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Arrivé dans l'appartement, j'envoie Alec s'asseoir au salon pendant que je vais chercher de quoi soigner ses plaies, dans la salle d'eau. Je n'aime pas l'idée qu'il se soit battu et encore moins que ce soit à cause de moi. Quand je le rejoins, il regarde son téléphone d'un air blasé. Il me faut une seconde pour réaliser qu'il attend que l'appareil cesse de sonner.

— Qui est-ce ? m'enquis-je en m'asseyant.

— Lydia. Elle doit avoir vu que je suis parti.

— Pourquoi tu ne réponds pas ? Elle va s'inquiéter.

Il pose son téléphone sur la table basse avant de lever la tête vers moi, l'expression de son visage ne cache pas la surprise provoquée par mes paroles. C'est vrai, depuis quand est-ce que je me soucie de ce qu'elle peut penser ? Qu'elle s'inquiète parce qu'il ne lui répond pas ! Apparemment, ce n'est pas nouveau. Même si je ne comprends pas bien pourquoi. Est-il vraiment si perturbé que ça par ce que son père a pu dire ? Non, je crois que c'est autre chose.

N'ayant pas très envie de continuer à parler d'elle, je prends la main d'Alec pour nettoyer les blessures. J'ai du mal à croire qu'il se soit fait aussi mal en frappant Jonathan. Ou alors Jonathan n'aurait pas réussi à revenir en cours avec seulement une arcade blessée.

— Qu'est-ce qui t'a pris de te battre avec lui ? redemandé-je.

— Tu crois qu'il ne le mérite pas, avec tout le mal qu'il fait autour de lui ?

— Si... Si, il le mérite. Mais c'est pas nouveau.

Jonathan a toujours été une horrible personne. Et ça remonte bien avant le collège et tout ce qui s'y est passé.

— Peut-être que quelqu'un aurait dû le faire plus tôt, rétorque-t-il.

— Mais tu ne l'as fait qu'aujourd'hui. Je veux savoir pourquoi.

Son soupir se coince entre ses dents alors que je commence à désinfecter les plaies. J'essaie de faire le plus doucement possible mais ses doigts sont couverts d'ecchymoses. Comment a-t-il seulement pu tenir le volant ?

— Il osait parler de toi, finit-il par grogner. Il racontait à des gars que ça ne l'étonnait pas que tu aies fait ces photos, que tu lui en envoyais quand vous « étiez ensemble ».

— Quoi ?

J'arrête mon geste, choqué. Je sais que je ne devrais peut-être pas m'étonner des libertés que prend Jonathan par rapport à notre passé commun, mais je ne comprends pas qu'il essaie d'en faire quelque chose de romantique. Il n'a jamais été question de quoi que ce soit de ce genre et je suis certain qu'aucun de mes agissements ou paroles n'a pu lui laisser supposer que je le voyais comme ça ! JAMAIS !

— Je le soupçonnais déjà d'être celui qui est entré dans ta chambre mais il fallait... Il fallait que j'en ai le cœur net, alors je l'ai suivi quand il est sorti. Comme il n'y avait personne d'autre, je lui ai fait savoir que j'étais là et je lui ai demandé pourquoi il continuait de mentir sur toi. Il a paru surpris que je ne sois plus aussi crédule et il a simplement souri et haussé les épaules. Il a dit que même si tu n'étais pas capable de supporter son regard après toutes ces années, c'était pas assez, qu'il avait échoué à te remettre à ta place et que... qu'il devait aller plus loin.

Ma lèvre me fait brusquement mal, je réalise alors que je suis en train de la mordre pour contenir mon angoisse. Comment ça « plus loin » ? Il trouve vraiment que ce que j'ai subi à cause de lui n'est pas « assez » ? Je ne comprends pas... Que lui ai-je fait ?

— Je lui ai dit qu'il était taré et qu'il allait devoir s'expliquer devant la police mais il s'est mis à rire en disant que je n'avais aucune preuve, qu'il n'y a aucune trace des photos sur son téléphone et qu'il n'est même pas allé à la fac le lendemain de la fête. Quand il a dit que ce qui se passait était au-delà de ses espérances, je l'ai attrapé par le col et plaqué contre le mur. J'étais furieux, il avait l'air tellement heureux de ce qu'il a fait ! Il s'est calmé et m'a menacé de révéler ce que je t'ai fait si je disais quoi que ce soit à qui que ce soit. C'est là que j'ai craqué, je l'ai frappé plusieurs fois, il m'a rendu mes coups avant de réussir à partir et... je crois que j'ai frappé le mur. J'étais tellement hors de moi, il m'a fallu du temps pour me calmer. Je suis allé dans ma voiture et...

Il s'interrompt, j'essaie de faire de mon mieux pour me concentrer sur ses mains que j'ai recommencé à nettoyer mais je tremble de plus en plus fort. Ses mots prennent lentement un sens. Jonathan ose prétendre que ce n'est pas lui qui a affiché les photos ? J'ai du mal à y croire... Mais ça n'a pas de sens qu'il se défende de ça alors qu'il a pratiquement avoué avoir pris les photos !

— Mags, souffle doucement Alec. Tu... tu savais que c'est lui, pas vrai ?

— Tu n'aurais pas dû te battre, réponds-je en décidant de me reprendre.

Je me redresse, cligne plusieurs fois des yeux pour réprimer les larmes que je sens poindre à mes paupières et je termine ma tâche. Il me laisse mettre quelques pansements sur les plaies les plus profondes puis il repousse lui-même la trousse de soin pour attirer à nouveau mon attention.

— S'il te plaît, Magnus, insiste-t-il.

— Oui, je savais que c'était lui, je ne suis pas si bête !

— Personne n'a dit que tu l'es...

Avec un soupir, je détourne les yeux. Mais combien de personnes le pensent ? D'ailleurs, ils ne se gênent même pas pour dire pire que ça sans se soucier que j'entende ou pas. Je n'en suis pas surpris, je savais déjà que je n'avais pas ma place à Columbia.

— Ils le pensent tous, finis-je par dire. Même Papa pense que je suis un irresponsable parce que quelqu'un s'est introduit dans ma chambre !

— Et alors ? Depuis quand est-ce que tu te soucies de ce que les autres pensent ? Et pour ton père... C'est à cause du mien qu'il a réagi comme ça.

— Comme ça vous êtes deux à être perturbés par ton père...

Il hausse les sourcils. J'ai peut-être parlé trop vite. Je rassemble les compresses usagées et me lève pour aller les jeter dans la cuisine. Je pensais avoir quelques instants pour me reprendre mais Alec me suit. Je le vois observer la pièce. L'appartement de Catarina est petit. La cuisine est à peine plus grande qu'un cellier à cause des meubles le long des murs. Je fais mine de l'ignorer pendant que je me lave les mains mais il reste là, en silence. Quand je me retourne, il semble toujours se demander ce que je voulais dire. Je soupire.

— C'est Lydia qui m'a dit que la façon dont ton père a parlé à ta mère à cause de moi t'a perturbé. Tu aurais séché les cours et tu... tu ne lui parles plus assez, apparemment.

Il fait une légère grimace, aussi gêné que moi de m'entendre parler de leur relation. Il avance finalement dans la cuisine, assez pour pouvoir me toucher en tendant le bras bien qu'il se retienne visiblement de le faire. Je m'adosse au comptoir, incapable de quitter la pièce.

— C'est pas à cause de mon père que j'ai séché les cours et arrêté de répondre à ses messages. Enfin... si, en quelques sortes mais disons que c'est plutôt ce que ma mère a dit après qu'il a appelé.

— Ce qu'elle a dit ?

— Quand elle a dit qu'elle t'accepte tel que tu es et qu'on devait... qu'on devait te protéger. Ça m'a fait réfléchir à beaucoup de choses. Je me suis dit que, si elle t'accepte, alors peut-être qu'elle ne me renierait pas complètement.

— Oh... Alec...

Il passe une main sur son visage alors que je réalise que l'expression qu'il avait, ce soir-là, était celle d'un garçon qui effleure l'idée qu'on puisse l'accepter, lui aussi. Instinctivement, je m'approche et passe mes bras autour de sa taille, puis je pose ma tête sur son épaule. Avec le temps et les quelques échanges que nous avons eu à propos de son père, j'ai compris qu'il est persuadé que toute sa famille lui tournera le dos en apprenant qu'il est gay. Je n'ose même pas imaginer tout ce que son père a pu lui dire comme horreurs pour qu'il refoule à ce point qui il est.

— Bien sûr qu'elle ne te reniera pas, lui assuré-je. Max, Izzy et toi êtes tout pour elle.

Sans répondre, il passe ses bras autour de moi et enfouit son visage contre mon cou. Je frissonne aussitôt.

— Je suis désolé, murmure-t-il. Pour la façon dont j'ai réagi après avoir vu les photos. Il m'a fallu un moment pour comprendre et admettre que j'étais jaloux, mais aussi que je me sentais terriblement coupable. J'aurais dû voir qu'il était allé à l'étage, j'aurais dû l'empêcher de monter dans ta chambre, j'aurais dû...

— Eh doucement...

Ses bras se sont resserrés autour de mon torse et ce n'est que quand je l'interrompt qu'il se rend compte qu'il me fait mal. Il me relâche quelque peu, se redressant pour me regarder.

— Je ne peux pas dire que je ne t'en ai pas voulu, admets-je à mon tour. Ta réaction m'a blessé.

— Pardonne-moi.

— C'est déjà fait...

— Je ferai mieux, à l'avenir. Je te protègerai, je le laisserai plus s'approcher de toi. Jamais.

Il m'embrasse avec fougue avant même que mon cerveau n'essaye de comprendre ce qu'il est en train de dire. Mais c'est peut-être pas plus mal, le peu que j'en comprends me laisse entrevoir des espoirs que je n'avais pas envie de connaître. Je réponds à son baiser en m'accrochant à lui, comblant un vide difficile à accepter. C'est étrange. Je lui en voulais tellement, je croyais lui en vouloir encore d'ailleurs, que je lui en voudrais toujours pour répéter les mêmes erreurs... Mais il faut croire que je suis plus indulgent que je le pensais... Ou alors que ses baisers et ses étreintes ont plus de pouvoir sur moi que la rancœur.

Ses mains viennent se poser sur ma taille et il me soulève pour me déposer sur le comptoir. Je me laisse faire sans quitter ses lèvres, mais il m'y oblige l'instant suivant, quand il descend sa bouche le long de ma gorge. Mon grognement se change en soupir d'aise et je glisse mes mains sur son torse pour le caresser, malheureusement, je me sens me crisper légèrement quand les siennes passent sur mes cuisses. Alec s'en rend compte et arrête de m'embrasser.

— Qu'est-ce qui ne va pas ? me demande-t-il.

— Cat... Cat peut arriver à tout moment, mens-je. Elle sait ce qui s'est passé entre nous mais...

— Elle sait ?

Oups. Il s'écarte, l'air insondable, et j'ai l'impression qu'une pierre me tombe dans l'estomac. Ai-je fait une connerie aussi grosse que je le crains ?

— Oui, je lui ai dit mais... elle ne dira rien, je te le promets. Je sais que tu n'avais pas envie que ça se sache, et moi non plus, seulement j'avais besoin d'en parler. Ne m'en veux pas, s'il te plaît, elle dira rien...

Il m'observe en silence alors que ma nervosité soudaine me fait resserrer les doigts sur son sweatshirt pour l'empêcher de s'éloigner davantage. Enfin, il hoche la tête et m'embrasse à nouveau, tendrement, comme pour me rassurer.

— J'ai surtout peur qu'elle ait envie de me tuer si tu lui as « tout » dit.

— Je suppose que ça a été le cas mais elle m'a dit que, puisque je te pardonnais, elle pouvait te pardonner aussi.

— Trop gentille, grogne-t-il.

Son sarcasme me fait esquisser un sourire et je l'embrasse une dernière fois avant de le ramener avec moi dans le salon.

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