Elya ~ 5

Il déglutit face à ma réponse.

Il pouvait, car il n'avait encore rien vu de la misère de cette île. Il n'était que dans la partie vivable de notre exclusion, Trea était la ville avec le plus de moyen. Casiel était la pire.

Là-bas, la mendicité était constante et les pleurs audibles.

Ceux ayant du travail dans le vestimentaire ou dans la fabrication d'arme vivaient bien. Ils ne se plaignaient pas. Mais la minorité d'enfants ayant perdu leur similaire et les humains, même si cela paraissait étonnant, étaient extrêmement pauvres. C'était rare de les voir dans des vrais habitations, autres que celles ayant été aménagées pour les abriter, ils étaient souvent dans les rues.

Je commençais à charger les provisions et à les disposer sur le dos d'Hodnir, pour qu'elles ne tombent pas en route. Quand Kenyan s'approcha, pas le moins du monde effrayé par mon Similaire.

- Casiel c'est ça ? me demanda-t-il. C'est là-bas qu'on va ?

Je le regardais surprise, arrêtant mon chargement. Je sortais de ma poche un petit livre aux cornes arrondies et au papier usé. On l'avait trouvé sur lui lors de notre querelle. Pouvais-je vraiment qualifié ça de combat ?

Je le lui lançais et il l'attrapa avec de bons réflexes, puis il l'examina sous tous ses angles. Étonnant.

- Oui, c'est dans ce bouquin que tu l'as lu n'est-ce pas ? lui dis-je connaissant la réponse en me remettant à travailler.

- Ce n'est pas un bouquin, mais un livre historique. J'ai vu que tu aimais lire alors tu ne devrais pas manquer de respect à ces petites choses.

Je me levais et sautais juste en face de lui, il n'eut aucun mouvement de recul m'ayant senti venir. Il avait un léger sourire en coin qui en disait long. Il m'avait provoqué volontairement.

- Pour une fille de glace...tu as peu de sang-froid, c'est... -

Je le coupais par des menottes aux poignets.

Il me regarda en fronçant les sourcils visiblement surpris. Je jubilais à l'intérieur, il allait enfin fermer sa petite bouche !

- Pour un prince... tu as les mains bien liées, finissais-je en rigolant face à sa mine abattue et montais de nouveau sur Hodnir.

Il me suivit et grâce à ses gènes lupins, il joua sur son équilibre pour monter avec agilité. Il voulut se positionner derrière moi mais je l'arrêtais à temps.

- Si tu ne peux pas t'accrocher à ma taille, pourquoi te mettre derrière moi ? questionnais-je sans pour autant attendre une réponse, bien qu'il m'en donna une.

- Pourquoi m'avoir menotté alors ? s'indigna-t-il en levant le sourcil.

- À Casiel, si tu arrives aussi libre, crois-moi tu te feras jeter des pierres. Allez devant maintenant !

Il ne répondit pas se contentant de bouder. Grand bien lui fasse, à Monsieur trop gâté. Je mis mes mains de chaque côté de ses côtes, mes poignets les frôlant. Hodnir décolla et Kenyan glissa sur moi, écrasant presque mon nez.

- Oups..., mentit-il en excuses.

Je fus d'abord frappé par son odeur. Sa vraie odeur, non caché sous de la crasse. Elle était sauvage et douce. C'était enivrant mais je ne laissais rien paraître, feignant l'indifférence comme à chaque fois. Et lui ainsi devant moi, il ne pouvait rien soupçonner.

Je fermais les yeux et inspirais doucement laissant Hodnir dans son vol. Soudain, Kenyan brisa le silence.

- Tu n'as jamais peur ? me rappela-t-il à la réalité, en détournant légèrement le visage pour me voir du coin de l'œil.

J'étais bien trop collée à son dos mais il ne sembla pas le notifier.

- Peur de ? répondis-je d'une voix faible.

- Tomber..., clarifia-t-il en regardant en dessous de lui, évaluant la distance qui nous séparait du sol.

Je me redressais en posant mes mains sur le dos d'Hodnir qui jusque-là restait silencieux. J'imposais alors quelques centimètres entre Kenyan et moi.

- Non, jamais. Je sais qu'Hodnir me rattrapera quoiqu'il arrive. Et s'il n'est pas là, ma glace me sert de toboggan.

Il lâcha un petit rire visiblement heureux de ma réponse.

- Tu peux me décrire cette relation que tu as avec lui ? demanda-t-il, me surprenant.

Je réfléchissais cinq secondes avant de trouver quoi lui répondre.

- Il faut la vivre pour la comprendre. Je ne peux pas te la décrire avec des mots, c'est plus une sensation....Celle d'être entier, de ne plus sentir un vide permanent, d'être enfin chez-soi aux côtés de son Similaire, essayais-je de lui expliquer.

Il baissa la tête, le regard perdu. Une réaction à laquelle je ne m'y attendais pas... Il était comme perplexe ou attristé, un entre-deux qui lui adoucit le visage.

- Je vois, ça doit être extraordinaire..., conclut-il avant de se taire le reste du trajet.

Sous un silence reposant pour moi mais inquiétant pour lui, les nuages se faisaient de plus en plus blanc et la neige tombait déjà aux alentours de Casiel. Comme elle était la plus au Nord, les flocons étaient toujours au rendez-vous. Si nous n'avions aucun été, eux ne possédait que deux mois de printemps.

Même si Kenyan n'avait pas de manteau, il n'aurait pas froid, de plus il portait une capuche. Quant à moi...j'étais aux anges dans ces cieux.

Cédant à mon instinct, je me levais et tendais mes bras dans la brume, laissant les flocons se fondre sur mon visage et le froid me porter dans sa chaleur. Hodnir accéléra légèrement pour que les petites gouttes de neiges autour de nous prennent une autre forme. Celle floue d'un tourbillon blanc.

Je fermais les yeux et inspirais longuement me délectant de cette sensation de bien-être. Kenyan ne bougeait et ne parlait toujours pas, trop occupé dans ses pensées, sûrement. Ou bien était-il concentré à ne pas tomber.

- On arrive Ly', m'insuffla dans l'esprit Hodnir.

Rapidement, je me remis derrière mon prisonnier provisoire et lui chuchota à l'oreille.

- Je ne vais pas être tendre, à Casiel tu es un prisonnier. Prépare-toi à être accueilli comme tel, le prévins-je en voyant les toits se former sous mes pieds et en lui mettant sa capuche.

Hodnir se posa sur la grande place où déjà, de nombreuses personnes s'y attroupaient pour ne serait-ce qu'avoir du pain. Kenyan resta pour l'instant sur le dos de mon Similaire.

Une fois avoir mis un seul pied à terre des mains de toutes couleurs se tendaient sous mon regard attristé. Je déposais certains sacs et avec des habitants dont la vie était confortable, nous commencions la distribution.

Je me forçais à sourire face aux bénédictions que les démunis me couvraient, pour leur avoir donner de quoi vivre encore deux semaines. C'était le délai qu'on avait entre chaque distribution pour éviter la famine extrême. Il y avait beaucoup d'enfants parmi eux, tous aussi maigres que des poupées. On aurait peur de les casser rien qu'en leur offrant une étreinte affectueuse.

Eux, n'avait pas peur de moi. Au contraire j'avais entendu dire qu'ils me prenaient pour un ange tombé du ciel. Ce serait mignon si ce n'était pas si désolant.

Ils étaient recouverts de poussière et leurs pieds ainsi que leurs mains étaient écorchés. Une pauvreté si immense qui contrastait avec l'abondance d'or au palais de Barthos Stras.

C'était écœurant. Ça me donnait envie de vomir. Tant d'injustices pour une question de territoire ! Tant de vies laissées pour un trône ! Tant d'âmes en peine pour le pouvoir !

Je terminais de vider les sacs et remerciais les hommes et les femmes m'ayant prêté leur aide. J'allais remonter sur Hodnir quand une petite voix m'interpella.

- Merci... chuchota-t-elle aux allures féminines.

De ce que je voyais grâce à ses mains, c'était une dragonnière d'eau plus ou moins âgée d'une dizaine d'années. Elle avait de beaux cheveux bruns et des yeux en amande similaires. Elle me regarda intensément avant que ses yeux ne se mettent à briller. Soudain, elle s'effondra en pleurs dans mes bras.

Je la laissais ainsi, calée contre mon ventre, évacuer sa tristesse. Je ne l'avais encore jamais vu. Part son physique, j'en déduisis, qu'elle était la petite qu'avait sauvé Luc. Malheureusement, son Similaire avait été tué au combat, elle avait donc atterrit ici dans une famille d'accueil. Certes, elle n'était plus dans les beaux quartiers de Homus, mais désormais elle n'avait plus d'épée de Damoclès en sortant dehors.

- Pourquoi pleures-tu autant ? demandais-je de ma voix la plus douce en m'agenouillant face à elle.

Elle essaya de sécher quelques larmes pour me parler. Je pris l'une d'elles sur mon doigt et la gela. Cette action reçue un petit rire de la part de l'enfant, ce qui me rassura dans mon initiative.

- C'est...mon papa...le jeune prince l'a vu me faire monter sur le bateau....J'ai peur pour lui, réussit-elle à dire avant de se remettre à pleurer.

Je la repris dans mes bras où elle s'y laissa tomber. Elle parlait de Kenyan, c'était évident. Un grand silence s'installa et seuls les sanglots de la petite cassaient cette ambiance.

- Comment tu t'appelles ? posa comme question une voix rauque dans mon dos.

Je me retournais avant que la personne concernée ne relève la tête, pour voir celui qui avait condamné son père. J'envoyais un regard mauvais à Kenyan.

Il était de profil et donc difficile à reconnaître. De plus, c'était la voix de son loup qui avait parlé.

- Hopy...

Je regardais de nouveau Hopy qui semblait avoir vidée son lourd chagrin.

- Tu sais Hopy... J'ai pris le même bateau que toi. Je suis arrivé en retard et j'ai pu entendre la discussion entre ton père et le prince. Ce dernier l'a arrêté pour vol. Et non pas pour trahison..., commença-t-il me lâchant un soupir de surprise.

Il... avait désobéi aux lois ?

Kenyan avait vraiment...sauvé la vie de cet homme en lui minimisant sa peine ?

- Je ne comprends pas..., déclara Hopy perdue.

- Ça veut dire que tu retrouveras ton père un jour ou l'autre. Ce n'est qu'une question de temps maintenant. Aie confiance, je suis certaine qu'il est en vie pensant à toi autant que tu penses à lui, finissais-je en prenant l'une de ses mains dans la mienne et en pointant l'index de mon autre sur son cœur.

Le visage d'Hopy s'éclaira d'une lumière d'espoir. La voir ainsi, me réchauffa un instant.

- Hopy ! On s'en va ! cria la voix d'un homme loin devant moi.

Elle se retourna pour le voir puis se jeta sur moi en me serrant fort.

- Merci ! fit-elle sincèrement avant de partir à son tour.

Elle m'avait perturbé, alors c'est Hodnir qui me ramena à la raison, me rappelant la journée chargée que j'avais.

Voir cette petite, m'avait rappelé celle que j'avais été aussi. L'enfant désespérée de retrouver son père...

Elya regardait par la fenêtre une nouvelle fois. Mais son père n'arrivait toujours pas. Cela faisait trop longtemps qu'elle ne l'avait pas vu. Ses câlins lui manquaient, elle voulait le prendre dans ses petits bras dodus, elle voulait pleurer sur son épaule parce que ses premières dents lui faisaient mal. Elle voulait son père plus que tout. Alors, elle se remit à crier, désemparant sa mère non loin d'elle.

- Elya, qu'il y'a-t-il ma chérie, tu as vu une ombre dehors qui t'a fait peur ? paniqua Mira n'arrivant toujours pas à la calmer.

Elle savait inconsciemment pourquoi sa fille pleurait autant depuis des semaines, mais elle ne pouvait le dire à voix haute. Elle ne pouvait réaliser à son tour ce que sa fille avait déjà compri.

Il ne reviendra pas.

Elle berça sa petite mais rien n'y faisait, Elya était bien trop contrariée.

Heureusement pour elle, quelqu'un toqua à la porte.

- Enfin te voilà ! se consterna Mirna avec soulagement face à son frère plus âgé qu'elle.

- Je n'ai pourtant pas été long...

- Rentre, lui indiqua-t-elle.

Elle lui donna Elya dans ses bras et automatiquement, elle se calma. Une présence masculine devait la rassurer, lui faire penser à son père en quelque sorte...

Elle s'endormit à peine quelques minutes après, redonnant à son visage son expression paisible.

- Elle est adorable, la contempla son oncle avant de reprendre sérieux. Des nouvelles de Khalen ?

À son tour Mira voulait pleurer, mais elle s'en empêcha en se mordant la lèvre et en serrant les poings.

- Non.

Et ça faisait déjà quatre mois, qu'elles vivaient ainsi : dans une tristesse sans nom et un silence insoutenable.

Je me raclais la gorge avant de retourner à ma place.

- Tu as librement fermé les yeux sur la trahison de son père ? questionnai-je Kenyan pour me changer les idées.

- Disons que j'ai déformé la réalité. Tu peux me croire ou non, je ne tue pas les innocents. J'ai du sang royal certes mais un esprit totalement différent de celui de mon père ou de mon frère, clama-t-il de nouveau avec sa voix originale.

Je pris conscience que finalement, il n'était peut-être pas si mauvais.

Hodnir reprit son envol en direction de la deuxième zone où on devait se rendre. Celle qui était la plus à risque, j'étais souvent mal accueillie mais avec Kenyan non loin, ce serait pire.

Quelqu'un allait le reconnaître et ce ne serait pas beau à voir.

*   *   *

Hey ! Elya voit Kenyan sous un autre œil maintenant, bon ou mauvais signe ?

La petite Hopy *0*.

Le prochain chapitre risque d'être... mouvementé, vous êtes prévenus ;).

Oubliez pas la petite étoile !

Bisous

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