Chapitre 5

WILD 5

Le trajet entre le domicile de Yugyeom et la résidence se fait dans un silence de mort. La colère de Yungi-hyung se lit au travers de ses phalanges blanchies entourant le volant. A vrai dire, je n'y porte pas de grande attention. La tête reposée sur la vitre, les yeux clos pour échapper à toutes les agressions des lumières artificielles de la ville, mes pensées sont vides. Ce soir, boire comme un idiot, sans mesure et précaution, me permet de gommer les taches d'ombres de mon existence. Il ne me reste plus qu'un sourire aux lèvres.

Je suis ivre.

Je me demande ce que ça aurait pu donner avec un « bonbon magique », comme le dit Saeron, sur mon mental. Est-il seulement possible de faire mieux que l'alcool ? Mon cerveau noyé par le liquide alcoolisé me rappelle à l'ordre. La réflexion c'est pour plus tard.

_ Tu t'es bien amusé ?

Aïe. La voix froide de hyung me fait retrouver la réalité. C'est très désagréable, horriblement déplaisant.
Tout en remarquant que le véhicule est garé sur le parking de notre destination, je glisse une main sur mon front. J'essaie de rassembler un minimum mes esprits, et je réponds d'une voix enrouée.

_ Je suis crevé.

Signe que je ne suis pas ouvert à toute discussion, encore moins s'il s'agit de me faire la morale. Ceci ne plaît guère au plus âgé, qui sous l'agacement lâche dans un tonnerre inquiétant :

_ La prochaine fois que j'apprends que tu es chez lui, je te laisse moisir là-bas.
_ Mais je t'ai jamais dit de venir. Lui rappelai-je en me détachant.
_ Bordel, Jungkook ! Nous savons toi comme moi que ce mec est un nid à emmerde.

Arf. Blasé, je sors de la voiture, suivi de très près par Yungi-hyung. Si je mettais tourné, je l'aurais vu commencer à être hors de lui, les poings serrés, la mâchoire dure : et croyez-moi lorsque je dis qu'il ne se met que très rarement en colère.
Mais au fait, d'où se permet-il de m'interdire de me changer les idées ? D'où prend-il tout à coup un air inquiet ? Alors que pendant tout ce temps, il a été sur le tableau des absents ?!
Tout à coup, ivre d'un sentiment fort d'incompréhension, je pivote en arrière vers lui. Ses remontrances cessent, ses pas aussi. Dans la nuit glaciale du mois de novembre, devant l'entrée de l'immeuble de plus d'une trentaine d'étages, se dessinent dans obscurité nos silhouettes. A cet instant, le plus âgé à beau être plus petit, sa colère en est pas moins impressionnante. Et j'ai beau reprendre mes esprits, je me sens toujours perdu face à son comportement. D'une voix qui n'a plus l'air de m'appartenir, tout sorti.

_ Il est où le problème ?! Vous buvez à l'appart, vous fumez même ! Et pourtant, je ne me suis jamais permis de juger vos potes, jamais ! Lorsque vous faites vos soirées, je ferme ma gueule moi, alors faites de même ! Fermez-la et continuez à faire comme si vous ne me connaissiez pas, parce que c'est ce que vous faites depuis le début ! Vous me laissez comme si j'étais une pauvre merde alors j'ai plus rien à faire de votre avis ! Je suis grand, je n'ai pas besoin de baby-sitter, encore moins de mecs qui me mettent plus bas que terre ! Foutez-moi la paix, putain !

C'était sorti : plus vite que ma raison, trop vite pour que je le réalise. Tout a été trop rapide, comme le coup de Yungi qui a tranché l'air froid de la nuit. Un coup de poing que j'ai réussi à éviter, mais dont la surprise nous fige.
Que vient-il de se passer là... Qu'est-ce que j'aie fait encore... Quelque chose vient de se briser. Lui comme moi le sentons à cet instant même. Nous ne bougeons plus, comme interdit, trop effrayé à l'idée que la brisure soit irréversible. Pas un mot, pas un geste. Pour la première fois, nous nous ne comprenons plus. Les regards ne sont plus suffisants, il faut des paroles : des mots que nous ne possédons pas. Alors, je suis encore une fois celui qui baisse les bras. Sans réfléchir, je rentre dans le bâtiment suivi par Yungi-hyung, visiblement encore incapable d'émettre une parole. Le silence dans l'ascenseur est lourd.
Toujours sur un mutisme mutuel, nous pénétrons dans l'appartement encore éclairé malgré l'heure bien avancée : presque cinq heures et demie. Il est donc tard pour une autre confrontation avec les autres. Je traverse le couloir en ignorant les appels de ces derniers. Finalement, je m'enferme dans ma chambre à l'abri de tout et de tous.

Depuis cet évènement, plusieurs jours sont passés. Il y a eu deux changements assez notables. Le premier concerne la rupture entre Yungi-hyung et moi. Si au début je me suis légèrement senti soutenu par lui, dorénavant je sais qu'il m'a abandonné. Ils m'ont tous abandonné. Second changement : les disputes avec le reste des membres se sont multipliées. Je ne compte plus le nombre de fois où c'est parti de rien. Je ne compte pas non plus le nombre de fois où je me suis tu devant eux, lassé, fatigué.

Tout m'épuise.

Nous devons poursuivre les préparations du comeback mais comme chaque matin, sortir du lit est une épreuve. Passé la porte de la chambre, je me sens faible, totalement vulnérable, complètement souffrant comme un lapin prit dans la gueule d'un chien de chasse. Je pourrais même ressentir ses dents transpercer mon corps. Celles-ci sont la solitude qui s'installe. Elle s'infiltre dans chaque pore de ma peau, grignote mon coeur pour mieux atteindre le fond. Petit à petit, j'en viens à tout remettre en cause et à être sur la passivité. Cela dépend des heures.
Chaque jour, je dis me ressaisir, mais chaque matin c'est une chute libre qui m'accueille les bras grands ouverts.

Je crois que j'ai besoin de voir mes parents, de les serrer dans mes bras, de leur dire que je les aime : d'entendre un « je t'aime ». Pour ça, faudrait-il encore que j'aie le temps de leur rendre visite.

Le regard porté sur le plafond de la chambre, je baisse les paupières. Je serre fort, très fort, et chasse les larmes.

Aujourd'hui, je vais me reprendre en main. C'est promis.

Pour cela, il faut commencer par sortir du lit. C'est idiot, j'ai peur de retirer la couverture. Je me sens si bien dessous. J'hésite encore un long moment comme ça. Je crois qu'une heure défile avant que je ne parvienne à faufiler mes jambes hors de la couette. Une heure trop courte. Les deux pieds au sol, j'inspire. Le toucher m'a marqué au fer. Je frotte mon visage, remonte mes doigts dans les mèches de mes cheveux et inspire profondément une nouvelle fois. Retourner au lit n'est plus une simple envie, mais un véritable besoin. Finalement, je ne me bats pas bien longtemps. De nouveau sous la couette, je chasse les rayons du soleil en cachant ma tête sous le tissu. Et ce sont deux heures qui passent sans que je ne mette le nez hors de la couette. Tout ce que je fais, c'est écouter de la musique, de me laisser bercer par les douces mélodies les unes après les autres. Arrive le moment où, à écouter autant ce vide installé en moi, que l'inspiration surgit. Pour la première fois de la journée, je parviens enfin à sortir du lit et à m'éloigner de lui. C'est au bureau que je me retrouve. J'ouvre l'ordinateur et réalise bien vite qu'il me faut mon studio... Affronté l'extérieur est autre chose, je vais me satisfaire du matériel présent pour essayer de donner vie à la mélodie que j'aie en tête. A partir du premier essai concluant, le temps défile et la lumière du jour s'affaiblit. C'est seulement en jetant un coup d'œil à mon téléphone que je comprends que j'ai mis six heures à créer trois morceaux, à écrire sur le coin d'un carnet des paroles : tout ça sans manger et quitter l'écran des yeux. Mes yeux sont explosés, mon ventre affamé.
Je m'évade malheureusement du monde de la musique en me levant. Il faut que je me nourrisse. Avant de partir pour la cuisine, j'ouvre la fenêtre afin d'aérer la pièce qui est tout aussi déprimante que le reste. Je récupère au passage mon téléphone en y voyant zéro appel et zéro message. Bon. Mon absence aux réunions et répétitions n'a visiblement posé aucun problème.

Stop. Je dois avancer et arrêter de ne voir que le négatif, bien que dans ma situation ça relève du défi.

Dans un dernier soupir, j'abaisse la poignée et sors de la pièce. La sensation de me savoir hors de mes quatre murs est terriblement angoissante. Mes pas s'enchaînent quand même jusqu'à la cuisine. Néanmoins, mon chemin est interrompu par une présence sur le canapé. D'ici, je la vois. Normalement, ils devraient tous être à l'agence en train de bosser. Que fait-il là... Pourquoi maintenant ? Figé à l'entrée du salon, mes yeux ne le quittent pas.
Allongé sur l'un des canapés, les paupières closes, ses traits reposés, le visage apaisé... On dirait un ange. Taehyung est magnifique. Je sais que c'est mal mais j'avance vers lui au fur et à mesure que mon cœur me dit de faire demi-tour. Il refuse de souffrir plus, d'être trop proche d'une moitié qui ne veut pas de lui. Mais trop égoïste, je ne l'écoute pas. J'arrive à hauteur de Taehyung, le torse brûlant à cause de ma capacité à enfin ressentir quelque chose depuis des semaines. C'est de l'amour, rien d'autre.
C'est si douloureux.
Depuis combien de temps je n'ai pas été si proche de lui ? Depuis combien de temps aussi je n'ai pas été avec lui dans la même pièce et seul ?
Ce que je fais est dangereux, je le sais : je m'accroupis tout près du canapé, réduisant tout espace entre nous. Le fait qu'il soit endormi me rend courageux ou probablement fou. Mon visage s'approche doucement de lui. Quand la douleur dans mon torse devient insupportable, je me stoppe à quelques centimètres de son visage. Jamais je pourrais l'embrasser. Lorsque mes iris atterrissent sur ses lèvres, c'est là que j'en prends conscient. Il m'a si manqué que l'envie de l'embrasser est moins forte que celle d'être juste en sa présence. J'aimerais pourtant le toucher et faire danser mes phalanges sur sa joue : le sentir sous mes doigts. Mais là serait du suicide. Un toucher le réveillerait. Alors, je décide de m'asseoir au sol, de ramener mes jambes contre mon buste et de le regarder. J'ai conscient aussi que j'agis bizarrement. Je sais que ce n'est pas normal : cet amour pour lui, ce besoin de le regarder, de le toucher. Alors, qu'est-ce que je fais là... Mais qu'est-ce qu'il est magnifique. Un sourire étire mes lèvres. Je n'ai jamais vu une personne plus magnifique que lui. Tout à coup, sa voix me manque. Ses blagues aussi. Sa manière de dire mon prénom aussi. Tout. Tout ça donne envie de hurler.

Mon sourire s'efface.

Juste une fois. Une seule caresse et après je pars, promis.

Défiant l'ange posé sur mon épaule, ma main se relève et atteint la joue de mon aîné endormi. Comment décrire ce sentiment sans céder à la folie ? Une douceur. C'est extrêmement doux. Au contact, des frissons effleurent ma peau et les battements de l'organe le plus important de mon corps se serre. La douleur est à présent supportable. Elle est presque plaisante. Mais on sait tous que le karma n'est jamais très bon lorsqu'on agit avec imprudence.

Sous mes yeux arrondis, une main se dépose sur la mienne. Je crois d'abord rêvé mais ses prunelles démontrent que ce n'est pas le cas. Taehyung est réveillé. Il touche ma main. Je le sens prêt à repousser mes doigts et pourtant il ne le fait pas.

_ Où étais-tu ?

Durant une minute, le temps semble être arrêté.
Sonné par ce qu'il se passe, je peine à comprendre sa question.

_ Je -
_ Je m'inquiétais.

Entre la chaleur de sa main recouvrant la mienne et le ton froid de ses paroles, j'ai dû mal à suivre.

_ Tu t'inquiétais ? Répétai-je à cause de l'incertitude.
_ Oui, je m'inquiétais.

La chaleur de sa main écrase la mienne.

_ Pourquoi tu t'inquiéterais pour moi ?
_ Ne commence pas.
_ C'est vrai... Tu agis bizarrement là.
_ Le plus étrange ce n'est pas ta paume sur ma joue ?

Il marque un point. Tout à coup, j'éloigne mes doigts sans provoquer la moindre émotion ou réaction de sa part. Je ne bouge pas plus que ça et lui non plus. Il garde même son regard dans le mien. Ça se révèle être très déstabilisant.

_ Je pensais que tu dormais. Dis-je pour me justifier.
_ Donc ça te laisse le droit de me toucher ?

Second point.

_ C'est pas ça. J'ai cru que je le pouvais.
_ Je t'en ai pas donné l'autorisation.

Sa voix s'éclaircit enfin, Dieu merci.

_ Désolé alors.

Sur ces mots, je me relève afin d'éviter une possible dispute.

_ Attends.

Debout, sans lui faire face, je me stoppe.

_ Je ne suis pas gay.

Quoi ? Sous la surprise, je me tourne vers lui. Pourquoi me dire ça maintenant alors que je n'ai rien évoqué de mes sentiments. Le geste a été de trop, ça doit être ça.

_ Vu les insultes que tu me lances, je crois que je l'ai remarqué. Ma langue claque.
_ Je ne suis pas gay mais c'était agréable.

La confusion est extrême.

_ Tu as bien entendu. Il se lève à son tour et tout en replaçant ses mèches, il ajoute pour répondre à mon incompréhension visible sur mon visage, c'était agréable de sentir ta main.
_ A quoi tu joues ? Balançai-je dans un rire jaune. C'est le nouveau jeu du groupe ? Me faire croire que je te plais ? On oublie finalement les insultes pour s'amuser du minable maknae ? C'est vrai que c'est plus marrant.
_ Je te dis juste ce qu'il en est.
_ Ah non, c'est trop simple ça. Tu connais mes sentiments, me rejette et lance ça en espérant que je prenne cette explication ?
_ Tu n'es pas obligé d'y voir quelque chose.
_ Alors ça t'amuse, c'est bien ce que je dis !

Ce haussement de voix m'a fait trembler et calmé.

_ Tu es un joueur Taehyung, je le sais. Tu l'as toujours été.
_ Qui dit que je ne suis pas sérieux ?
_ Toi... Dis-moi que tu l'étais alors. Vas-y, j'attends.

Ses lèvres s'entrouvrent et se referment. L'espoir laisse place à l'évidence. Je ne me laisserai pas avoir par lui. Je ne veux pas tomber encore plus dans ses filets. Je suis amoureux mais non stupide.

_ Tu vois, tu es incapable de le faire car tu ne le penses pas.

Avant qu'il décide de se jouer encore plus de moi, je passe du côté cuisine. Je vais me réfugier dans la nourriture, manger tout jusqu'à noyer ces sentiments idiots. J'en ignore d'ailleurs l'autre. Mon seul but est de claquer les placards, d'en vider le contenu pour manger tous les gâteaux et snacks qui s'y trouvent. Tout ça pour oublier la situation absurde. Oui, c'est ça. Je veux juste tout exploser, tout foutre en l'air.

_ T'es qu'un connard, tu le sais ça ?!

Encore une fois, la colère prend le dessus. Taehyung, qui a tenté jusqu'à présent de calmer la situation avec une maladresse incroyable en me regardant en silence, impuissant, ouvre la bouche pour riposter, mais il est hors de question que je lui accorde la parole.

_ Tu me traites comme une merde, me fait comprendre qu'il n'y aura rien entre nous pour me sortir que ma main était agréable ?! Tu sais ce que ce geste signifie pour moi ! Alors t'as pas le droit de me dire que t'as apprécié ! C'est vrai, pourquoi tu m'as pas repoussé ou insulté ? Ce serait plus simple pour moi vu que je vis avec ça depuis le début !

Claquant un tiroir après y avoir pioché dedans, je reprends en m'attaquant à l'ouverture du sachet.

_ Mais toi non, tu te permets de me donner un espoir ?!

Cette fois-ci, le sachet s'ouvre sous le coup brutal de ma main dedans. Le contenu s'éparpille sur le comptoir. Quant à Taehyung, il reste impassible, à croire qu'il n'est pas atteint par mon emportement. Non, il ne l'est pas du tout. Tout ça n'est pour lui qu'un moyen de passer le temps, de remplir ses journées d'un amusement, sauf que je ne suis pas d'accord avec ça.

_ Mais tu es pire qu'une meuf, ma parole.

Le bug total. Je pète un câble devant lui et c'est tout ce qu'il trouve à dire ? La tête tournée vers lui, je le jauge un long moment. C'est bien ça, il se divertit.

_ Excuse-moi ?
_ Quel est le mal à dire que j'aie apprécié que tu me touches ?
_ T'es vraiment sérieux ?

Abasourdi, je perds les mots.

_ Oui. Je ne vois pas.
_ Tu te fous vraiment de ma gueule...

Okay, c'en est trop. Ma langue repousse l'intérieur de ma joue et d'un geste vif je balance le sachet à la poubelle.

Je ne peux pas rester dans une même pièce avec tout seul.

_ Je suis certain que c'est encore un pari à la con avec les autres.

Définitivement en colère, je repars m'enfermer dans ma chambre, le ventre vide. J'ignore les exclamations de Taehyung derrière la porte en enfonçant mes écouteurs dans les oreilles. Je ne sortirais plus jamais d'ici.

Je sais. Aujourd'hui, j'ai fait beaucoup de promesses que je n'ai pas tenues. C'est un retour à la case départ.



On pourrait facilement appeler ce chapitre "rupture". (a)

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