Chapitre 14 : Prescott, le biscuit de New Garden

Trois jours plus tard.

— Tu es sorti ?

Alors qu'Ollie danse encore autour de moi, je braque mon regard inquiet sur Caleb qui est assis sur le comptoir de la cuisine. Ses mains agrippent le rebord de chaque côté de ses cuisses et je peux percevoir la tension qui règne dans ses jointures blanchies.

— 'Prendre l'air.

— Mais ça va ?

Je dépose mollement mes affaires et me rapproche de lui en retirant ma doudoune. L'astronaute croise les bras sur son torse, faisant valser les muscles épais de ses bras dénudés sous son t-shirt serré et soupire.

— Drôle de question. Je ne sais pas comment te répondre, Heden. Franchement.

— Pourquoi autant de sarcasme ? Je te demande une simple question.

— "Pose".

— Quoi ?

— Il ne faut pas dire "demander une question". C'est un pléonasme.

Irritée, je l'essuie de mon comptoir et raille en me servant un verre d'eau.

— Super. Si j'étais toi, je rajouterai "dictionnaire ambulant" à ton CV.

— Juste à côté de trois doctorats et un prix d'honneur en physique quantique, tu veux dire ?

— Non. Juste à côté de "je vais me la fermer avant de me prendre un poing dans la gueule".

Il rumine dans sa barbe qui commence à recouvrir ses joues et vient douloureusement s'asseoir sur une chaise. Je l'observe enfoncer son visage entre ses mains et arque un sourcil sous la surprise.

— Pourquoi ça devrait être un secret ? Si tu voulais sortir, je t'aurais aidé. Je ne t'enfermes pas, tu sais ! Je ne fais pas partie de la mafia, tu n'es pas... Ma proie. Ce que je ne comprends pas, en revanche, ce sont les cachotteries.

— Je ne voulais pas te faire peur.

— Peur ? Pourquoi peur ? À moins que tu aies planqué un sac rempli d'armes quelque part, je ne vais pas avoir peur, Caleb.

— Je t'ai dit de ne pas appeler la Sécurité Intérieure et c'est moi qui me barre. Je suis désolé.

Il est sincère. Je l'entends dans sa voix qui prend tout de suite une autre tonalité. Je dépose donc mon verre d'eau et vient prendre place à ses côtés. Je presse ma main sur la sienne et la force à relâcher son visage qui s'adoucit lorsqu'il me voit.

— Hey. Si tu veux sortir, comme je te l'ai dit, c'est OK. J'ai paniqué en voyant des traces de pas, c'est tout. Je n'aime pas réellement avoir des gens qui rôdent autour de chez-moi. Certainement pas depuis que je cache un réfugié du ciel.

Mon sourire fait apparaître le sien et il vient enfoncer ses mains dans les poches de son jean élimé, forçant sa carrure à prendre la forme de la chaise sur laquelle il est assis.

— Si ça change quelque chose, c'est Ollie qui m'y a forcé.

J'oblique un regard noir vers ma chienne qui file se cacher dans son panier, ne laissant derrière elle que le souvenir d'un gémissement.

— Quel brave homme. Mettre la culpabilité sur un chien.

— Je proteste. Elle n'est pas une chienne. Elle est plus. Je suis sûre qu'elle comprend plus qu'elle n'y laisse paraître.

— Tu as pris tes médicaments contre la fièvre ?

Fais-je en riant espièglement. Caleb m'ignore et se contente de poser son menton sur son poing serré.

— J'ai faim.

— Tu as oublié le "femme" dans ta phrase. Je ne mérite pas autant de respect.

Ma raillerie accompagne la petite tape que je lui administre dans l'épaule, mais il n'y a que le gargouillement furieux de son ventre qui me répond.

— J'ai compris. L'anglais veut ses fish and chips.

— Tu rigoles, mais je donnerai mon foie pour en manger.

— Mauvaise nouvelle. Tu l'as laissé sur mes sapins, en tombant.

— Tu ne t'arrêtes jamais, hein ?

Réplique-t-il aussitôt alors que j'ai déjà enfoncé ma tête dans mon frigo. Bien sûr, celui-ci est vide. Les étagères ne comportent qu'un bocal de cornichons à moitié vidé qui comporte plus d'ognons qu'autre chose, une misérable bouteille de ketchup, un reste de laitue ainsi qu'une bouteille de bière légère. Un soupir vient chanter son harmonie avec un gargouillement, mais cette fois-ci, il provient de mon ventre.

Alors qu'une idée émerge dans mon esprit, je me retourne vers l'astronaute qui se redresse un peu trop brusquement.

Je rêve ou il m'a reluqué ?

— Tu es partant pour une spécialité de mon village ?

***

New Garden n'est pas encore passé par la case "Thanksgiving" que les décorations de Noël envahissent déjà nos faubourgs. Les rues s'enfonçant dans le centre sont déjà illuminées et je me demande si Caleb aurait pu nous voir depuis l'I.S.S, s'il y était resté. Accroché à mon volant, je passe mon regard sur les sapins ancrés dans les trottoirs, bordant les chalets décorés. Des guirlandes, tantôt vertes, tantôt bleues émettent une sphère presque kaléidoscopique qui font naître une chaleur dans mon cœur, tout comme un sourire sur mes lèvres.

Ça, c'est l'œuvre de Kathleen. Kat, la fille du Pasteur Striker, est tellement fana de la période festive qu'il y a quelques années, elle avait acheté des générateurs en plus, simplement pour s'assurer que le village ne serait pas plongé dans la pénombre, si jamais un blizzard se heurtait à nous, pendant la période.

Alors aujourd'hui, même si la moitié des foyers essayent encore de maintenir un courant stable et de retrouver leurs lignes téléphoniques, Kat, elle, s'est déjà mise à la tâche.

D'ailleurs, alors que je me gare sur le parking de l'église, je peux voir plusieurs membres du comité faire hisser un immense sapin sur la place centrale.

Tout le monde s'arrête pour regarder, même les commerçants en face des échoppes pittoresques construites en cercle autour de ce grand moment.

Je m'apprête à sortir de la voiture, quand je remarque enfin que Caleb n'a pas l'air aussi emballé que moi. Ou les autres de mon village, en l'occurrence.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Tu es sûre que... Que c'est une bonne idée ?

— Caleb, tu ne vas quand même pas rester allongé sur mon canapé ou sortir en douce pendant des mois, pas vrai ? Viens.

— Non.

Le blond enfonce son bonnet sur ses oreilles et croise ses bras sur son torse, renforçant cet air d'ours mal léché qui lui sied si bien. Il est presque mignon, comme ça, surtout avec sa moustache qui frétille sous ses expirations frustrées.

J'ai bien dit presque.

— Je ne vais certainement pas venir te nourrir dans ma caisse. Je croyais que tu avais faim ?

— Pas à ce point.

— Je vois. Avoue, tu as juste peur de tomber sur d'autres gars comme Carsen ? Allez, je te promets, tu ne vas perdre aucune dent.

Il me fusille de son regard perçant et je me pince les lèvres comme si je venais de me faire punir.

Alors pourquoi ça renforce la chaleur qui se met à bouillonner dans mon bas-ventre ?

Je chasse la pensée sulfureuse à l'aide d'un petit soupir et indique le restaurant de Luan au loin, dans lequel je compte bien manger ce soir.

— Tu as peur qu'on te pose des questions ?

— Bravo, Sherlock. Un autre mystère de résolu.

— Allons, mon astronaute. Je leur dirai au pire que tu es en vacances. Que tu passais dans le coin et que je t'ai dit que je te montrerai nos coutumes. Tu sais agir en bon touriste ?

— J'ai fait des études pour en être arrivé à là ?

Sa question est rhétorique. Et tant mieux. Car je suis à deux doigts de me pencher sur ma banquette afin de saisir le fusil de chasse qui est glissé sous les plaids.

— Viens. Agis simplement. Acte innocent.

Je sors en claquant la porte et je le regarde se redresser péniblement de son siège, une grimace ridant son visage si doux, pourtant. Je tends la main pour l'aider, mais il la repousse avec agacement.

— Je ne ressemblerais certainement pas à un touriste si tu m'aides à marcher.

— Très bien. Ce n'est pas comme si je n'avais las déjà eu ton sang sur mes mains.

L'astronaute déchu ouvre la bouche pour rétorquer, mais il est coupé dans son élan sarcastique lorsqu'une voix plus guillerette tonne derrière nous.

— Heden ! Hey, Heden !

La joie m'envahit lorsque j'aperçois Prescott accourir dans ma direction. Se tenant son ventre arrondi dans l'une de ses mains et un sucre d'orge avec son ruban dans l'autre, elle semble rayonnante.

Prescott, le petit biscuit du village. Une merveilleuse femme que personne ne peut possiblement détester. Un cookie craquant, mais aussi onctueuse que du miel. Une sœur, réellement.

C'est donc à contre-cœur que je lui indique de ralentir. Il ne s'agirait pas de glisser et d'anéantir ce moment de bonheur !

J'ouvre en grand mes bras dans lesquels elle vient se réfugier. Le fin arôme de cannelle s'échappant de son écharpe soyeuse me berce encore plus dans cet esprit de Noël qui n'arrivera pourtant pas avant quelques bonnes semaines encore.

— Oh Prescott, je ne t'ai plus vu depuis le blizzard !

— J'étais chez ma mère sur la côte, je suis revenue aussi vite que j'ai pu, dès que j'ai appris pour notre maison ! Et c'est pour découvrir quoi ? Que tu as eu une liaison avec Colby ? Ça ne va pas ?!

La douceur de son étreinte se mue en douleur perçante lorsque je me prends une pichenette entre les deux yeux.

C'est pire encore lorsque Caleb se met à ricaner, derrière moi, jusque-là silencieux.

On se tourne toutes les deux vers lui et il tend la main vers Prescott qui se met à l'ausculter de la tête aux pieds, si intrigué que ses yeux de biche se plissent en amande.

— Caleb. Touriste. Enchanté.

— Touriste ? Mon beau, il y a des choses plus intéressantes à voir dans le Maine que New Garden !

— Merci, Prescott.

— C'est vrai quoi.

Mon amie replace l'une de ses mèches brunes parsemées de quelques flocons de neige derrière son oreille et indique le restaurant de Luan, plus pimpant encore en ce jour de dressage de sapin.

— Carsen et les autres sont en train de manger. Vous devriez faire vite si vous êtes venus pour ça ! Tu connais l'appétit de Nounours.

— "Nounours" ?

La question de mon rescapé céleste demeure en suspens, car notre biscuit légendaire s'est déjà échappé dans un battement d'aile de papillon.

— Elle connaît le grand bûcheron ?

— Si elle le connaît ? Elle porte son enfant, Caleb.

Celui-ci tombe sous le choc, au point où il entre-ouvre les lèvres.

— Mais... Elle ? Et lui ?!

— C'est une grande et belle histoire.

— Illogique, surtout.

— Elle est adorable, hein ?

C'est avec tendresse que je reporte mon attention sur Prescott. Son sucre d'orge toujours en main, elle valse autour des familles admiratives, avec la délicatesse de cette même sucrerie.

— Plus adorable que lui en tout cas...

— Allez, arrête de ruminer et viens !

Je l'attrape par le poignet et le tire dans la direction du restaurant.

Avec la journée que j'ai eu, j'ai vraiment besoin d'un bon repas et pas question de rater la spécialité de notre cher Luan !



Est-ce que Caleb aura assez de patience pour supporter Heden plus longtemps ou est-ce qu'elle finira par avoir la monnai de sa pièce 😂😂

La question à un million 😂

À mercredi pour la suite !

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