Chapitre 8
Putain de désert. Putain de coyote, putain de séjour à Vegas. Et dire qu'à cette heure-ci j'aurais pu être dans une piscine à me la couler douce sous un doux soleil mexicain. Au lieu de ça, je me suis retrouvée à marcher à travers un immense désert d'Arizona sous un soleil de plomb. Putain de soleil. La pluie s'est arrêtée trois heures plus tard. En réalité, je n'ai aucune idée si c'était il y a trois heures, quatre heures ou deux peut-être. Je savais pas quelle heure il était. La seule chose que je savais c'était que le soleil brillait haut dans le ciel, qu'il faisait une chaleur à mourir et que j'avais mal aux pieds. Je ne marchais plus, je traînais mes bottes dans le sable en espérant que la ville dont Jim avait parlé serait bientôt visible à l'horizon. Putain de Jim. J'aurais jamais dû le suivre dans le désert. J'aurais jamais dû retourner avec lui après Vegas. J'en ai eu pourtant des occasions pour me barrer sans lui, mais à chaque fois je ne l'ai pas fait. L'amour ça vous fait faire des choses étranges.
Jim était loin devant moi, nous guidant à travers cet étendu de sable et de cactus. Il faisait comme si il savait où nous allions mais en vérité je suis sûre qu'il était aussi perdu que moi. Je le regardais avancer en m'imaginant à quoi il ressemblerait si je lui avais collé une balle dans la tête à Vegas. Le soleil me brûlait la peau et les yeux. J'aurais donné n'importe quoi contre un peu d'ombre, de l'eau et une voiture. J'en commençais même à regretter Las Vegas.
Jim s'est arrêté soudainement.
Je me suis arrêtée à mon tour, gardant un espace de cinq mètres entre nous. Plissant les yeux, j'ai regardé Jim pour voir ce qu'il faisait. Le truc, c'est qu'il faisait rien. Il s'était simplement immobilisé et regardait tout autour de lui, comme quelqu'un de perdu. Il était perdu lui aussi. Un guide ? Tu parles !
''Me dit pas que tu sais pas où on est... ''ai-je lancé.
''J'essaye de me repérer. ''
''Te repérer ?! '' me suis-je exclamée avec un rire étouffé. '' Tu te fous de ma gueule ?! Tu veux te repérer dans le désert ! ''
Jim n'a pas répondu et a repris la route. Je l'ai suivi en rouspétant et l'injuriant à voix basse. Il a dit qu'il y aurait une ville bientôt. Je voyais aucune ville moi, rien mis à part du sable et des cactus.
Quand on marche dans le désert, on a bien le temps de se poser des questions. Certains aiment méditer sur leur existence, moi je m'interrogeais sur mon futur. Plus j'avançais et plus j'avais l'impression qu'il était de moins en moins clair, devenant bientôt si flou qu'il était impossible de le prévoir. Avant, mon futur était précis et tout tracé : vol, argent et Mexique. C'était ça mon futur. Et maintenant qu'est-ce que c'est ? Une mort lente et pénible dans le désert dans le pire des cas ou une mort lente et pénible dans une prison fédérale dans le meilleure des cas.
Un coyote. Il a fallut qu'un putain de coyote passe au même moment sur la route pour que je me retrouve coincée au beau milieu de nulle part. Est-ce que les flics avaient retrouvé la voiture ? Et si oui combien de temps allaient-ils mettre pour nous retrouver ? Au fond,je priais pour qu'ils nous retrouvent. Je voulais pas crever ici et surtout pas en ayant eu pour derrière image cet enfoiré de Jim.
Voir que du sable à perte de vue m'aura rendu folle. J'avais l'impression que des yeux m'espionnaient derrière les rochers en où haut des collines. Quand je tournais la tête sur les côtés, il m'arrivait d'apercevoir un coyote, debout sur un rocher ou une motte de sable,me fixant étrangement. Le pire dans tout ça c'est qu'on aurait dit le même coyote que Jim avait failli écraser. Parfois même, j'avais l'impression de voir un homme nous regardant derrière un cactus au loin; un indien plus précisément. Je me frottai les yeux puis il n'était plus là. Est-ce que c'était vrai ou pas ? J'en sais rien.C'était peut-être qu'une image inventée par mon esprit déshydraté.J'avais faim et il y avait rien à se mettre sous la dent. J'aurais tout donné pour avoir un burger et un soda à ce moment-là. J'avais soif... beaucoup trop soif. J'avais mal aux pieds. Je ne voulais plus marcher.
Je me suis arrêtée en soufflant que j'abandonnais et Jim qui ne s'en est pas soucié, a continué sa marche sans moi. Il a finalement fini par se retourner. Il m'a regardé quelques secondes avant de reprendre son chemin.
''Bonne chance alors pour survivre seule dans le désert ! '' a t-il hurlé en s'éloignant toujours plus.
Ce con allait vraiment me laisser en plein milieu de nulle part et je pense aujourd'hui que si je n'avais pas continué finalement, il n'aurait jamais fait demi-tour. Il m'aurait vraiment laissé seule et je voulais pas le rejoindre au départ. J'ai fait ma maline et me suis dit que toute façon je pouvais bien m'en sortir seule alors qu'en vérité, j'en étais incapable; j'ai pas le sens de l'orientation... C'est pour ça que je n'ai pas tardé à reprendre ma marche, pénible fut-elle. Et pour couronner le tout, mes bottines étaient trouées et à présent j'avais du sable dans les chaussettes. Putain de sable.
''On aurait dû faire du stop comme je l'avais dit... '' râlai-je en secouant mes chaussures pour retirer le maximum de grains de sable.
''Et manquer de se faire choper ?! Jamais. ''
''Je préférai encore être en taule que dans ce foutu désert loin de la civilisation. ''
'' Tu sais pas ce que c'est la prison June. Crois-moi, si tu y avais mis les pieds une fois, tu ne dirais pas ce genre de choses... ''
Jim parlait toujours de la prison comme s'il l'y avait déjà été.Avant ça, il m'avait jamais rien dit. Faut dire, qu'on dit jamais ce genre de chose. Je crois que si j'avais su que Jim avait déjà été en taule dès le début, je ne l'aurais pas suivi dans cette aventure.
''En taule on aurait de l'eau au moins.. ''
''Et on ne serait plus libre. Profite encore de ta liberté June tant que tu le peux encore. Les flics viendront jamais nous chercher dans le désert. ''
Et je les comprends. Putain de désert.
''Et puis on a encore le fric. Rien n'est perdu. '' s'exclama Jim.
Le fric ?! J'aurais dû y penser à ce putain de fric.
Devant mon silence, Jim s'est retourné et m'a posé la question avec insistance.
''Tu l'as n'est-ce pas ? Le fric. ''
Tout cet argent laissé derrière nous. Comment n'ai-je pas pu y penser...Si j'avais pensé à prendre l'argent, est-ce que les choses auraient été différentes ? Peut-être pas. Après tout, à quoi pouvait bien nous servir des billets verts dans le désert ?
Jim a fait quelques pas vers moi. '' Dis-moi que tu as ce putain de fric June. ''
Il allait m'en vouloir de ne pas l'avoir pris et à vrai dire je m'en voulais aussi. La dernière chose dont j'avais besoin c'était d'une dispute de plus avec Jim. Je le regardais sévèrement et quand il comprit que j'avais laissé le fric dans la caisse, il est devenu rouge de colère et a hurlé si fort que tout le monde aurait pu l'entendre. Le problème c'est qu'il y avait personne pour l'entendre sauf moi, les coyotes et les rongeurs du désert.
''Mais putain June tu te fiches de moi ?! T'as laissé tout notre fric dans la voiture !? T'as rien dans le crâne ou quoi ? '' Ils'excitait et faisait de grands gestes dans les airs. '' T'as quoi dans ton sac à main alors ?! ''
J'ai baissé les yeux vers le sac à main Versace que j'avais acheté quand tout se déroulait pour le mieux. Ce que contenait le sac, c'était le journal que Jim m'avait offert à la station essence il y avait environ une semaine. Tout ça pour un petit journal. J'aurais dû le laisser dans la bagnole et prendre le fric à la place. Mais je me suis rappelée des paroles de Jim qui disait que ce journal nous permettrait de raconter notre histoire au monde entier.
'' Répond putain ! '' me hurla t-il au visage.
'' Tu veux savoir ce que j'ai dans mon sac à main ?! '' ai-je répondu en le défiant du regard.
Dans des mouvements précipités j'ai sorti mon journal et l'ai agité devant le nez de Jim. '' Voilà ce que j'ai ! Ton putain de journal !Celui que tu m'as acheté pour écrire notre putain d'histoire ! ''
Dans un élan de colère je l'ai jeté dans le sable puis ai continué à répondre à Jim. '' T'avais qu'à y penser toi aussi fric ! On est deux dans cette merde je te signale ! Alors va te faire foutre Jim ! ''
'' J'avais autre chose à penser que le fric ! ''
'' Ah ouais ?! Et on peut savoir quoi ?! '' Jim allait répondre mais je le coupai dans son élan '' Non laisse-moi deviner. Tu pensais encore aux putes que t'avais pas terminé de baiser à Vegas c'est ça hein ?! Avoue-le putain ! Tu penses encore à leurs gémissements dans ton sommeil hein ?! ''
'' June remet pas ça sur le tapis... '' marmonna Jim.
'' Oh que si. '' J'ai fait un pas vers lui. '' Pourquoi ? ''
Il resta silencieux.
'' Pourquoi t'as fait ça ? ''
Jim ne semblait pas savoir où je voulais en venir. Ça semblait évident non ? Je suis sûre que même vous, mes lecteurs, voyaient de quoi je parle. Jim voulait oublier tout simplement. Sauf que moi je ne le voulais pas.
'' Pourquoi t'as baisé ces putes ? '' demandai-je plus clairement.
'' Parce que je voulais passer du bon temps avec ma femme mais que celle-ci était trop occupée à donner du bon temps à des vieux millionnaires dans les casinos. '' répondit Jim sur un ton ferme.
'' J'ai jamais donné du bon temps à d'autres mecs que toi... ''grognai-je.
'' Ah ouais June ? Alors tu vas me dire que j'ai imaginé le baiser que t'as donné à un de ces vieux alors qu'il venait de gagner le jackpot ?! Tu peux m'en vouloir June mais cesse de jouer les victimes à chaque fois. '' Il a approché son visage du mien et a continué dans un souffle chaud '' On est tous les deux coupables June et tu le sais. Les choses seront toujours ainsi, c'est comme ça que les choses fonctionnent entre nous. On s'aime, on se bat, on se trompe,on se bat de nouveau, on s'aime encore et on se hait. C'est ça l'histoire de notre June. C'est une putain d'aventure où nous sommes deux contraires qui s'attirent et se repoussent. '' Il marqua une pause, fit un pas en arrière et tourna sur lui-même en désignant dans un mouvement élancé le désert tout autour de nous. '' Et si on sort pas de ce désert au plus vite, ça sera la fin de notre aventure. Alors arrête de te plaindre et marche. ''
Il se remit en marche sans rien dire de plus.
J'aurais dû prendre le flingue qu'il y avait dans la caisse.J'aurais tué Jim. La détonation aurait raisonné à travers cet espace désertique, son corps se serait effondré sur le sable chaud,face contre terre et son sang aurait ruisselé et coloré le sol terne. Si seulement j'avais pris un flingue...
La silhouette de Jim s'éloignait à l'horizon et comme je ne voulais pas restée toute seule, j'ai repris ma marche, en ramassant au passage le journal que j'avais jeté au sol. Il était plein de grains de sable. Je le secouai et le rangeai dans mon sac à main.
'' J'aurais jamais dû te suivre sur le parking de la boîte de nuit à Fresno. '' affirmai-je en râlant et traînant les pieds.
'' T'arrête pas de dire ça June, change de cassette un peu. Ce qui est fait et fait alors ferme-la et avance. "
'' Je t'emmerde Jim. Toi et moi, une fois quand on sera sorti de ce merdier, c'est fini. Je vais retourner en Californie et retrouver ma famille. J'irais voir la police et je dirais que c'est toi qui m'a embarqué dans cette affaire. Je dirais aux flics que tu m'as forcé à commettre ces vols et ces meurtres. ''
Jim s'étouffa. '' Jamais ils vont te croire June tu le sais bien. ''
'' Et pourquoi pas ? C'est déjà arrivé que des femmes se laissent avoir par un mec par amour. Je serais sûrement pas la première qu'ils verraient. ''
'' Tu sais pas mentir June. Autant plaider la folie ! '' s'exclama t-il.
Jamais je plaiderais la folie. Si je fais ça, ça veut dire que je nie tout : les meurtres, les vols et tout le reste. C'est pas ça que je veux moi. Je veux pas qu'on dise que c'est quelqu'un d'autre que moi qui ait commis les crimes. Je veux juste qu'on dise qu'on m'a forcé à les faire. C'est tout.
'' Je suis pas folle ! '' lui répondis-je aussitôt.
'' Non bien sûr que tu l'es pas. Tu es coupable tout comme moi. Et la liste de nos crimes risque d'être longue quand les juges vont l'énoncer au procès. ''
Il n'y aura pas de procès. Jim et moi allons sûrement crever avant.Même maintenant alors qu'on est sorti du désert, qu'on a une caisse et que j'écris dans le journal, je continue à croire qu'on va mourir avant d'avoir un procès. C'est dommage parce que j'aurais aimé voir toute la foule s'engouffrer dans le tribunal pour assister à notre procès; au procès des nouveaux Bonnie et Clyde. J'essaye de me consoler en me disant qu'une fois mort, on sera encore plus célèbre. Mais dans ces cas là, il nous faudra une belle mort; une mort inoubliable à notre hauteur. Il faut que ça soit spectaculaire.
Déjà dans le désert j'imaginais quelle mort nous attendait; les coyotes ? La déshydratation ? L'insolation ? Rien n'était à notre hauteur mais si je devais choisir une mort entre ces trois là je crois que je choisirais les coyotes; c'est plus frappant et plus mémorable que tout le reste. Ce genre de mort marque les esprits alors que la déshydratation c'est plutôt commun... rien d'extraordinaire à mourir de soif; surtout dans un désert.
'' J'ai chaud... ''
'' Arrête de plaindre June et avance. Tu m'entends me plaindre moi ?Non. Alors prends sur toi. ''
Si j'avais pris le flingue je crois que je n'aurais pas tuer Jim finalement. J'aurais retourné le canon contre moi et aurais mis fin à mes jours plutôt. Ça aurait été plus simple.
Dans le désert, la nuit est longue à tomber mais une fois qu'elle est là, vous la sentez à travers vos os. Elle vous refroidit comme un seau d'eau qu'on vous jette au visage. Si je m'étais plains plutôt dans la journée de la chaleur, la nuit, c'est plutôt du froid que je me suis plains.
C'est Jim qui a décidé qu'on devait s'arrêter pour la nuit. Il y avait un coin avec des pierres qu'on distinguait à l'horizon. C'est là que Jim a également décidé qu'on passerait la nuit.
'' Et tu compte faire un feu comment au juste ? '' lui-demandai-je à la nuit tombée, assise sur une des pierres inconfortables.
Jim a sorti de sa veste en jean un briquet. Je croyais vraiment qu'il se foutait de ma gueule et j'ai ris. '' Tu compte faire du feu avec ton briquet ? ''
Jim n'a pas répondu et a plutôt assemblé les petites brindilles qu'il avait ramassé en chemin pour former un tas.
Il a tendu la main vers moi et m'a soufflé '' Donne moi ton journal.''
'' Pourquoi faire ? '' enchaîné-je avec froideur.
'' Donne-le moi c'est tout. ''
J'ai hésité quelques secondes avant de lui confier le seul bien qu'il me restait. Il l'a ouvert et a arraché deux pages à la fin du carnet. Aujourd'hui encore, il est possible de voir les pages manquantes si on regarde à la fin.
J'ai protesté mais Jim est resté silencieux et a mis le feu aux feuilles vierges avant de les balancer sur le tas de brindilles sèches. Le feu a tout de suite pris.
'' Pas besoin de me remercier. '' souffla Jim à travers le crépitement des flammes en me rendant l'objet sacré profané.
Je le rangeais sans plus attendre et tentais tant bien que mal de me réchauffer. Mon ventre criait famine et ma gorge était aussi sèche que le désert lui-même. Intérieurement, je priais Dieu de mettre fin à mes souffrances. Mais cet égoïste a préféré les prolonger quelque peu.
Jim a sorti son paquet de cigarette de sa poche et en retiré deux.'' Les dernières... Si je dois crever cette nuit, autant bien le faire. ''
Il l'en porta une à sa bouche et me proposa la deuxième. Je ne refusai pas son offre même si ma raison m'encourageait à ne pas accepter la cigarette. Après tout, je me suis dit que si je devais mourir ce soir pendant mon sommeil, une cigarette ne ferait rien de mal. J'ai donc pris la cigarette, l'enfilai entre mes lèvres et laissai Jim l'allumer. La fumée me fit tousser mais ne m'aida pas à me réchauffer.
Me voyant tremblante, Jim fit preuve de galanterie et me donna sa veste. Il portait sa légère chemise hawaïenne et préféra pourtant avoir froid plutôt que de me voir grelotter. Je le remerciai alors et posa la veste sur mes épaules. J'avais pas vraiment plus chaud mais c'était mieux que rien. Peut-être que finalement j'allais mourir de froid et non mangée par les coyotes.
'' Je suis désolé pour ce que j'ai dit tout à l'heure. '' murmura Jim en laissant échapper de la fumée de ses lèvres. '' Je sais qu'entre nous deux ça pas toujours été facile. ''
Ça c'est clair, pensai-je.
'' Mais tu comptes beaucoup pour moi June et si je suis si protecteur avec toi c'est justement parce que j'ai peur de te perdre. ''
Jim croyait peut-être m'émouvoir mais il n'y arriverait pas. Je me ferais plus jamais avoir. Plus jamais.. Mais c'était sans compter sur le jeu d'acteur de Jim qui, encore une fois, me ramena à lui les bras ouverts.
'' Tu es la seule personne que j'ai véritablement aimé. Tu es la seule qui m'est fait sentir vivant et qui m'aie aimé pour de vrai;pas pour retirer quelque chose de moi. '' avoua Jim, commençant ainsi une séquence émotionnelle.
Il reprit une bouffée de sa cigarette puis enchaîna. '' Tu ne sais pas tout à mon sujet June. Il y a des tas de choses dont je ne t'ai jamais parlé; des choses dont je suis pas très fière... ''
De quoi pouvait-il parler ? Ses paroles m'intriguèrent et je voulu en savoir plus.
'' Je suis un ex-taulard. '' Il leva les yeux vers moi, jugeant ma réaction.
J'étais restée impassible, attendant la suite.
'' Mes parents se sont jamais vraiment aimé. Ma mère venait d'une famille de religieux. Tu sais le genre à protéger leur enfant de tous les maux de la société. Un jour, quand elle a eu 17 ans, elles'est cassée et a rejoint la Californie en passant y trouver un nouveau départ. C'est là-bas qu'elle a rencontré mon père. David Warner, un pauvre type de L.A qui pensait que c'était en tournant tous les soirs dans les bars de la ville que la célébrité lui tomberait dessus. Il est tombé amoureux d'elle au premier regard et il lui a promis des tas de belles choses. ''
J'avais l'impression d'avoir déjà entendu cette histoire quelque part. Un pauvre type offrant la lune à une nana aussi paumée que lui. C'était l'histoire de Jim et moi.
'' Un mois plus tard, elle est tombée enceinte et ils se sont installés dans un appartement miteux en bordure de la ville. Mon père rêvait toujours de sa carrière d'artiste et refusait d'aller bosser. Il rentrait souvent bourré et alors de violentes disputes éclataient entre les deux. Une fois que je suis né, les choses n'ont pas vraiment changé et ma mère s'est barrée sans moi; me laissant avec cet enfoiré. ''
Jim fixait le sol pendant tout son récit et ne relevait la tête qu'après avoir repris une bouffée de cigarette. Il ne présentait aucune émotion; comme s'il racontait l'histoire d'un autre homme.
'' Gosse, j'étais livré à moi-même dans la jungle qu'était le monde. Mon père s'est jamais vraiment occupé de moi et j'ai dû apprendre très jeune à me débrouiller car j'ai très vite compris que c'était pas avec un père alcoolique comme le mien que j'allais m'en sortir. A l'école on se moquait de moi à cause de mes vêtements déchirés. Dans ce genre de situation, deux solutions s'offrent à toi : soit tu restes dans ton coin et tu laisses les gamins se foutre ta gueule, soit tu ripostes. J'ai choisi la deuxième option. Un jour qu'un gamin a voulu me piquer mon déjeuner, je me suis jeté sur lui et l'ai frappé jusqu'à ce que la maîtresse nous sépare. Il a eu le nez cassé et moi la paix pendant tout le reste de ma scolarité. Cette fois-là, a été la première fois où j'ai été confronté à la police. Les parents du gamin ont porté plainte contre moi et voulaient que mon père paye l'opération de leurs fils pour lui remettre le nez en place. Mon père a dû faire un crédit et le soir où lui et moi sommes rentrés du commissariat,il m'a très clairement fait comprendre que si jamais cela se reproduisait, j'étais mort. '' Jim a gloussé. '' Ça s'est reproduit; et pourtant je suis toujours en vie. ''
Il m'a regardé avec un sourire en coin avant de reprendre. '' Ma visite au commissariat m'a valu la réputation de brute dans le quartier et comme toute réputation, il est toujours bien de la conserver. J'ai commencé à traîner avec les autres brutes du quartier; des plus grands que moi; qui m'ont appris à mentir,frapper, voler... tuer. '' Il insistait sur le dernier en me regardant droit dans les yeux. '' A 15 ans, alors que la plupart des gamins allaient à l'école, grandissaient et flirtaient, moi, je volais des bagnoles, me retrouvais dans des guerres entre gang et vendais de la came à des junkies du coin. Je me faisais un peu fric et ça m'aidait à vivre loin de chez mon père. A 15 ans, pendant que les autres gamins avaient leur première partie de jambes en l'air, j'ai connu ma première fois en taule. J'y suis resté deux ans. Je suis sûre que t'as jamais été en taule toi June hein ? ''
Non jamais. J'étais pas comme Jim. A 15 ans, j'étais pompon girl et je rêvais d'être comme Jennifer Grey dans Dirty Dancing.
'' En vrai, la taule c'était pas si mal. Je vais pas dire que c'était le paradis mais au moins, j'étais nourri, logé et blanchi et j'avais pas à me soucier de mon père. Pendant ces deux années en prison, j'ai rencontré pas mal de monde. Je me suis fait des amis qui m'ont appris des tas de combines et des ennemis qui ont voulu me faire la peau. Mais ces deux années n'étaient rien comparé à ma deuxième fois en taule. ''
Le fait que Jim était un ex-taulard expliquait bien des choses à commencer par ce sang froid qu'il avait quand il tuait et volait,même les première fois. Alors que moi j'étais paniquée, lui ne semblait ressentir aucune peur, aucun stress. Ça m'avait impressionné. Maintenant je savais d'où lui venait ce calme.
'' A 17 ans, peu de temps après ma libération, je me suis de nouveau retrouvé au trou. Fallait croire que c'était mon destin de finir en prison. '' Jim a jeté sa clope au sol et l'a écrasé avec la pointe de sa botte. '' Cette fois-ci, j'y suis resté quatre putain d'années et ces années, ont sûrement été les pires de ma vie. On m'avait transféré dans une autre prison que la première et là-bas, les autres détenus n'étaient pas aussi amicaux. ''
Sa voix commençait légèrement à trembler. Il semblait nerveux.
'' Tu sais ce que font les détenus aux petits nouveaux dans mon genre ? ''
Je n'ai pas répondu. Jim a baissé la tête en se mordant la lèvre.
'' Un soir, on prenait tous notre douche et trois mecs se sont approchés de moi. Ils ont commencé à me parler et à m'insulter,je leur ai rien dit et j'ai continué comme si de rien n'était. Le plus grand d'entre eux m'a foutu un pain dans la gueule et je me suis effondré. Le deuxième m'a relevé et le troisième a fait signe au gardien de quitter la pièce; ce qu'il a fait bien sûr. Je me demande toujours combien il a été payé... L'eau de la douche s'est éteinte mais les carreaux du sol glissés et j'avais du mal à rester debout tandis que les trois mecs tentaient de m'immobiliser contre le mur, le visage collé contre les carreaux froids et humides. ''
La pression montait en moi. Je savais ce que Jim allait dire alors je me suis préparée mentalement à affronter son récit.
'' Les minutes qui ont suivi ont été les plus affreuses de ma vie.Je me demandais à chaque coup de rein que je recevais quand ils allaient en finir avec moi. Je me demandais à chacun de leur rire si le gardien allait revenir avec des renforts. Je me disais combien la mort serait préférable. Ça n'a pas était la dernière fois malheureusement. '' Il déglutit, revivant malgré lui ce douloureux moment. '' Ce genre de choses en prison c'est monnaie courante. C'est pour ça que je te disais de te taire quand tu disais que tu serais mieux en prison qu'ici. Rien n'est pire que la taule. Crois-en mon expérience. ''
Je me sentais stupide. Que lui dire après tout ça ? Il y avait rien dire. Mais je pouvais pas restée muette.
'' Tu te rappelles les mecs que t'as buté sur le parking de la boîte de nuit à Fresno ? Ils étaient en taule avec moi. Je leur devais une petite somme d'argent et comme je leur ai pas rendu, ils ont voulu payer ma dette par ma vie. En taule, tu te crées plus d'ennemi que d'amis. ''
Jim regarda à l'horizon, prit une grande bouffée d'air et acheva son récit. '' En résumé, j'ai passé les six dernières années de ma vie enfermé, coupé du monde extérieur et de ses nouveauté.Quand je regarde le monde d'aujourd'hui, j'ai l'impression de ne plus y avoir ma place. Il a tellement changé... Je suis rentré en taule, Billie Jean était au top des charts et quand je suis ressorti c'était Straight Up de Paula Abdul. Je la connaissais même pas putain ! J'étais en retard de six ans dans tous les domaines et je me suis jamais senti aussi mal qu'à ma sortie. J'avais l'air d'un putain d'extra-terrestre sorti de je ne sais quelle planète ! J'ai rattrapé 6 ans de ma vie en deux mois et ça grâce à toi. ''
Je savais pas quoi dire. Qu'est-ce qu'on dit à quelqu'un qui a connu l'Enfer alors que soi-même on a rien connu de tout ça ?
'' Je suis désolée... pour tout ce qu'y t'es arrivé... ''soufflai-je bêtement.
'' Oh tu sais, c'est pas ta faute; t'y es pour rien. '' Il frotta sa botte contre le sol. '' La seule personne responsable c'est moi.J'aurais dû suivre les rails plutôt que de jouer les rebelles. ''
Un court silence de réflexion s'installa entre nous. Des gamins comme Jim il en existait dès tas. C'était seulement la première que j'en côtoyai un. Des gamins comme Jim, la société n'en a que faire. Elle préfère fermer les yeux et ignorer leur sorts. Les gamins dans son genre sont les sacrifiés du pays. Je sais ce que vous mes lecteurs devaient penser : le passé de Jim ne justifie passes actions. Des tas de types on eu un passé difficile et sont aujourd'hui des modèles de la société. Je pense que vous jugez beaucoup trop vite et oubliez que nous sommes tous humains; devant la facilité il nous est difficile de résister. Une fois lancé dans votre ascension vers la criminalité il est presque impossible d'y redescendre. Jim est seulement un gars qui veut profiter de la vie après six ans passées dans une cellule. Comme il l'avait dit, il était destiné à retourner en taule tôt ou tard; alors autant en profiter avant qu'il ne soit trop tard.
Rajustant la veste de Jim sur mes épaules, je lui demandai s'il avait tenté de retrouver sa mère.
'' Jamais ! Je ne considère même pas cette femme comme ma mère.Elle m'a mis au monde peut-être, mais n'a jamais ressenti d'amour maternel pour moi. Sinon elle m'aurait pris avec qu'elle. '' Il attisa le feu. '' Il y a des fois où je la vois dans mes rêves.Elle et moi vivons ensemble dans une petite maison de campagne. Elle est rayonnante. Elle me sourit et me dit à quel point elle m'aime.J'ai envie de croire que c'est vrai. Mais comme tous les rêves, ils finissent par s'estomper au fil de la nuit et laisse place au cauchemar. Cette fois-ci, ma mère et moi vivons dans un taudis où elle et ses potes se shootent à l'héroïne. Elle me demande d'aller chercher de la réserve pour elle et comme je refuse, elle me frappe.J'espère qu'elle est morte. ''
Jim y allait peut-être un peu fort. Ma mère à moi m'avait aussi abandonné mais jamais je lui avais souhaité la mort.
'' Ça me fait bizarre d'en parler à quelqu'un d'autre que la psy qui me suivait en taule. Tu dois te dire que je suis cinglé... ''
Je le coupai aussitôt '' Pas du tout. A vrai dire, t'entendre raconter tout ça, ça m'a rappelé que toi et moi on jamais vraiment parlé. Je veux dire, il a fallu qu'on se retrouve dans ce putain de désert pour que je sache que t'étais un ex-taulard ! '' Je ris entre mes dents. '' Ça fait presque trois mois qu'on est en cavale est la seule chose qu'on est fait s'est baisé, volé et tué mais jamais parlé. On est encore de parfaits étrangers... ''
Jim resta quelques secondes silencieux.
'' Si on m'avait dit un jour que je deviendrais une criminelle,jamais j'y aurais cru. '' enchaînai-je sur un ton posé.
C'était à présent à mon tour de lui raconter mon passé.
'' Comme toi, ma mère s'est cassée. Elle a trouvé une autre famille mieux que la nôtre et est partie s'installer en Caroline du Nord. Au début, je recevais des lettres d'elle et des coups de fils à tous mes anniversaires et à Noël. Puis, plus rien. Silence radio. Elle avait coupé tout contact avec moi alors que j'avais douze ans. Je lui en ai beaucoup voulu. Mon père s'est alors occupé de moi du mieux qu'il le pouvait. Et pour lui, le mieux c'était me surprotéger. Tandis que les autres gamines de mon âge avait le droit de sortir, mon père refusait. Les autres gosses vivaient la vie que moi je voulais mener. ''
Je crois que c'est ça qui m'a attiré chez Jim; cet esprit de liberté, ce souffle de vie et d'interdits.
'' C'était ça mon Enfer, c'était ça ma prison. ''
'' Nous sommes tous les deux des incompris de la société.... ''souffla Jim.
Je relevai les yeux vers lui et lui souris. Peut-être qu'après tout, l'idée de lui épargner la vie n'était pas une si mauvaise idée que ça. Il était le seul qui me comprenait.
Après ces confessions, je me sentais plus proche de Jim. Bien plus que de partager un lit ensemble, nous partagions un passé et un éventuel futur commun.
Un coyote hurla à la mort au loin et mon ventre cria famine.
'' Quand on sortira de là, '' commença Jim, '' je t'offrirai un bon steak avec des frites. ''
J'en avais déjà l'eau à la bouche. Et par ailleurs, je l'attends toujours ce steak.
La seule chose de beau dans le désert, c'est les étoiles. En ville,vous levez les yeux au ciel et vous arrivez à peine à distinguer les étoiles derrière les lumières artificielles. Dans le désert,les étoiles brillent et vous rappellent à quel point vous ne représentez rien dans l'univers. Vous n'êtes rien. Dans le désert,vous pouvez admirer la beauté du vide, du néant.
https://youtu.be/GKa1W4a_5mI
'' Before you slip into, unconsciousness, I'd like to have another kiss.... '' chantonna Jim sur l'air imaginé de la chanson.
'' Je savais pas que tu savais chanté... '' murmurai-je avec un sourire en coin.
Jim ricana entre ses dents '' Ça fait parti des choses que j'ai appris en prison. Pour nous insérer à notre sortie et pour apaiser notre nature violente, ils ont lancé des cours de musique où on pouvait apprendre à chanter, à faire des percussions et à jouer de la guitare. J'ai pris la guitare. ''
J'imaginais alors Jim comme une sorte de mélange entre Jimmy Page,Joe Perry et Eddie Van Halen. J'aurais aimé l'entendre jouer...
'' Une fois sorti de taule, je pensais traîner sur Sunset Strip et trouver des gars qui voudraient de moi dans leur groupe. On aurait ensuite joué dans les bars, commencé à enregistrer des morceaux suivi d'un album entier et on serait devenu des stars internationales! Les filles seraient autour de nous, le fric dans nos poches... ''
La drogue dans le sang et la mort aux trousses.
'' Comme tu peux le voir, j'avais tout prévu ! ''
Aucun de nous deux n'avaient prévu que les choses dériveraient.Aucun de nous deux n'avaient prévu les vols et les meurtres. Aucun de nous deux, alors que nous étions dans le désert, n'avaient prévu que les choses tournent encore plus mal...
La fatigue me gagnait doucement et mes paupières étaient lourdes.Je bayais et ramenai un peu plus la veste sur mes épaules. Le feu continuait à brûler mais bientôt il s'éteindrait; comme la vie dans mon corps. Je ne voulais pas dormir car j'avais peur de ne plus jamais me réveiller. Mais la fatigue eut raison de moi et je m'allongeai le plus confortablement possible sur le rocher qui me servait de lit.
Je ramenai les genoux vers moi, entourai la veste autour de ma poitrine et me laissai bercer par la douce mélodie chantonnée par Jim. The days are bright and filled with pain. Enclose me into your gentle rain. Elle m'apaisait et m'aidait à appréhender la mort. Jim se doutait que nous allions mourir ce soir. Nous n'avions ni bu ni mangé depuis presque 24h le tout sous un soleil de plomb, et les coyotes à présent se rapprocher de nous. Oh tell me where your freedom lies [...] Delever me from reasons why. You'd rather cry, I'd rather fly.
Je me suis toujours demandé à quoi ressemblait la mort. Est-ce qu'il y aurait ce long tunnel lumineux dont tout le monde parle ?Peut-être même si j'y crois pas vraiment. J'imaginais la mort comme un néant, un flottement de l'âme; une sorte de no-man's land où il n'y a plus rien. Si on m'avait dit que je mourrais dans un désert d'Arizona, jamais j'y aurais cru. Et pourtant, j'y étais bien et j'allais effectivement mourir dans un désert d'Arizona entourée de sable, de cactus et de coyotes qui n'hésiteraient à faire de ma chair leur délicieux repas. Peut-être que j'aurais dû dire à Jim que malgré tout ce qu'on avait vécu ensemble, je l'aimais quand même. J'aurais peut-être dû. Mais dire cela m'aurait brisé le cœur car cela aurait voulu dire que plus jamais je ne pourrais le lui dire. A million ways to spend your time.
J'ai fermé les yeux en me disant que peut-être ce fut la dernière fois que je voyais les étoiles. When we get back, I'll drop aline...
Vous savez comme moi que si vous lisez mon journal c'est que je ne suis pas morte dans ce désert. Je suis toujours bien vivante. Vivante et prête à vivre de nouvelles aventures avec l'enfoiré que j'aime.
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