1. Deux cadeaux pour mes dix-sept ans
Je ne sais pas vraiment par où commencer.
Il y a tellement à dire.
Autant tout vous raconter. Depuis le tout début.
C'est un bon point de départ, en effet.
Ma mère est décédée un mardi soir, dans un violent accident de voiture. Je n'avais que six ans, et à cette époque, j'étais loin de m'imaginer qu'elle venait de se suicider. Elle m'avait conduit chez mes grands-parents avant de se laisser mourir, m'abandonnant a mon propre sort.
Je ne connaissais déjà pas mon père, et je perdais maintenant ma mère.
Malheureusement, une malédiction semblait planer sur notre petite famille puisque mon oncle est mort, deux ans après sa propre sœur, dans l'explosion d'un avion qu'il s'apprêtait à prendre pour l'un de ses voyages en entreprise. Ma cousine, Afiya, est donc venue vivre avec nous, sa mère n'étant pas non plus présente.
Mon grand-père et ma grand-mère l'ont toujours préférée. Ils ne le cachaient pas. Ils n'ont jamais essayé de le dissimuler.
D'un côté, je pouvais les comprendre. Bien qu'elle soit plus jeune de trois ans, elle était déjà bien plus jolie que moi, ayant récupéré toutes les qualités physiques de la famille, ainsi que celles de sa mère: de longs cheveux ondulés châtains cascadaient dans son dos et d'immense yeux amandes illuminaient son visage bronzé par le soleil californien. Elle correspondait à leur vision de la parfaite petite fille, contrairement à moi qu'ils qualifiaient souvent de corbeau lorsqu'ils se rappelaient de mon existence.
Pour tout vous dire, que je sois là ou non ne changeait rien à leur quotidien. Je me demandais presque s'ils s'inquiéteraient de ma disparition si je venais à fuguer de la maison. Mais je n'avais aucune raison de partir, étant donné l'aisance dans laquelle je vivais.
J'ai beau me plaindre de la pesante ambiance constante, je reconnais être plutôt bien lotie: une grande villa avec piscine dans Los Angeles, et je pleure de ma condition ? La plupart des ados de mon âge auraient donné tout l'or du monde pour être à ma place.
Toujours étant qu'aujourd'hui est mon anniversaire. Fin mai, début juin: l'été arrive peu à peu.
Quel comble d'être née à cette période quand le soleil n'a aucun effet sur ma peau !
Celle-ci est constamment froide, gelée j'oserais même dire. J'ai cet étrange problème depuis toute petite, et aucun médecin n'a pu nous éclairer sur la cause de cette mal-fonction. De plus, les pigments de ma peau sont tellement blancs qu'on la croirait presque transparente.
Les bains de soleil, c'est donc pas vraiment mon truc, déjà parce qu'il faut rester immobile plusieurs minutes voir plusieurs heures ce qui m'est impossible à envisager à cause de mon hyper activité, mais surtout parce que je deviens aussi rouge qu'un homard au soleil. Autant dire qu'on atteint pas le summum de la sexy attitude.
Ce n'est donc vraiment pas une partie de plaisir.
Je ne m'attends pas à une grande fête surprise, puisque de toute manière il n'y a pas assez de monde à inviter, mais un simple «joyeux anniversaire» me contenterait largement. À partir de mes onze ans, ils ont complètement arrêté de me le souhaiter, allez savoir pourquoi.
Le seul que je soupçonne de penser à moi aujourd'hui est mon meilleur ami, mon seul ami à vrai dire (puisque je n'ai jamais vraiment réussi à m'intégrer). Il s'appelle Eloan et il est l'un des garçons les plus populaires de mon lycée. Tout comme la plupart des filles de l'établissement, je me demande encore pourquoi il préfère traîner avec moi plutôt qu'avec des personnes de son "genre". Il est plutôt grand, son regard azur est vif et joueur, et son sourire charmeur en ferait tomber plus d'une. Il apprécie certainement ma compagnie, justement parce que je ne bave pas sur sa plastique parfaite. Le seul truc qu'il m'arrive de lui reprocher est qu'il passe son temps à cacher sa merveilleuse tignasse bouclée sous une casquette, et Dieu sait à quel point j'aime les cheveux bouclés.
Il est neuf heures du matin. Je n'ai pas pu dormir plus longtemps à cause d'un message de cet idiot, qui me prévenait de sa présence dans l'entrée de la maison. J'étais vraiment contente qu'il se soit déplacé aussi tôt pour moi, sachant à quel point les grasses matinées lui sont sacrées, mais j'aurais aimé prolonger mon sommeil d'une heure ou deux.
Je sors donc de ma chambre, prenant simplement un vieux pull en laine que j'enfile en vitesse, ainsi qu'une paire de chaussons en fin de vie. À leur vue, je me rappelle que mes chaussures du moment sont elles aussi trouées. De toute manière, aucune de mes pompes ne durent bien longtemps: allez savoir comment, j'ai la fâcheuse manie de les abîmer très rapidement, et ça, depuis toute petite.
Je suis décidément une fille bizarre.
Je descends les escaliers, lentement car encore groggy, et j'aperçois le haut de la casquette rouge de mon ami. La fatigue me le fait voir en train de grignoter un bouquet de fleur et cette vision ridicule me laisse échapper un rire fatigué. Il relève la tête vers moi, cachant vivement les quelques fleurs colorées dans son dos et il m'offre un sourire maladroit.
- T'es grillé, me moquai-je gentiment. Elles sont jolies.
- Joyeux anniversaire ! s'exclama-t-il tout heureux en me tendant le bouquet qui pendait douloureusement dans ses grandes mains.
- Woah. Crie pas. Il est encore tôt, le priai-je en traînant des pieds jusqu'à lui et en reniflant les boutons de lavandes et de lys blancs. Elles sentent super bon, merci beaucoup.
Il ne réagit pas à ma remarque mais se penche vers mes cheveux, les humant étrangement. Je me décale de lui, fleur en main, le fixant sans comprendre et fronçant les sourcils. Il grimace, mal à l'aise, et se frotte la nuque avec gêne.
- 'Scuse moi. C'est juste que... Tu sens pas comme d'habitude c'est bizarre.
- J'ai pas pris de douche depuis hier, c'est peut être pour ça, ricanai-je pour détendre l'atmosphère.
Il rit avec moi, toujours embarrassé par son acte, mais un air intrigué reste planté sur son visage. Je fais mine de ne pas y faire attention, et je dépose son présent dans un grand vase plein d'eau. Il me suit, les mains dans les poches, respirant particulièrement fort.
- Au faites, t'as de la salade entre les dents.
Ses yeux s'écarquillent soudainement et il se retourne nerveusement pour se retirer le morceau de verdure coincé entre son incisive et sa canine. Il a beau ne pas faire de sport, il suit à la lettre le régime de ceux qui pratiquent. Qui peut bien manger de la salade en début de matinée ? Eloan, apparement.
Mon attention se tourne vers la table à manger, où je m'apprêtais à petit-déjeuner jusqu'à ce que je remarque un colis sur celle-ci.
La boite était brune et légèrement cabossée.
Je m'en approche, curieuse, prenant le risque de me faire punir s'il s'avérait être quelque chose de secret.
WILLOW MARROWBONE
C'est ce qu'il y a d'écrit sur le haut du carton. Un cadeau ? Un gros cadeau a priori, si on se fie à la taille de la boite. Qui tiendrait autant à moi pour m'offrir quelque chose d'aussi grand ?
Le tampon d'une compagnie postière que je ne connais pas, figure dans l'un des coins. Autant dire que le «Hermès Express» livre ses colis comme il lancerait des pierres, vu l'état de la boîte.
Je me tourne et me retrouve nez à nez avec Eloan. Il a un mouvement de recul, et son sourire d'idiot refait face sur ses lèvres tandis que je fronce rapidement les sourcils, ne comprenant pas comment il avait pu être aussi prêt de moi sans que je ne m'en rende compte. Je pointe le carton de mon doigt et lui demande si c'est lui qui me l'a apporté. Il hausse les épaules et hoche la tête de gauche à droite, me faisant ainsi comprendre qu'il n'est au courant de rien. Il lit à son tour les quelques mots, puis passe sa main sur l'écriteau de la poste. Un voile d'inquiétude traverse son regard. J'allais le questionner sur son soudain silence, mais avant de me laisser le temps de parler, il confirma ce qu'il disait précédemment.
Afiya apparaît alors dans la pièce, habillée de son pyjama d'été, déjà bien éveillée et de bonne humeur. Je jalouse presque sa dégaine de princesse lorsque je réalise soudainement que comparée à elle, je ne ressemble à rien.
- Bon anniversaire freak, lâcha-t-elle sans joie. Oh, salut Eloan.
Elle ne s'attarde pas longtemps sur nous et commence à préparer son repas du matin. Nous la regardons faire, oubliant notre sujet de conversation. Je ne comprends toujours pas comment sa présence peut être aussi envahissante.
- Euh... c'est toi qui m'a commandé ça ? la questionnai-je finalement alors qu'elle me toisait avec interrogation.
- Quelqu'un t'as envoyé quelque chose ? À toi ? rit-elle en déposant sa cuillère dans son bol de céréales.
- J'imagine que ce n'est pas toi, donc, raillai-je mécontente de son ton moqueur.
- Qui te l'a envoyé ?
- Si je le savais, je ne te poserai pas la question, soupirai-je. Elle est complètement stupide c'est pas possible, murmurai-je plus pour moi-même bien que mon ami semble avoir entendu puisqu'un rire à peine inaudible s'échappe de ses cordes vocales.
- Et qu'est-ce que c'est ? s'intéresse-t-elle finalement, se levant de sa chaise tout en continuant de manger.
- Figure toi que c'est ce que j'essaie de savoir, soufflai-je agacée.
Je regarde la boite avec intérêt, tentant de deviner tout ce qu'elle pourrait contenir, et je décide enfin de l'ouvrir. Au dessus de chacune de mes épaules se trouvent les visages curieux d'Eloan et d'Afiya. Tout les trois retenons notre respiration, tant la boite nous tient en haleine. Mais je remarque encore une fois que mon meilleur ami a une attitude bizarre puisque son nez frôle mon cou de temps en temps.
La première chose que je vois est une petite enveloppe noire déposée sur un tissus épais et de couleur similaire. J'imagine qu'il s'agit d'un vêtement. Je prends l'objet en papier que je pose sur la table, tandis que ma cousine se charge de déplier ce qui s'avère être une veste. Elle me semble un peu grande pour moi, mais cela ne me dérange pas plus que cela. La matière est souple et légèrement rêche, contrairement à la capuche faite de coton. Il s'agit d'ailleurs de l'unique élément d'une teinte différente: elle est grise.
Je l'enfile rapidement, m'amusant des manches trop longues et de la capuche qui retombe sur mes yeux. J'entends des chuchotements qui prennent soudainement de l'ampleur comme si deux personnes s'énervaient. Je relève le tissus qui recouvrait mon regard et jette un œil à mes deux interlocuteurs qui s'écartent brusquement l'un de l'autre. Je les toise, attendant des explications, mais ils font mine de ne pas comprendre de quoi je les accuse.
- Elle te va vraiment bien, déclare Eloan en formant un 'o' avec son pouce et son index.
Je lève les yeux au ciel et le remercie d'un sourire, retirant la veste qui commençait à être lourde en s'accumulant avec mon pull.
À peine l'ai-je posée sur la boite qu'il éternue violemment, me faisant sursauter. Il se frotte frénétiquement le nez, les yeux rougis pour je ne sais quelle raison et la petite de quatorze ans le traîne par le poignet jusque dans la salle de bain, prétextant qu'ils vont chercher de quoi le moucher.
Moi qui me plaignais d'être bizarre, j'avoue qu'ils ne sont pas mal non plus.
Je m'intéresse maintenant à l'enveloppe, extirpant ce qu'elle contient avec délicatesse. Je découvre une photographie, aux mensurations d'un appareil photo instantané. D'un sourire triste, je reconnais la silhouette raffinée et le doux visage de ma mère. Sa peau basanée contraste avec sa chevelure blonde particulièrement claire au soleil ainsi que ses grands yeux bleu ciel. Son ventre est rond de quelques mois de grossesse. Elle était décidément magnifique.
À ses côtés se trouve un grand homme qui la tient fièrement par la taille. Il la regarde amoureusement et je comprends alors qu'il s'agit de mon père, celui qui l'a épousée lorsqu'elle n'avait que vingt ans et qui lui a donné le nom de Marrowbone. Lui aussi était beau, très beau même. Son teint blanc brillait au soleil californien, ses cheveux noirs ébouriffés avaient des reflets bleutés et ses yeux sombres brillaient d'amour. Il était complètement sous le charme de ma mère ce qui ne le rendait que plus attirant.
Je les regrette terriblement. Ma vie avec eux aurait été tellement mieux. Je me demande encore pourquoi on me les a enlevé.
Je retourne la photo, recherchant le moindre indice sur l'expéditeur de ce colis, mais je ne trouve pas ce que je souhaitais. Au lieu de cela, une écriture dorée et parfaitement lisible s'offre à moi. Je n'ai donc pas de mal à déchiffrer les quelques mots, ce qui m'étonne tout particulièrement puisque je suis atteinte d'une sévère dyslexie.
Tu es en danger.
Garde précieusement la veste.
Rejoins cette adresse:
Colline des Sang-Mêlés
Long Island, New York
(800) 009 - 0009
J'avoue que je m'attendais plus à une carte de vœux.
Mais bon, j'imagine que c'est plutôt sympa de vouloir m'alerter, pour je ne sais quelle raison d'ailleurs. Pourquoi le faire au dos d'une photographie de mes parents ? Je ne sais absolument pas et trouve même cela plutôt glauque.
Mes deux camarades reviennent alors, paniqués, et j'essuie rapidement les quelques larmes qui s'écoulaient discrètement sur mes joues. Je range rapidement la photo et le message d'alerte dans une des poches de la veste puis les dévisage, tentant de découvrir la raison de leur inquiétude.
- T'as rien de prévu aujourd'hui et dans les mois qui suivent ? me demande soudainement Afiya sans me laisser le temps de répondre. Fais tes valises, on part à New York.
J'arque un sourcils, confuse, puis je cherche une explication du côté d'Eloan qui garde les yeux rivés sur ses chaussures, comme s'il se reprochait quelque chose.
- Je peux savoir ce qu'il se passe ? les questionnai-je en essayant de garder mon calme.
- C'est trop long à expliquer. On t'expliquera en chemin. Va faire tes valises, ne prends que le nécessaire.
J'aurais voulu soupirer d'agacement et lui tenir tête, mais mon corps n'obéit pas à mon esprit et accepte facilement ce qu'elle dit, comme si une quelconque force me poussait à l'écouter.
Mais au lieu de partir faire mes bagages, je sors la photo de sa cachette et leur tends la face écrite.
- Si on part à New York, je veux faire un détour là-bas.
Afiya et Eloan se regardent furtivement et le garçon garde la photo en main alors qu'elle me juge du regard avec embarras. Mon meilleur ami est parcouru d'un frisson étrange alors qu'il "rencontre" mes parents et une grimace d'effroi traverse ses traits d'adolescents. Il me rend mon bien comme s'il s'en débarrassait et essuie indiscrètement ses mains sur la veste de notre lycée qu'il porte continuellement. Je ne fais pas attention à son geste qui m'a pourtant blessée et je reporte mon attention sur la demoiselle.
- Pas besoin d'y faire seulement un détour. C'est là-bas que nous nous rendons, conclut-elle.
⚔️
Voici le premier chapitre de WILLOW MARROWBONE || Le Camp des Sang-Mêlés
J'espère qu'il vous a plu. J'attends vos avis en commentaire. Bisouuuus 💙
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