines mains. J'essaye de dévier le regard, mais tombe face au sien lorsqu'elle se retourne dans un petit pivotement.

— Si tu venais avec moi, je serais plus sereine.

— Et s'ils posaient des questions ?

— Ils le feront sûrement, je ne te mentirai pas là-dessus... Mais je suis sûre que ça ira.

— Et qu'est-ce qui te rends aussi sereine sur la question ?

— Parce que tu ne veux rien me dire quant à l'espace, alors pourquoi c'est à eux, que tu le dirais ?

Bon point.

Je soupire lourdement et monte mon pull sur ma nuque pour le retirer. Mais alors que j'essaye de m'en débarrasser, des doigts froids se posent sur ma peau et j'étouffe un cri de surprise.

— Ta blessure a vraiment belle allure et tu t'en sors mieux avec la gravité.

Je la repousse légèrement, remet mes cheveux en place et rabat mon t-shirt sur ma taille.

— Même. Je ne suis vraiment pas sûr.

— Tu es scientifique, pas vrai ? Tu sais donc qu'un être humain ne peut pas rester inactif trop longtemps sous peine de tomber dépressif.

— Tu me permets quelques jours de n'être pas bien suite à une chute spatiale, au moins ?!

— Tu les as eu, tes "quelques jours".

Elle revient vers moi, si près que son souffle chaleureux caresse mon visage et que sa poitrine effleure mon torse. Elle passe ses doigts déliés dans l'encolure de ma chemise dont les pans bleus retombent sur mon bassin.

— Et puis même... Je serai plus rassurée de savoir que j'aurai un œil sur toi vingt-quatre sur vingt-quatre.

— Tu veux m'avoir à l'œil ?

Je dois me faire violence pour ne pas poser mes mains sur ses hanches et rapprocher son corps du mien jusqu'à ne faire plus qu'un. Le goût métallique du sang envahit d'ailleurs ma bouche lorsque mes dents se frayent un passage dans ma langue.

— Oui.

Elle rit joyeusement avant de m'assainir une petite tape dans le pectoral et de s'éloigner vers l'escalier en spirale qui monte jusqu'à sa chambre.

— C'est décidé, donc !

— Heden, te rends-tu compte que tu m'as posé une question, que je n'y ai pas répondu et que tu as pris ta propre décision ?

Elle s'arrête sur l'une des marches, se retourne à demi vers moi et me sourit joyeusement.

— Oui. Je me rends compte, cher collègue.

— Bordel...

Je me rapproche du panier d'Ollie qui s'y est allongé avec fatigue et passe ma main dernière ses oreilles duveteuses tout en murmurant :

— Comment tu fais pour vivre avec elle...

Y'a eu un corps à corps déjà là 🤭 enfin le deuxième si on compte la fameuse nuit de sommeil ! Et vous la sentez comment cette présentation officielle au clan Keye ? 🤭💙

À lundi pour la suite !

Oh et pour celles qui n'ont pas vu sur mon mur et qui avaient lu l'histoire, il y aura trois chapitres bonus de noel pour THE MOTEL ON THE ROAD 66 le lundi, mercredi et vendredi !

Gros bisous 💙❄💙❄💙

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