50 . L'aigle et le Lion

EZIA

Suis-je vraiment apte à conduire ce soir ? Non, je ne pense pas. Cet appel avec ma mère... Arg... Je ne comprends pas ! Après avoir réussi à convaincre Aodhan de participer ce soir, j'ai reçu un SMS de sa part me disant que je n'avais pas à m'inquiéter, que tout allait bien. Je suis sceptique, le court échange que nous avons eu m'a clairement fait comprendre le contraire. Me concentrant sur la route, je me promets de mettre toute cette histoire au clair après la course avec l'aide d'Aodhan.

Dhan ne pouvant toujours pas conduire de façon aisée à cause de son bras, c'est moi qui ai pris le volant pour nous rendre sur le lieu du rassemblement, ouvrant la marche au cortège de notre équipe.

Comme d'habitude c'est l'effervescence au point de ralliement, une partie de la foule bouge son corps sur de la pop italienne aux tonalités électro pendant que le reste passe de voiture en voiture pour faire les paris et admirer les moteurs des supercars présentes ce soir. Ils doivent connaître la composition de chaque bolide par cœur à force de venir mettre leur nez dedans à chaque course. Pourtant je suis sûre que si je leur demande de m'expliquer le fonctionnement du moteur ou de me montrer l'emplacement d'une pièce en particulier, aucun ne sera en mesure de répondre correctement. Certains s'amusent à faire les grands connaisseurs devant une assemblée de bimbos prétendant être captivées par leurs récits, alors qu'au fond, tout ce qui les intéresse, c'est de savoir si le contenu de leur pantalon est à la hauteur du véhicule qu'ils conduisent. Un jour, j'ai entendu dire que si un homme possède une grosse voiture, c'est qu'il a besoin de compenser son bijou de famille qui lui n'est pas des plus avantageux pour la gente féminine. Mes nuits blanches avec Aodhan m'ont par chance prouvé que cela ne veut rien dire... Quand j'y repense, Tayron n'est pas sans reste non plus ! Oh et puis, ne vaut-il pas mieux une petite travailleuse qu'une grande tu l'auras ? Et pourquoi je pense à ça maintenant ? Je devrais me concentrer sur la course à venir !

Nous n'avons pas besoin de forcer le public à se pousser pour pouvoir passer, les gens bougent par eux-mêmes en nous voyant avancer, telle la mer s'ouvrant devant Moïse.

- Sans déconner... Ces nanas pourraient s'habiller avec un peu plus de tissu merde ! craché-je en suivant un groupe de bimbo du regard.

Ma réplique a le mérite de faire rire Aodhan.

Non mais sincèrement... leurs jupes et shorts sont tellement courts que la quasi totalité de leurs fesses sont à découvert. ça m'exaspère, il en va de même pour leurs hauts, autant sortir en sous-vêtement ou directement à poil à ce stade.

Des hommes, que je suppose être ceux de Diego, nous font la place afin de garer nos voitures. Lorsque tout le monde est en place, nous sortons enfin des habitacles. Les garçons ont à peine le temps de mettre un pied sur le bitume qu'une armée de pétasses se jette sur eux - oui... Bimbo ne me suffit plus à ce stade, surtout pour celle qui se sont regroupées autour de Dhan - On dirait des abeilles attirées par le miel, ou bien des mouches par la merde ! Pauvres gars, le miel leur convient mieux, par contre elles... arg elles me donnent envie de vomir. Agacée par toutes celles attroupées autour d'Aodhan , je contourne rapidement le capot pour me jeter dans ses bras, poussant quelques-unes de ces mouches au passage. Aodhan est mon pot de miel ! Mon comportement fait rire et détend légèrement le mafieux qui est habité d'une angoisse que je ne lui connais pas.

Depuis que nous sommes partis de la villa, Aodhan n'a pas décroché un mot, hormis de me répéter un million de fois de ne m'éloigner d'eux sous aucun prétexte, peu importe qui nous croiserons et ce qu'il pourrait se passer. Il est inquiet à un point que j'en deviens inquiète. Tous les deux, nous n'aimons pas Diego et ne lui faisons pas confiance, mais de là à craindre de participer à sa course... ça m'étonne d'Aodhan. D'autant que j'ai cru comprendre que ces événements sont neutres de tous conflits, il ne devrait donc rien nous arriver.

Une fois contre lui, Dhan serre sa prise sur ma taille et m'embrasse tendrement le sommet du crâne faisant rager les nanas qui lui courent après. Je ne retiens pas mon sourire de satisfaction en les narguant !

Mon pot de miel ! Et quel miel...

- Bon Dhan... Qui court en premier ? lance Tayron qui nous rejoint suivi par les autres.

- Toi ! répond Dhan. Tu cours en premier, Séb en deuxième, Ezia court en troisième. Je l'accompagne comme la dernière fois. Lane et Matt je vous laisse choisir qui roule le dernier !

Toute l'équipe acquiesce ce choix d'un hochement de tête en parfaite synchronisation.

- Tu crois que Diego courra encore contre Ez ? demande Lane.

- Au vu de la honte qu'elle lui a mise à San Francisco j'en doute ! réponds Matt sur un ton railleur.

- C'est clair... enchaîne Tayron. Son égo en a pris un sacré coup ! Tout le monde n'arrête pas de l'allumer avec ça ! Pas vrai Séb ? finit-il en donnant un coup de coude amical dans les côtes de ce dernier.

Le jeune homme souffle un léger "Ouais" dans un rire forcé.

- Ça va Sébastian ? demande Dhan.

Relevant la tête pour faire face à Aodhan, Sébastian lance.

- Oui... Oui... J'ai juste dû manger un truc qui ne passe pas trop...

Aodhan s'apprête à poser une autre question, mais la voyant venir, son second enchaîne.

- Ne t'inquiète pas Dhan, ça ne m'empêche pas de conduire ! conclut-il en forçant un sourire.

Alors que les garçons continuent à faire des hypothèses sur la composition des courses de ce soir, j'analyse Sébastian. Ces dernières semaines, nous avons passé pas mal de temps ensemble ce qui m'a permis de cerner qui il est. Et son attitude actuelle ne lui ressemble pas. Sébastian semble nerveux, il joue de façon rapide et répétitive avec les articulations de ses mains, effectuant machinalement le même ordre pour faire craquer ses doigts. Une fois... Deux fois... Trois fois... Ses épaules sont aussi tendues qu'une arbalète prête à décocher une flèche et une fine pellicule de sueur a pris place sur son front. Quelque chose ne va pas ! Je meurs d'envie de lui demander si cela a un lien avec Zora... La jeune femme a un problème, des complications dans sa guérison ? Il en aurait parlé à tout le monde, encore plus quand Aodhan lui a demandé si ça allait. Il ne jouerait pas avec ça... La question brûle sur ma langue.

Je suis sur le point de la poser quand le DJ annonçant le début de la course déclenche l'euphorie de la foule.

Tayron tape dans la main de chacun d'entre nous avant de s'installer derrière le volant de la McLaren de son cousin. Le grand brun aurait préféré courir avec sa Jaguar, mais tout comme ma Shelby, Aodhan a catégoriquement refusé. Sincèrement, nos voitures ont tout à fait leur place ici, je ne comprends pas ce choix complètement débile.

Faisant rugir le moteur, Tay s'avance sur la ligne de départ. À notre grande surprise, Diego lui aussi s'engage pour la première course au volant de sa Corvette rouge. Lane éclate de rire.

- Ezia tu as fait mal à l'égo de notre cher petit italien ! Intérieurement j'étais persuadé qu'il allait retenter sa chance contre toi !

Le visage fermé, les yeux aiguisés tel la lame d'un couteau, je suis la Corvette du regard se placer à gauche de Tayron. Je ne dis rien aux autres, mais je connais déjà l'issue de cette course. Victor et Owen prennent aussi le départ, ainsi qu'un des hommes de Litwood. J'ai entrevu les deux associés d'Aodhan derrière un volant, ce sont de bons pilotes... mais il faut plus qu'être simplement bon pour courir contre Diego - Et je ne dis pas ça pour m'envoyer des fleurs ! -. Cet abruti est vraiment excellent avec une voiture entre les mains et il n'a peur de rien, ce qui n'est pas négligeable quand on se lance pour une course à des vitesses qui dépassent l'entendement alors que la circulation n'est même pas coupée. Tayron n'est pas sans reste, mais il n'est pas aussi mentalement dérangé que Diego. Il est conscient du danger, qu'un accident peut vite arriver, ce qui l'amène inconsciemment à ne pas avoir le pied aussi lourd qu'il le devrait sur l'accélérateur. Il sera clairement meilleur qu'Owen et Victor... Mais Diego... Il faudrait que Tay arrête de réfléchir pendant sa course pour arriver à être au niveau de ce salaud... Je tais mon analyse au reste de l'équipe ; peut-être que je me trompe et que dans le fond, Tayron a toutes ses chances. Je ne veux pas casser le moral de la troupe.

3...

2...

1...

Le départ de la première course est lancé !

Le début est serré entre les cinq partants et Tayron prend rapidement l'avantage avant le premier virage. Une fois les voitures hors de notre champ de vision, nous nous regroupons tous autour de la radio pour suivre la course. Elle avance bien et les guetteurs nous annoncent un premier classement indécis concernant la première place car la Corvette et la McLaren n'arrêtent pas de se tirer la bourre. Nous sommes tous extrêmement concentrés, les dents et poings fermés, envoyant par la pensée un maximum de notre énergie à Tayron pour ne rien lâcher.

Collée contre le torse fort et musclé d'Aodhan, je me laisse aller en posant ma tête dans le creux de son cou, ses mains sur ma taille resserrent leurs emprise pendant qu'il pose délicatement sa tête sur mon épaule et un furtif baiser sur ma mâchoire. Je me sens bien dans cet écrin de sûreté que m'offre Dhan, pourtant une étrange sensation me traverse à m'en faire frissonner.

- Tu as froid ? Tu veux ma veste ? me demande Aodhan.

Me blottissant un peu plus contre lui, je réponds.

- Non... Ça va aller merci...

Ce n'est pas le froid qui a fait réagir mon corps... instinctivement, je balade mes yeux autour de moi à la recherche d'une chose que je sais impossible à trouver. Pourtant je le sens... ce frissonnement est le résultat d'un regard posé sur moi. Il n'est pas lourd, pas malsain, ni terrifiant... C'est un regard chaud, rassurant et familier qui fait réagir mon corps comme un aimant pour me faire part de sa présence.

C'est physiquement impossible...

Mes parents ne sont pas ici, c'est sûr et la seule autre personne capable de me faire ressentir ça est décédée il y a plus d'un an. Je ne crois pas forcément aux fantômes, et si c'était le cas, ne se serait-il pas manifesté avant ?

Mon analyse de la foule est instantanément interrompue par l'arrivée des premiers coureurs. Diego et Tayron sont encore au coude à coude. Le grand brun donne tout jusqu'au bout, mais malheureusement pour lui, pour nous, Diego franchit la ligne à peine quelques centimètres devant lui. L'ensemble de la bande jure et râle face à cette deuxième place. Tayron méritait d'arriver premier, et j'aurais extrêmement apprécié qu'il fasse taire l'autre abruti. Il s'est néanmoins bien battu et a remporté pas mal de points pour l'équipe.

Sans perdre de temps, Sébastian prend le volant de sa Porsche et s'avance sur la ligne de départ sans un regard pour l'équipe.

- Vous êtes sûr qu'il va bien ? demande Lane.

Habituellement des plus taquineurs envers ses coéquipiers, Sébastian a à peine sorti un mot depuis que nous sommes arrivés et apparemment, je ne suis pas la seule à voir que quelque chose cloche.

- Zora va bien ? demande Matt à Dhan.

- Aux dernières nouvelles, elle allait bien... enfin, elle n'est pas totalement guérie, mais elle allait bien ! lâche d'une voix calme Aodhan.

Lui aussi a remarqué qu'il n'est pas dans son état normal.

- Nous lui demanderons ce qu'il en est après sa course. ajoute Dhan.

Sébastian a toutes les chances de remporter cette course, il court contre Isaac et un homme de Victor que j'ai pu voir à l'œuvre lors de notre soirée chez lui. Quant à Diego, il a envoyé... ETHAN... C'est une blague ! Ethan est un novice, il a beaucoup trop de choses à apprendre avant de pouvoir conduire ce type de course et Diego a beau être un abruti, il le sait très bien, tout comme le fait que c'est la défaite assurée en l'envoyant lui... Que peut-il bien lui passer par la tête ?

Les moteurs des supercars rugissent sur la ligne de départ attendant patiemment le feu vert quand un autre frisson traverse ma colonne vertébrale. Encore ce regard, il est là, tout proche de moi mais je ne le vois pas.

En même temps, ma fille, les fantômes ça ne se voit pas.

Automatiquement, je cherche quand même sa présence au milieu de la foule, occultant totalement l'avancement de la course. Est-ce la fatigue qui me joue des tours ? Ou est-ce ma mère ? Les paroles de l'homme mystère me reviennent en tête.

Ta mère et moi sommes aux États-Unis... J'ai hâte de te revoir ! Nous allons bientôt être réunis!

Ma mère ne peut pas être ici avec cet inconnu. Mon esprit fuse à toute allure, me donnant la migraine et un troisième frisson me secoue. Aodhan défait son emprise sur ma taille créant un vide qui me donne le vertige. Secouant légèrement la tête pour reprendre mes esprits je me tourne dans sa direction.

- Ne me dit pas que tu n'as pas froid... tu n'arrête pas de frissonner ma Belle ! me glisse-t-il en posant sa veste en cuir sur mes épaules.

Je pourrais lui dire que ce n'est pas le froid qui fait réagir mon corps ainsi mais un regard familier que je n'arrive pas à situer. Ne voulant pas l'inquiéter davantage, je me tais et me concentre sur la fin de la course.

Nous sommes dans l'incompréhension la plus totale lorsque nous voyons Ethan arriver en troisième position devant le pilote de Victor et Sébastian. Le second de Dhan franchit la ligne d'arrivée le dernier... le dernier. Je n'en reviens pas. L'homme qui m'a tenu tête tout au long de ma première course à L.A. vient d'arriver derrière Ethan... Ethan putain !

S'approchant de nous d'une lenteur qui donne l'impression de venir en marche arrière, Sébastian gare sa Porsche à sa place initiale. Il sort de l'habitacle avec le même entrain sachant très bien l'accueil qu'Aodhan va lui réserver et ça ne manque pas.

- PUTAIN ! jure le mafieux. Qu'est-ce que tu as branlé ??

Séb fait profil bas et ne répond rien alors que Lenny se jette sur sa voiture pour voir si la cause de cette défaite peut éventuellement provenir d'un problème mécanique.

- Tu es devenu sourd Sébastian ? relance Dhan. Que tu sois derrière un des hommes d'Owen ou de Victor à la rigueur... ça m'emmerde mais je peux comprendre ! Mais Ethan... ETHAN, Sébastian... Un novice, un débutant totalement incompétent derrière un volant !! Tu m'expliques ?

Passant une main derrière sa nuque, Sébastian décide enfin de l'ouvrir.

- Je ne sais pas Dhan... Je.. J'ai...

Tout l'attention est focalisée sur lui.

- Arg fait chier ! J'en sais rien Dhan ! J'ai fait de la merdre et la voit...

- La voiture n'a rien ! le coupe Lenny. Aucun problème moteur, ni au niveau de la direction... elle est en pleine forme.

Sébastian est déstabilisé, il était sur le point de nous mentir sur l'état de son véhicule pour expliquer son résultat.

- Dhan...

- Laisse tomber Sébastian ! Nous en reparlerons plus tard ! crache Aodhan sur les nerfs et dans l'incompréhension. Ezia, c'est à nous ! finit-il en m'invitant à m'avancer en direction de la Lamborghini d'un geste de la main.

Sans attendre, je prends place côté conducteur et sers fermement le volant entre mes doigts, m'imprégnant de la sensation du cuir sur la peau de mes mains. Prenant une profonde inspiration je démarre, la présence d'Aodhan est censée m'aider, or son énergie étrange de ces derniers jours remplit l'habitacle d'un air lourd et angoissant.

- Tu ne me fais plus confiance ? je demande.

Caressant d'une main légère ma cuisse, Aodhan ancre ses yeux émeraudes dans les miens.

- Bien sûr que si j'ai confiance en toi Chérie !

Le ton de sa voix sonne vrai, mais son corps entier est tendu comme un arc.

- Aller go ! Concentre-toi sur ta course... continue-t-il avant d'ajouter d'une voix sérieuse. Ezia, ne laisse rien te déstabiliser... Rien !

Son conseil sonne étrangement.

- Aodhan ! Tu es sûr que tu vas bien ? je demande en appuyant avec douceur sur l'accélérateur pour me rendre sur la ligne de départ. Tu n'es pas dans ton assiette depuis quelques jours, et encore plus aujourd'hui...

Il s'enfonce dans le siège de la Lamborghini, pose son coude sur la porte et d'une façon nonchalante sa tête sur ses doigts repliés. Son regard est fermé et durcit, fixant droit devant lui.

- Concentre-toi sur cette course Ezia. Fais ton taf, c'est tout ce que je te demande ! lâche-t-il d'un ton sec et agacé.

Sa réponse fait bouillir le sang dans mes veines. Pour qui il se prend ? Rares ont été les fois ou le mafieux m'a parlé sur ce ton là... et de mémoire, cela n'annonce rien de bon pour la suite... Alors que nous prenons notre place, Aodhan se redresse pour appuyer sur le bouton de verrouillage des portes.

- Qu'est-ce...

Dhan ne me laisse pas finir ma phrase.

- Simple précaution... aller Bella, concentre toi... pose ton cerveau dans la boite à gant... enfin, fais ton truc habituel et gagne cette course que l'on rentre vite à la maison !

- Aodhan, tu es vraiment bizarre ! j'insiste.

D'un geste de la tête, il m'invite à regarder devant moi et me concentrer.

Nous sommes les premiers dans les starting blocks, trois autres voitures nous rejoignent. Il ne manque plus qu'un partant pour lancer la course.

C'est plus fort que moi, je tourne la tête sur ma droite pour analyser les pilotes qui seront mes adversaires. Je n'en connais aucun, peut-être celui au volant d'une Aston Martin, il me semble que c'est un homme d'Owen mais je ne suis pas sûre. Ramenant ma tête dans l'axe, mon regard est attiré par le dernier partant en train de prendre place sur ma gauche. L'avant de la voiture s'avance d'une façon lente qui en ferait perdre patience à plus d'un. Du coin de l'œil je regarde le bolide rouler pour s'arrêter à ma hauteur. Les lignes à la classe italienne de la supercar me font tiquer et m'incitent à tourner complètement la tête pour l'admirer.

Encore cette maudite bagnole...

Le moteur de la Ferrari noire rugit avec force et rage, tel un lion en cage qui attend qu'on lui ouvre la porte. Mon regard caresse la carrosserie partant du capot, les phares... jusqu'à remonter vers l'habitacle. À croire que cette foutue voiture me suit de partout, c'est exactement la même que j'ai vue à San Francisco, devant une des villas secondaires de Dhan ou encore lors de mon oral à l'université, elle était conduite par l'autre abruti. Je n'ai jamais réussi à savoir qui d'autre conduisait cette voiture mais je suis sûre d'une chose, elle n'est pas à Diego, il a dû l'emprunter à son véritable propriétaire.

Délicatement, mon regard se pose enfin sur le pilote, sur son buste avant de finir sa course sur son profil.

Ce n'est pas possible... Ce n'est physiquement pas possible... Tu rêves ma fille...

De mon index et mon pouce, je pince l'arête de mon nez et frotte mes yeux avec force. C'est forcément une hallucination... quelqu'un qui lui ressemble... un pur hasard... mais ce n'est pas lui... I-M-P-O-S-S-I-B-L-E. Je l'ai vu mourir. Le jeune homme au volant de la Ferrari tourne enfin la tête dans ma direction et visse ses yeux, que je sais azur, dans l'océan des miens. Mon cœur rate un battement avant d'entamer une course effrénée devant ce que je vois...

Impossible...

Impossible...

Impossible...

Mais il est là, face à moi, faisant remonter des souvenirs que je peine à tenir enfermés à double tour. Je peine à respirer... Joie ? Colère ? ... je ne sais pas quoi ressentir. Je suis dans l'incompréhension la plus totale. Il... il ne peut pas être là... je l'ai vu, je l'ai entendu...

Les larmes commencent à monter.

"La voiture est en feu... et mon frère il est dedans à crier de toutes ses forces... mais je ne peux rien faire... Je pleure toutes les larmes de mon corps face à sa mort."

Ce fameux frisson me traverse l'échine sous le regard désolé de mon frère. C'était lui, depuis le début de la soirée il était là... il était là et il m'observait. Sans prêter attention à Dhan je me jette sur la porte pour l'ouvrir et rejoindre Léo, j'ai besoin de le toucher pour être sûre qu'il n'est pas qu'un mirage. C'était sans compter sur le mafieux qui me saisit brutalement le bras pour me tourner vers lui. Je me débats comme je peux pour me défaire de sa poigne de fer.

- C'est Léo ! Dhan... je râle. C'est Léo !! Lâche-moi !

- Arrête Ezia ! lâche-t-il fermement.

Nos yeux s'amarrent l'un à l'autre et ce que j'y lis me rend folle.

- Tu. le. savais ? je demande sèchement.

Aodhan ne répond rien.

- Il n'est pas mort... et tu le savais ! je répète un ton au dessus.

C'est avec lui qu'il traite depuis le début. Je n'ai pas rêvé à San Francisco, c'était bien lui... C'était Léo ! Aodhan ne dit rien mais son regard désolé ne ment pas.

- Laisse-moi sortir de cette voiture espèce de connard ! Il faut que j'aille le voir !

- Il en est hors de question ! crache Dhan en sortant une paire de menottes de sa poche.

N'ayant pas le temps de riposter je me retrouve le poignet droit attaché avec celui de Dhan à l'autre bout, la chaîne entre nous deux me laisse simplement l'aisance qu'il me faut pour conduire. J'enrage d'autant plus, mon sang n'est qu'un amas de lave qui circule dans tout mon être. Je veux... J'ai besoin de m'approcher de lui, le toucher être sûre qu'il est réél, que ce n'est pas un putain de rêve.

- Détache-moi Aodhan !! crié-je en tirant dans tous les sens.

Face à moi, Dhan reste impassible et ne bronche pas d'un yota.

- La course va commencer... prépare toi !

- Je m'en fous de ta putain de course... dis-je en passant une main nerveuse sur mon visage. J'ai besoin de savoir s'il est réel.. Dhan ! ma replique s'achève dans un sanglot qui m'échappe.

De nerf, je cède aux larmes qui commençaient à s'accumuler derrière ma paupière et supplie Aodhan de me laisser sortir de cette foutue bagnole. Des coups sur la vitre conducteur stoppent notre échange qui dans tous les cas ne mène à rien, le mafieux n'est pas près de céder. Tels des jumeaux, nous tournons la tête en direction de celui qui cherche à attirer notre attention... Diego ! Il nous lance un sourire des plus satisfaits à travers la vitre et nous crie les bras écartés comme un vainqueur.

- Les plus attendues des retrouvailles entre le Lion et l'Aigle ! Quelle course incroyable !

Puis il tourne les talons et monte dans la Ferrari à côté de Léo.

C'est une putain de blague !

Diego aussi savait depuis le début !!

Les bimbos se mettent en place pour annoncer le départ de la course. Sur ma gauche, Léo fait vrombir le moteur de la Ferrari, son visage est tourné sur la route avec ce regard que je connais si bien... celui de l'homme déterminé qui vient de se séparer de son cerveau pour ne faire de cadeau à personne, même pas à moi. Il n'y a plus de famille qui compte pour Léo lorsqu'il court, seulement la première place. Je lâche un rire sans joie ; pour lui la famille ne doit plus signifier grand-chose... sinon pourquoi nous avoir menti à tous pendant un an et revenir comme une fleur maintenant. La tristesse et la déception retournent mon estomac, me donnant la nausée, alors qu'une armée de questions a pris possession de mon esprit dominé par une seule : Pourquoi ?

- Ezia ! Concentre-toi ! lance Dhan.

3...

Le son de sa voix m'énerve... Depuis quand sait-il que Léo n'est pas mort ? Pourquoi ne m'avoir rien dit ? Les morceaux d'une conversation que nous avons eue lorsqu'il m'a ramené chez lui la deuxième fois me reviennent.

" - Tu poses trop de questions ! me lance-t-il agacé.

- J'ai le droit de savoir ! je tente de lui tenir tête.

Il me regarde exaspéré. Je soutiens son regard en attente de réponse. Il finit par me céder un bout d'explication.

- Ton frère nous a pris quelque chose de précieux. me dit-il simplement.

- Mon frère est mort il y a un an !

- Faut croire que tu as hérité de ses problèmes, Bella.

- Pourquoi me mettre dans ses problèmes ? dis-je en redressant mon buste.

- Parce qu'il y a des dettes qui doivent être payées !

- Prends la Mustang, et fous moi la paix alors !

- Il y a des choses, Bella, qui ne se remboursent pas, vois-tu ! Ta voiture, te vendre au trafic humain n'atteindra jamais la valeur de ce que ton frère nous a pris, il faudrait que je te prostitue à vie et encore ça ne suffirait pas ! Estime toi heureuse de savoir conduire, c'est ce qui te sauve la vie !"

Avec tout ce que j'ai vécu ces dernières semaines, j'en ai presque oublié que si je suis arrivée dans la vie de Dhan c'est à cause des actes de Léo... qu'a-t-il fait ? Et si Dhan savait qu'il était en vie... cela veut dire que je n'ai été qu'un simple pion dans son échiquier ? J'en viens à me demander s'il m'aime vraiment ou si tout ça n'est que de la manipulation pour mieux me détruire... nous détruire. Il disait que Caleb voulait me tuer... lui aussi le voulait-il ? Le veut-il toujours ?

2...

Les mains accrochées au volant à en avoir les phalanges blanches, je ne retiens pas ma question.

- Je ne suis qu'un pion pour toi ? craché-je la voix tremblante.

- Ce n'est pas le moment d'avoir cette conversation Bella... dit-il d'une voix basse et grave.

- Depuis. quand. tu. sais. qu'il. n'est. pas. mort ? j'enchaîne à fleur de peau, resserrant mes doigts sur le volant et appuyant lourdement sur l'accélérateur pour faire gronder le moteur de la Lamborghini.

- Tu comprends quand je te parle Ez... Ce n'est pas le moment. tranche-t-il.

Je n'ai pas besoin de regarder sur ma gauche pour sentir la lourdeur des yeux ténébreux et l'air de triomphe de Diego sur ma personne. Qui me dit la vérité depuis le début ? et qui me ment ?

- C'est avec lui que tu traites... depuis quand ?

1...

- Gagne cette course Chérie... je répondrai à toutes tes questions plus tard.

- Va te faire foutre avec ton "Chérie" ! Je ne représente rien à tes yeux à part une monnaie d'échange. finis-je les yeux remplis de larmes au point de ne plus voir la route.

GO !!

La course est lancée. Je fais de mon mieux pour me concentrer et prendre la tête du peloton... Mais comme je l'avais prédit, Léo ne me fait aucun cadeau et dès le premier virage il manœuvre dangereusement m'obligeant à freiner et me placer derrière lui. Je passe le premier tournant en gardant tant bien que mal une vitesse qui me permet de coller Léo au parechoc. Hors de question que je le laisse filer ou que je lui facilite la victoire, j'ai bien progressé depuis nos leçons de conduite grâce à Aodhan et les entraînements sur le circuit.

Je n'arrive pas à garder cent pourcent de mon attention sur la route.

- Tu vas me tuer ?

Je lâche la question telle une bombe dans l'habitacle...

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Merci d'être arrivée jusqu'ici 🥺

So-Vin

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