7
— Salut.
J'ouvre les yeux et découvre ma tortionnaire appuyée contre le chambranle de la porte, bras et jambes croisés.
— Salut, lui renvoyé-je dans un souffle qui en dit long sur la joie que j'éprouve à la voir dans ma chambre.
Elle ne dit rien de plus et reste dans la même position, fixant sur moi un regard, je dirais inquisiteur.
C'est dingue comme on peut se sentir diminué, quand on est allongé dans un lit d'hôpital. Le silence de Célia me met presque mal à l'aise, si bien que dans un geste nerveux, je remonte le drap sur mon torse nu, même si elle ne l'a regardé à aucun moment.
Au bout d'un instant, elle finit par bouger et parler, sans se départir de ce regard indéfinissable. Il n'est ni assassin ni hautain, pas plus que son ton ne laisse transparaître une quelconque animosité. Pour autant, je ne décèle aucune bienveillance en eux.
— Il y a de grandes chances pour que tu sortes demain matin, me lâche-t-elle en s'approchant du pied de mon lit.
— Bien. Tant mieux. Je ne suis ici que depuis vingt-quatre heures, mais je me fais chier et la bouffe est dégueulasse.
— Je peux t'amener quelque chose si tu veux.
Je croirais presque à de la gentillesse si elle n'avait pas balancé sa proposition avec autant de nonchalance, voire de froideur.
— Ça va aller. Mais merci, décliné-je cependant poliment.
Un ange supplémentaire passe dans la chambre.
Célia m'observe toujours et bon sang, je ne suis pas fichu de déceler chez elle la moindre émotion. Elle commence vraiment à me faire flipper. Étrangement, me vient en tête qu'un des premiers fantasmes chez les hommes est : les nanas en tenue d'infirmière. Eh bien, en l'instant, celle que j'ai sous les yeux est loin de me faire bander ! Elle porte à ravir son pantalon et sa tunique blancs, mais ils ne suffisent pas à évincer son air de sociopathe, ni à déclencher chez moi une quelconque excitation.
Finalement, après avoir soufflé sur une mèche de ses cheveux échappée de sa queue de cheval, l'écartant ainsi de ses yeux, Célia prend de nouveau la parole.
— Une collègue va venir te retirer la sonde vésicale.
— Une collègue ? Tu ne vas pas enlever toi-même ce que tu as posé ? lui demandé-je avec un soupçon d'arrogance, lorsque j'aperçois le rose envahir ses joues.
— Il serait dommage que tout le monde ne profite pas de maxi-William, non ? me rétorque-t-elle du tac au tac en retrouvant enfin un soupçon d'affront et je dirais, de joie.
— Je suis désolé de t'avoir traitée de conne.
Je ne sais même pas pourquoi je lui ai dit ça. Je me sens si con dans ce lit, à poil, que j'en perds mes moyens. Apparemment, elle ne s'y attendait pas non plus. Elle baisse un court instant la tête, et je suis certain qu'elle serre uniquement ses lèvres pour ne pas sourire davantage.
— Moi, je n'ai aucun regret pour quoique ce soit ! me surprend-elle néanmoins, en posant sur moi un regard plein de malice.
La garce ! Elle me sort ça sur un air enjoué en se dandinant de gauche à droite, comme une sale gamine le ferait.
— Bien, je te laisse. J'en ai fini avec mon service et j'ai très envie d'aller me baigner ! Je passe le relais à ma merveilleuse collègue, Andréa dite Andy. Tu verras, elle va te plaire. Il me semble que tu aimes les blondes, non ? termine-t-elle dos à moi.
Elle passe la porte, mais s'arrête soudainement, puis se tourne vers moi.
— Au fait, je t'ai menti. Ce n'est pas moi qui t'ai posé la sonde. J'ai juste... comment dire... manipulée cette pauvre Andy en lui disant que c'était une prescription du médecin. Alors désolée, mais au final, il n'y a qu'elle qui aura vu « maxi-William », croché-t-elle de ses doigts le surnom de mon pénis. À plus, William Auguste !
Cette fois, elle disparaît, me laissant complètement abasourdi sur mon lit.
Mais à quoi elle joue ?
Je cherche à démêler tous les non-sens que renferme cette nana, le regard perdu sur le lac visible depuis la fenêtre de ma chambre, mais une voix rauque à l'accent bien du sud me fait stopper mes cogitations.
— Bonjour ! Je viens vous retirer la sonde.
— Nom de Dieu ! ne puis-je m'empêcher de lâcher à voix haute en agrippant mes draps.
Je suppose que j'ai devant moi la fameuse Andy, et je dois dire que le choc est de taille. Célia est une garce tortionnaire, doublée d'une salope perverse.
Je suis allongé, mais je pense que l'infirmière blonde, à la cinquantaine bien tassée, est aussi grande que moi, soit à minima un mètre quatre-vingt-cinq, et son poids doit dépasser de deux fois le chiffre des centimètres.
Je vais défaillir. Elle transpire à grosse suée et n'arrête pas de passer ses mains sur son front, alors qu'elle prépare son matériel sur son chariot de soin.
Il est hors de question qu'elle touche à ma bite avec ses doigts dégueulasses !
— Je... Ce n'est pas la peine. Je suis étudiant en médecine, je peux très bien me la retirer tout seul, et je..., bafouillé-je dans ma tentative désespérée d'échappatoire.
— Allez, ne fais pas ta chochotte, mon mignon, me stoppe-t-elle en arrachant mon drap dans un geste vif. Il ne faut pas être timide non plus. Depuis toutes ces années, crois-moi, j'en ai vu de toutes les couleurs et de toutes les formes. Allez, respire, mon grand, ça va vite passer, et je te promets que je ne vais pas abîmer Popole.
Popole !?
Je me débats, en vain. La furie me maintient de tout son poids sur le lit, et d'une main elle m'attrape le pénis, pendant que de l'autre, elle dégonfle le ballonnet à l'aide d'une seringue, puis elle tire d'un coup sec sur cette putain de sonde, ce qui m'arrache un cri.
— Et voilà ! Tu vois, mon mignon, il n'y avait pas de quoi avoir peur !
Pas de quoi avoir peur !? Je suis traumatisé oui !!!
Andy me tourne le dos et rassemble son matériel. J'en profite pour lui piquer un paquet de compresses et son sparadrap que je dissimule sous mon drap.
La vieille blonde me sourit de ses quelques dents restantes et sort enfin de ma chambre.
Aussitôt seul, je m'empresse de retirer ma perfusion avec le matériel que j'ai volé à cette folle, et je me précipite jusqu'à mon placard, afin de passer le seul calbut - malheureusement ridicule - que les gars m'ont amené. Ces cons ont déniché, je ne sais où, un boxer avec une tête d'éléphant, dont la trompe serre de range teub. Mais il est hors de question que je reste une minute de plus ici à poil ! Dans la foulée, je prends mon téléphone et m'active à appeler David.
— Mec, faut que tu viennes me chercher. J'te jure, je ne reste pas une heure de plus ici. Elles veulent toutes me buter. (...) M'en fous, je signe une décharge. (...) OK, merci. Je vous attends dehors. Faites vite.
Il ne me faut que quelques secondes pour rassembler mes affaires, et pour cause, je n'ai rien, mise à part ma combinaison de surf. C'est avec cette dernière et pieds nus que je me présente au bureau des infirmières où j'exige de signer une décharge pour me tailler de cette clinique de psychopathes. De toute façon, en dehors de légers maux de tête, je n'ai aucun signe neurologique inquiétant. Je pourrai tout aussi bien me reposer à la villa.
Après avoir subi les remontrances du médecin présent et celles de son équipe, je récupère l'ordonnance qu'il a tout de même bien voulu me faire, et je me presse d'aller dehors pour attendre mes potes. Je sais que j'ai l'air con assis sur mon banc en combi, mais je crois que j'ai vécu bien plus humiliant ces dernières vingt-quatre heures.
Je n'ai pas à attendre longtemps. Très rapidement, j'aperçois au loin la Clio bleue de Vincent. Enfin, je vois et j'entends surtout ce fada de Simon, accoudé à la fenêtre grande ouverte et qui gueule :
— On est là, Auguste ! Tiens bon ! On est venus vous sauver, toi et ta bite !
— Inadmissible, dis-je d'un air faussement consterné à la vieille dame assise à côté de moi et qui ne cesse d'émettre des « Oh », clairement choquée par la prose de mon ami.
J'avoue que je n'en mène pas large lorsque la voiture s'arrête devant le banc. Je me lève et je n'ose même pas saluer la dame, dont je sens le regard courroucé fusiller mon dos.
Une fois grimpé dans l'habitacle, je m'empresse de narrer l'épisode responsable de ma libération anticipée. Je sais que je viens de donner aux gars de quoi me charrier pour un bon moment. Preuve en est le soir même, ces nazes m'écrivent « Andy » avec du Ketchup sur mes œufs aux plats, pendant que je prends la douche la plus longue de l'année.
Durant celle-ci, j'use de toutes les précautions nécessaires pour défaire la bande autour de ma tête. L'eau chaude me permet de décoller la compresse de mon cuir chevelu, sans faire saigner ma plaie. Je suis surpris de sentir la taille de la cicatrice et remercie le ciel de m'en tirer aussi bien. Je passe en suivant un temps infini à démêler mes cheveux collés par des amas de sang. Mais le constat est amer. Ils m'ont rasé les cheveux autour de la plaie et j'ai à présent un trou de la taille d'une orange sur le dessus du crâne.
Et merde. On dirait un moine.
Je sors de la salle de bain, une serviette autour des hanches, et je rejoins les gars installés dans le jardin.
— Est-ce que l'un d'entre vous aurait une tondeuse ?
— Mon Dieu, nooon ! Ne me dis pas qu'ils ont abîmé ta chevelure de rêve, Barbie !
— Va te faire foutre, David. Alors ? Quelqu'un a une tondeuse ?
— Yep, j'ai pris la mienne. Mais tu sais que je vais forcément émettre une condition pour te la filer, n'est-ce pas ? me menace Vincent en affichant un sourire des plus narquois.
— Est-ce que j'ai le choix..., m'avoué-je vaincu.
Tu parles d'une condition à la con ! Il exige de raser lui-même mes cheveux, et bien sûr, de prendre des photos du trou géant au milieu de mes cheveux restants, ainsi que des différentes étapes de ma coupe.
Quand ils ont tous suffisamment joué à me dessiner des formes improbables sur le crâne et immortalisé leurs saloperies sur leurs téléphones, ils ne me laissent à peine que quelques malheureux millimètres de cheveux sur la tête. Ma mère s'évanouirait de voir mes longues mèches blondes au sol. Je n'ose même pas aller voir le résultat dans un miroir.
J'avale mes œufs, après avoir soigneusement barbouillé le prénom de l'autre furie d'infirmière tracé au Ketchup, et je pars me coucher. J'ai encore mal à la tête, malgré les antalgiques que m'a prescrit le médecin de la clinique, et seul le sommeil me soulagera.
Je me suis gardé d'informer mes parents de mon état pour ne pas les inquiéter. Ils auraient été capable de débarquer ou auraient exigé que je rentre. Je les ai simplement prévenus que Terence allait passer chez eux pour récupérer ma moto. Ma mère était effondrée d'apprendre le décès de sa grand-mère, mais je l'ai suppliée de se contrôler devant lui. Il accepte avec sang-froid ses grands témoignages d'affection, mais je ne suis pas certain qu'il sache gérer les câlins et les pleurnicheries de ma mère.
***
Les jours qui suivent ma sortie de la clinique, je suis privé de baignade pour cause d'agrafes sur le crâne. Antoine et moi devenons un couple inséparable, et les autres nous trouvent un job de rêve : garder les serviettes. Génial les vacances ! Il nous manque plus que des sceaux et des pelles pour faire des châteaux de sables, pendant qu'eux s'adonnent aux plaisirs aquatiques. Je craque.
— Je rentre, Antoine. Je vais bouquiner à la maison. Le soleil me tape sur la tête.
— Je t'avais dit de te mettre avec moi sous le parasol. Il y a de la place pour deux, mon poulet, me montre-t-il en se décalant sur sa gauche.
— Ça va aller, merci. Je préfère rentrer.
— Comme tu veux. À plus dans ce cas.
Je réajuste la casquette sur ma tête, ramasse ma serviette et mes affaires, et je quitte la plage.
Antoine a raison pour sa proposition de parasol, mais je suis bien plus con que lui, et je n'ai aucune envie de me coller dessous. Voilà trois jours que ma casquette suffit à camoufler mon pansement et à me préserver du soleil tapeur. Aujourd'hui est en revanche un jour sans, et j'ai mal au crâne.
Il nous a fallu crapahuter un bon moment pour poser nos serviettes, car la zone de baignade surveillée était assez loin de l'entrée. Aussi le chemin de retour est-il des plus pénibles. Marcher avec des tongs sur la plage est un enfer, mais le faire pieds nus sur le sable brûlant n'est guère mieux, peut-être même pire. Je choisis finalement l'enfer des tongs et enfile ces dernières. Tant pis pour les plagistes à qui je suis en train d'envoyer du sable à chaque pas que je fais.
— Hé ! Vous ne pouvez pas faire attention, non ! me crie dessus une nana, après que je lui ai probablement balancé du sable dessus.
— Excusez-moi, je... Hé, mais c'est mon infirmière détestée ! constaté-je en baissant les yeux sur Célia, étendue sur une serviette.
Elle arrête d'épousseter ses jambes huilées à mort de produit solaire, et fixe à présent sur moi des yeux surpris. Elle les rebaisse très vite et poursuit sa tâche, s'agaçant d'avoir du sable collé sur ses mains pleines d'huile.
— Je vois que tu es encore en vie. Chouette ! clame-t-elle, sans m'accorder un seul regard.
— Ce n'est pas un peu has been de dire « Chouette » ? trouvé-je uniquement à lui rétorquer.
— Ce n'est pas un peu has been de dire « Has been » ?
Nous nous fixons un petit moment, et je me demande combien de temps nous pouvons tenir tous les deux à ce jeu de cour d'école.
— Comment va ta tête ? lâche-t-elle en perdant la partie.
Je calque son côté sérieux et lui réponds, sans pour autant m'étendre sur le sujet.
— Ça va. Ça suit son cours.
— Les garçons te font tes pansements ?
— Je me débrouille tout seul. Je n'ai pas besoin d'eux.
— Et qui regarde l'état de ta plaie alors ? s'inquiète-t-elle d'un coup.
— Eh bien je... Avec un petit miroir, je regarde devant la glace de la salle de bains et...
— C'est n'importe quoi !
— Pas de quoi en faire une affaire d'État non plus. Ce sont juste quelques points de sutures et...
— Je vais regarder.
Elle est sérieuse !?
Elle n'a aucun besoin de jouer au toubib avec moi. Ce que je suis d'ailleurs, ainsi que quatre de mes potes ici présents.
— Je te dis que ça va, puisque je m'en occ...
— Montre-moi, me coupe-t-elle en se levant précipitamment et en relevant ses lunettes de soleil sur le dessus de la tête.
— Je ne vais pas te montrer ma plaie sur la plage, non.
— Tu habites loin ?
Je réalise d'un coup que la miss est en maillot de bain, mais je ne suis pas certain qu'elle l'ait en tête, parce qu'elle reste postée droite devant moi, les mains posées sur ses hanches. J'avais déjà apprécié la Célia en petit combi-short, mais je dois avouer que la Célia en maillot deux pièces noir est plutôt alléchante. Sa peau est aussi bronzée que la mienne, et là où je la pensais potelée, je découvre finalement des rondeurs plus qu'appétissantes, ses hanches et ses seins étant parfaitement assortis. Ses cheveux sont retenus par une pince, et seules quelques mèches rebelles s'échappent et fouettent son visage. Gênée par le soleil, elle plaque une main au-dessus de ses yeux plissés et attend patiemment ma réponse.
— Non mais dîtes donc, Mademoiselle Delziou...Ne serait-ce pas un plan bidon pour finir chez moi, ça ? lui demandé-je alors en me rapprochant d'elle de quelques centimètres, un sourire arrogant au coin des lèvres.
— Quoi ? Ha Ha, laisse-moi rire. Quelle horreur, non merci, décline-t-elle en replaçant ses lunettes sur son nez.
— Quelle horreur !? lui répété-je, légèrement vexé.
— Alors ? Tu habites loin ou pas ? Parce que je suis venue à la plage en bus depuis Arès et je n'ai rien sur moi pour te refaire ton pansement.
— Je suis à... ché pas, trois ou quatre cents mètres peut-être.
— Alors on y va.
Elle rassemble ses affaires dans un grand panier en osier et passe seulement un petit short en jean qui n'a que pour seul but de cacher ses fesses.
Cette fois, je suis certain qu'elle a jeté un œil sur mon torse nu. Mais bien trop fière, elle détourne la tête de mon regard amusé et entame la marche.
— Outch, ça fait mal, se plaint-elle en tentant de marcher sur le sable chaud. Je vais peut-être mettre mes tongs hein, ajoute-t-elle à mon intention en faisant une grimace gênée.
— Pas de baskets ? la taquiné-je en souriant.
— Mais c'est quoi au juste votre problème avec mes chaussures ? Vous avez d'autres obsessions dans ce genre tes copains et toi ?
— Obsession, c'est peut-être un peu fort. Désolé. Tu as raison. On est très cons avec ça.
— Oh là... Il semblerait que le coup que tu as pris sur ta tête ait été plus fort que nous le pensions, me jette-t-elle avec sérieux en m'adressant un regard inquiet. Ça fait beaucoup d'excuses en très peu de temps tout ça ! Tu es sûr que ça va ?
Elle me tire finalement la langue et détourne la tête pour sourire largement.
Je me suis peut-être cognée la mienne, mais je ne prends pas pour hallucination ce que je perçois comme étant un magnifique rire.
Bon prince, je lui laisse cette fois gagner la partie, puis nous gardons le silence durant les quelques mètres restants, d'une part parce que je n'ai pas grand-chose, voire absolument rien à dire à cette fille, et d'autre part parce que le parfum de monoï qui se dégage de son corps m'embrouille légèrement les neurones.
Une fois arrivés à la maison de ma grand-mère, je fais signe à Célia de s'installer sur la terrasse ombragée.
— Tu veux boire quelque chose ? lui proposé-je. Un jus de goyave, de mangue ? Du lait avec du sirop de fraise ?
— Mais tu es devenu vraiment super drôle, William Auguste ! exagère-t-elle théâtralement sa réplique, en plaquant ses mains sur ses joues. Une bière fera l'affaire, imbécile, termine-t-elle en levant les yeux au ciel.
Je pénètre dans la maison, amusé, et en ressort cinq minutes plus tard avec deux bières décapsulées et de quoi refaire mon pansement.
— Est-ce que je peux me laver les mains s'il te plaît ? Ce n'est pas très hygiénique la crème solaire et le sable pour faire un pansement.
Aussitôt, l'image répugnante de Andy, la grosse dégueulasse, avec ses mains pleines de transpiration, me revient en tête. Je la chasse d'un mouvement de tête et indique la salle de bains à Célia.
— Tu peux prendre une douche aussi si tu veux, l'invité-je, et ce, sans arrière-pensée détournée pour une fois.
Mais il faut croire que l'idée qu'elle s'est faite de moi n'a guère évolué, puisqu'elle me lance un regard et un sourire railleurs que nous pourrions traduire par un bon vieux « lol ».
— J'en ai pour deux minutes, m'avertit-elle en entrant dans la maison.
J'ai à peine le temps de siroter une gorgée de bière et d'installer le matériel médical sur la table que Célia me rejoint, les mains propres.
— Assieds-toi, m'ordonne-t-elle alors qu'une légère brise se lève et diffuse vers moi le parfum sucré de son corps huilé.
Je tente de mettre de côté l'effet que ça me fait et m'exécute aussitôt, prenant place sur une chaise en bois du salon de jardin. Célia sort de la poche tout ce dont elle a besoin, puis se place debout, à côté de moi. Elle retire ma casquette et pousse un cri.
— Oh ! Tes cheveux ! Ils ne sont plus là !
— Quel sens de l'observation ! lui fais-je remarquer, tout en passant ma main sur ma tête et sur les cinq millimètres de cheveux restant.
Elle me contourne aussitôt et se baisse à hauteur de mon visage, tout en attrapant mon menton dans une main. Elle pose en suivant un regard circulaire sur moi.
Mes yeux ne prennent que quelques secondes pour voir, intégrer et analyser ce qu'ils ont devant eux, du froncement de ses sourcils à la naissance de ses seins entre les deux triangles noirs de son haut de maillot de bain.
— Ça te va bien. Mais j'aimais bien tes cheveux longs. C'est dommage.
— Et il y a d'autres choses que tu aimes bien chez moi ? m'aventuré-je avec une prétention surjouée.
— Malheureusement... non. Bien, voyons cette plaie, change-t-elle de sujet comme si de rien n'était, en reprenant sa place initiale.
La garce : 789... – Le playboy : 0
— Je retire le pansement, ça va un peu tirer, me prévient-elle inutilement.
— Célia, je ne suis pas un de tes patients, et je ne suis pas une chochotte qui va... Aïe ! Putain, tu l'as fait exprès !
— Oups, non. Désolée, Will. Arrête de bouger, tu n'as pas besoin de boire autant, toi aussi !
— Ah si si ! Laisse-moi noyer mes craintes dans l'alcool après ce que je viens de subir, juste pour l'ablation du pansement ! justifié-je ainsi ma troisième longue gorgée d'affilée.
En vérité, je ne suis plus certain que ma descente soit uniquement liée à ça. Son parfum des tropiques et ses seins collés à dix centimètres de moi sont en train de me rendre dingue !
— Chut. Tais-toi maintenant. Pose ta bouteille, arrête de bouger et penche ta tête en arrière, tu es trop grand.
— En arrière ?
— Oui, là, comme ça !
Bon sang, elle se place derrière moi, puis elle pose une de ses mains agréablement fraîches sur mon front et bascule ma tête en arrière, laquelle se trouve stoppée par sa poitrine moelleuse.
Elle me cherche !
À peine suis-je en place, confortablement installé, que je tente d'agripper les yeux de ma collègue de promo. Quand elle me voit sourire comme un benêt et croiser bras et jambes loin devant, elle me redresse la tête d'un mouvement ferme et monte sur la table en face sur laquelle elle s'assoit.
— Approche ta chaise de là et arrête de jouer à l'ado en rut, William Auguste, me sermonne-t-elle, une compresse imbibée d'antiseptique dans la main.
J'obtempère sans parvenir à effacer mon rictus amusé.
Cette fille en pince pour moi, j'en suis certain.
— Si tu veux que je sois sage, passe un haut et arrête de coller ma tête entre tes nichons.
— Ta plaie est propre. Aucun signe inflammatoire, énumère-t-elle son constat sans rebondir sur ce que j'ai dit.
— Je te l'avais dit, Miss Je-Sais-Tout.
— Arrête de bouger. Pourquoi es-tu parti de la clinique ? Ce n'était pas raisonnable.
C'est vraiment la reine pour changer de sujet, mais elle ne me connaît pas.
— Que voulais-tu qui m'arrive, sérieux ? Je n'ai eu qu'un léger trauma crânien, et je séjourne avec quatre étudiants de sixième année de médecine, plus moi, je te rappelle, dont trois ont fait un stage aux urgences.
— Voilà, c'est bon. J'ai terminé.
Je l'observe rassembler et trier ce qu'elle a utilisé, et je ne peux m'empêcher de lui poser la question qui me taraude depuis tout à l'heure.
— Célia, qu'est-ce que tu fais ici au juste ?
— Ton pansement. Et je voulais m'assurer que tu allais bien. Je n'aime pas que mes patients signent des décharges et quittent mon service comme ça.
— Je n'étais pas ton patient, et ce n'est pas ton service, pas plus que tu n'es médecin là-bas. Tu es juste infirmière.
— Juste infirmière ? Il va vraiment falloir apprendre à les respecter, Will, ou elles vont te faire la misère. Crois-moi, c'est elles qui ont le pouvoir à l'hôpital.
— Ne change pas de sujet. Alors ? lui redemandé-je, un sourire triomphant largement plaqué sur le visage.
— Alors quoi ? Il n'y a rien de plus à dire que ce que je viens de te stipuler. Mais qu'est-ce que tu crois au juste ? Que toutes les filles sont là à se pavaner devant toi ? Eh bien je suis désolée de te décevoir, mais ce n'est pas mon cas. D'abord, j'ai quelqu'un dans ma vie. Et il est super. Super beau, super intelligent, et super drôle, insiste-t-elle sur l'adverbe.
— Ça fait beaucoup de super pour un seul mec, pour être super vrai, non ?
— Pas du tout. Il est super tout ça !
— Ah ouais ! Présente-le-moi alors. Je veux absolument rencontrer ce super mâle.
— Il... Il est parti quelques jours pour... pour un truc pour son travail et...
— Bah voyons ! Il n'existe pas.
— Je te dis qu'il existe.
— Prouve-le. Montre-moi une photo de lui.
— Je ne sais même pas pourquoi je joue à ça avec toi au juste. C'est vraiment n'importe quoi ! me dit-elle tout en me plaquant sous le nez une photo tirée de son téléphone.
— Ça, c'est ton mec ? lui demandé-je perplexe.
— Et ouais. Ça t'en bouche un coin hein, mon vieux, que je puisse avoir un mec pareil !
— Mon vieux !?
Je lui arrache le téléphone des mains et vais loin d'elle pour examiner attentivement cette photo.
Le gars est un brun plus que pas mal. Comparé à Miss Baskets, il a l'air très grand et plutôt baraqué aussi. Il porte une barbe naissante aussi noire que ses cheveux, et ses dents sont aussi blanches que sa chemise. Il a un bras autour de la taille de Célia et elle le regarde comme s'il était la huitième merveille du monde.
— Il a l'air vieux, conclus-je mon analyse rapide.
— J'aime les hommes qui ont de l'expérience. Ceux qui ont du vécu. Ceux qui savent vraiment s'occuper des femmes et pas juste tirer leur coup pendant dix minutes, puis cavaler vers la suivante. J'aime les hommes, les vrais, qui ont de la conversation et qui font autre chose que de tout ramener à leur engin, voire de leur donner des surnoms débiles.
— Je peux tenir une nuit entière.
— Quoi ?
— Je ne tire pas mes coups en dix minutes, et je peux faire l'amour à la même femme durant toute une nuit.
— Qu'est-ce que je disais ! Tu ramènes toujours tout à ta chose !
— Pourquoi t'appelles pas ça une bite ou une queue ? Tu dis « chose », « engin ». C'est...
— C'est quoi ? Oh, et puis on s'en fout ! Rends-moi mon mec, d'abord.
— Ce n'est pas ton mec. C'est juste la photo d'un gars que t'as prise un soir. Montre m'en une autre de lui.
— Rends-moi ce téléphone. Je n'ai absolument rien à te montrer ni à te prouver. Rends-moi ce téléphone, William !
— Mais qu'est-ce que vous foutez tous les deux à courir comme ça dans le jardin ? nous interrompt Simon depuis le portail, alors que Célia me pourchasse en vain.
Je profite de l'arrivée d'un public pour la maîtriser en lui plaquant une main sur le dessus de sa tête.
— Elle ne veut pas me montrer les photos de son mec, parce qu'elle n'a pas de mec ! ris-je aux éclats en essayant d'une main différents codes pour accéder au contenu de son téléphone, pendant que je la maintiens à distance de mon autre bras tendu.
Elle se déchaîne comme une lionne, mais tous ses mouvements de bras dans le vide sont infructueux.
— Je comprends mieux pourquoi tu m'as planté à la plage. Bouquiner à la maison hein ! me snobe Antoine en passant à mes côtés, et en reluquant Célia.
Tous les autres le suivent et affichent le même sourire débile, en nous longeant.
— Salut, Célia, saluent-ils en chœur la concernée.
— Will ! Arrête d'embêter la future mère de tes enfants ! Tu vas lui faire tourner les ovaires et vos chiacrons ressembleront à rien.
— Nos quoi !? Il m'a appelé comment là ton pote ? me demande une Célia écœurée.
— Courte histoire qui n'est absolument pas intéressante. Mon ami Simon est fou. Il a pris beaucoup de coups sur la tête au rugby, et depuis, voilà. Tout ce qui sort de sa bouche est de la merde.
— Allez, c'est pas tout ça, mais c'est l'heure de l'apéro, annonce ce dernier. Une douche et on attaque.
— Mince, il est quelle heure ? panique soudainement Célia. J'ai mon bus à prendre.
Elle se redresse et échappe à mon emprise.
— Je te ramène si tu veux. Je suis sûr que je conduis bien mieux que ton papi qui n'existe que dans ta tête.
— Pas la peine, me répond-elle en m'arrachant son téléphone des mains, sans omettre de m'octroyer un regard meurtrier. Le dernier Citram est à 20 heures 10 et il est...
Elle abaisse ses épaules et souffle dans un même mouvement. Je devine qu'elle a loupé son bus de retour.
— Et il est... l'heure de prendre l'apéro comme l'a dit Simon. Détends-toi, prends un verre, et je te ramène après.
Elle croise ses bras sous sa poitrine et m'adresse un regard frustré.
— OK, merci. Mais je ne reste pas longtemps. Et si tu me ramènes, il est hors de question que tu boives.
— Pourquoi ? Sinon ton mec imaginaire va me le faire payer ?
— Exactement. Mon mec est tellement fort qu'il...
— Arrête, il n'existe pas.
— Mais ce n'est pas croyable ! Je te dis qu'il existe.
— Il n'existe pas.
Nous continuons à nous chamailler comme ça un bon moment, jusqu'à ce que les glaçons tombent dans nos verres et que nous les portions à la bouche.
*****
Yo,
Chapitre un peu long, mais qui passe plutôt vite, non ?
Ils ne sont pas mimis tous les deux ?
A très vite...
Bisous chirurgicaux ***
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