Je passais mes doigts sur la commode.

Propre.

Rien ne changeait ici, même mon pouvoir ne pouvait qu'affirmer la propreté de l'endroit.

Une démarche lente dans les escaliers me fit relever les yeux.

Lorsque Réna descendit, elle ne se chargea pas de me faire la leçon.

Elle savait que j'allais venir, comme je savais ce qu'elle allait me dire.

- Tu n'en as pas marre de toujours avoir raison ?

J'ignorais sa question et m'assis sur une chaise prenant place à table.

- Tu veux boire quelque chose ? Pour attendre que Miella fasse son... truc, me proposa-t-elle.

Je souris.

- Tu as surtout besoin de t'occuper, rétorquai-je.

Avec ou sans pouvoir, Réna avait cette manie. Celle de vouloir préparer à manger, lorsqu'elle ne pouvait ni chasser ni faire de ronde.

- Je prends ça pour un oui.

Et elle se mit à me préparer de quoi remplir mon ventre. Il n'était pas vide, mais j'avais prévu qu'un tel scénario pouvait se passer.

Parfois, je ne pouvais pas contrôler mes visions, et donc j'étais obligé de les voir...

C'était parfois handicapant, mais bien souvent pratique.

Elle revint de la cuisine peu de temps après m'être perdu dans mes pensées.

- Tu es soucieux... Tu as des doutes sur le succès de Miella ? se préoccupa-t-elle de mon état vis-à-vis de celui de son ami.

Je cachais mes émotions affichant une neutralité sur mon visage.

- Non, j'ai confiance en Miella, lui adressai-je en mimant un petit sourire.

Elle me le rendit mais ne lâcha pas le morceau pour autant.

- Alors qu'est-ce qu'il y a ? soupira-t-elle. Toi, Graye, avec tes capacités tu ne crains rien !

Elle essaye de me faire rire mais ça ne marchait pas. Elle porta à ses lèvres son thé.

Chaud.

Je baissai mes yeux sur ma propre tasse et en fit de même.

Je savais que lorsque je mettais du temps à lui répondre, ça l'agaçait. Donc, je pris un gâteau sur la petite table et commençai à mordre dedans.

Lentement.

Trop lentement pour elle.

- Graye..., s'impatienta-t-elle.

Je finis mon biscuit et me relevai.

- Ce fut un plaisir de te voir Réna, lui dis-je avant de voir son visage s'illuminer d'une lueur nouvelle.

Celle d'une conscience retrouvée.

Celle d'une vie qui reprenait son cours.

Elle ne me salua pas, courant dans la chambre de Xandear. Quant à moi, je repris le fil de ma journée.

Je rentrais sur No par le bracelet que m'avait confectionné Aurore. Il me restait encore quelques voyages à utiliser avant de devoir aller la voir pour qu'elle me le recharge.

Je posais un pied sur l'herbe fraîche. Je portais une longue cape qui traîna dans mon dos.

Avec une lenteur voulue, j'allais jusqu'à la maison où j'avais logé mon père. Je ne voulais pas qu'il soit chez moi.

Raisons personnelles.

Je profitais du paysage tout en sachant mon but proche. De nombreux oiseaux peuplaient cette île, ainsi que de petits rongeurs. On n'avait pas beaucoup de grands animaux ici. C'était pour cette raison que notre alimentation était basée essentiellement sur les végétaux ainsi que les fruits.

Fruits venant d'ailleurs majoritairement de Ro, l'île des métamorphes.

Et on s'en sortait plutôt bien.

Du moins aujourd'hui, car avant ce n'était pas le cas.

Je couvrais les arrières d'Elya pendant que cette dernière s'envolait au dos d'Hodnir, la petite dragonnière à ses côtés.

J'allais la rejoindre avec Sred quand des balles en acier nous percutèrent. J'entendis mon dragon hurler de douleur et je me voyais déjà partir en arrière.

Puis un flash.

Celui d'une Elya souriante dans les bras d'un homme dont je ne percevais pas le visage.

Je ne savais pas ce que c'était... Qu'est-ce que je venais de voir au juste ?

Percevant la conscience d'Elya et en voyant la mienne décliner, je lui adressais mes derniers mots.

- Tu es forte El', tu y arriveras sans moi...

Et mes yeux se fermèrent.

Tout était flou autour de moi, comme une rivière à l'aube d'une saison d'hiver.

Je passais ma main dans la brume.

Doux.

Je ne savais pas où j'étais mais lorsque mes yeux se posèrent au ciel, je ratais une respiration.

Une fille était présente. Elle me parlait, je voyais ses lèvres bougeaient, mais je restais sourd à ses paroles.

Elle était belle, avec ses cheveux de feu, ses yeux verts et ses tâches de rousseurs ravissantes.

Elle me souriait avant que son image ne se floutent pour laisser place à une autre, beaucoup moins plaisante.

Un homme était attaché, en sang, dans une prison.

Un autre s'approcha de lui, je le reconnus. C'était Barthos Stras, il ne resta pas, prenant simplement du sang de son prisonnier.

Alors que la scène prenait un angle de vue différent, me rapprochant de l'homme blessé, ce dernier me regarda de ses yeux rouges.

- Sauve-moi...

Puis le retour à la réalité.

Je me réveillais en nage, essoufflé.

Que venait-il de se passer ? Qu'avais-je vu ?

Je tremblais, si fort que mes dents s'entrechoquaient.

- Graye... Regarde-moi, me suggéra une voix féminine dont le son réussit à me détendre.

Je la regardais...

Elle...

Celle qui était comme une mère pour moi.

Johanna Desda.

Elle me tendit ses mains que je pris avec plaisir. Elle me fit faire des exercices de respirations pour calmer pour cœur partit au galop.

Cela marcha et bientôt je fus capable d'articuler des mots.

- Que... se passe-t-il ?

Elle grimaça à ma question mais me répondit quand même.

- Graye... tu n'es pas sur Iré. Avec l'aide d'une de mes filles, je t'ai emmené ici.

- Ici ? la coupai-je suspicieux.

- À No. C'est à cette île que tu appartiens.

- Je ne comprends pas..., dis-je perdu dans un labyrinthe d'émotions.

- Je vais tout t'expliquer... Je te le promets.

Elle prit ma tête entre ses douces mains et déposa un tendre baiser sur mon front tandis que je retombais dans l'inconscient oubliant presque tout ce que j'avais vu.

J'arrivais jusqu'au chalet de mon père, d'où Kenyan sortit en trombe. Il se stoppa lorsqu'il me vit et me lança un sourire.

J'aimais bien Kenyan, il était ce dont Elya avait besoin dans sa vie.

Après tout, les deux étaient des âmes sœurs donc...

C'était logique.

Il me fit une accolade et demanda de mes nouvelles avant de devoir repartir, il tombait de fatigue et ça se voyait. Avant qu'il ne s'en aille, je le prévins de ne pas aller chercher Miella tout de suite. Je le rassurai en lui assurant sa sécurité temporaire et lui donna la date à laquelle il devrait, en s'accordant avec son frère, la chercher. Je gardais encore secret l'endroit où elle se trouvait.

Une fois cela dit et lui de nouveau sur Iré, je rentrais à mon tour chez mon père.

Ce dernier était assis devant sa table, se tenant la tête entre ses mains.

Le sujet abordé entre les deux hommes avait été houleux et je ne voulais pas m'en mêler, même s'il était important.

Lorsqu'il releva ses yeux sur moi, il s'adoucit aussitôt.

- Mon fils...

Il se leva et me prit dans ses bras. Une étreinte que je lui rendis avec amour.

- Alors ?

J'étais venu pour une raison précise.

- Toujours rien, soupira-t-il. Je crois bien qu'on ne peut compter que sur toi pour la retrouver.

À mon tour, je l'imitais en soupirant aussi. Je ne pouvais pas contrôler mes visions. Ce n'était pas automatique. Je voyais des choses utiles ou non, ou je ne voyais rien. C'était à double-tranchant. J'arrivais à en stopper certaines mais c'était tout.

- Je vais réessayer..., déclarai-je épuisé.

On devait la retrouver, pour l'envoyer en prison.

Mais je devais la trouver avant les autres. Elle me devait des réponses.

Je m'assis en tailleur dans le salon et mon père posa une main sur mon épaule.

- J'ai pensé à quelque chose... Concentre-toi sur ta colère envers elle. Peut-être que ça marchera mieux si tu y mets de l'émotion, me conseilla-t-il d'un air peiné.

J'hochai la tête, commençant déjà à me concentrer.

Comme à chaque fois qu'une vision me prenait, je restais immobile telle une statue, dans un état comateux. C'était dangereux si je me trouvais en plein combat.

La brume familière autour de moi me conforta, mais le ciel était noir... rien.

Il n'y avait rien.

Ce fait me força à prendre une grande respiration.

Ne pas s'énerver.

Surtout ne pas perdre le contrôle.

- Graye !

Le cri de mon père me sortit de mon état de transe et mon calme s'ébranla lorsque je vis sa main en feu.

Je courais jusqu'à la cuisine et remplis la casserole présente d'eau, avant de revenir à ses côtés.

Je lui versai le contenu rapidement et le feu s'éteignit.

Mon père se rapprocha de moi, posant ses mains sur mes épaules.

- Graye... Elle n'a fait aucune vague depuis des mois, ne te force pas à la trouver si elle ne peut pas l'être pour l'instant !

Je fermais les yeux.

- Arrête..., soufflai-je.

J'allais perdre le contrôle s'il continuait.

- Non ! Je ne veux plus te voir te détruire à petit feu pour une femme qui n'en vaut pas la peine ! Graye, tes visions te coûtent trop, tu dois...

Je le repoussai violemment.

- J'ai vécu une partie de ma vie sans toi, mais elle..., le début d'une vision chamboula ma colère. Fini pour aujourd'hui.

Et je claquai la porte derrière moi, avant de m'effondrer un peu plus loin dans la forêt.

Je vis dans ma vision quelque chose que je ne pouvais pas m'autoriser.

Je me voyais l'embrasser, celle que j'aimais. Mais je ne pouvais pas lui infliger le fait de m'aimer en retour.

J'étais trop instable, malgré ma carapace.

Elle en souffrirait trop...

Je ferai en sorte que cette vision ne se réalise pas...

Jamais.

Lorsque je revins à moi, Adki était penchée sur moi.

- Toi... Tu vas rendre chèvre Aurore, si tu continues à jouer avec le feu comme tu le fais.

Elle réussit à me décrocher un sourire.

- Elle n'a pas tort. Dois-je te rappeler que si tu meurs, tu m'embarques avec toi ? se joignit à la conversation mon Similaire.

Adki l'avait amené avec elle. Ils étaient très proches tous les deux. Je serais presque jaloux si je n'essayais pas de taire toutes sortes d'émotions chez moi.

Alors que je me relevais de mon petit somme de conséquence, je passais la main sur mon dragon.

- Désolé Sred...

Je pris la main tendue d'Adki et nous rentrâmes chez nous.

Ce fut une Aurore en furie qui m'accueillit.

- Arrête de te croire immortel, prêcheur inconscient va !

Et sur ses mots, elle partit dans sa chambre.

- Tu as réussi à l'énerver, constata Adki. Tu sais Graye, tu es très doué pour énerver les gens autour de toi... Serait-ce un autre de tes dons ? plaisanta-t-elle.

Je ris légèrement et ça lui suffit pour qu'elle puisse rejoindre sa sœur en toute tranquillité.

Une fois seul, je me permis de souffler, de frotter mon visage entre mes mains et de me servir un verre d'un alcool fort venant d'Iré.

Petit cadeau de ma sœur, je la remerciais de tout cœur.

Et je repensais à ma vision, je l'avais vécue celle-là. Certaines visions où j'étais impliqué, je pouvais les vivre, être une partie même de ma vision.

Le goût de ses lèvres était acidulé. La fougue de ses cheveux avait emprisonné mes mains dedans. Et sa langue jouant avec la mienne était une sensation divine.

Je savais depuis longtemps qui était mon âme sœur. Et contrairement à Miella, je ne m'en étais pas éloigné.

Je me réveillais en sursaut, recouvert de sueur. J'avais eu une nouvelle vision, mais cette fois, elle n'avait pas été déplaisante.

J'avais vu une femme, divinement belle. Je revoyais sous mes yeux ses cheveux roux virevolter au vent, ses yeux de jade m'envoyer des étincelles de bonheur, et enfin, ses tâches de rousseurs immanquables sur sa peau claire.

Mon coeur rata un battement en repensant à cette image idyllique.

Cette femme, je savais qui elle était pour moi.

C'était mon âme-sœur. Et je ne connaissais même pas son nom, mais dans ma vision, elle était sur une plage, me tendant la main.

C'était une plage de l'île de Ro, celle des métamorphes.

C'était décidé, j'irais la voir.

Je voulais savoir son prénom.

Au moins ça.

Peut-être aurais-je dû ?

Mais à l'époque je ne savais pas ce qu'avoir des visions me faisait.

Toutefois, je ne regrettai pas. Je savais que même si Réna ne se rendait pas encore compte de son attirance pour moi, c'était parce qu'elle était trop occupée à sauver Xandear. Mais maintenant que cela était fait...

Et bien...

Ma vision semblait plutôt récente, je dirais dans le courant de l'année donc... Elle allait se concentrer sur moi.

Elle était ainsi Réna, toujours un but dans la tête.

Ce qui me mettait dans un sacré merdier.

*   *   *

Hey !

Ça y est ! Vous avez rencontré tous les protagonistes de ce tome !

J'espère que mon petit Graye vous plaît :P

Étonnés que son âme-sœur soit Réna ?😂

On en voit qu'un peu mais... il est badass n'est-ce pas ?

Vous pensez qu'il cherche qui aussi désespérément, jusqu'à aller se mettre en danger ?😕

Des bisouuus ♡