PARTIE I - DE RETOUR À LA FAC- William Auguste -1
— Mais vous n'avez rien mangé ! Hors de question que vous partiez le ventre vide. Laissez-moi vous emballer vos assiettes et vous les mangerez sur la route ou après ou...
— Maman, c'est très gentil à toi de t'inquiéter, mais on est des grands garçons, Terence et moi. Je te promets qu'on ne va pas défaillir avec quoi, quatre ou même six heures de jeûne !
— Continue de faire le malin, William Auguste, me sermonne ma mère de toute sa hauteur, alors qu'instinctivement, je m'enfonce sur ma chaise. Ce n'est pas parce que tu as 24 ans que je vais me gêner pour te recadrer. Je sais bien que vous allez y survivre ! Mais passer vos examens sans rien avoir mangé, ce n'est pas sérieux. Vous allez prendre ces plats, un point c'est tout.
Bon sang, je savais que ce serait une torture de dormir chez mes parents pendant mes exams. Sauf que ma mère a insisté pour que je passe les nuits ici, sous peine de me couper les vivres et de m'envoyer travailler cet été pour financer mon appart. Je n'y ai pas cru une seule seconde, mais elle, autant que mon paternel, auraient cependant été capables de me pourrir pendant des semaines si je ne m'étais pas soumis à leur volonté, et surtout si au final, je ne suis pas reçu au concours.
La raison à cette infantilisation ? Le peu de confiance que mes parents ont en mes capacités à ne pas faire la bringue la veille de passer mon concours pour l'internat. Et comme ils ont raison, bah j'ai capitulé. Quant à Terence, il a accepté de partager ma sentence, parce que je l'ai supplié de le faire. Comme au bon vieux temps quand nous étions gamins, il a dormi sous notre toit. De vrais mousquetaires tous les deux ! Unis et armés contre le pouvoir obscur des parents.
« Sans rien avoir mangé » ... Ma mère nous a déjà gavé comme des oies au petit déjeuner, et il nous est physiquement impossible d'avaler un aliment supplémentaire ce midi. Mais il n'y a rien à faire, elle n'écoute pas.
Bordel, ce n'est pas comme si elle n'avait pas trois autres gosses à maintenir dans l'enfance et sur lesquels elle peut exercer son côté exacerbé de mère poule ! Tom, le plus jeune de mes deux petits frères, n'a que onze ans, et chouinard comme il est, elle tient là le terrain d'exercice parfait pour mettre en pratique ses talents maternels. Par contre, la seule benjamine de la maison, Lena, est un cas si désespéré pour mes parents, qu'évidemment ils reportent tout leur semblant d'autorité sur moi.
En attendant, Terence et moi sommes comme deux cons, assis à table, devant des assiettes pleines, à se faire engueuler comme si nous avions encore dix ans.
— Maman, puisque je te dis que...
— On va les prendre, Will, ordonne soudainement mon meilleur pote sur un ton sans appel, sans même me regarder. Merci, Charline, s'adoucit-il évidemment en s'adressant à ma mère, laquelle le regarde avec des yeux dégoulinant de cœurs.
— Gentil garçon, Terence. Ça c'est un gentil garçon, ne puis-je m'empêcher de me moquer de lui, avant de le regretter aussitôt.
— Ferme-la, Will, c'est bon, me rétorque-t-il, les dents on ne peut plus serrées.
J'obtempère sans trop d'effort, parce que s'il est une situation durant laquelle j'essaie de mesurer mon insolence en présence de mon ami, c'est bien dans mes relations avec mes parents, notamment avec ma mère. Terence est orphelin, et je sais qu'il lui est douloureux et même insupportable de me voir agir comme un gamin pourri gâté, quand lui rêverait d'avoir un proche qui s'inquiète de son sort.
— On va prendre les restes et les manger sur la route, Maman, me résigné-je alors pour lui. Mais là, il faut vraiment qu'on y aille.
— Très bien. J'en ai pour deux minutes. Je fais vite, conclut-elle le sourire déjà aux lèvres et le regard empli de cet amour maternel.
Je suis vraiment qu'un p'tit con. Terence a raison.
Nous nous levons de table et avant de partir, je dépose un baiser sur la joue de ma mère, laquelle s'active déjà à emballer notre repas.
— Merci, Man'.
Je récupère le doggy-bag et rejoins Terence qui m'attend dehors, à côté de ma moto. Je lui balance cependant d'autres clés que les miennes, et aussitôt sa bouche s'étire en un sourire de satisfaction, faisant alors disparaître sa tronche d'enterrement. S'il y a une chose qui peut rendre sa joie de vivre à mon pote, c'est bien de conduire l'Austen Healey de mon père. Ça, et d'autres choses, disons plus « physiques », mais qu'il n'est pas question de mettre en pratique dans la maison de mes parents, du moins pas en leur présence. C'est d'ailleurs le sujet que nous abordons, aussitôt installés dans la voiture.
— Tu as dit à quelle heure aux autres ?
— Ils passent chez moi vers vingt heures. On se met la tête à l'envers en bonne et due forme, et après on file chez Anna-Livia, termine Terence en m'offrant un regard de connivence que je n'ai aucune peine à interpréter.
Anna-Livia, c'est THE chaudasse de la promo. À part peut-être les profs - et encore, allez savoir - je pense que tout l'amphi lui est passé dessus. Cette fille fait d'ailleurs partie de nos régulières, et c'est même à elle que Terence et moi devons notre premier plan à trois. C'était en première année de médecine, si je ne m'abuse. Mais mieux encore que d'être open à qui le veut, elle organise des soirées où elle rameute ses copines qui ont la même carte d'abonnement qu'elle au club « Body-Buffet à volonté ». Et quoi de mieux pour fêter cette fin d'année qu'une soirée « all inclusive » ? Alcool, sexe, drogue, musique, une large carte pour tous les goûts.
Alors certes, nous sommes en route pour passer la dernière partie de notre concours pour l'internat, et la logique voudrait que toute notre attention soit monopolisée par ce sujet primordial au bon déroulé de notre avenir. Et il l'est, je veux dire primordial, mais Terence et moi avons, en plus d'un cul bordé de nouilles et d'une belle gueule, un taux de réussite qui a été jusque-là largement au-dessus de celui des autres étudiants. Nous avons bossé comme des acharnés durant ces six premières années de médecine, nous sommes loin d'être cons, et si nous ne sommes pas victimes d'un accident cérébral pendant cette épreuve, nous avons toutes les chances d'obtenir notre internat à Bordeaux. Nous voulons absolument rester ici et partir en chirurgie générale. Terence aimerait faire du vasculaire, et moi de la traumato. Ce sera la première fois que nous ne serons pas ensemble dans un cursus, mais il faut bien qu'on apprenne à couper le cordon.
On se connaît depuis quoi, vingt ans ? Nous avons toujours été dans les mêmes classes, et ce, depuis la maternelle. En bon branleurs que nous sommes, il était tellement inenvisageable que nous soyons séparés, qu'on est allés se coller les mêmes options. Allemand en LV2, puis ce putain de latin qui m'a fait chier jusqu'au lycée. Et je crois qu'on aurait été capables de prendre clarinette et ballet aquatique en supplément, si on avait perçu un quelconque risque d'être séparés.
— Hé, ma poule, tu veux qu'on s'arrête sur un coin d'herbe pour pique-niquer avec le panier que ma mère nous a préparé ? demandé-je à Terence, tout en luttant contre un fou-rire en découvrant son regard meurtrier. Tu n'auras qu'à poser ta tête sur mes jambes, et je caresserai ta tignasse d'ébène pendant que tu réviseras à voix haute tes diagnostics.
Je le vois lui-même lutter un bon moment, avant d'éclater finalement de rire et de secouer la tête de lassitude.
— Mais que t'es con. J'te jure, c'est pas permis d'être aussi con, Will, rajoute-t-il sans pour autant cesser de sourire largement.
— Mmm, tu sais que t'es beau gosse quand tu souris ? Non sérieusement, tu veux une petite saucisse ? T'as voulu jouer au bon samaritain en prenant ce putain de Tupperware, alors tu vas les bouffer les saucisses de ma mère, crois-moi. Vas-y, attrape !
Je vise sa bouche qu'il ouvre en grand, alors qu'il ne quitte pas la route des yeux, et je lui balance les saucisses depuis mon siège. Terence parvient à en choper une sur je ne sais combien. Bon, il est évident que nous sommes plus en train de tapisser ses fringues, ainsi que la voiture de mon père, que son estomac.
Nous arrivons rapidement sur le parking de la fac, et mon ami se gare juste à côté de notre bande de quatre potes qui nous attendent, à moitié affalés sur des voitures. À voir leurs têtes, je parierais qu'ils ont bûché toute la nuit. Mais n'allez pas croire, ce n'est pas leur première nuit blanche, et encore moins une entrave à faire la fête ce soir.
— Mais qu'est-ce que vous avez foutu ? C'est quoi ça ? nous demande David, alors qu'il désigne de son doigt les saucisses tombées au sol, lorsque Terence est sorti de la voiture.
— Des moulages de ta bite en pleine action, lui répond ce dernier en agitant vivement devant ses yeux un des fins et ramollis bouts de viande.
Terence croque la saucisse à pleines dents, puis la mâche, son regard provocateur solidement ancré à celui désabusé de David.
— Par pitié, dis-moi que tu gardes toute ton intelligence pour les examens et mieux, pour quand tu seras médecin ! Parce que là, ce n'est juste pas possible, s'interpose une fille de notre promo en bousculant Terence.
— Wooooow ! Terence, elle t'a visé, embroché, et tu saignes là, mec ! Tu agonises !
— Non, Will. Elle m'a tué direct ! Argh, Miss Baskets m'a liquidé avec sa répartie de sniper !
Terence, mains sur le cœur, mime un décès difficile et douloureux, avant de reprendre une posture des plus froides devant la fille qui se fait d'un coup minuscule. Il lui octroie un regard sans émotion, un qu'il semble avoir inventé tant il lui est propre. Et comme pour tous ceux qui ont à le soutenir, Miss Baskets baisse très vite ses yeux sur ses... bah baskets, et les joues rouges au possible, elle part au pas de course en direction du bâtiment où se déroulent les épreuves.
Cette fille, je ne la comprends pas. Elle est plutôt pas mal, bien qu'un peu ronde et pas très haute, mais son plus grand défaut est certainement de ne pas se laisser aller à ce dont elle a envie. En l'occurrence, de Terence ou de moi, ou peut-être même des deux. Pas besoin d'être fin psychologue pour lire en elle le trouble qui la submerge dès qu'elle nous croise. Et ce qu'elle n'a toujours pas compris, c'est que plus elle résistera à ses pulsions, plus on continuera de la faire chier.
— Bien, m'interromps-je moi-même dans mes réflexions ô combien profondes. Mes chers amis, après cet intense et chaleureux échange de convivialités entre étudiants de sexe opposé, je vous propose d'aller dans l'arène, et de nous battre pour notre avenir. N'oubliez pas, il ne peut en rester qu'un, enfin en l'occurrence six. Et il est hors de question qu'on parte se geler les couilles dans le nord de la France pour faire notre internat. Prêts à mettre la branlée à tous ces nazes ? demandé-je à ma bande avec une prestance surjouée.
— La vache ! Avec des noms de famille pareils, Auguste et Cesare, pas étonnant que toi et Terence, vous vous preniez pour des Imperator ! Allez, c'est parti. Gloire à nous, clame Antoine, bras et poing serré en l'air, tout en ouvrant la marche.
— Imperator ? J'aime bien, me confie à demi-mots un Terence amusé, alors qu'il me pique une clope dans mon paquet.
— Mouais bof, on peut trouver mieux. Tu vois, lui dis-je avec sérieux tout en tirant une latte sur ma cigarette, je verrais plus un duo, un truc comme les frères Farinelli ou...
— Farinelli !? Tu te fous de ma gueule, Will ? Y en a un des deux qui s'est fait couper les couilles pour devenir castrat !
— Ah merde. Bon ben va pour être empereurs alors. Mais d'un coup, j'ai une sale vision de mecs Italiens en jupes. Et ça, excuse-moi, mais ça ne passe pas.
Après avoir tiré à la va-vite une dizaine de tafs sur nos clopes et échangé une conversation hautement intéressante et bienfaitrice pour l'avenir de la race humaine, nous pénétrons dans l'amphi, plus prêts que jamais à garder nos terres, et à continuer de faire de la fac de Bordeaux notre empire.
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Hey !
Bienvenues dans le passé de Will !
Vous pouvez défaire vos ceintures, nous allons y rester un bon moment. Par la même occasion, vous pouvez, tout comme nos deux énergumènes, poser vos cerveaux et vous laisser porter...
Bisous chirurgicaux (ouais, ils m'avaient manqué) ;)
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