⬪⬫⬪ 37 ⬫⬪⬫
Après avoir passé le reste de la semaine et le week-end chez ma meilleure amie, j'ai décidé que je devais retourner à l'université. Je tremble et j'ai la boule au ventre mais je ne peux pas me permettre de rater mon semestre à cause de cette histoire. Je supporterai, tout comme j'ai supporté les conneries de Raj et Victor toutes ces années... Ça finira certainement par se tasser, quelqu'un d'autre provoquera un autre scandale et attirera l'attention – ah, j'en reviens pas de penser comme ça et presque souhaiter le malheur de quelqu'un d'autre.
Il est tôt quand j'arrive pour mon premier cours, si tôt que même le professeur n'est pas là. Je m'installe au premier rang après avoir longuement pesé le pour et le contre et décidé que je préfère sentir les regards dans mon dos en étant tout devant, plutôt que de m'asseoir au fond et voir les autres se retourner vers moi. Il me semble que ce sera plus simple à ignorer. De plus, je dois aller parler au professeur avant qu'il ne commence pour lui demander de me donner les cours que j'ai raté. Et je devrai demander la même chose à tous mes professeurs.
J'ai envoyé un message à Imasu et aux filles pour les leur demander mais ils sont restés silencieux tous les trois. Et je ne comprends pas. Bien sûr que les filles ont cru aux rumeurs comme les autres mais je croyais qu'Imasu me connaissait un peu mieux que ça... et que nous étions amis. Je me trompais.
Tous les étudiants qui arrivent semblent surpris de me voir, j'essaie de les ignorer mais je croise quelques regards moqueurs qui me donnent envie de repartir. Je dois prendre sur moi pour rester assis jusqu'à ce que le professeur arrive à son tour. Je me lève aussitôt pour aller lui demander son cours et il me faut insister longuement pour qu'il accepte. Si je devais faire une liste des gens qui sont persuadés que j'étais éveillé et consentant, il serait tout en haut. Sa façon de me regarder, de faire la moue et de secouer la tête quand je lui explique que personne ne me laissera emprunter ses notes de cours, est révélatrice. Dommage, je l'aimais bien, ce prof.
Le professeur de mon second cours me laisse entendre que j'aurais mieux fait de ne pas revenir et de demander à être transféré dans une autre université.
— Si c'est ce que veulent les autres, alors je ne leur ferai pas ce plaisir, me suis-je entendu répondre plus fort que nécessaire.
Les murmures de la classe se sont tus quelques instants avant de reprendre. Je n'avais pas l'intention de me faire entendre, mais cette part de moi qui préfère se rebeller est encore là – celle sans laquelle je n'aurais pas survécu au lycée. Malheureusement, elle ne suffit pas à faire disparaître le sentiment de honte qui me poursuit dans les couloirs, au réfectoire ou aux toilettes, quand deux étudiants semblent attendre que je sorte un briquet pour me brûler.
Le premier cours de l'après-midi est sur le point de commencer quand la porte s'ouvre sur Jonathan. La professeure se lève brusquement pour s'approcher de lui.
— Monsieur Morgenstern, que vous est-il arrivé ?
Le bruit de fond redouble d'ampleur lorsque tous les étudiants se tournent vers Jonathan. Sa lèvre est fendue, sa joue vire au violet et son arcade sourcilière est couverte de sang séché – bien qu'on dirait qu'il a essayé de l'essuyer. Ses yeux viennent chercher les miens et je tressaille au regard meurtrier qu'il me lance. Incapable de le soutenir plus de quelques secondes, j'aperçois que ses mains portent des marques également.
— Allez à l'infirmerie ! lui ordonne la prof comme il ne lui répond pas. Franchement, il n'y a plus personne pour être raisonnable dans cette université ?
Sans me quitter des yeux – je le devine aux murmures que j'entends autour de moi parce que je fixe désormais la table – il repart de la classe et le cours peut commencer. Malheureusement, je n'arrive pas à me concentrer. Mon cerveau est en alerte, ma respiration haletante, comme si j'étais en danger. Sauf que le danger vient de sortir. C'est la première fois que je réagis de façon aussi viscérale à sa présence, même quand il me poursuivait pour ajouter de nouvelles cicatrices sur ma peau, la menace semblait avoir encore une limite. Ce n'est plus le cas. Même mon domicile, ma chambre, sont à sa portée.
J'essaie de me ressaisir, j'ai l'impression que partir maintenant serait un aveu, mais ma tête bourdonne et les photos se rappellent à moi, celle où j'ai deviné sa main posée sur moi. La bile me monte à la gorge, mes mains tremblent, j'ai chaud.
Sans trop savoir comment, je parviens à tenir jusqu'à la fin du cours, la tête appuyée sur ma main, contrôlant ma respiration pour ne pas céder à la panique. Quand je sors, je n'ai pas l'intention d'assister à mon prochain cours. Tant pis, je ferai ce que j'avais préféré ne pas faire, envoyer un mail au reste de mes professeurs. C'était peut-être trop tôt, finalement...
Je traverse le couloir pour me diriger vers l'entrée. Sur le chemin, j'entends la voix irritante mais familière de Lydia.
— Il est d'une humeur de chien depuis quelques jours, c'est à peine s'il a répondu à mes messages ce week-end.
Je m'arrête net en comprenant qu'elle parle d'Alec. Elle est avec deux de ses amies, un peu plus loin, et aucune ne semble m'avoir vu.
— Il est carrément chiant, ouais ! rétorque l'une des filles. Il m'a appelé pour me hurler dessus quand je lui ai envoyé des photos par erreur...
— Quelles photos ? demande la troisième.
— Celles que j'ai prises du panneau d'affichage. Je voulais les envoyer à Andrew.
— Il t'a engueulée pour ça ? Comme si c'était ta faute si son dépravé de demi-frère a choisi d'envoyer des photos dégueulasse à quelqu'un...
Je serre les dents, apparemment les menaces de Maryse n'ont pas été prises au sérieux. Mais je ne m'attendais pas à grand-chose, ils doivent se penser au-dessus des lois. Que l'argent de leurs parents fera tout oublier ou, dans le pire des cas, qu'ils pourront se faire diagnostiquer une maladie imaginaire pour ne pas être reconnus comme responsables.
Après réflexion, je fais demi-tour. Je voudrais me défendre, leur rappeler que je n'ai pas pris ces photos et que je ne le voulais pas non plus, mais elles n'écouteront pas. En revanche, elles m'ont vu et Lydia m'interpelle.
— Eh ! Qu'est-ce que tu crois faire ici ? lance-t-elle en s'approchant.
— Je suis des cours ici, réponds-je sèchement.
— C'est pas la peine de faire le malin, ton comportement est ridicule ! Faire la victime et revenir comme si de rien n'était...
— Je t'interdis de me parler comme ça, tu ne sais rien de moi !
— Et tu n'as visiblement aucune idée des conséquences de tes actes. Briser une famille n'est pas un jeu !
— Une famille ? Mais de quoi est-ce que tu parles ?
— Alec est tellement perturbé par son père qui a incendié sa mère qu'il a séché des cours ! Et ça fait plus de deux heures qu'il est dans sa voiture ! Tu te rends compte, il refuse même de me voir, pauvre chéri...
Je lève les yeux au ciel, listant mentalement les raisons pour lesquelles Alec ne voudrait ni la voir ni lui parler. J'en trouve un nombre assez conséquent. Cela dit, c'est surprenant qu'il sèche les cours. Ou qu'il reste dans sa voiture. Pourquoi mon esprit fait-il tout de suite le lien avec l'état dans lequel Jonathan est arrivé ?
— Tu es allé le voir, à sa voiture ? demandé-je.
— Bien sûr ! Mais il a refusé d'ouvrir la porte... J'ai même cru qu'il dormait parce qu'il n'a même pas levé les yeux et...
Je n'en entends pas plus parce que je repars vers l'entrée. Une fois sur le parking, je me rends à la place où il se gare habituellement et, soulagé, aperçois sa voiture. Je vais taper à la vitre, côté passager.
— Alec, ouvre-moi s'il te plaît !
Il sursaute et se tourne vers moi, sourcils haussés. Après une seconde à m'observer, il déverrouille la voiture et je m'y installé sans attendre qu'il change d'avis. Le doute me prend quand je réalise que son visage n'a pas l'air abîmé, et puis je vois ses mains posées sur ses cuisses et tachées de sang séché. Quand il voit que je les regarde, il les cache en les fourrant dans ses poches.
— Je savais pas que tu étais revenu, grogne-t-il.
— Comme si ça t'intéressait.
Les mots sont sortis trop vite de ma bouche, j'aurais voulu les retenir. Il secoue la tête avec un soupir, me voilà reparti à le provoquer et je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée.
— Pourquoi t'es-tu battu avec Jonathan ? demandé-je en prenant l'un de ses bras pour qu'il me laisse voir sa main.
Ses deux mains sont peut-être tachées, mais c'est avec sa main droite qu'il a frappé. Je passe doucement mes doigts sur ses phalanges blessées.
— Comment tu le sais ? souffle-t-il en essayant de cacher la douleur.
— Parce qu'on suit les mêmes cours ? Idiot... Qu'est-ce qui t'a pris ?
— Ça te regarde pas...
Je réprime un soupir en me mordant la lèvre. Je pense que je n'ai pas le droit de lui reprocher cette façon de me répondre, alors je continue de regarder sa main abîmée. Peut-être en est-il venu à la même conclusion que moi concernant l'auteur de ces photos ?
— Tu aurais dû rentrer à la maison pour soigner ça, murmuré-je.
— Je n'avais pas envie de rentrer... Quand tu n'es pas là, c'est pas pareil.
— Il faut quand même soigner ta main...
Faisant de mon mieux pour ignorer mes joues qui ont probablement viré au cramoisi, je relève les yeux et croise les siens. Son air revêche finit de s'adoucir, je sens ses doigts blessés caresser les miens, envoyant de longs et agréables frissons le long de mon bras. Ma main libre monte sur son visage pour effleurer l'égratignure sur sa pommette.
— Tu risques d'avoir un bleu au visage. Comment tu vas expliquer ça à ta mère ?
Il hausse les épaules, comme s'il ne se souciait pas d'inquiéter sa mère alors que je sais pertinemment que c'est faux. Mais pourquoi faire le dur ? Il retire finalement sa main de la mienne et met le contact avant de me dire d'attacher ma ceinture de sécurité.
— Tu comptes m'emmener où ?
— Chez Catarina, c'est elle qui t'héberge, non ?
— Euh oui, mais...
— Tu voulais retourner en cours ?
Je devrais dire oui. Descendre de la voiture et le laisser rentrer à la maison. Mais le mensonge ne veut pas sortir de ma bouche et je décide de rester avec lui. Il allume la radio pour se distraire du silence qui s'installe. Je ne sais pas trop quoi dire, parce qu'il vaut mieux que je garde pour moi les choses que j'ai envie de lui dire. Je garde la bouche fermée et les yeux fixés sur lui, à peine discrètement, mais il ne fait aucune remarque. Il m'a manqué.
Il s'arrête sur le parking de la résidence de Catarina, sans couper le moteur, et je ne descends pas tout de suite. Je jette un rapide coup d'œil à l'heure avant d'inspirer pour trouver du courage.
— Tu veux monter ? proposé-je d'une voix un peu tremblante.
— D'accord.
Il éteint la voiture et en sort en même temps que moi. Ma meilleure amie ne devrait pas rentrer tout de suite, ça nous laisse un peu de temps pour discuter.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top