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- PRÉSENT -

— Monsieur ?

— Mmm...

— Docteur Auguste ? Docteur, veuillez m'excuser mais...

— Quoi bon sang ? marmonné-je, la bouche pâteuse.

— Je suis désolée de vous réveiller, mais désirez-vous votre plateau-repas ? Je peux vous proposer le menu spécial gourmet avec...

— Quoi ? Noon ! Foutez-moi la paix avec ça. Vous ne voyez pas que je dors, bordel !

— Je suis sincèrement désolée, Monsieur. Voulez-vous que je repasse plus tard ?

— Faites donc ça, oui. S'il vous plaît, rajouté-je plus bas, comme pour me dédouaner de mon attitude rustre et bougonne.

— Très bien, Monsieur. Je repasserai vous voir. Ou n'hésitez pas à m'appeler et je viendrai tout de suite.

Au prix que je paye ce vol, c'est la moindre des choses, oui !

Elle commence vraiment à m'emmerder avec son plateau-repas, celle-là ! C'est quoi ce besoin qu'elle a de vouloir me gaver ?

Je passe ma main sur mon visage et cligne plusieurs fois des yeux, essayant tant bien que mal de reprendre ma place dans le présent. Je regarde ma montre, et après un rapide calcul, je conclus que ça ne fait que trois heures que je suis dans cet avion. Trois heures durant lesquelles j'ai revécu une partie de mon passé, avant de m'endormir profondément.

On m'a posé une couverture dessus et mon store de hublot a été baissé. J'imagine que je dois le tout à ma nourrice attitrée.

Je vire le plaid, redresse mon fauteuil et rouvre le store. Conclusion : les nuages sont toujours à la même place et je n'ai aucune idée de l'endroit que nous sommes en train de survoler. Je le redescends aussitôt, la luminosité jurant trop avec mon état plus sombre.

Ces souvenirs m'ont pour certains arraché des sourires, mais d'autres n'ont fait que renforcer ce dont je m'accuse. Un beau gâchis et une attitude de connard fini.

Faut que j'aille pisser.

— Tiffany ? interpellé-je l'hôtesse de l'air.

— Monsieur ? accourt-elle aussitôt jusqu'à moi.

Au regard lascif qu'elle me lance, je me demande si elle est née avec ou s'il n'est destiné qu'à moi. Cette fille me donne l'impression de n'avoir aucune autre émotion en stock. Regard et sourire 100% cul, depuis trois heures.

— Vous pourriez m'apporter un peu d'eau, s'il vous plaît ? lui demandé-je poliment, néanmoins sans daigner la regarder.

— Bien sûr, Monsieur. Je vous amène ça tout de suite.

— Bien.

Sans plus lui manifester un quelconque intérêt, tant je ne suis pas d'humeur, je prends le verre d'eau qu'elle me dépose sur un plateau avec une petite bouteille.

— Merci.

Je suis tellement assoiffé que j'avale deux verres d'affilée, puis je me lève pour aller aux toilettes.

L'avantage de voler en business class est également de ne pas avoir à se tenir à tous les appui-têtes en marchant. Le couloir menant aux sanitaires est suffisamment large pour pouvoir déambuler sans avoir à coller ses mains partout. Et ici, pas de cris de gosses, juste des costards-cravates endormis ou accaparés par leurs ordis.

Pas assez réveillé pour m'assurer que la lumière « vacant » est bien allumée, je saisis la poignée, mais elle m'échappe en une fraction de seconde. La porte des toilettes s'ouvre subitement, et je percute de plein fouet la personne qui était à l'intérieur.

— Oh, pardon, se confond en excuses, et en français, l'occupante.

Et merde...

— William !? hoquette-t-elle alors que, totalement paralysé, je lui bloque le passage.

— Bonjour, Célia.

Voilà. Nous y sommes. Elle m'a vu. Je ne réponds plus de rien pour la suite.

— Qu'est-ce que..., tente-t-elle, sans parvenir à terminer sa phrase.

La bienséance – ou l'instinct de survie – voudrait que je recule de plusieurs pas. Nous sommes à quelques centimètres l'un de l'autre, et son parfum sucré vient me chatouiller les narines. Je peux lire dans son regard tout un tas de choses. La surprise, l'incrédulité, le choc. Mais je suis moi-même étonné. Aucune émotion dans ses yeux se rapprochant de près ou de loin de la haine. Ah si ! Ça y est. La voilà.

— Qu'est-ce que tu fais là ? me siffle-t-elle avec hargne.

— Comme tu le vois, je vais aux toilettes.

— Je vois surtout que tu es toujours aussi drôle. Qu'est-ce que tu fais dans mon avion ?

Ton avion ? lui renvoyé-je sa question sans pouvoir m'empêcher de la taquiner.

— Excusez-moi. Vous allez aux toilettes ou..., s'interpose timidement un gars en anglais.

— Lui, il y allait. Moi, j'ai terminé, vocifère la délicieuse Célia en me contournant.

— Vous n'avez qu'à prendre ma place. Je passerai après vous, proposé-je au type en question.

— Ah, non non, rit-elle nerveusement, avant de reprendre un ton largement plus colérique. Tu vas y aller maintenant, et ce charmant monsieur ira après toi. En aucun cas, je reste avec toi dans ce couloir, et il est hors de question que tu saches où est mon siège. Parce que c'est simple, je refuse que tu m'approches, que tu me parles, que tu respires le même air que moi, que tu...

— Écoutez, tout ce que je voulais moi, c'était aller pisser, mais je vais repasser plus tard et...

— Nom de Dieu ! Vous ne bougez pas d'ici ! se met-elle à gueuler après le type, en pointant un doigt sur lui.

— Mais enfin que se passe-t-il ici ?

Apparition de Tiffany l'hôtesse au sourire bloqué.

— Est-ce qu'il y a un problème ? Ces personnes vous créent des ennuis, Docteur Auguste ? s'inquiète à mon encontre cette idiote, en agrippant de façon possessive mon bras.

— Bah voyons ! Rien n'a changé, n'est-ce pas ? Et au contraire, je vois que ton harem est international maintenant !

Je ne peux lutter contre un fou rire nerveux face à cette situation des plus cocasses, même si je sais que je vais le payer très cher par la suite. Mais entre cette rencontre que j'espérais ne pas avoir à vivre, la tête de l'Américain, légèrement effrayé, celle de l'hôtesse de l'air, blessée, et ce dialogue de sourds mi-anglais mi-français, je décompense littéralement.

— Bon, est-ce que je peux entrer dans ces toilettes ? Parce que ça devient vraiment urgent et...

— Bon sang oui ! Et taisez-vous ! ordonne Célia à ce pauvre mec, tout en le poussant dans les chiottes.

Elle claque brutalement la porte, puis ferme les yeux à la recherche de sa respiration. Mains sur les hanches, elle balaie d'un vif geste de la tête ses cheveux, et plante sur moi un regard meurtrier.

Le silence se fait maître, mais je pense qu'il est bien plus confortable et secure pour moi.

— Célia, je..., le brisé-je pourtant.

— S'il te plaît, je ne veux rien entendre de toi, me coupe-t-elle d'une voix à présent basse et tout à fait calme. Laisse-moi tranquille, William. Je t'en prie. Laisse-moi tranquille.

C'est une profonde tristesse que j'entends maintenant dans ses trémolos, et que je lis dans ses yeux embués. À m'en fendre l'âme en deux.

Mon cœur bat douloureusement et beaucoup trop vite. Incapable de soutenir plus longtemps son regard, je baisse alors les yeux. Je lâche un souffle peiné et coupable, mais je lui accorde ce qu'elle a demandé. Je garde le silence et la laisse regagner son siège.

C'est la tête basse qu'elle le fait. Et je ne pense pas exagérer quand je la perçois, pourtant dos à moi, essuyer ce que je devine être des larmes.

Elle s'engouffre dans son allée, puis disparaît de ma vue. Moi, c'est avec la vessie encore pleine, et Tiffany toujours collée à mon bras, que je retourne m'asseoir. Une fois installé, je commande à l'hôtesse de l'air un nouvel apéritif, et je le vide cul sec.

*****

Petit voyage dans le présent avant de...

Non, je ne vous dis rien ;)

BC***

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