8
Deux couples d'amis de Vincent et Simon nous rejoignent pour l'apéro.
Thibault et Matthieu étaient à l'école de Kiné avec mes potes, et tout comme eux, ils bossent maintenant à l'hôpital Pellegrin. Ce n'est pas souvent qu'ils les invitent à nos soirées, mais leur maison de vacances est proche de la mienne, et comme on dit chez nous, plus on est de poivrots mieux on boit. Ces deux gars sont plutôt cools et leurs copines sympas.
Alors qu'il fait à présent nuit, l'ambiance sur la terrasse est bon enfant. Les minutes défilent, se transformant rapidement en heures.
Célia s'est intégrée au groupe avec facilité. Elle discute avec les deux nanas, Anne et Sophie, sans être désagréable ni avec elles ni envers moi. À vrai dire, elle m'a oublié, et il faut reconnaître que ça fait un bien fou. Enfin, je crois.
Elle semble s'amuser, et ma foi, le rire lui va bien. Ses yeux prennent un éclat qui adoucit leur noirceur, et je trouverais presque craquant le pli que fait son nez à chaque fois qu'elle sourit. Seule ombre à ce joli tableau, après s'être finalement douchée, elle a passé un tee-shirt, ainsi qu'une veste de sweat grise que je lui ai prêtée, parce qu'elle avait froid. Ciao les petits triangles noirs qui mettaient si bien en valeur ses seins et laissaient une vue parfaite sur son ventre doré.
Je la regarde de temps à autre alterner entre sourire et bâillement. Elle paraît exténuée, mais elle ne me demande à aucun moment de la ramener.
— Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer pourquoi toi, tu n'as plus de cheveux, et pourquoi lui a une main au milieu du visage ? s'impose une voix familière au milieu des nôtres.
— Hé, Terence mon pote ! C'est une longue histoire, m'adressé-je à mon ami en le prenant dans mes bras. Content que tu sois enfin là. Pose tes affaires et prends un verre.
— Manquait plus que lui...
Célia, qui a parlé suffisamment fort pour être entendue par le concerné, semble parfaitement assumer son intervention. Elle fixe avec dédain un Terence au regard glacial, mais cette fois, elle ne flanche pas et ne baisse pas les yeux.
— Un problème avec moi ? lui souffle alors ce dernier d'une voix tendue.
— Aucun non. William, tu peux me ramener maintenant ? me demande-t-elle en se levant de sa chaise.
— On n'est pas pressés, prends un dernier verre, lui proposé-je, histoire d'apaiser les tensions. Il faut que je parle à Terence.
— Moi, je suis pressée. Il est tard et je bosse demain matin.
— Mais qu'est-ce qu'elle fait là elle ? me demande mon ami, tandis que nous nous éloignons du jardin et du groupe.
— Ça aussi c'est une longue histoire.
— Ça fait beaucoup d'histoires, Will. Par laquelle comptes-tu commencer ?
— Dis-moi d'abord comment tu vas.
Terence a l'air fatigué. Ses traits sont tirés et son expression est encore plus triste qu'habituellement. Je le déleste de son sac de voyage et des deux casques de moto que je pose dans l'entrée de la maison. Il retire son blouson de cuir qu'il accroche à la patère, et il m'emboîte le pas en direction de la cuisine.
— Ça va, me répond-il finalement, plus par automatisme que par réel souci de le faire. J'ai fait ce que j'avais à faire, et ce soir je suis là.
— Bière ?
— Bière.
Comme envisagé, il ne m'en dit pas davantage, et je ne lui pose pas non plus d'autres questions concernant son séjour dans les Pyrénées.
Nous pénétrons dans la cuisine, seule pièce éclairée de la maison, dans un silence que je respecte. Terence s'appuie contre le plan de travail, pendant que je prends deux bières au frigo. Après avoir lâché un souffle libérateur, il entre enfin en communication avec moi.
— Alors, tu me fais un petit débriefe sur ce que j'ai loupé ?
— Eh bien... Antoine s'est endormi sur la plage avec sa main sur le visage, ce qui explique cette trace ridicule, j'ai eu un petit accident de surf qui m'a valu une hospi pour trauma crânien, d'où ma nouvelle coupe, et...
— Et pourquoi tu ne m'as pas appelé ? s'inquiète-t-il subitement.
— Ce n'était pas grand-chose, et tu avais toi aussi tes problèmes à gérer. Promis, ce n'était rien de méchant. Juste un petit coup sur la tête avec ma planche. Je suis resté à peine vingt-quatre heures à l'hôpital. Voilà en gros les dernières news.
— Et elle ? désigne-t-il Célia d'un coup de tête, derrière la fenêtre.
Il semble que la principale concernée ait perdu toute envie de rire. Elle affiche bien au contraire une attitude des plus contrariées. Bras croisés sur la poitrine et sourcils largement froncés, elle fait les cent pas sur la terrasse.
— Elle ? Elle bosse justement à la clinique d'Arès où j'ai été hospitalisé, et elle me fait vivre un enfer.
— Un enfer ?
— Oui alors là, plus longue histoire encore. Bois ta bière et je te raconterai après.
Nous trinquons en silence et portons nos bouteilles à la bouche.
Je lui sers en suivant un condensé de ce que Célia me fait subir depuis quelques jours, et tout ce qu'il trouve à faire, c'est se marrer.
— Merci pour ton soutien, mec.
— Tu as raison sur un point, elle en pince pour toi. Alors, tu attends quoi pour attaquer, mon frère ?
— Elle dit qu'elle a un mec.
— Parce que c'est le genre de truc qui t'arrête ça maintenant ?
— Non, bien sûr que non, mais... En fait, je suis même sûr et certain qu'elle n'a personne. Elle raconte des conneries.
— Bah alors, où est le problème ?
— Je la sens... Je ne sais pas... Plutôt de celles qui ont pour habitude d'avoir des petits copains, des relations exclusives, qui aiment les restos, cinés, etc. Et puis, elle est vraiment prise de tête.
— Je vois... En fait c'est toi qui as un souci, mon pote, pas elle.
— Moi ? Quel souci ? Je n'ai aucun problème.
— Si tu veux mon avis, Will, tu te poses beaucoup trop de questions, juste pour tirer un coup. Et tu sais pourquoi ? Parce qu'elle te plaît.
— Quoi !? Nooon ! Enfin je veux dire, elle est pas mal oui, mais c'est une tarée hystérique qui n'a pas arrêté de faire des trucs chelous avec ma bite et...
— Pardon ! Elle a fait quoi ?
— Rien, laisse tomber. Oublie que je t'ai parlé d'elle. Je vais la ramener et je reviens vite. Je n'en ai pas pour longtemps.
J'abandonne ma bouteille vide dans l'évier et passe la porte de la cuisine.
— J'ai une meilleure idée.
Terence me passe devant et m'octroie pour unique complément d'info un rictus pernicieux. Il rejoint les autres dans le jardin et s'arrête devant Célia. Celle-ci ne cache en aucun cas son aversion pour lui et lui renvoie une mimique impatiente, en réponse au silence qu'il fait durer.
— Célia, lâche-t-il enfin. Will va te raccompagner, mais avant ça, on va tous sortir.
— Quoi ? Jamais de la vie je sors avec vous. Je vous l'ai dit, je bosse demain matin et...
— Et on ne te laisse pas le choix. Juste une petite virée, Cendrillon. Promis, à minuit, tu seras dans ton carrosse, insiste méchamment Terence, sans se départir de son sourire calculateur.
— Hors de question. D'abord il est déjà presque vingt-trois heures et en plus, je n'ai rien à me mettre. On ne me laissera rentrer nulle part en short et tongs. Voilà. Affaire réglée. William, on y va, me commande-t-elle en attrapant son panier.
— Oh, mais je peux te prêter quelque chose si tu veux, lui propose la copine de Matthieu. On habite au bout de la rue et on fait toutes les deux à peu près la même taille.
— Carrément, valide Anne. De toute façon, on doit nous aussi se changer.
— Tu vois ! ne lâche rien mon ami. Je suis certain que...
— Sophie, complète la petite blonde visée par le regard interrogateur de Terence.
— ... que Sophie a... une jolie paire de baskets à te prêter, conclut-il avec un large sourire moqueur.
— Connard, lui rétorque Célia sans préambule.
— Tu peux m'appeler Terence.
— Un verre et je te ramène, tenté-je une approche plus en douceur, en me plaçant entre elle et Terence, avant qu'elle ne le castre à mains nues.
Elle n'a pas décroisé ses bras, mais son regard colérique s'apaise légèrement lorsqu'elle le plonge dans le mien.
— Un seul verre, négocie-t-elle avec fermeté.
— Vendu.
Sophie et Anne la prennent par les épaules et l'emmènent au loin vers la rue. Elles passent le portail et s'enfoncent dans la nuit. Nous profitons de leur absence pour passer nous aussi d'autres fringues, échangeant shorts et tongs contre jeans et shoes fermées.
Une demi-heure après, les filles reviennent, et je dois dire que ce que je vois est... plaisant. Plus que ça même. D'ailleurs, je crois que tous les mâles ici présents sont d'accord, car ils sifflent à l'unisson en découvrant Célia dans une robe bustier noire archi moulante. Les deux autres se sont-elles aussi mises sur leur 31, mais je ne vois que la Miss, dont les tenues vestimentaires sont d'ordinaire très, très, à l'opposé de ce qu'elle nous propose ce soir.
— Bon sang ! Vous êtes obligés de siffler comme si nous étions du bétail ? s'énerve à nouveau ma collègue de promo.
— J'ai fait ce que j'ai pu hein ! semble se défendre Sophie, mais elle n'a pas voulu de maquillage ni de coiffure, et elle a tenu absolument à porter ces... tennis.
— Je suis assez ridicule comme ça. Aucun besoin d'en rajouter en portant des talons. C'est quand vous voulez, s'agace-t-elle, mal à l'aise d'être l'attraction principale du groupe.
Je baisse les yeux sur son corps, en m'attardant légèrement sur ses courbes, et je découvre à ses pieds des Converse rouges qui ne manquent pas de me faire sourire. Mais celles-ci ne retirent absolument rien au charme qu'elle dégage. Bien au contraire.
Elle a lâché ses cheveux, dont la pince portée toute la journée laisse une ondulation sauvage, et le tout lui confère un côté sexy à mort. Je ne suis même pas certain qu'elle en soit consciente.
D'un coup, les paroles de Terence résonnent dans ma tête, et je suis on ne peut plus d'accord avec lui. Elle me plaît. Et je la veux dans mon lit.
Après nous être répartis dans trois voitures, nous prenons la route vers le port de la Vigne, où se trouve le White Garden, un restaurant bar qui fait également boîte.
Évidemment, Célia a préféré monter avec Sophie, Anne et leurs mecs, plutôt qu'avec Terence et moi. Elle a, à mon égard, des attitudes contradictoires, oscillant entre rejet et - j'en suis certain - attirance, mais en ce qui concerne Terence, il n'y a aucun doute sur ce qu'elle ressent pour lui. Elle ne peut vraiment pas l'encadrer.
— Qu'est-ce que tu lui as fait à Miss Baskets ? lui demandé-je avec un intérêt dissimulé, une fois derrière le volant.
— Absolument rien. Je ne la connais pas plus que toi. Mais franchement, celle-là, je te la laisse. Tu avais raison sur un point, c'est une chieuse. Jolie, mais une emmerdeuse. Fais ce que tu as à faire avec elle, et passe tout aussi vite à la suivante. Parce que crois-moi, elle va te les briser sévère.
— Vous parlez de Célia ? nous demande Charles qui n'a pas loupé une miette de notre conversation.
Comme un gosse le ferait, il s'est installé au milieu de la banquette arrière, ses avant-bras posés sur l'accoudoir central. Attendant notre réponse, sa tête fait des allers-retours entre celle de Terence et la mienne.
— Ouaip, lui réponds-je uniquement.
— C'est une chouette fille, lâche-t-il alors, avant de se rassoir plus au fond, et de boucler sa ceinture.
Sa voix monocorde, presque déçue, me fait chercher son regard dans le rétroviseur. Je croise aussitôt ses yeux qui confirment les craintes qu'il a quant à ce que Terence et moi pourrions faire subir à Célia. Gêné d'avoir à m'étendre sur ce sujet, je monte le volume de la radio, et ainsi, nous gardons tous le silence jusqu'à ce que nous arrivions au lounge bar. Du coup, je ne pense même plus à demander à Terence quels sont ses plans.
— On ne peut pas aller ailleurs ? me demande une Célia encore plus mal à l'aise lorsque nous arrivons sur le parking.
— Pourquoi ? T'as un problème avec ce bar ?
— Noon, me répond-elle de façon évasive. Mais... c'est naze ici, je trouve.
— Naze ? Moi je le trouve « chouette » ce bar, lui rétorqué-je, fier de ma répartie moqueuse.
Elle se renfrogne, mais n'ayant de toute façon pas le choix, elle se soumet et pénètre avec nous dans le lieu festif.
Comme son nom l'indique, le White Garden est blanc du sol au plafond, en passant par la déco. Les nuits où il fait beau, comme ce soir, le plafond s'ouvre, laissant la vue sur un ciel parfaitement étoilé et permettant à l'air d'être plus respirable.
Une fois les tables du restaurant passées, nous déboulons sur la petite piste de danse, au milieu de laquelle trône un immense bar blanc rectangulaire.
L'espace est déjà assailli par les fêtards, et il nous faut jouer des coudes pour pouvoir accéder aux barmen. Aucun hasard dedans, je choisis pour faire ce court, mais néanmoins éprouvant, voyage de me coller derrière Célia.
Bien que je la dépasse d'une bonne tête, je me délecte du parfum de Monoï que dégagent encore ses cheveux, malgré la douche qu'elle a prise, et trouvant pour prétexte le manque de place, je plaque une main sur la cambrure de ses reins. Je la sens se figer, mais elle ne se dégage pas ni ne retire ma main. Nous avançons péniblement vers le bar, mais alors que nous sommes tout près, elle s'arrête brusquement et lâche un :
— C'est pas vrai !
Elle se retourne dans un mouvement vif et tente de faire demi-tour, mais je la bloque par les épaules.
— Qu'est-ce qui se passe ? Il y a un problème ? lui demandé-je soucieux en découvrant son regard embarrassé.
— S'il te plaît, William, ramène-moi maintenant, me supplie-t-elle sans exagération.
Intrigué, je jette un regard investigateur vers le bar. Mais lorsque j'aperçois le DJ, je relâche mes muscles et éclate de rire.
— Ce bar est naze, et ton super mec est parti pour son travail hein !
J'ai immédiatement reconnu le type qu'elle m'a montré sur la photo et qui n'est autre que le DJ du White Garden.
J'ai cessé de rire, mais certainement pas de sourire. Par contre, Célia ne s'amuse pas du tout. Bras croisés sur la poitrine, elle m'adresse son plus beau regard assassin. À côté, celui qu'elle réserve habituellement à Terence passerait presque pour une marque d'affection.
— Ne te crois pas obligé de dire quoi que ce soit, William Auguste. Je te saurais gré de savourer ta victoire en silence.
Sans pour autant chasser mon sourire moqueur, je lui fais signe que pas un mot ne va sortir de ma bouche. Et dans le même mutisme, je l'invite à se retourner et à reprendre le chemin vers le bar. Elle serre les lèvres, mais obtempère.
Nous atteignons enfin le comptoir, et je prends aussitôt ma commande et la sienne, une bière et un mojito. Étrangement, nous avons inversé nos positions. Célia s'est finalement collée derrière mon dos, comme si elle ne voulait pas être vue. À bien y réfléchir, je crois surtout qu'elle a peur que je la mette en fâcheuse position si elle se place dans le champ visuel de ce queutard de DJ. Et elle n'a pas tort...
— Es-tu au moins sortie avec lui ? la taquiné-je avec une délectation incontrôlable.
— Qu'est-ce que ça peut bien te faire ?
— J'estime que ton innommable mensonge mérite quelques compensations à mon égard. Alors ?
— N'importe quoi. Bien sûr que je suis sortie avec lui.
— Oui, en fait comme quatre-vingt-dix-neuf pour cent des nanas ici.
— Tu insinues quoi ? me balance-t-elle avec hargne en sortant de sa cachette.
— Absolument rien. Mis à part le fait qu'il est bien connu que ce gars se tape toutes les filles de ce bar.
— Toutes les filles, ou tout et n'importe quoi, genre moi ?
— Wow ! Tu t'enflammes ! Ce n'est absolument pas ce que j'ai dit.
— C'est ça oui. Tu ne l'as peut-être pas dit, mais tu l'as pensé si fort que bim, je l'ai entendu ! Sache, William Auguste, que je plais beaucoup, et que je suis une grande séductrice. Peut-être même plus que toi.
— Ah oui ! OK. Prouve-le.
— Tu ne vas pas recommencer ! Quand est-ce que tu comprendras que je n'ai rien du tout à te prouver ?
— Il est... 23h 45, dis-je en regardant ma montre. On dit... trente minutes ?
— Trente minutes pour faire quoi ? me demande-t-elle complètement ahurie, et à cent lieues de comprendre le jeu que je suggère.
— Une demi-heure pour conquérir un maximum de nanas pour moi, et de mecs pour toi. On verra qui de nous deux est le plus grand séducteur.
— Non mais tu m'as prise pour ton imbécile de pote ? Est-ce que de près ou de loin y je ressemble à Terence ? Jamais de la vie je joue à un de vos jeux à la noix ! s'énerve-t-elle à en faire tourner toutes les têtes dans notre direction.
Pour sûr que tu ne ressembles pas à Terence. Parce que je n'ai jamais eu envie de son p'tit cul comme j'ai envie du tien !
— Tu te débines ? préféré-je la piquer à vif.
À présent, c'est avec haine qu'elle me regarde. Mais toutefois, je note une pointe de défi dans ses yeux sombres. Je commence à cerner cette fille, et je sais qu'elle est bien trop fière pour ne pas tenter d'avoir le dernier mot. Cependant, je doute de ses capacités en la matière, et je vois très clairement se profiler ma prochaine victoire. Elle est mignonette, mais ce n'est pas non plus un canon, contrairement à un bon nombre de filles présentes ici ce soir. D'ailleurs, me concernant, je n'avais jusqu'ici jamais perçu Célia comme étant une potentielle prétendante. Faut croire que le dégoût dont elle a fait preuve à mon égard a éveillé en moi des envies de conquête. Elle n'a pas tort, je ne suis vraiment pas net...
— Et j'y gagne quoi ? interrompt-elle mon analyse.
J'en étais sûr.
— Tu rachètes ton honneur.
— En collant ma langue dans le maximum de gorges ? Sérieux, t'as quel âge ?
Elle va craquer. Je le sens, je le sais.
Les autres du groupe ne loupent rien de notre duel. Amassés autour de nous, verres en main, je sens leur regard passer de Célia à moi. Je n'ai pas besoin de me tourner vers Terence pour savoir qu'il jubile. Combien de fois nous sommes-nous prêtés à ce petit jeu ? Certes, davantage probablement quand nous avions quinze ans, mais il faut croire que cette fille réveille en moi mon côté juvénile.
— Trente minutes. Et seuls les vrais baisers comptent. Je veux dire... avec la langue quoi, marmonne-t-elle, le visage rouge. Et on prend chacun un témoin, impose-t-elle ses règles, sans se départir de son regard courroucé.
Et voilà. Échec et mat, ma belle.
— Hors de question que tu choisisses Terence, ajoute-t-elle à ses exigences. Je n'ai pas confiance en lui.
Mes potes balancent en chœur un « Wooow », tandis que mon frère d'armes lève les bras en signe de reddition et fait un pas en arrière pour se sortir du cercle.
— Choisis pour moi alors.
— Charles, balance-t-elle le prénom de mon pote, lequel exprime sa joie comme s'il venait de gagner à la loterie. À toi de me choisir un témoin.
— Mmm... Simon.
Pourquoi lui ? Aucune idée. Si ce n'est que je le crois tout à fait en capacité de mettre mon adversaire plus en difficulté qu'autre chose. Ce mec est le roi pour foutre la honte, et il y a peu de chance que Célia soit épargnée. Son score devrait en pâtir.
— Oh, putain, on va s'éclater ! clame ce dernier. Allez, ma belette, rince-toi le gosier avec ton mojito, cambre la croupe, et à l'attaque !
Qu'est-ce que je disais...
La boîte est blindée de monde, la musique braille à outrance, et pourtant je ne perçois plus que la Miss qui me défie en silence. Le reste de la bande nous encercle, tandis que Célia et moi sommes l'un en face de l'autre. Quelques ridicules centimètres nous séparent, et j'ai presque envie de lancer le jeu en faisant d'emblée un score nul. Mais je ne suis pas certain qu'embrasser mon adversaire respecte les règles. Dommage...
Alors que j'ai comme une envie subite de les ouvrir, ma partenaire de jeu pince férocement ses lèvres. Quant à ses yeux, ils expriment autant la colère de se soumettre à une telle connerie que l'envie de gagner. Moi, comme le p'tit con que je suis, je ne cherche nullement à dissimuler mon amusement, et je lui offre un faciès plein d'arrogance et de provocation.
Sans la quitter des yeux, je relève les manches de ma chemise bleu ciel et défais un bouton supplémentaire à mon col, livrant ainsi à mes futures victimes une vue parfaite sur ma peau halée.
Sans jamais mettre une trêve à notre échange visuel, Célia charge à son tour ses armes et descend légèrement le haut de sa robe, avant de remonter avec vigueur ses seins de ses deux mains. Elle passe en suivant ses doigts dans ses cheveux et s'applique à les mettre derrière son dos, offrant alors une vision gourmande sur ses attributs féminins et sur ses épaules dénudées.
D'un coup, elle quitte sa pantomime, mais pour mieux en jouer une autre. Son visage revêt soudainement les traits de la parfaite tentatrice. La sorcière adoucit en un éclair son regard qui se fait voluptueux, au même titre que sa bouche qui se fend en un sourire sexuellement diabolique.
La garce !
Elle passe suavement sa langue sur sa lèvre supérieure, sans qu'à aucun moment ce geste tendancieux n'ait l'air vulgaire. Elle emprisonne en suivant sa lippe charnue entre ses incisives blanches et termine son petit jeu de séduction en me jetant un regard embrasé et conquérant.
— Nom de Dieu ! témoigne à voix haute Simon ce que je pense tout bas. Est-ce que le témoin peut participer ? Parce que je veux bien succomber à la première galoche !
— Oui moi aussi, s'empressent d'ajouter à tour de rôle nos comparses.
— Trente minutes. Pas une de plus, lance-t-elle les hostilités d'une voix parfaitement posée.
Nous terminons de nous défier en silence.
Alors qu'elle me tourne le dos pour se lancer dans l'arène, je vide d'un trait ma bière, mais davantage pour tenter de recouvrer mes esprits après son petit numéro que pour trouver le courage nécessaire pour ouvrir la chasse.
*****
C'est pas joli joli tout ça...
Allez, je vous mets la suite ;)
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