𝟑 : Rain and palace

Winnie était encore choquée de ce qu'elle avait appris. Voilà deux heures qu'elle était assise sur son lit, la lettre dans les mains, à se poser mille questions. Pourquoi n'était-elle pas au courant d'appartenir à la famille royale ? Pourquoi, bien que ses parents vivent aisément grâce à la vente des chaussures et des vêtements, vivait-elle simplement dans un appartement serré entre deux gros immeubles en plein milieux de Carnaby Street ?
Une seule question avait trouvé sa réponse : était-ce une fausse lettre ? C'était impossible, car personne ne ferait une blague pareille, et de plus, la signature inimitable était bel et bien celle de sa grand-mère.

Sa tête allait finir par exploser, s'était-elle dit quelques minutes plus tôt. Et pourtant, les questions faisaient la queue sans discontinuer. Dès que l'une – qui ne trouvait jamais sa réponse – s'écartait, une autre la remplaçait. N'en pouvant plus, l'adolescente secoua sa tête, faisant voltiger sa chevelure rousse. Elle se releva, rangea la carte dans son tiroir, et se décida : après les questions, il faut toujours les réponses.


♔♔♔


Sur son vélo, la rouquine pédalait le plus vite possible. Le ciel était noir et une pluie torrentielle s'abattait sur Londres. À tout moment, elle roulait dans une flaque qui l'éclaboussait jusqu'au menton, ou sursautait sous le grondement du tonnerre proche. Il y avait nettement moins de monde sur Carnaby Street que le matin, malgré le fait que ce soit une rue populaire. Seules les voitures, rares, étaient de services. Avec la rue glissante, Winnie roulait un peu en zigzag, dérapant sur les pavés inondés. Un chien en laisse aboya, et son maitre le tira à lui. Il n'était que dix-sept heures quarante-cinq, mais les réverbères étaient déjà allumés, produisant une pâle lumière jaunâtre qui peinait à passer outre le brouillard. Soudain, un éclair jaillit du ciel et permit à Winnie d'avoir tout juste le temps de voir venir la voiture aux phares éteints et de tourner sec pour l'éviter. Elle injuria le conducteur, mais pas trop fort, car sa timidité avait repris le dessus. Elle grommela par contre encore un bon moment, marmonnant que dans un tel temps il fallait allumer ses phares, et que s'ils étaient en panne, il fallait attendre une meilleure météo pour sortir, ou appeler chez-soi un mécanicien. 

Quand elle arriva chez Alex, une minute plus tard environ, elle était aussi trempée que si elle avait plongé dans une piscine et nagé jusqu'au fond. Elle appuya son vélo contre la rambarde de l'escalier du rez-de-chaussée et monta les marches qui menaient au deuxième étage. Elle sonna, et lorsque son ami ouvrit – bon dieu, heureusement que ce n'était pas sa mère, elle aurait fait tout un plat sur l'état de la jeune fille – il ouvrit la bouche, l'air lasse, puis la referma. Winnie savait exactement ce qu'il pensait : "- Mais qu'est-ce que tu as encore fait ?"

Une mèche de cheveux gouttant sur son nez, elle ferma les yeux en rigolant légèrement, mais pas d'un rire franc, un rire gêné, timide, plus comme un souffle. Les lèvres étirées en un semblant de sourire elle allait s'explique quand Alex tourna la tête vers l'appartement en lançant :

— Je sors, maman ! Je serai de retour dans une heure.

Et il mis les pieds sur le palier, refermant la porte d'un coup, ce qui fit trembler la sonnette à l'aspect de clochette, qui résonna. 



Alex et Winnie étaient allés chercher Jane chez elle, et tous trois étaient à présent sur leurs vélos, à pédaler sous la pluie qui ne s'était pas calmée. Les cheveux dégoulinants, les vêtements collés à la peau, ils avaient l'air de revenir de loin. Les amis de Winnie, qui attendaient toujours des explications, la regardaient fixement. 

— Alors ? finit par demander Alex tandis que Jane marmonnait sur la pitoyable météo de Londres.

— J'ai besoin de réponses. Rapport à la lettre. 

Alex n'en demanda pas plus, bien que des tas de questions lui brûlaient la langue. Il se contenta alors de suivre la rouquine, les yeux rivés sur la route mauvaise. 

Quand les adolescents arrivèrent devant le Buckingham Palace, Alex et Jane se lancèrent un regard interrogateur et stressé. 

— On fait quoi ici ? demanda Jane, soucieuse. 

— Et bien : le mieux, pour savoir si je fais vraiment partie de la famille royale, c'est de regarder les archives, non ?

— Tu ne pouvais pas demander à tes parents ? Ou à ta grand-mère ?

— Et comment comptes-tu t'y prendre ? En entrant par effraction ? Le palais est extrêmement gardé, prévint Alex. Et ce n'est pas sur moi que tu peux compter pour ce genre de mission suicidaire. 

— Je compte tout simplement demander à ces chers messieurs, rétorqua Winnie en pointant du doigt les garde aux chapeaux en peau d'ours. 

— Et ils vont accepter, bien sûr...

Winnie n'attendit pas et laissa son vélo contre un réverbère. Elle s'approcha de la grille couleur granit et or et s'avança vers l'un des gardes. 

— Bonjours, hasarda t-elle sous les yeux de quelques touristes téméraires venus voir le palais malgré la pluie. Je me demandais si, heu... c'était possible de lire les archives familiales de la famille royale ?

Le garde ne répondit pas, naturellement, mais Winnie se mit à insister. Au bout d'un moment, un monsieur sortit du palais et arriva vers l'adolescente. 

— Mademoiselle, je vous prierais de bien vouloir quitter le périmètre, vous gênez les touristes et les gardes royaux. 

— Monsieur, j'aimerais voir les archives de la famille royale, les arbres généalogiques...

— Vous les trouverez dans des livres publiques. Tenez. 

Comme par magie, l'homme sorti de sa veste un livre dressant la liste de la famille royale en entier. Winnie le feuilleta rapidement, et comme elle s'en était douté, son nom  n'y figurait pas.

— Il n'y a pas le renseignement que je recherche, dit-elle en rendant le livre au majordome. 

— Que cherchez-vous alors ? 

— C'est personnel. J'aimerais le demander à la reine. 

— Très bien, se lassa l'homme. Au revoir. 

Il repartit, grommelant :

— Encore une folle persuadée d'être tout permise...!

— Monsieur, attendez ! S'il vous plait !  C'est très important ! 

Winnie se lança contre le grillage, et les gardes se retournèrent vivement, prêts à la retenir. 

— Vous connaissez Kathleen Connie Windsor ? 

Le majordome s'arrêta brusquement. Lentement, il tourna la tête et revint vers la rouquine. 

— Qui êtes-vous ? demanda t-il, méfiant. 

— Winnie Kathleen Sugar, monsieur. Petite-fille de Kathleen Windsor, dont j'ai hérité le prénom en tant que deuxième mien. 

— Pourrais-je avoir votre pièce d'identité s'il vous plait ? demanda l'homme en faisant signe aux gardes de se remettre en position.

Winnie fouilla son manteau et en sortit la petite carte, qu'elle lui montra.

— Je vois... fit-il en mettant un monocle sur son œil. Bien, bien, bien...

Il rendit la carte d'identité à l'adolescente et sortit de sa poche un épais trousseau de clés – elle se demanda comment ça pouvait tenir dans une poche, surtout sans la trouer – et un instant plus tard elle entendit un déclic dans le portail. Elle mit une demi-seconde à comprendre, puis fit un geste de la main pour indiquer à Jane et Alex de la suivre. 

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