Chapitre 11 : un bûcheron appelé Carsen
— Hey ! Toi !
Je n'ai même pas encore ouvert les yeux qu'un sweat rose avec un petit corps frêle à l'intérieur se jette sur moi et me couvre de toutes ses forces.
— Carsen, je peux tout t'expliquer !
Qu'est-ce qui se passe, bordel ?!
— Bouge de là, Heden.
Dans un faible débat, je tombe au sol, mais une main féroce m'attrape par la nuque et me soulève, net. Ce que je vois, ce n'est pas du tout un pull rose avec un soleil et une lune qui sont séparés par un petit cœur rouge... Moins encore le visage d'Heden.
Non.
Je fais face à une armoire à glace si énervée, qu'un muscle trésaille dans sa mâchoire sculptée, enveloppée dans une barbe frémissante. Je pose mes mains sur celles qui me tiennent et je parviens à me dégager, non sans l'aide d'Heden qui s'interpose.
Putain, j'ai connu mieux comme réveil !
— Bordel, je ne lui ai pas sauvé la vie pour que tu me le tues !
— Quoi ?!
Mon cri retentit en même temps que celui du bloc de glace et si nos deux regards se posent sur la rouquine, celle-ci gémit avec exaspération.
— Tu as touché ma Heden, enculé ?!
— Il n'a touché personne, Carsen, je t'ai dit de le lâcher !
Elle forme à présent une barrière humaine, entre nous deux, alors que j'essaye de reprendre mon souffle. Mes migraines reprennent de plus belle, tandis que je peine à retrouver mon équilibre sur Terre. Heden, les poings serrés contre ses cuisses, essaye de calmer le dénommé Carsen qui a déjà balancé sa veste au sol et retroussé les manches de sa chemise bleue épaisse sur des bras couverts de tatouages. De là où je me tiens, j'ai l'impression qu'ils ont été gravés à même ses muscles épais. Ceux-ci roulent sous sa peau légèrement basanée, prêts à me briser en deux.
Même Lev n'en avait pas autant, et pourtant, l'astronaute Russe prenait une place incroyable dans la base spatiale.
— Je peux tout t'expliquer et crois-moi, ce n'est en rien ce que tu crois !
— Ah ouais ?! Un gars est couché sur ton canapé, tu ne pointes à peine ton nez au boulot et tu crois que je vais avaler ces conneries ?!
Son souffle véhément fait palpiter ses narines dilatées et ses phalanges se mettent à craquer. À tout moment, je peux dire adieu à ma tête !
Je recule avec prudence, attrape ma chemise que j'avais lâché durant la nuit et l'enfile douloureusement sur mon t-shirt blanc. Cependant, j'ai à peine le temps d'enfoncer mon bras dans une manche que je remarque qu'une tache vient empourprer le tissu. Doucement
—... Fais le sortir, Heden, tout de suite !
— Non ! Non, je ne peux pas ! Et puis pourquoi est-ce que ça t'énerves autant, bordel ? C'est toi qui vient de défoncer ma porte, je te signales !
Ma sauveuse sautille presque sur place, tant elle s'égosille, indiquant la serrure fracassée avec laquelle Ollie se met à jouer.
— J'ai défoncé ta porte parce que...
Quelque chose ne va pas. Quelque chose ne va vraiment pas...
— He... Heden ?
Les deux se tournent vers moi ainsi que mes doigts ensanglantés et la jeune femme abandonne Carsen pour enrouler mon bras autour de son cou, pile avant que je ne puisse m'écrouler. Je dois me faire violence pour ne pas gémir comme une pucelle, même si j'ai littéralement l'impression d'être éviscéré. Il n'y a surement qu'une seule suture qui a sauté, avec ma chute causée par le géant aux muscles de taureau, mais ma douleur est telle que la sensation est tout autre.
Un sabre est venu me déchirer de la ceinture jusqu'à la gorge ou quoi ?
Heden m'aide à m'asseoir sur le canapé et Carsen vient le contourner avec prudence, me jaugeant de la tête aux pieds. Sa colères a quitté son visage et il ne reste plus qu'un relent suspicieux qui le force à plisser ses paupières noircies par une fatigue épinglée.
— Il lui arrive quoi ?
Heden ne répond pas. Elle se contente de s'agenouiller devant moi et relève mon t-shirt pour retirer le bandage qui tient à peine sur ma peau fiévreuse, m'arrachant un cri au passage.
— Merde. Merde, merde, merde !
— Bouge. Je m'en occupe.
D'un revers de mains, la rouquine se voit mise de côté et c'est à présent lui qui vient braquer son regard d'aigle sur ma blessure. Ses grands doigts manquent de me faire sursauter, tant ils sont glacés, pire encore lorsqu'il pince les sutures restantes pour voir leur résistance. Sa grimace assombrit son front et il me jette un coup d'œil ainsi qu'au restant de la maison. Il découvre le kit de sutures, les restes de mon repas toujours sur la table basse... Avant de reporter son attention sur Heden.
— C'est comme ça que tu traites tes amants ?
— Ce n'est pas mon amant !
— Je suis en train de crever et c'est la seule chose que tu trouves à redire ?!
Grondé-je en la fusillant du regard. Carsen sourit sous sa barbe dense et attrape mollement un chiffon qui traîne pour l'appuyer sur ma plaie.
— Ne t'en fais pas. Tu ne vas pas mourir. Du moins pas encore... La chair est juste trop fragile pour garder la suture. Comment tu t'es fait ça ?
J'ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais Heden s'assoit à mes côtés et me devance.
— Je l'ai trouvé dans la forêt. Il ne se souvient de rien.
— De rien, hein ?
— Apparemment.
Grincé-je entre mes dents serrées.
— Même ton prénom ?
— Caleb.
Heden pouvait inventer l'endroit où elle m'avait trouvé, mais certainement pas mon prénom. Et puis quoi encore ? Elle allait surement venir avec un truc horrible du genre "Robert"...
— Bien... Caleb...
Carsen se rince les mains avec du désinfectant et je remarque ses gestes précis. Je commence à croire que c'est lui le docteur du village... Peut-être qu'il est revenu, en dépit de ce que Heden avait bien pu dire à son propos ? Pourtant, mon doute se voit balayé aussitôt, lorsque je remarque à nouveau sa posture. Son torse taillé dans du marbre n'a certainement pas connu une dizaine d'années d'université. Qui plus est, la veste qu'il a balancé un peu plus tôt comporte un logo de ce qui me semble être une menuiserie. Il a déjà une allure de bûcheron, à présent, je sais qu'il en est un.
Ses cheveux taillés en coupe militaire accompagnent ce qui me semble être un collier de dogs tags, s'enfonçant entre ses pectoraux massifs, sous sa chemise.
— Si tu ne te souviens que de ton prénom, on ne va pas aller bien loin... Quelle est la dernière chose dont tu te souviens ?
Son grondement sourd me retire de mon observation et je redresse mon regard sur lui.
— Je... Je suppose que je marchais. Dans cette... Fameuse forêt.
Plutôt du sang de Lev, de la mort de Jon et l'explosion de la base spatiale.
— Quoi d'autre ?
— Qu'il... Qu'il faisait froid.
Atrocement. La première chose qui avait sauté, c'était le système de chauffage. Et le froid spatial n'avait pas tardé à s'infiltrer à travers les couloirs.
— Et... Et... La douleur.
Aveuglante. Celle qui ne sort pas de la bouche, peu importe à quel point on l'ouvre, pour sortir ce cri qui nous égosille.
Mes yeux se voilent et j'ignore la douleur de la suture que Carsen me noue soigneusement. Je peux encore sentir mes tympans se faire déchirer par cette alarme, ce sang, ces cris...
Je me souviens de Penrose.
Foutu. Penrose.
Il était le seul à rire, cette nuit-là.
— Caleb ? Tout va bien ?
Les yeux émeraude de Heden étincellent sous la lueur du soleil qui pénètre la porte défoncée par les soins du bûcheron, toujours accroupi devant ma blessure.
— Ouais. Ça va. C'est juste la troisième fois que je me fais recoudre.
— La troisième fois ? Comment ça ?
— Elle m'a agrafé.
Carsen se redresse vers la rouquine, ses petits yeux complètement écarquillés sous l'outrage.
— Tu as... Quoi ?
— Vous me soulez ! Je n'avais pas le choix ! Il pissait le sang et je ne trouvais pas de quoi le recoudre ! Le temps me manquait. Alors soit c'était ça, soit, je le laissais crever !
— Hmmm...
Il relâche le tout et se met à me toiser avec toute la férocité que peut détenir son regard. Il repasse parfois à Heden qui essaye de se cacher en pansant le restant de ma blessure, mais il persiste.
— La blessure est recousue. Il faut simplement que tu te reposes... Caleb.
Mon prénom sonne faux dans sa bouche, comme s'il avait autre chose derrière la tête. Mais avant que je ne puisse le sonder, il se redresse et se débarrasse des tissus ensanglantés qu'il met hors de portée d'Ollie. La chienne s'allonge au pied de la cheminée éteinte, tandis que je repose ma tête sur les petits oreillers.
— Merci...
Carsen se fige en face de moi, mais au moment où il s'apprête à dire quelque chose, la petite main élancée d'Heden vient se poser tendrement sur son épaule et elle le tire vers la cuisine.
J'essaye tant bien que mal de me recoucher, cependant, même si je ferme les yeux, je ne peux m'empêcher de me demander qui il peut bien représenter pour elle... Et pourquoi est-ce qu'il tient autant à elle.
Je gronde légèrement lorsqu'un pincement me serre mon palpitant dans ma poitrine et enfouit mes pensées dans un recoin de ma tête.
C'est pas le moment, bordel...
Des présentations familiales, dirais-je ! Quelque peu... Secouées 😂😂
Carsen ne ménage personne ! Et ce n'est que le premier membre de la tribu 🤭🤭
Qu'en avez vous pensé ? ❤ à très vite pour la suite ! ❤
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