X - Réminiscence
Tous assis autour d'une table, les sept habitants du manoir sont silencieux, aucun ne sachant vraiment par où commencer. Depuis le temps que tous sont là, une telle avancée dans l'énigme de leur présence n'a jamais eu lieu, et maintenant tous se sentent désemparés. La scène rappelle curieusement à Jimin son premier repas dans cet endroit, mais il ne peut s'empêcher de pointer les différences flagrantes. Tous ont l'air bien plus humains, les regards sont animés et les visages graves et crispés, sans perdre de leur beauté initiale.
Jungkook a rapproché sa chaise de celle de Taehyung pour pouvoir lui tenir la main. Il n'a jamais paru aussi vulnérable qu'à ce moment. Bizarrement, Jimin a presque pitié de lui. Agrippé comme ça à son amant comme à une bouée de sauvetage, il paraît vraiment faible, trop jeune pour assumer tout ça.
« - Bon, je pense que je dois d'abord vous raconter ce qui m'a poussé à sauter de ce balcon, commence enfin Taehyung en se redressant, une grande lassitude se ressentant dans ses traits.
- Est-ce que ça a un rapport avec Jimin ? Demande Namjoon, ayant apparemment du mal à contenir sa fébrilité.
-A mon avis tout est lié à Jimin, répond froidement le jeune homme blond sans un regard pour le principal concerné qui se tasse sur sa chaise, mal à l'aise.
- Je l'avais bien dit, grommelle Hoseok dans sa barbe, la tête appuyée sur la main comme s'il s'ennuyait royalement.
- Bref, continue Taehyung en jetant un regard noir au roux, je n'arrivais à m'endormir ce soir-là, et j'ai donc fait comme à mon habitude, soit aller dormir avec quelqu'un. Mon choix s'est porté sur Jimin parce qu'il m'intriguait, il n'avait presque pas parlé de tout le repas et puis c'était le dernier arrivé. Donc je me suis rendu dans sa chambre et je me suis couché. Et je me suis endormi de façon surprenante très rapidement. Mais si j'avais su je n'aurais jamais choisi de m'endormir à côté de lui..
- Bon Taehyung, ce n'est pas que nous sommes insensibles à tes efforts théâtraux mais si tu en venais aux faits ? Grogna Namjoon, encore plus agité à chaque seconde, agrippant nerveusement un verre en cristal plein qu'il sirotait compulsivement.
- Deux secondes Namjoon tu ne vois pas que ça a été dur pour lui aussi ? Aboie Jungkook, sortant de son mutisme et oubliant par la même occasion tout respect dû à son aîné.
- Tais-toi Jungkook, ne parle pas de ce dont tu n'as aucune idée, ordonne Taehyung d'un ton sec sans regarder le jeune qui ouvre de grands yeux peinés, se détournant de son amant en un geste brusque. Avant cette nuit, je n'avais aperçu que des bribes de mon passé. Lors de mes deux tentatives de suicide les flashs étaient flous, brumeux, je n'avais accès qu'à des sensations diffuses et des images incomplètes. Mais alors que je dormais tout contre Jimin, j'ai eu accès à des flashs brutaux de la réalité. C'était la vérité crue et claire, et j'ai vraiment cru devenir fou alors même que ce n'était que des images. Et surtout, une couleur dominante, qui suintait de chaque vision, de chaque sentiment..
- Le rouge...murmure Jimin, se rappelant de l'effrayant mantra répété par le jeune ce matin-là.
- Après être parti de sa chambre, poursuit Taehyung comme s'il n'avait pas été interrompu, j'ai passé des heures à déambuler dans le manoir, essayant de me persuader que ce que j'avais vu n'était pas vrai. C'était trop horrible, trop traumatisant. Mais je n'ai pas réussi à m'enlever les images de la tête. Elles me poursuivaient, insatiables, dévorant petit à petit chaque parcelle de mon esprit. J'ai alors pris la décision de sauter à nouveau, de retourner dans le dernier endroit où je voulais être afin de trouver des réponses. Jimin avait débloqué quelque chose dans mon esprit, et j'étais à deux doigts d'avoir accès à la vérité. Et lorsque j'ai plongé de ce balcon tout droit vers les ténèbres, tout m'est revenu en pleine tête.. »
Le visage de Taehyung change alors, prenant la même expression de marbre que dans la chambre de Jimin plus tôt. Ses lèvres rosées s'ouvrent, mais les mots qui sortent de sa bouche paraissent lointains, venant d'une autre dimension. Et chacun peut voir que dans les yeux sombres du jeune homme les images défilent en même temps qu'il les raconte.
Tu marches lentement, les écouteurs enfoncés dans les oreilles. Ta journée au lycée a été merdique, comme d'habitude. Tu n'en peux plus de ces regards sur toi lorsque tu déambules dans les couloirs, des chuchotis sur ton passage. Et personne n'ose croiser ton regard à toi, ils ont trop peur du mec capable de péter un câble en cours et de tabasser quelqu'un sans aucune raison. Ce sont tous des cons, ils ne savent pas ce que c'est d'être victime de la rage, de ne rien pouvoir faire contre elle lorsqu'elle t'envahit et de se réveiller toutes les nuits avec des corps en sang gravés derrière les paupières. Et puis ton connard de beau-père a arrêté de te donner de l'argent pour te payer les médicaments qui permettraient d'enfermer à double-tour cette colère au fond de toi.
Alors depuis tu es obligé de passer ton agressivité autrement. Tu n'en es pas fier, tu aimerais mieux être gavé de médicaments plutôt que de faire ça, mais au moins tu n'attaques personne en cours. Pourtant ils mériteraient ces petits salauds, tout ceux qui pensent que parce qu'ils sont riches ils sont à l'abri de tout. Tu as réussi à en coincer quelques uns dans tes ruelles de prédilection, pour t'adonner à ton activité qui te défoulait, le passage à tabac. Tu en as amoché certains au point que leurs parents ont eu du mal à les reconnaître. Ce sont les seules fois où tu as réussi à en tirer de la satisfaction.
Mais la plupart du temps, lorsque tu contemples le corps d'un inconnu gisant dans une mare de sang et que tu fixes ton regard sur tes propres mains tremblantes pleines de liquide écarlate, tu as juste envie de vomir. c'est généralement ce que tu finis par faire, lorsque le voile rouge qui recouvre ton regard sombre finit par s'estomper, après avoir marché cinq minutes dans les rues sombres. Jamais tu ne t'es demandé si les personnes que tu battais s'en sortaient.
Personne chez toi n'a remarqué que tu revenais toujours trop tard des cours, les mains dans un sale état et le regard hagard. A part ta sœur, évidemment. Eunmi est la seule personne au monde qui avec ta mère trouve encore grâce à tes yeux. Tu lui dois ta présence persistante sur cette terre, car si tu n'avais pas à la protéger tu aurais disparu de sa surface depuis longtemps. Elle te soigne les mains sans un mot, et te racontes sa journée de sa voix la plus enjouée alors que tu sais qu'elle porte en elle les prémices de la dépression la plus sévère. Mais elle reste forte, pour toi, elle se fait pilier quand toi tu plie face à la misère de votre vie.
Tu es enfin arrivé chez toi, petit taudis en bordure de Séoul. Avant tu habitais avec tes parents et ta sœur dans une petite maison beaucoup plus jolie et accueillante mais lorsque ton père est mort dans un accident de train ta mère, effrayée par la solitude, s'est empressée de se remarier avec un type qui s'est révélé être le pire des individus pour elle. Violent, impulsif et irritable, il a dépensé tout votre argent en un rien de temps, restant toute la journée sur le canapé à regarder la télé pendant que ta mère s'échinait dans une grande entreprise, comme secrétaire. Tu le hais, et tu en veux à ta mère d'être trop faible pour lui dire de partir.
Mais ton flot de pensées se fige, lorsqu'en poussant la porte tu tombes sur une silhouette allongée par terre, une autre agenouillée à ses côtés et une dernière les surplombant, planté sur ses deux pieds et une bouteille à la main. Le bruit de la porte fait tourner la tête à la personne assise par terre, et tu te retrouves face au regard humide de Eunmi, tenant dans ses petites mains celle écorchée de ta mère. C'est elle qui est étendue au sol, et lorsque tu t'approches l'évidence te saute aux yeux. Ce connard l'a frappé une fois de trop.
La conjugaison de ces deux personnes si fragiles et soumises à l'autorité de ce tyran sanglant fait remonter de familiers tremblements dans tes membres. Mais tu ne dois pas craquer maintenant, pas alors que les seules personnes qui comptent pour toi se trouvent dans la pièce. Dans un élan de voix rauque, tu ordonnes à Eunmi de partir s'enfermer dans sa chambre avec Eomma si elle y arrive. Tes mots se font pressants, déjà tu n'entends plus sa sœur t,appeler à cause du martèlement du sang qui bat à tes oreilles.
Tes affaires tombent une à une sur le sol, et la couleur envahit peu à peu ton champ de vision, teintant tout ton environnement d'un filtre sanglant. Mais pour une fois, tu laisses la colère t'envahir. Celle-ci, heureuse d'être enfin pleinement libérée, bouillonne dans tes veines, conquiert chaque parcelle de ton corps, et coupe les ponts avec la raison.
En un cri de rage tu te te jettes sur ton beau-père, infime raclure de ce monde qui s'effondre, imbibé d'alcool. La suite se déroule de façon embrouillée, comme si tu n'étais plus maître de ton corps. La colère a pris le contrôle, et tu regardes ta main attraper la bouteille en verre et lui abattre le récipient sur le crâne, une fois, deux fois. Puis la même main frappe à nouveau, avec cette fois les bords tranchants de la bouteille brisée, droit dans l'abdomen. Mais quelque chose l'empêche de continuer à déverser sa haine. D'un coup violent le bras fait voler la chose qui le tenait, et cette dernière s'écrase au mur avec un craquement sinistre.
Et puis après ce tourbillon de rage pure, le vent s'apaise enfin. Les coups se font plus espacés au fur et à mesure que la colère reflue, se laissant docilement enfermer à nouveau par la raison. Doucement tu te relèves, haletant et hagard, alors que le filtre rouge disparaît peu à peu de ta vision. Mais la couleur reste devant toi, sous forme de tâches sur tes vêtements, de flaques écarlates sur le corps de ton beau-père. Corps ? Sa poitrine ne se soulève plus. Mais l'information a du mal à passer dans ton esprit, car ton regard s'est focalisé sur autre chose, une autre personne affalée dans une position peu naturelle contre le mur, les yeux grands ouverts dans une expression de pure terreur. Eunmin. Murmurant des « non » incessants, tu t'agenouilles devant elle, tandis que la colère tapie au fond de toi ricane, te répétant que c'est toi qui as fait ça.
Tu as tué ta sœur.
Kim Taehyung, tu es un meurtrier.
Interdit tu te relèves, reculant doucement puis de plus en plus vite, fuyant ce lieu de mort, espérant te fuir toi-même en même temps. Mais on ne peut pas échapper à soi-même, et alors que tu cours de toutes tes forces dans les rues désertes jusqu'à quitter la ville et à t'enfoncer dans les campagnes profondes, tu t'en rends compte. Les images des corps inertes de ta famille maintenant en lambeaux tourbillonnent devant tes yeux, tu entends la voix de ta sœur t'appeler encore et encore, et c'est elle qui t'accompagne tandis qu'après avoir atterri sur une route déserte deux phares t'aveuglent soudainement avant que tu atterrisses dans les ténèbres.
Un silence d'un poids incroyable pèse sur l'assemblée tandis que Taehyung reprend ses esprits, respirant très vite tandis que son corps se recroqueville par réflexe, manquant de glisser de sa chaise. Jungkook, malgré le récent rejet de son amant se lève pour entourer de ses bras protecteurs la silhouette du blond qui se balance d'avant en arrière, les yeux étroitement fermés. Surprenant tout le monde, Jimin se lève à son tour et fait le tour de la table avant de se retrouver à côté du jeune homme tremblant. Là, il pose une de ses mains sur son épaule en ignorant le regard d'avertissement de Jungkook et ouvre la bouche, droit et décidé.
« Taehyung, sache juste qu'on ne te jugera pas sur ce que tu as fait. Le passé reste où il est, si nous sommes ici c'est que nous avons tous fait des choses du même genre, où même pires. Alors on sera là pour toi, quoi qu'il advienne d'accord ? »
Il n'est pas sûr que son aîné l'ait entendu, vu qu'il paraît être parti très loin, les yeux de nouveau ouverts mais le regard dans le vide, mais en tout cas il est satisfait de voir ses autres aînés opiner du chef, apparemment tous d'accord avec les mots du cadet aux cheveux argentés.
«- Bon, il faut décider de ce que nous allons faire maintenant, reprend Jin d'un ton égal. Nous avons tous pu constater que le déclencheur des visions de Tae est Jimin. La question est de savoir comment nous pouvons obtenir le même résultat avec chacun d'entre nous.
- De ce que j'ai constaté, répond Yoongi d'une voix douce et feutrée, la nuit, la chambre de Jimin ainsi que Jimin lui-même paraissent des éléments indissociables. Je propose que chaque nuit quelqu'un dorme avec lui, pour que de la même façon que Taehyung nous pouvions à notre tour trouver la vérité, en nous.
- Et pourquoi pas tous en même temps ? Demande Jungkook en se redressant un peu, gardant ses bras autour de Taehyung. Ça irait beaucoup plus vite..
- Parce que j'essaye d'être logique, et de recréer les mêmes conditions que lors de la nuit dernière. Je ne pense que ça ne marchera qu'avec un contact privilégié et intime, répond Yoongi, sa voix traînant quelque peu sur ses derniers mots.
- Qu'en dis-tu Jimin, tu es d'accord ? Demande Jin, levant la tête vers le principal concerné dont les joues ont pris une couleur rosée.
- Je..j'imagine qu'on a pas le choix alors.. si je peux me rendre utile, bafouille le cadet en baissant le regard vers ses chaussures, sentant son cœur battre à toute allure. »
Aux mots de Yoongi, son corps s'est mis à trembler. L'imaginer dans un lit avec lui, c'est impossible. D'ailleurs tous les imaginer dormir avec lui est difficile. Il a beau être moins paniqué qu'auparavant, il n'a aucune confiance envers les habitants de ce manoir. Après l'atroce récit de Taehyung, qui sait ce qui peut l'attendre avec la mémoire des autres ? Mais il n'a pas le choix, alors il courbe l'échine et se prépare mentalement à accueillir les autres dans sa bulle, un des seuls endroits qu'il préservait pour lui-même.
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Bonsoir, j'ai déconné. Clairement ce chapitre est trois mille fois trop long par rapport aux autres mais je ne pouvais absolument pas couper. Alors ce récit du passé de Taehyung ? Ça vous éclaire un peu ou pas du tout ? Et la fin du chapitre, ça promet non ?
Bref je n'en dis pas plus, comme d'habitude n'hésitez pas à commenter et à voter si ça vous a plu !! J'en profite que ce soit le dixième chapitre pour vous remercier, à cet instant j'ai 77 abonnés et 641 vues sur The Sin Manor ce qui est absolument génial alors merci je vous aime fort !! Vos commentaires me font toujours ultra plaisir, et je suis d'autant plus heureuse d'écrire des choses qui vous plaisent !
Je vous aime mes petits canetons, bon courage pour demain,
Alex.
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