⬫⬪⬫ 36 ⬪⬫⬪
Je ne pensais pas que ça pouvait devenir pire. Comme si ça ne suffisait pas que toute l'université de Columbia ait vu des photos de moi presque nu, il fallait aussi que des étudiants envoient les photos à des personnes extérieures. Et que ces personnes puissent savoir que c'est moi. Catarina n'a pas ce genre de curiosité et je suis certain qu'avant même d'avoir su que c'était moi, elle n'a pas osé regarder les photos, donc elle n'aurait pas pu deviner – et ce alors même que je lui ai envoyé des photos de mon costume, parce que je l'adorais. Maintenant, je m'inquiète que ça ait pu être envoyé ailleurs alors que ça ne m'avait vraiment pas effleuré l'esprit.
Ma meilleure amie revient dans le salon, une tasse fumante dans une main et son téléphone dans l'autre, je commence un peu à paniquer.
— J'ai juste prévenu ta sœur que tu es ici, me dit-elle pour me rassurer. Et que tu as besoin de quelques jours de calme.
— Elle va le dire à Papa.
— Ça évitera que Maryse et lui s'inquiètent.
Compte tenu de la façon dont il m'a parlé, je doute qu'il s'inquiète vraiment que je ne sois pas à la maison ou que je ne réponde pas au téléphone. Mais ça, je ne l'ai pas encore dit à Catarina, je n'ai fait que confirmer ce qu'elle savait déjà. Elle pose la tasse sur la table basse puis vient s'affaler avec moi sur le canapé.
— Tu sais qui a pu faire une chose pareille ?
— Non, je... Enfin, Jonathan était à la fête mais je ne crois pas que...
— Il était là ? me coupe-t-elle en hurlant. Alors ne va pas chercher plus loin, qui d'autre pourrait être assez tordu pour faire une chose pareille !
— Il a dit qu'il...
— Oui, tu me l'as déjà dit, il est « malade ».
Elle mime les guillemets en faisant la grimace et je me mords la lèvre. Évidemment que je n'y crois pas, mais il aurait vraiment fait ça ?
Sentant le regard de ma meilleure amie sur moi, je garde la tête baissée et attrape finalement la tasse. Je sais ce qu'elle pense, que j'aurais dû me demander qui est le coupable, que j'aurais dû réfléchir à ça dès que j'ai su. Pourtant, ça non plus, ça ne m'a pas effleuré l'esprit. Trop accaparé par tout le reste, mes quelques neurones valides se sont échinés à tenir le peu de dignité qu'il me reste pour que je ne me mette pas à pleurer dans le hall de la fac en découvrant ces photos.
— Est-ce que quelqu'un pourrait avoir vu quelque chose ? demande-t-elle, radoucie. J'imagine que tout le monde devait avoir bu plus ou moins autant que toi mais...
— Non, je ne pense pas que qui que ce soit ait fait attention, réponds-je avant de prendre une gorgée de café. En plus de ça, tout le monde croit que ça s'est passé après la fête, mais je sais que c'est pas le cas.
Si quelqu'un avait essayé d'entrer dans ma chambre après la fête, il ou elle – d'accord, plus sûrement il – serait tombé sur Alec et moi.
— Pourquoi ils pensent ça ?
— À cause de... des bruits venant de ma chambre.
J'ai le visage cramoisi quand je termine ma phrase et je me tourne pour que Catarina ne voit pas que je suis embarrassé. Mais elle le devine sans doute parce qu'elle se redresse à son tour et trépigne sur le canapé.
— T'es en train de me dire que t'as couché avec quelqu'un ? m'interroge-t-elle avec une voix soudain enthousiaste.
— Oui, j'ai couché avec quelqu'un, Cat !
— Oh my god ! Mec ou nana ?
— Un mec.
Je me lève, dans l'espoir qu'elle n'insiste pas. Cela fait quelque temps que j'hésite à leur raconter, à Ragnor et elle, ce qui s'est passé avec Alec, parce que j'ai peur de leur réaction. Et c'est encore pire aujourd'hui.
— Tu vas pas me dire qui c'est ? continue-t-elle, d'une voix suppliante.
— Cat, s'il te plaît...
— C'est le gars de la fac dont tu me parles ?
— Imasu ? Non ! C'est pas lui, il est... il est parti assez tôt.
Mon regard revient une seconde sur elle, pour voir son expression passer de l'amusement à l'inquiétude.
— Me dis pas que t'as couché avec un mec rencontré à la fête ! Ça pourrait être lui qui a pris les photos !
— Non, ce n'est pas lui.
— Comment tu peux en être sûr ? Il pourrait avoir attendu que tu te sois endormi pour...
— Non, Cat, je t'assure, ce n'est pas lui.
— Alors explique-moi, qu'est-ce qui s'est passé ? Tu m'as dit que tu es allé te coucher seul, il t'a rejoint ? Comme ça ? Ou c'est toi qui lui as dit de le faire ? Mags, tu étais ivre, tu ne peux être sûr de rien, il pourrait avoir fait n'importe quoi ! Comment tu peux...
— Parce que c'est Alec !
Je soupire et passe une main libre sur mon visage, puis je me laisse tomber sur la chaise de son bureau. Une chose est certaine, ce n'est pas comme ça que je comptais lui annoncer que j'ai couché avec mon demi-frère.
Le silence qui s'installe ne me surprend pas mais il me met mal à l'aise, les yeux rivés sur la tasse j'avale quelques gorgées, à quelques instants d'intervalle en me concentrant sur la chaleur dans ma bouche pour ne pas laisser mon esprit divaguer.
Catarina soupire et se lève. Lorsqu'elle revient, elle tient une bouteille d'alcool et deux verres.
— Je crois qu'on va avoir besoin de quelque chose de plus fort, dit-elle en venant en poser un sur le bureau.
Elle le remplit avant de retourner s'asseoir sur le canapé et s'en servir un également. J'abandonne le malheureux café pour une gorgée de rhum ambré. Je l'avoue, je n'avais aucune idée qu'elle avait ce genre de bouteille chez elle, elle est plus sérieuse que moi. Mais je me garde bien de faire la moindre remarque.
— Bon alors, reprend-elle après avoir avalé son verre d'une traite. Alec ? Pourquoi t'as fait ça ? Je sais que tu avais beaucoup bu mais...
— C'est pas l'alcool qui est en cause...
L'excuse serait facile. Tellement facile. La première fois, la peur de perdre mon père. Ensuite, l'ivresse. Je sais que j'ai des excuses toutes trouvées pour ce qui s'est passé mais je suis avec ma meilleure amie et je crois que j'ai envie d'être honnête envers moi-même. Sauf que je vais avoir besoin de beaucoup d'alcool, encore.
Je tends le bras pour attraper la bouteille – avec l'aide de Cat qui la pousse le long de la table basse, du bout de ses longs doigts –, enquille mon verre et un second pour le remplir une troisième fois avant de la reposer sur la table.
— Comment ça c'est pas l'alcool ?
— C'était pas la première fois que ça arrivait. On a couché ensemble la nuit où mon père a été agressé.
— Tu... Tu m'as dit qu'il s'est excusé pour ce qu'il t'a fait quand vous étiez plus jeunes mais pas...
— Non, je te l'ai pas dit parce que je savais pas comment le dire. Il m'a réconforté, on a fini par s'embrasser et j'ai...
— Et t'as perdu pied. Encore.
Elle souffle un léger rire en portant son verre à sa bouche. J'ai même complètement perdu la tête, à dire vrai.
— Mais attends, t'as pas dit qu'il a une copine ? se souvient-elle brusquement.
Je me cache une nouvelle fois dans ma main. Même si je n'aime pas Lydia, je ne suis pas fier d'avoir couché avec son mec, c'est pas mon genre. J'aurais préféré qu'il la quitte avant qu'il se passe quoi que ce soit d'autre entre lui et moi. Est-ce que ça suppose que je voudrais qu'il la quitte, simplement ? Ouais, c'est possible.
— Je pensais pas qu'il était bi, vu la façon dont il te traitait au début !
— Il l'est pas... Il est gay.
— Quoi ? Beh c'est encore pire alors...
Balayant son avis d'un haussement d'épaule, je replonge dans mon verre de rhum pour trouver le courage de lui raconter plus en détail le chaos de ma vie sentimentale. Alec m'en voudrait sûrement d'en parler avec quelqu'un, mais j'ai confiance en Catarina... et terriblement besoin de discuter avec quelqu'un de ce que j'ai sur la conscience.
— Donc... Aucune chance que ce soit son œuvre, glisse-t-elle finalement alors que je me rassois près d'elle.
— Non, aucun risque. Il ne ferait pas un truc pareil.
— Il t'a brûlé, je te rappelle.
— Parce que Jonathan lui avait menti sur moi et c'était un accident. Il ne voulait pas le faire.
Je remplis mon verre pour la énième fois et termine ainsi la bouteille sous le regard pensif de ma meilleure amie.
— Mags, tu...
— Tout le monde le sait, maintenant, l'interromps-je pour changer de sujet. Ils ont tous vu mes cicatrices.
Ce n'est que son soupir qui me répond et, du coin de l'œil, je la vois hocher la tête. Elle sait à quel point j'avais peur que ça finisse par arriver et maintenant même mon père risque de le savoir. Est-ce qu'il va croire, lui aussi, que je me mutile ? Est-ce qu'il va m'engueuler pour ça ?
— Mais tu sais que tu n'es pas fautif, n'est-ce pas ? souffle-t-elle. Ni pour les cicatrices, ni pour les photos.
— Ouais, ouais... Je suis qu'une victime...
— Et c'est pas une tare. T'as rien voulu de tout ça et t'as jamais rien fait pour le mériter.
Les yeux embués de larmes, je la regarde de nouveau, forcé d'admettre que l'hypothèse la plus évidente est souvent la bonne.
— C'est encore lui qui a fait ça, hein ?
— Probablement, Mags.
— Qu'est-ce que je lui ai encore fait pour qu'il ose faire un truc pareil ?
— Rien, je te l'ai dit. C'est juste un tordu et, pour une raison qui n'a certainement ni logique ni rationalité, il t'a pris pour cible quand vous aviez six ans. Mais, cette fois, il va falloir que tu en parles à ton père.
Comme si je pouvais ! Je suis certain que personne ne me croirait, puisque tout le monde pense déjà que je ne suis qu'un dégénéré, et qu'on a été un couple... Bien sûr que ces rumeurs viennent de lui... Est-ce qu'il avait vraiment prévu tout ça ? Est-ce que j'ai été à ce point aveugle ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top