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Izzy se met à râler soudainement et attire sur elle le regard des parents qui discutaient tout en préparant le pain de viande que Max a demandé pour son repas d'anniversaire. Moi, je la regardais déjà à la dérobée parce que j'ai l'impression qu'elle m'évite depuis que je suis rentré, hier. Elle qui était toujours à venir me voir pour discuter de tout et de n'importe quoi, elle est mutique quand je suis dans les parages. Elle sait. Ça me terrifie que ce soit vrai, qu'elle sache vraiment, mais je ne vois pas d'autre raison pour qu'elle m'ignore. Cela pourrait être simplement parce que je lui cache quelque chose, mais je n'ai pas l'impression qu'elle soit en colère.

— Mais comment tu t'es débrouillée ? s'étonne Alec en lui prenant la main.

Apparemment, elle a réussi à se couper en épluchant les légumes.

— Tu devrais aller nettoyer ça et mettre un pansement, suggère Maryse en s'approchant.

Elle enlace sa fille et dépose un baiser sur sa tête, Izzy lui dit que tout va bien mais elle se lève pour monter à la salle de bain de l'étage. Max occupe déjà celle du bas. Je rebaisse les yeux sur ma préparation – mon petit frère a demandé un cheesecake pour le dessert. J'essaie de me concentrer, parce que c'est la première fois que j'en fais un et que, la cuisine, c'est pas vraiment ma spécialité.

— J'ai appelé le doyen, cet après-midi, lâche ma belle-mère sitôt que la porte claque à l'étage.

Je relève la tête et, surpris, la regarde avec des yeux écarquillés. Le doyen ? Pourquoi ça ? D'accord, j'aurais dû aller en cours aujourd'hui, j'ai dit que j'irais à mon rythme mais c'était... J'ai la trouille de me retrouver en face de Jonathan !

L'expression de mon visage doit parler d'elle-même parce qu'Alec se redresse et amorce un geste pour venir vers moi mais mon père est plus rapide.

— On a discuté, reprend-il en posant une main sur mon épaule. On ne tient pas à te forcer à retourner à l'université, même si on espère qu'avec le temps, ça ira mieux.

— Alors j'ai demandé au doyen de faire le nécessaire pour que les professeurs t'envoient tous les cours. Après tout, c'était son idée que tu n'y ailles pas pendant un moment et il a assuré que tu ne serais pas pénalisé.

— Oh... Merci.

J'esquisse un sourire. Je suis un peu soulagé de ne pas avoir à m'inquiéter qu'ils me demandent, un matin, de retourner en cours pour ne pas foutre en l'air mon année. C'est la dernière de mes préoccupations, à l'heure actuelle, même si je sais que je devrais être en train de me ronger les sangs pour tous les cours que j'ai ratés. Au moins, je n'aurai plus à me soucier de faire semblant de m'en inquiéter.

— Cela dit, tu... tu devrais peut-être aller voir quelqu'un, suggère Papa. Pour... tu sais...

Il fait un signe de tête vers l'étage pour me faire comprendre qu'il parle de ma peur d'entrer dans ma chambre. Je devrais, c'est vrai, mais ça signifierait parler de tout ça à un inconnu. Je rebaisse les yeux sur le gâteau, avec moins d'enthousiasme.

— J'en ai pas vraiment envie, avoué-je du bout des lèvres.

— D'accord, mais tu ne peux pas ennuyer Alec toutes les nuits, il faudra bien que...

— Ça ne me dérange pas, interrompt l'intéressé d'un ton nonchalant. Je veux bien partager ma chambre.

— Merci, mon chéri, souffle Maryse. Magnus, continuons comme ça. Contente-toi de travailler tes cours à la maison, réussis tes examens et on en reparlera au semestre prochain.

Le bruit de la porte qui mène à l'étage m'empêche de répondre et je tourne la tête pour voir revenir Izzy, un pansement sur le doigt. Elle souffle longuement en secouant la tête.

— Vous êtes même pas discrets, s'agace-t-elle. Faites au moins semblant de pas me tenir à l'écart !

— Izzy, s'il te plaît...

— Non, Mags. Toi, « s'il te plaît » !

— Tu es assez grande pour te rendre compte que c'est une situation délicate, non ? intervient sa mère.

— Mais trop jeune pour que vous me mettiez dans la confidence, hein !

— Isabelle, pas ce soir !

Ma demi-sœur serre les mâchoires et va dans le salon pour se laisser tomber sur le canapé. J'ai le temps de croiser son regard inquiet. Que sait-elle, finalement ? Je ne sais pas comment aborder le sujet avec elle...

Une fois Max revenu, l'ambiance redevient plus joyeuse et le repas se passe sans accroc. Max est de plus en plus agité à l'idée d'ouvrir ses cadeaux qui l'attendent depuis qu'il est rentré de l'école. Il n'a pas arrêté de faire l'hélicoptère autour, à essayer de deviner ce qui se cache sous les papiers bariolés. Vu les formes, je dirais beaucoup de livres et de jeux vidéos.

Maryse amène enfin le cheesecake décoré de bougies et on chante pour Max. Je ne peux m'empêcher de sourire quand je le regarde et vois ses yeux brillants. Je suis content d'être rentré à tant pour le fêter avec lui, je m'en serais terriblement voulu d'avoir oublié. Parce que, sans Alec, j'aurais oublié.

Enfin – enfin ! – le moment d'ouvrir les cadeaux arrive et il saute de joie à chaque nouvelle découverte. J'attends encore qu'il ouvre le mien quand je sens Alec se tendre à côté de moi. Max vient d'attraper une boîte grise, celle qui est arrivée par coursier peu après que je suis rentré de ma sortie avec Ragnor.

— Tu avais dit qu'il n'avait rien envoyé ! s'exclame Alec en regardant sa mère.

— C'était le cas quand tu me l'as demandé, ce matin.

— Il ne devrait pas l'ouvrir !

Je le regarde, surpris, et réalise que c'est le cadeau de Robert. C'est logique qu'il ait envoyé un cadeau à son fils pour son anniversaire mais pourquoi Alec semble-t-il aussi énervé ? Max resserre sa prise sur le cadeau, bien décidé à regarder ce qu'il y a dedans.

— Pourquoi ? C'est le mien !

— Max, c'est pas...

Izzy soupire, sans même finir sa phrase. Qu'est-ce qu'il peut bien y avoir là-dedans pour les mettre tous dans cet état ? Max attrape d'abord l'enveloppe accrochée sur le couvercle de la boîte.

— « Pour que tu deviennes un homme » ?

Et avant que son frère aîné ait le temps de l'en empêcher, Max ouvre la boîte. À l'intérieur, une arme à feu. L'atmosphère est telle que je sais que ce n'est pas un jouet, ni une arme factice. C'est une arme véritable et sûrement fonctionnelle. Je regarde Max, guettant sa réaction. Je doute qu'il ait demandé un cadeau pareil mais... qui sait ? Sauf que non, son visage pâlit.

— M-Maman, murmure-t-il.

— Regarde, tu vas pouvoir apprendre à tirer, lui explique-t-elle en sortant de l'enveloppe un flyer pour un stand de tir. Mais... seulement si tu veux, d'accord ?

Il hoche lentement la tête en repoussant la boîte, Maryse la referme puis la sort de la pièce. Aussitôt, mon père tend un autre paquet à Max pour lui changer les idées et, d'un regard, m'enjoint à encourager mon petit frère à continuer. Je sens que Papa est mal à l'aise aussi, il n'a jamais aimé les armes ni la violence, quelles qu'elles soient, et le fait que ce cadeau vient de Robert ne va certainement pas arranger les choses.

Je donne un coup de coude à Alec pour qu'il aide Max à retrouver sa bonne humeur, il le fait avec moins d'entrain que moi, tout comme Izzy. Je suspecte qu'ils savaient ce qu'il y avait dans cette boîte. Un cadeau pour que Max « devienne un homme », Robert a peut-être offert le même à Alec au même âge. Quelle connerie...

J'ai le cœur brisé quand la fête se termine et que Max retourne dans sa chambre après nous avoir enlacés, les uns après les autres, pour nous remercier. Ses yeux étaient plein de larmes contenues. Je monte le dernier, après avoir aidé mon père à remplir le lave-vaisselle. Ma demi-sœur m'attend sur le palier.

— On regarde un film ? propose-t-elle en se dirigeant vers la salle de projection.

J'accepte et, en l'entendant se mettre à râler après son père lorsque je ferme la porte, je comprends qu'elle a surtout envie de parler où on ne nous entendra pas. On a sans doute beaucoup à se dire.

— Alec a aussi reçu ce genre de cadeau à ses onze ans ? demandé-je en me laissant tomber sur un canapé.

— Max était trop petit pour s'en rappeler, mais pas moi. T'aurais dû voir sa tête quand il a ouvert la boîte... Il s'est décomposé. Quel parent offre une arme mortelle à un gamin, franchement ? Robert est tellement un connard ! Je sais pas ce qui lui passe par la tête pour être à ce point obsédé par la virilité ! Jusqu'à il y a quelques mois, j'aurais dit que c'est générationnel, que tous les hommes de son âge sont comme ça mais... ton père est à l'opposé de Robert.

Elle vient enfin s'asseoir à côté de moi et pose sa tête sur mon épaule. Instinctivement, je passe mon bras autour d'elle et caresse ses cheveux.

— C'est juste lui qui est comme ça, continue-t-elle, j'ai fini de lui chercher des excuses. Il m'a toujours fait me sentir exclue parce qu'il pensait que je ne pouvais pas faire les mêmes choses que les garçons ! Il me disait toujours qu'il ne comprenait pas ce à quoi je m'intéressais et quand j'essayais de participer à ce qu'il faisait, il m'engueulait presque en disant que je pouvais pas, parce que je suis une fille.

— C'est ridicule... Je suis désolé que tu aies été confrontée à ça.

— Ouais... Un jour, je lui ai dit que je savais pas qu'il fallait avoir un pénis pour utiliser un gant de baseball, raconte-t-elle en se mettant à rire. Il m'a giflée et j'ai été punie pendant un mois entier, malgré les protestations de Maman.

Je ris à mon tour tandis qu'un frisson désagréable court le long de mon échine. Elle parle avec tellement de facilité du fait que son père l'a frappée, tout ça parce qu'elle en avait assez d'être laissée à l'écart. Mais le pire dans tout ça, c'est que je fais la même chose depuis une semaine.

— Quelqu'un est entré dans ta chambre, le soir de la fête, c'est ça ? finit-elle par demander. Clary a harcelé Jace mais il n'en a pas dit beaucoup... Pas tout ce qu'il savait, d'après elle.

— Izzy, j'essaie d'être responsable, rien qu'une fois dans tout ce merdier ! Ne me force pas à le dire, s'il te plaît !

J'ai crié. Je voulais pas mais j'ai crié. Et je sens les larmes me monter aux yeux. Je voulais juste être un grand frère protecteur, ne pas lui mettre dans la tête qu'une espèce de dégénéré a osé faire quelque chose d'aussi dégueulasse dans la chambre à côté de la sienne.

— Dis-moi ce qui s'est passé, insiste-t-elle en se tournant vers moi. Je m'inquiète pour toi ! J'ai peur ! Jace a dit que tu allais bien mais... mais c'est pas vrai, tu vas pas bien ! T'as quitté la maison pendant cinq jours, tu refuses d'aller dans ta chambre et tu vas plus en cours. J'ai peur de ce qui s'est passé !

— Il s'est rien passé de grave, articulé-je difficilement pour la rassurer. Il a juste pris des photos de moi... Et elles... elles ont été accrochées à la fac.

J'essaie d'avoir un ton léger et d'empêcher ma voix de trembler mais elle ne peut pas ne pas voir que je suis à deux doigts de craquer. Tant pis, elle sait déjà que je suis assez détraqué pour ne plus pouvoir passer une simple porte.

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