...Retiens-moi (2/2)

Les mois s'enchainèrent et je ne voyais Myriel qu'en coup de vent. Nos rapports étaient devenus plus professionnels qu'amicales, parce qu'on avait pas eu le temps pour plus. Parce que tout était à faire, à bâtir, à reconstruire.

Notamment chez les métamorphes où Graye passait son temps en compagnie d'une renarde. Il m'avait confié qu'elle était son âme-soeur et j'essayais au mieux de jouer les entremetteuses mais monsieur était réticent. Je ne voulais pas que Graye finisse comme moi.

À espérer alors qu'il n'y avait peut-être plus rien.

À attendre alors qu'il était déjà trop tard.

Et parce que monsieur se refusait toutes joies, il était d'autant plus bûté.

- Tu m'énerves, marmonnai-je dans ma barbe tandis que Graye toquait à la porte du chef des métamorphes Xandear.

Ce dernier nous ouvra et nous rentrâmes pour parler de la suite. Les métamorphes avaient toujours été oppressés par les loups, et je crois bien que leur libération officielle n'était pas dans les priorités de Boris et de sa récente compagne Syfia.

Alors on faisait de notre mieux pour que Xandear garde patience. Ce n'était pas une chose aisée mais Graye avait un phrasé très convaincant.

Vous pourriez lui donner votre âme que vous ne sentiriez rien.

En cours de discussion, Réna, la fameuse renarde, mais aussi bras droit de Xandear rentra.

- Ho le dragon est là, soupira-t-elle mais le pétillant de ses yeux prouvait qu'elle était heureuse de voir Graye.

Malheureusement pour moi, Réna fut suivi de Bruno.

J'eus des frissons.

Ce métamorphe n'était pas ce que je qualifierai de méchant mais il pouvait se montrer trop avenant, trop bourru, trop étouffant. Et il avait un penchant pour ma personne.

Je le savais important pour Xandear, ainsi je ne voulais pas causer le moindre soucis en le rejetant publiquement. Parce que lorsque nous étions tous les deux, je ne m'en privais pas.

Et visiblement, il ne comprennait pas, se montrant parfois insistant.

La conversation me parut interminable si bien que je finis par faire des gâteaux avec Réna. Nous n'étions pas proches mais lorsque nos hommes mettaient un temps considérable avec leurs affaires, nous devenions des partenaires de misère.

- Au plaisir Xandear, serra mon chef la main du métamorphe.

Ce dernier hocha la tête.

- Avant de partir, pouvez-vous emmener Bruno avec vous ? Pour les rapports mensuels.

Les rapports mensuels, ou bien, les inspections entre nos deux espèces, pour voir si l'équilibre tenait encore le coup, ou si l'un avait besoin de l'aide de l'autre.

En tant que voisins d'îles mais aussi de statut reculés par rapport aux loups et dragonniers, l'entraide avait toujours été de mises entre nous.

- Pas de soucis, répondit mon frère de cœur tandis que j'élaborai déjà des plans pour éviter l'araignée.

Là était l'animal que portait Bruno en lui.

J'ouvris un portail et nous arrivâmes sur No. À peine sur place ce dernier passa son bras sur mes épaules.

- Une semaine rien que toi et moi, je sens que je vais adorer.

Et il n'y avait aucun sous-entendus derrière tout ça. Il se pensait cool.

J'allais me débarrasser de son bras quand je vis Myriel au loin. Elle venait d'arriver avec quelques loups pour nous ravitailler et faire des échanges commerciaux. Elle fusillai du regard le métamorphe à mes côtés et j'eus enfin la force de bouger pour me libérer de sa présence, le regardant mauvaise. Lorsque je tournai la tête de nouveau, Myriel avait disparu mais je ne ralentis pas le pas.

Je me voulais loin.

Loin de lui.

Mon pouvoir se calma. Sans m'en rendre compte, il s'était bien trop éveillé pour être maîtrisé.

Voilà ce qu'être auprès de Bruno donnait.

Dangereux.

Je finis par trouver la louve débarrassant des cartons sous une tente et m'approchai d'elle, bien plus à l'aise.

- Je ne savais pas que c'était ton équipe qui venait cette semaine. Vous restez combien de temps ? lui demandai-je de nouveau de bonne humeur.

- Si tu avais su tu te serais cachée pour que personne ne te voit avec ce... ce... métamorphe ? me cracha-t-elle presqu'au visage.

J'eus un mouvement de recul et eut une mine dégoûtée et déçue.

- Je vois. Je ne te dérange pas plus, lui lâchai-je sur le même ton les poings serrés.

J'entendis un soupir puis un appel. Un frôlement près de ma paume mais j'avais déjà traversé un portail. J'atteris chez moi et tombai à terre.

Mon pouvoir sur le point de se débrider.

Non.

Je ne devais pas craquer.

J'avais le contrôle.

Le contrôle.

Des particules détériorèrent l'espace autour de moi.

Non.

J'allais bien.

Inspiration.

Expiration.

Je finis par m'endormir d'épuisement.

Lorsque je me réveillai, je remarquai que certains objets de ma chambre avaient disparu.

Je soupirai. Je me changeai pour porter une tenue plus légère mais enfilai de bonnes chaussures.

Qui sait combien de temps j'allais devoir marcher pour tout retrouver.

Je commençai ma recherche en silence. La nuit réussissait à me calmer. Toujours. Et je pris conscience seulement maintenant de la lune ronde et pleine dans le ciel.

Peut-être était-ce à cause d'elle que Myriel avait été autant à cran tout à l'heure.

Mais elle n'avait pas à me parler sur ce ton. Elle m'aurait demandé s'il y avait quoique ce soit avec Bruno, je lui aurai répondu. Je n'avais rien à cacher.

Plus maintenant.

Mais elle avait préféré autre chose.

C'était son problème.

On ne pouvait déjà pas beaucoup se parler alors si c'était pour qu'elle s'adresse à moi sur ce ton, valait mieux abandonner toute idée d'un possible "nous".

Car je ne l'avais pas oublié.

Mes sentiments ne s'étaient pas envolés.

Du moins, de mon côté, car ces derniers mois de communication quasiment nulle, je ne savais plus quoi penser.

Je sentis la colère remontait dans mes membres et ma respiration s'accélèra.

Une masse humanoïde sauta en face de moi et je me reculai de surprise en criant.

- Hey ! Tout doux ma belle ce n'est que moi. Bruno. Je pensais que tu m'avais entendu. Tu n'as pas à avoir peur de moi, s'expliqua l'araignée.

Pire scénario.

J'étais seule en pleine nuit avec lui. Bien que je sache me défendre, je ne pouvais empêcher la peur de s'infiltrer dans mon organisme.

- C'est une belle lune, commença-t-il en s'approchant de moi.

J'étais figé, parce que je sentais son animal et sa puissance dans l'air.

La pleine lune avait des conséquences sur les métamorphes ?

Je ne savais pas.

- Tu es belle Aurora, dit-il en replaçant une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.

Trop.

C'était trop.

Danger.

Malaise.

Dégoût.

J'étais tétanisée et il ne le voyait même pas.

Il ne regardait que ce qu'il voulait voir

Mon pouvoir monta, je le sentais proche, et je me sentais partir.

Je ne réussirai pas à le tenir à distance cette fois.

Ça allait exploser et m'emporter avec. Et je crois bien que je n'avais pas envie de le combattre.

Je n'en avais pas la force.

Pas cette fois.

Alors que Bruno se penchai vers moi, j'entendis une voix féminine lui ordonner de dégager.

Et au même moment, je m'envolai.

Je m'évaporai.

Je disparaissai.

Je devenais l'air, le vent, le ciel, l'espace entier. Je ne sentais plus rien mais la douleur était puissante, comme si l'on m'écartelait de toute part et qu'on me récollait en même temps.

J'avais mal mais j'étais bien.

J'étais vide mais j'étais tout.

Personne ne pouvait me voir, ni me sentir, ni même me toucher. Car je n'étais plus rien.

Plus rien qu'un amas de particules invisibles se laissant emporter dans l'air.

À chaque fois, j'avais peur. Peur de jamais me reconstituer, de me perdre à jamais dans ce pouvoir qui me consumait. Là était ma Némésis. J'étais ma propre faiblesse, ma propre menace.

Les étoiles étincellaient dans le ciel et j'aurais pu me prendre pour un oiseau aux ailes brisés. Si j'allais plus loin encore je pouvais transpercer l'atmosphère et respirer sans oxygène.

Voir les nébuleuses et autres merveilles du cosmos.

Et si j'allais plus haut ?

Plus loin ?

Qu'est-ce qui m'y attendrait ?

Reviendrai-je ?

- Aurora !

Une voix quelqu'un criait mon nom.

Quelqu'un m'attendait sur terre.

Je devais revenir.

Revenir.

Revenir.

Je ne savais jamais où je revenais, ni combien de temps j'étais partie mais mes yeux se posèrent sur une personne dont j'avais le bonheur de revoir.

- My...riel, chuchotai-je dans ses bras.

Mes larmes coulèrent de douleur, tout mon corps me lançait, de peine car j'avais perdu une bataille et de cette peur de ne pas revenir.

- Je suis là, je suis là, ne cessa-t-elle de répéter et ça me fit un bien fou.

Elle me laissa le temps d'évacuer mon surplus d'émotions, elle ne me lâcha pas. À aucun moment.

- Je suis désolée. Je n'aurais pas du te parler comme ça. Mais lorsque j'ai vu cet abruti avec toi, j'ai paniqué. J'ai cru que tu avais tourné la page, j'ai...

Je la coupai pour pouvoir lui faire face et posai mes mains sur ses joues. Elle continua.

- Moi je ne t'ai jamais oublié Aurora. Je... je tiens à toi. Je ne veux pas te perdre. Je ne veux plus avoir peur de te voir t'envoler au loin...

Je ressentais dans ces mots la détresse qu'elle avait subi suite à la manifestation de mon pouvoir. C'était la première fois qu'elle en était témointe après tout. Ça faisait toujours un choc. Je posai mon front sur le sien et elle réchauffa l'une de mes mains par la sienne.

- Je n'ai jamais tourné la page Myriel. Je.. je veux croire en notre histoire, et que ce syndrome de la page blanche s'efface pour que notre conte reprenne son cours, lui dis-je en retour.

- Fais gaffe on croyait entendre Graye, plaisanta-t-elle tandis que j'essuyai une larme traîtresse de sa joue.

- À force de le côtoyer, il a du avoir une influence sur moi, rigolai-je à mon tour.

- Myriel, si je m'envole, retiens-moi, lui implorai-je dans un soupir.

Elle pressa sa main posée sur la mienne.

- Promis.

Nos regards se croisèrent et sans un mot nos lèvres se redécouvrirent à nouveau.

Ce baiser scella notre promesse et renferma nos espoirs.

Les lignes de notre histoire pouvaient continuer à s'écrire, car toutes deux, nous étions dévoilées au grand jour.

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