9
Célia et moi partons dans le sens opposé, chacun accompagné de sa team improvisée, lesquelles gardent cependant une distance propice au bon déroulé du jeu. Seuls nos témoins respectifs restent à nos côtés, avec pour mission de comptabiliser le nombre de nos conquêtes à venir.
Après un rapide, mais consciencieux tour de piste, je n'ai aucun mal à emballer ma première proie, une petite blonde aux cheveux aussi longs que raides. Mon niveau est peut-être merdique, mais je sais qu'elle parle allemand. Elle et ses copines s'échangent des trucs dont je comprends un mot sur dix, riant comme des tarées, et elles me lancent des regards aussi noyés par les cœurs que par l'alcool. Il se pourrait d'ailleurs que j'enchaîne une, deux, trois... cinq filles dans un même mètre carré de piste. Trop facile et très peu intéressant. Elles sont vraiment bourrées et je n'ai même pas besoin de déblatérer une quelconque connerie pour convaincre la fille en question de m'embrasser. Je m'approche d'elle et lui adresse mon sourire carnassier, et bien sûr mon regard qui hurle ô combien elle est belle et appétissante.
Langage non verbal universel, l'Allemande comprend le message, se colle à moi, pose ses mains sur mon torse, et pointe ses lèvres humidifiées par sa langue vers les miennes. Alors qu'elle l'enfonce dans ma bouche et que je ferme les yeux, je me rends compte que je ne sais même pas ce qu'elle porte comme fringues ni de quelle couleur sont ses yeux, ni même à quoi elle ressemble en fait, mis à part qu'elle est blonde. Mais peu importe. Je me détache de la germanique et regarde ma montre. Sept minutes auront suffi pour embrasser une première fille.
J'offre à la concernée un sourire et un clin d'œil de remerciements, et je poursuis ma route. La blonde m'adresse un aurevoir de la main et reprend sa danse endiablée avec ses copines.
Next.
Je balaie la foule du regard et arrête mon observation sur Célia que j'aperçois non loin du bar, en pleine conversation avec une bande de mecs. Simon, tout proche d'elle, me voit et lève aussitôt deux doigts en l'air. Il ajoute à ce que je devine comme étant le score de Célia un geste de son pouce qui glisse sur sa gorge, signifiant ainsi qu'elle est en train de me saigner.
Deux !? Bordel, j'aurais pu enchaîner les cinq Allemandes si j'avais voulu ! J'hésite d'ailleurs à y retourner. Mais finalement, une jolie brune court-circuite mon projet et se plante devant moi. Cette fois, je suis tout à fait en mesure de décrire sa tenue et ses yeux, car ces derniers sont d'un vert déstabilisant, et sa robe, de même couleur jade, est un appel à l'effeuillage. Je bloque plus de temps qu'il ne le faudrait sur cette fille d'une beauté renversante. Elle me parle en français, mais je ne comprends pas plus ce qu'elle dit que les Allemandes, et je la fais répéter.
— Je disais, je ne t'ai jamais vu ici ! hurle-t-elle à mon oreille d'une voix affreusement nasillarde.
Putain, ça va être super long si on commence à sortir les disquettes.
Je nage en plein dilemme. Cette nana mériterait toutes les attentions les plus courtoises, mais je suis en plein jeu, et il est hors de question que Miss Baskets l'emporte.
Je regarde vers cette dernière, histoire de voir où elle en est, et Simon m'adresse cette fois quatre doigts.
Hein !!!
Pris d'une panique aussi débile que ce jeu puéril, je stoppe la jolie brune qui ne cesse de jacter alors que je ne l'écoute toujours pas.
— Écoute, Beauté, arrête un peu de parler et embrasse-moi, l'intimé-je sans aucune cérémonie, en la prenant par la taille et en approchant mes lèvres des siennes.
À défaut de poser sa bouche sur la mienne, elle recouvre violemment ma joue de la paume de sa main, et accompagne son geste colérique du traditionnel :
— Connard !
Ça, c'est fait.
La conne n'y est pas allée de main morte. Je frotte ma peau afin de calmer la douleur, pendant que cet idiot de Charles s'époumone de rire aux éclats.
Un nouveau regard vers Célia me confirme qu'elle n'a pas loupé une miette de mon tête-à-tête avec la brune. Elle surjoue la peine qu'elle a pour moi, en plaquant ses mains sur son cœur et en formant un O de désolation avec sa bouche.
Mais la garce échange tout aussi vite son regard de sainte nitouche contre un bien plus machiavélique et lève son poing fermé, avant de l'ouvrir subitement et de faire pianoter ses cinq doigts dans le vide.
Ce n'est pas possible ?!
OK. Qu'importe les moyens, seule la victoire compte.
Je fends la foule d'un pas pressé et rejoins en quelques enjambées le groupe d'Allemandes. Certain que Célia me regarde, je les attrape chacune leur tour par la nuque et enchaîne les pelles à un rythme effréné. Pas farouches pour deux sous, elles ne demandent pas leur reste et répondent avidement à mes baisers, pourtant les pires de ma carrière, selon moi. À aucun moment je ne ferme les yeux, préférant les fixer sur ceux de mon adversaire, lesquels renvoient les mêmes émotions vives de challenge. Ils se plissent au même titre que ses lèvres, et elle secoue la tête révélant ainsi qu'elle ne jette pas l'éponge, avant de la tourner plus largement de gauche à droite, à la recherche de nouveaux mâles.
Je sens la victoire en approche. Mais progressivement, mon regard passe de défiant, maladivement triomphant, à irrité, presque furibond. Je me décolle des lèvres de la dernière Allemande, soumis à une inquiétude quasi intuitive.
Mon besoin d'accélérer les choses, et de gagner, a semble-t-il éveillé les mêmes envies chez Célia, et cette dernière est allée se coller au milieu d'une bande de mecs que je ne sens pas du tout. Un grand maigre dégueulasse aux allures de rappeur de cité la prend dans ses bras et tente de l'embrasser de force. Célia essaie tant bien que mal de le repousser, mais ce connard insiste et renforce son étreinte, encouragé par ses copains. Elle lui hurle dessus des choses que je n'entends pas d'où je suis, mais rien n'y fait, il ne la lâche pas, et ses connards de potes commencent à la tripoter à leur tour.
Je vois rouge. Putain, mais qu'est-ce que fout Simon ? Où est-il ?
Je me précipite vers elle, tout en gueulant après Simon que j'aperçois au bar. Ce con est en train de récupérer une bière. Il finit par m'entendre, et alors qu'il tourne enfin la tête vers moi, je joins de grands signes à mes cris pour qu'il aille au plus vite jusqu'à Célia. Quand il voit le traquenard dans lequel elle est tombée, il abandonne sa bière sur le comptoir et fonce dans la foule, tête en avant, comme s'il était dans une mêlée de rugby.
Je siffle en direction de mes autres potes qui ont vite fait de nous rejoindre auprès de Célia.
— Je crois qu'elle t'a dit de la lâcher, non ? fulminé-je en me jetant sur le sale type, l'empoignant par son polo de merde.
— Hé, doucement ! C'est elle qui en veut. Cette salope est en train d'allumer tous les mecs ici, et elle n'aurait pas mis sa tenue de pute si elle n'avait pas envie de sucer des queues !
Simon me vole ma répartie et lui colle son poing en pleine face, et ce, avec une telle puissance que le connard termine le cul par terre.
Comme le veut la coutume, les choses s'enchaînent rapidement, et une bagarre explose entre notre bande et celle de ces gros porcs.
Les coups fusent de partout, et ceux qui ne participent pas à la rixe nous laissent une place confortable pour nous déchaîner. Nous sommes dix et ces bâtards ne sont que sept. Pourtant, malgré l'infériorité numérique, ils ont vite fait de nous coller une sévère branlée. Il faut dire qu'avec Charles, Hugo et Antoine dans l'équipe, on est très vite descendus à égalité, et je pense sérieusement que ces mecs font de la boxe. Je ne sais même pas lesquels d'entre eux je cogne, et à vrai dire je m'en branle. J'ai une telle rage que toutes les mâchoires qui me tombent sous la main sont les bienvenues. Ma tête part violemment elle aussi de temps à autre sur la gauche, puis sur la droite, subissant les assauts des poings rageux de mes adversaires, mais je suis bien trop soumis à la colère pour ressentir une quelconque douleur. L'adrénaline inonde mes veines et j'ai bien conscience que ma furie est finalement plus liée au combat lui-même qu'à ce qui l'a causé.
Je ne sais combien de temps dure la rixe, sûrement pas longtemps, mais les videurs finissent par débarquer. Ils nous séparent eux aussi avec force, distribuant sans sommation de nombreuses frappes, et ce, sans se soucier de prendre parti pour un des deux groupes.
Ils ne sont que trois, mais les colosses d'au moins deux mètres ont vite fait de s'imposer et de ramener le calme. Ils nous foutent tout aussi rapidement dehors, sans oublier de nous menacer avec grande efficacité d'appeler les flics si nos bandes ne partent pas chacune de leur côté.
Nous obtempérons avec calme et attendons d'arriver aux voitures pour nous laisser glisser au sol, épuisés et ravagés par le combat.
Un rapide coup d'œil vers mes acolytes me laisse présumer de mon propre état. Leurs fringues sont déchirées et tachées de sang, et leurs visages sont salement tuméfiés. Seuls mes trois chochottes de potes ont leurs bouclettes et leurs frimousses roses bien intactes.
Nous nous examinons les uns les autres dans un silence solennel, puis nous explosons littéralement de rire.
— Mais enfin, je peux savoir ce qu'il y a de si drôle ? Merde, vous vous êtes battus et vous auriez pu vous faire tuer ! Je ne vois pas ce qui peut faire rire là-dedans ! nous sermonne Célia.
Cela dit, le regard affolé qu'elle nous lance me laisse entendre que sa colère est fausse, et que ses élans, tout aussi belliqueux, tiennent plus de l'inquiétude. Quant au risque de nous faire tuer, elle y va un peu fort. C'était loin d'être notre première bagarre, et ce n'est certainement pas la dernière.
— Et c'est pour les beaux yeux et le joli p'tit cul de qui qu'on s'est battus ? fanfaronne David, défoncé par les endorphines post baston.
Tous tournent la tête vers Célia et la gratifie d'un sourire fier, voire reconnaissant. À se demander qui d'elle, qui a été arrachée aux mains de ces gros dégueulasses, ou de nous, qui jubilons presque de nous être battus, est le plus content.
Mains sur les hanches, elle secoue la tête, mais finit néanmoins par nous lâcher un merci timide.
— Allez, Miss White Garden, je te ramène, couiné-je dans un râle de douleur, arraché lorsque je me redresse sur mes pieds.
— Tu n'as pas l'air en état de conduire. T'es sûr que ça va ? me rembarre-t-elle en attrapant mon menton dans sa main.
Comme elle l'a déjà eu fait, elle examine d'un regard circulaire et inquiet mon visage.
— Ça va, ça va, lui réponds-je en me dégageant d'elle. Pas de quoi me recoller dans ta clinique de tarés. Va chercher tes affaires, je te ramène.
Mon ton est ferme, voire agacé. Intérieurement, je me promets de m'octroyer dès que possible quelques minutes pour analyser ce qui le justifie.
Célia n'insiste pas et récupère aussitôt son panier en osier dans la voiture des amis de Vincent et Simon, promettant aux filles qu'elle leur rapportera la robe et les Converse.
Mes potes se relèvent à leur tour avec la même difficulté et, en silence, ils grimpent dans les bagnoles, me laissant seul dans la mienne avec Célia. Terence m'octroie un regard appuyé mais amusé, puis monte aux côtés de David.
— Je peux conduire si tu veux, me propose Célia d'une voix penaude.
— Je te dis que ça va.
— OK ! Pas la peine d'être bougon.
Elle monte, boucle sa ceinture, et sa bouche par la même occasion.
Le silence se fait maître, alors que nous roulons depuis dix minutes. Me concernant, mes pensées sont toutes accaparées par ce que j'ai ressenti lorsque j'ai aperçu ces mecs la tripoter. J'ai vu rouge, c'est certain, mais au fond, je ne sais pas ce qui m'a mis le plus en colère. Que ces gros porcs se permettent de la toucher alors qu'elle disait non ? Ou qu'elle se soit comportée comme elle l'a fait, pour arriver à ses fins et gagner la partie ?
Je suis bien qu'un gros connard ! C'était ça le jeu, non ? Et puis, qu'est-ce que j'en ai à foutre de ce que cette nana peut faire ou de qui elle peut se taper ?
Alors pourquoi je bouillonne encore, voire pire que tout à l'heure ?
— Tu as chaud ? m'interrompt-elle dans mes questionnements.
— Quoi ?
— Tu as ouvert la fenêtre en grand alors qu'il fait plutôt froid. Tu as chaud ? répète-t-elle sa question.
Je réalise d'un coup que c'est l'odeur du Monoï dans ses cheveux qui m'a fait ouvrir la fenêtre, comme si elle allait définitivement me faire perdre la tête. Seulement vêtue de sa robe bustier, Célia grelotte, ses bras inefficacement ramenés sur sa poitrine pour tenter de la réchauffer.
— Désolé. Je ne sais pas pourquoi je l'ai ouverte, lui mens-je en actionnant le bouton pour la remonter aussitôt.
— Attends, tu saignes.
Elle sort un mouchoir en papier de son sac et le tamponne sur mon arcade, avant de le laisser plus longuement pour faire pression sur la plaie.
— Mmm, il faudrait que je regarde à la lumière, mais j'ai peur qu'il te faille quelques points ou a minima des stéristrips.
— Sorcière, tu veux vraiment me ramener dans ta clinique de malheur, me défends-je, en lui adressant un regard de biais et inquiet, avant de lui sourire en coin.
Elle y répond en étirant largement sa bouche, celle-là même que j'ai vue se coller à je ne sais pas combien d'autres ce soir. Vu comment s'est soldée cette soirée, je n'ose d'ailleurs lui demander ses chiffres.
— Alors ça ressemble à ça une soirée en compagnie de William Auguste ? me demande-t-elle, les yeux rivés sur mon profil et la main toujours posée au-dessus de mon œil droit. Des pelles en quantité et une baston ?
— La plupart du temps, oui.
Je reste concentré sur la route, mais je la devine toujours souriante, et je ne peux dissimuler mon propre amusement, bien que je tente au mieux d'étirer mes lèvres sur la gauche.
— Tourne à la prochaine à droite.
J'obtempère et emprunte une longue route plongée dans l'obscurité. Seules quelques rares maisons vétustes se dressent de temps à autres.
— C'est quoi ce coupe-gorge ? l'interrogé-je en m'enfonçant loin dans la rue déserte.
— Ce n'est absolument pas un coupe-gorge. Et si tu veux savoir, dans ce coin, c'est le seul quartier où je peux me payer une location d'été, sans que ça ne me coûte mon salaire entier. Là, c'est ici, me désigne-t-elle du doigt une petite masse sombre.
Je me gare en face de ce qui ressemble plus à une cabane qu'à une maison. Malgré la pénombre, je discerne d'ailleurs les planches usées qui la composent.
— J'ai de quoi panser ta plaie à l'intérieur si tu veux. À moins que tu ne préfères aller à la clinique ? me propose-t-elle sans se départir de son air malicieux.
— Je choisis plutôt la case de Joe l'Indien.
— Ha Ha Ha... Bah prends garde à ne jamais être dos à moi, Tom Sawyer, au cas où me prenne l'envie de te planter avec une hache.
Sous sa menace à peine crédible, nous descendons de voiture et avançons vers la maisonnette.
Célia en ouvre la porte, et je découvre une pièce unique qui ne doit pas faire plus de vingt mètres carrés. Un lit d'une personne se dresse à gauche de l'entrée, alors qu'en face, un petit bar, du même lambris que les murs, sépare la chambre de la micro cuisine. Pas de salon ni même de place pour mettre une table à manger. Mais ce qui retient davantage mon attention, c'est la forte odeur de renfermé qui stagne.
— Pfiou, c'est... plutôt agressif comme accueil olfactif.
— Oh, pauvre petit ! Je vais vite allumer une bougie parfumée. Attends, qu'est-ce que j'ai comme parfum..., se demande-t-elle en cherchant activement dans une petite armoire en bois. Oh, zut, je n'ai plus de bougie Chanel Numéro 5 ni celle Fragrance Caviar. Il ne me reste plus que Délice de pauvres, ça t'ira quand même ?
Elle me regarde, fière de sa blague puérile, mais je ne me laisse pas atteindre et remets rapidement la balle au centre.
— Tu es injuste avec moi, lui rétorqué-je alors d'un air qui se veut blessé. Si seulement tu savais par quoi ma famille et moi sommes passés... Crois-moi, tu te garderais bien de te moquer si facilement, rajouté-je avec un sérieux parfaitement maîtrisé.
— Je... je ne suis pas au courant. Je m'excuse, William, si j'ai été désobligeante et lourde et...
Je ne tiens pas plus longtemps et explose de rire en voyant sa tête décomposée. Mais c'est sans compter sur mes douleurs aux côtes qui me font rapidement lâcher des plaintes.
— Alors ça, c'est bien fait ! tonne-t-elle en me pointant du doigt, avant de me frapper sur les épaules comme une fillette.
Je ris encore, mais Célia me fait cesser rapidement.
— Arrête de rire, imbécile, tu es en train de mettre du sang partout sur le sol.
— Oh, je suis désolée, Laura Ingalls ! Jamais ta mère ne va pouvoir récupérer le parquet.
— Ma mère est morte, Ducon.
— Merde, c'est vrai ?
— Non. Assieds-toi maintenant que je puisse nettoyer ta plaie, avant que tu ne repeignes la maison avec ton sang.
À cet instant, j'hésite entre « Peut-on rire de tout ? » et « Cette fille me tue ».
— Pose-toi sur le lit, je vais chercher de quoi te soigner.
Je m'exécute et laisse lourdement retomber mes fesses sur le petit lit qui grince aussitôt.
Célia passe une porte derrière la kitchenette et revient rapidement avec une trousse de soin. Elle s'arrête devant le frigo, duquel elle sort des glaçons qu'elle pose dans un torchon. Elle remplit en suivant un verre d'eau qu'elle me tend, accompagné de deux cachets.
— Ça devrait calmer les douleurs, et mets ça sur ta lèvre, me dit-elle en me tendant la glace. Elle est déjà pas mal enflée.
Je touche aussitôt ma bouche et constate en effet l'œdème. J'obéis, et le froid déclenche alors une douleur que je n'avais pas perçue jusque-là.
Célia tire sur le sol la seule chaise présente dans la maison et se positionne face à moi, ses jambes fermement serrées entre les miennes écartées. Je souris, me disant que je ne serais pas contre l'inverse.
— Quoi ? Pourquoi tu ris ? me demande-t-elle alors que je lâche un soupir amusé.
— Rien. Pour rien, me récrié-je, n'assumant pas mon côté obsédé.
Elle pose ses doigts avec précaution sur mon arcade sourcilière et revêt un visage des plus professionnels. Consciencieuse, elle examine la profondeur de ma plaie, en en écartant les berges.
— Ce n'est pas profond. Des stéristrips suffiront. Mince, il ne me reste qu'un paquet de compresses, ajoute-t-elle alors qu'elle sort le matériel de la trousse.
Elle poursuit son soin et désinfecte ma blessure avec une extrême douceur, son autre main délicatement posée sur ma joue pour faire basculer ma tête légèrement en arrière.
Moi, je me perds entre les caresses de la compresse sur ma peau, la chaleur de sa main sur ma pommette, et la vision de son visage, de sa bouche, et de sa gorge, à quelques centimètres de mes yeux. Je lui découvre de minuscules taches de rousseur sur le nez, et je n'avais jamais vu que ses cils étaient aussi épais et aussi longs. Mais c'est sur ses lèvres que je m'attarde le plus. Bien loin d'être pulpeuses ou même d'un rose sucré, elles ne m'en paraissent pas moins gourmandes et appétissantes. J'ai comme une envie soudaine de mordre sa lippe bien plus bombée que sa sœur supérieure.
Je suis certain que les pensées de Célia ne sont pas très loin des miennes, car voilà un moment qu'elle répète inlassablement le même geste, comme si elle n'avait plus de compresse en main et que seuls ses doigts caressaient ma peau tuméfiée. Sa paume sur ma joue se fait plus lourde, et je surprends ses yeux se poser brièvement sur ma bouche, laquelle s'entrouvre, tant ma respiration se fait plus difficile.
Je ne m'y trompe pas et sens Célia nerveuse. Sa poitrine s'élève dans une amplitude de plus en plus rapide, et malgré le teint mat de sa peau, son visage recouvre une couleur plus rosée.
Bien que nous soyons déjà très près l'un de l'autre, je bascule un peu plus mon torse en avant. J'abandonne la glace sur le lit dans un geste ralenti, comme pour ne pas l'effrayer, et je pose fébrilement mes mains sur ses hanches.
Elle se fige aussitôt, stoppant le soin qu'elle me prodigue, tandis que je poursuis mon ascension vers elle, raffermissant ma prise sur son bassin. Nous ne sommes plus qu'à quelques millimètres du contact. Nos yeux entament des allers-retours entre eux et nos bouches, alors qu'elle lâche sa compresse et glisse ses doigts sur mon autre joue, emprisonnant mon visage de ses mains si peu sûres d'elles.
Je m'approche alors au plus près d'elle et ouvre délicatement ses lèvres de ma langue, puis la glisse tout aussi lentement pour la mêler à la sienne. Je fais abstraction de la douleur sur ma lèvre blessée et arrime nos bouches plus fortement. Célia me surprend en répondant avidement à mon baiser. Elle passe ses mains derrière ma nuque, tandis que les miennes crochètent son visage dans un même mouvement pressé et conquérant.
Je ne cherche pas à analyser quoi que ce soit. En l'instant, j'ai juste une putain d'envie d'elle.
Comme je l'ai fantasmé il y a peu, j'inverse notre position. Je faufile mes jambes entre les siennes, et je la soulève aussitôt pour l'assoir sur mes genoux.
À califourchon sur moi, elle se presse davantage encore contre mon corps. Je ne demande pas non plus mon reste, et je la serre, la dévore toujours plus, frottant mon bassin en feu contre son entrejambe si ouvert. Je balade mes mains impatientes sur ses cuisses, sur ses fesses libérées de sa robe remontée jusqu'à la taille.
Je n'y tiens plus.
Je me relève du lit, encerclant ma taille de ses jambes, et je nous propulse contre le mur étroit face à nous, ne rompant à aucun moment le contact de nos bouches.
Seules nos respirations bruyantes emplissent le silence qui entoure notre faim réciproque.
Célia laisse tomber ses jambes au sol et je profite d'avoir les mains libres pour les poser sur ces seins qui m'ont fait de l'œil toute la soirée, même coincés derrière ce fichu haut de maillot de bain ou sous cette putain de robe bustier. Je les pétris sauvagement comme pour les punir de m'avoir nargué. Cependant, je dois vraiment être trop brusque, car Célia m'interrompt et pose ses mains sur mon torse pour me repousser.
— William... tente-t-elle de s'exprimer dans ma bouche. Tu... tu saignes et j'en ai partout !
— Hein !?
Je me détache d'elle et constate avec effroi que son visage est effectivement repeint de mon sang, ainsi que son cou, ses épaules, et ses bras.
— Je n'ai pas eu le temps de mettre les strips, rit-elle de bon cœur.
J'avais bien senti un goût métallique dans ma bouche, mais je l'avais attribué à la blessure sur ma lèvre. Pris dans ma bestialité et accaparé par les plaisirs du corps, je n'ai même pas senti que le mien était en train de se vider de son hémoglobine, et j'ai encore moins présagé qu'il était en train de défigurer cette pauvre Célia.
Je porte aussitôt ma main à mon arcade et sens le liquide visqueux qui s'en échappe encore.
— Je suis désolé, me confonds-je avec sincérité, une main sur la bouche, avant de la rejoindre dans son fou-rire.
Je ne peux présumer de rien, mais quand je vois dans quel état elle est, je devine aisément que je dois avoir moi aussi du sang étalé sur tout le visage.
Nos rires s'éteignent progressivement et un silence gênant prend place. Célia tire sur sa robe pour la redescendre et en suivant, elle frotte nerveusement ses mains l'une à l'autre, geste qu'imitent ses lèvres sûrement par réflexe.
— Je... je vais te refaire tes soins, mais tu devrais peut-être prendre une douche avant, me suggère-t-elle à juste titre, d'une moue timide. La salle d'eau est... là, me désigne-t-elle du doigt la porte qu'elle a passée tout à l'heure.
Je souris face à son humilité touchante, et j'entre en à peine trois pas dans la minuscule pièce.
— Tu as des serviettes sur l'étagère, m'informe-t-elle à travers la porte. Et je peux te prêter un petit haut si tu veux, pour remplacer ta chemise, termine-t-elle en pouffant.
Lol.
Je me déshabille avec difficulté, les conséquences de la rixe se rappelant avec fracas à ma mémoire, et je pénètre dans la douche, sans avoir pris la peine de me regarder dans le miroir. L'état de ma chemise et celui de Célia suffisent à me laisser entendre le mien.
La cabine est minuscule et je me cogne à plusieurs reprises contre les parois. Je n'ai guère trop le choix sur les produits et laisse le gel douche parfumé à la pêche me laver de mon sang.
Je mets un certain moment pour frotter les traînées rouges sur mon corps, et un autre bien plus long pour faire comprendre à ma queue qu'il lui faut, pour l'instant, se rendormir. Je ne suis pas certain que Célia réponde encore présente à mes envies lorsque je sortirai de la douche, car je l'ai sentie un tant soit peu se refermer.
Je coupe l'eau et sors de la cabine. J'attrape une serviette et la passe autour de mes hanches. De ma main, j'essuie le miroir embué et constate que ma plaie fait toujours des siennes. Le sang coule encore.
— Célia ?
— Oui ?
— Tu aurais de quoi comprimer ? Parce que je suis encore en train de foutre du sang partout. Fait chier ! maugrée-je, pleinement agacé.
— Je peux entrer ? me demande-t-elle à voix basse.
Je lui ouvre aussitôt la porte et alors qu'elle s'apprête à pénétrer dans la petite pièce, elle bloque toute connexion neurologique en me découvrant à moitié à poil, les yeux aussi ronds que sa bouche.
— Rassure-moi, tenté-je de la réanimer avec moquerie, tu ne vas pas me traiter à nouveau de connard et de violeur, j'espère ?
— Ha Ha Ha, très drôle. Pousse-toi que j'attrape quelque chose dans le placard.
— Le placard ?
— Là, sous le lavabo. Pile poil où tu es.
Je tente de me déplacer, mais la salle d'eau est si petite qu'il nous est impossible de nous y mouvoir à deux. Après un méli-mélo maladroit de mouvements inefficaces, je finis par sortir de la pièce pour laisser la place à Célia.
Elle en ressort très vite et me jette un petit paquet plastifié que j'attrape d'une main.
— Qu'est-ce que c'est ? lui demandé-je en faisant tourner le paquet bombé sur lui-même. Attends, ne me dis pas que...
— Et si, me coupe-t-elle avec un sourire machiavélique. C'est un très bon absorbant. Je vais me doucher. En attendant, colle-la-toi sur l'arcade, ça évitera que tu mettes du sang partout.
Mais quelle pétasse ! Elle m'a filé une serviette hygiénique.
— T'as pas plutôt du sopalin ? Même du PQ ferait l'affai...
— Allez, William Auguste, je suis certaine que tu vas y survivre. Ne fais pas ton australopithèque arriéré, termine-t-elle en découvrant largement ses dents blanches.
— Tu sais à qui tu ressembles comme ça, avec du sang plein la tronche ? lui demandé-je alors qu'elle s'apprête à fermer la porte.
— Dis-moi, dit-elle en passant juste sa tête.
— À Carrie. Tu sais la meuf dans le bouquin de Stephen King qui se venge des enfoirés de son bahut, parce qu'ils lui ont vidé des seaux de sang de porc sur la tête.
— Plus fort la pression sur ton front avec la serviette hygiénique. Voilà. Comme ça, gratifie-t-elle mon geste d'une voix mielleuse. Souriiiiis !
— Quoi ?
J'entends le clic avant de voir son téléphone entre ses mains.
La connasse... Elle m'a pris en photo.
Je l'entends rire alors qu'elle ferme la porte à clé.
Voilà. Je n'ai plus qu'à attendre qu'elle ait fini sa douche pour récupérer mes fringues et... ma dignité.
Je suis assis sur son lit de jeune fille en fer forgé, avec pour seuls apparats, une serviette rose autour des hanches, un parfum de pêche sur la peau, et une serviette hygiénique sur la gueule.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top