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— Je savais pas que tu avais une copine, lancé-je en prenant le même ton taquin que Max.

Izzy rit à son tour et Alec secoue la tête, levant les yeux au ciel. Je l'avoue, je dois prendre sur moi pour ne pas montrer à quel point je suis secoué.

Je pose mon sac sur le comptoir et m'approche du réfrigérateur pour me sortir une canette de soda.

— Oh c'est tout frais, m'explique ma demi-sœur. Mais apparemment, ils ont été ensemble pendant quelques mois quand ils étaient au lycée !

— Izzy, stop, rit Maryse. Tu embarrasses ton frère.

C'est vrai que le visage d'Alec a viré au cramoisi et il se concentre sur son portable comme si c'était, soudainement, la chose la plus intéressante au monde.

— Et toi, mon chéri, tu aimerais faire une fête pour Halloween ? me demande mon père.

Passer une soirée à voir mon demi-frère et une fille random se sucer la pomme ? J'adorerais...

— Oui, peut-être, réponds-je en haussant les épaules.

— J'aurai le droit d'y être ? demande Izzy en joignant ses paumes.

— On verra. Si ça ne dérange pas tes frères d'avoir à te surveiller.

— D'accord pour moi, répond Alec, si tu fais mes corvées jusque là !

— Quoi ?

L'air absolument offusqué d'Izzy parvient à m'arracher un rire malgré ma tension. Je reprends mon sac, ma canette dans l'autre main, et annonce que je monte.

— Vous avez bien étudié ? demande Papa.

— Oui, ça a été. Mais je suis fatigué.

— Oh, je voulais qu'on regarde un film, dit Izzy en faisant la moue.

— Hm si tu veux. Laisse-moi juste prendre une douche et j'arrive.

Elle hoche la tête puis se tourne vers Alec pour essayer de le faire changer d'avis pour ses corvées. Ce mec est un tyran.

Après m'être douché, j'enroule une serviette autour de ma taille et m'approche du miroir pour terminer de me démaquiller. Mon eye-liner a laissé quelques traces sur mes joues et je me persuade que c'est à cause de l'eau et pas des quelques larmes que je n'ai pas versé. Non, je n'ai pas pleuré à cause du comportement effrayant de Jonathan, je n'ai pas pleuré parce que l'avoir senti à nouveau si près de moi m'a rappelé toutes les fois où il m'a maltraité, frappé et même mordu, et je n'ai évidemment pas pleuré parce que l'idée qu'Alec se soit trouvé une copine me rend jaloux et me brise le cœur. Je sais qu'on s'était mis d'accord pour arrêter les frais... Mais je n'ai pas encore eu l'occasion de passer à autre chose, je ne pensais pas qu'il le ferait aussi facilement.

Des coups sur la porte me font sursauter. Comme d'abord je crois que c'est Izzy qui s'impatiente, je lui dis que j'arrive, sauf que c'est la voix d'Alec qui me répond. J'essuie promptement mon visage et vais déverrouiller la porte.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demandé-je alors qu'il referme la porte derrière lui.

— Je suis désolé, je voulais pas que tu l'apprennes comme ça.

Oh génial, il veut parler de sa copine...

— Tu comptais me le dire, peut-être ?

— Bien sûr que non.

— Alors comment l'aurais-je appris autrement que « comme ça » ? Ou tu veux juste dire que tu ne voulais pas être là ?

Il détourne le regard et je comprends que j'ai vu juste. Il ne voulait pas voir ma réaction, c'est tout. Enfin, voir que je luttais pour ne pas en avoir, faire comme si j'en avais rien à faire.

Je retourne vers le comptoir, m'y appuie et passe une main sur mon visage avant de le regarder à nouveau. Lui aussi, il me regarde, une lueur de colère brille dans ses beaux yeux noisette.

— Ne fais pas cette tête alors que tu passes tout ton temps avec ton petit ami !

— Mais... j'ai pas de petit ami.

— Je sais que si et je sais que tu étais avec lui ce soir !

— J'étais avec mon groupe d'études.

— Je t'ai vu partir avec lui après ton dernier cours !

Il n'essaie même plus de cacher son énervement, il s'est avancé vers moi. Il m'a vu partir avec Imasu ? Mais il m'a dit plusieurs fois que ses cours ne l'amenaient jamais vers les salles des miens...

— Attends, tu m'espionnes, maintenant ? Imasu est dans mon groupe d'études ! Et il est mon ami. J'ai pas le droit d'avoir des amis ?

Cela dit, c'est étonnant qu'il se mette dans cet état pour Imasu alors qu'il a dû tout autant me voir avec Emma et Cristina, puisqu'elles gluent Imasu à chaque sortie de cours.

— T'as vu comme il te regarde ? s'agace-t-il en se rapprochant. Un ami te regarderait pas comme ça !

— D'accord, il m'a fait comprendre que je l'intéresse, et alors ?

Quand je termine ma phrase, Alec est presque collé à moi, ses mains posées sur le bord du comptoir, de chaque côté de ma taille. Il peut bien dire qu'Imasu ne me regarde pas comme un ami... Il ne devrait pas plus me regarder comme il le fait, ni être aussi près. Son souffle caresse ma joue et je me sens frissonner.

— Donc vous êtes pas ensemble ? murmure-t-il en glissant ses doigts sur mon ventre.

— Non. Je crois que j'ai pas envie d'être avec quelqu'un... d'autre.

Un sourire se glisse sur sa bouche qu'il approche doucement de la mienne. Je n'arrive même pas à me détourner ou à le repousser. Mon cœur s'affole. Pourquoi est-ce qu'il fait ça ?

— Il... il t'intéresse pas ?

— C'est pas ce que j'ai dit, avoué-je pour ne pas déraper.

Il se tend et s'écarte, sourcils froncés. Je crois que je l'ai ramené à la réalité. Ce qui est une bonne chose même si la seule envie que j'ai, c'est d'aller l'embrasser pour lui faire oublier ce que j'ai dit. Et qu'il a une copine. Putain...

— Tu n'as pas le droit d'être jaloux, lui fais-je remarquer en soupirant.

— Toi non plus.

— Oui, mais moi j'en ai conscience.

Il entrouvre la bouche mais se ravise et ressort de la salle de bain. Je croise les bras sur mon torse. Pourquoi est-ce que c'est aussi compliqué de ne pas craquer ? Je n'aurais peut-être pas dû le laisser entrer dans la salle de bain mais, pour ma défense, je ne pensais pas que la conversation tournerait de cette façon. Sans doute que lui non plus.

Je finis de me sécher et enfile un pantalon de survêtement et un sweatshirt avant d'aller dans ma chambre pour reposer mes affaires. Je prends la canette que j'avais posée sur mon bureau, puis je rejoins Izzy dans la salle de projection. Comme je m'y attendais, elle est déjà en train de chercher un film, lumière éteinte.

— On est que tous les deux ? lui demandé-je.

— Max est parti se coucher et Alec est allé dans sa chambre après être sorti de la salle de bain.

Merde... Il fallait qu'elle monte à ce moment-là, vraiment ? J'essaie de faire comme si de rien n'était, ouvrant ma canette pour en boire une gorgée, mais la façon dont elle me regarde montre qu'elle sait qu'il s'est passé quelque chose.

— Il voulait parler de la fête, c'est tout.

— Vraiment ? Il avait l'air mécontent, non ?

— Aucune idée, réponds-je en haussant les épaules.

Elle se reconcentre sur l'écran même si je suis certain qu'elle ne me croit pas. Mais je ne peux vraiment pas lui dire ce qui s'est passé, même le plus infime détail lui paraîtrait louche.

— Sinon, tu sais qui c'est sa copine ? la questionné-je pour changer de sujet, et trop curieux pour mon propre bien.

— Oh, oui. C'est la fille d'un collaborateur de notre père, elle s'appelle Lydia. Robert était tout fier de dire qu'Alec avait commencé à sortir avec elle, au lycée. Apparemment, elle est très belle, super intelligente et ses parents ont énormément d'argent. Bref, la fille parfaite pour mon frère.

Je sens que je vais trop bien m'entendre avec elle...

— Pourquoi ils ont rompu, au lycée ?

— Elle est venue faire ses études à Columbia et elle ne voulait pas de relation à distance. D'après Robert, Alec était dévasté. Je suis pas étonnée qu'ils se soient retrouvés, j'espère qu'elle est gentille.

Incapable d'ajouter quoi que ce soit, je me contente de hocher la tête et m'intéresse au choix du film. Sauf qu'on continue pendant au moins dix minutes sans rien trouver. Alors Izzy reprend la conversation.

— Dans ton groupe, y a des gens sympas ? me demande-t-elle en mettant l'emphase sur le dernier mot.

— Calme tes hormones, s'il te plaît.

— Oh allez ! Ils sont quatre, y en a pas un ou une à ton goût ? Ou c'est pour ça que tu avais l'air aussi abattu en arrivant ?

— Jonathan, soufflé-je. Y a Jonathan dans mon groupe...

— Ah. C'est pour ça que tu étais abattu. Désolée.

Je secoue la tête et lui explique qu'il est inscrit dans le même cursus que moi, et qu'on partage presque tous nos cours. Je lui parle un peu d'Imasu, mais elle en revient vite à mon ancien bourreau, inquiète.

— Clary était au courant ?

— Il paraît, d'après Alec.

— Donc il sait que vous êtes obligés de bosser ensemble ?

— Non, il sait seulement qu'on suit les mêmes cours, mais il doit penser que je l'évite comme la peste. C'est ce que je ferais si je le pouvais, d'ailleurs.

Elle fait la moue puis, après un silence, elle recommence à chercher. J'accepte le premier film qu'elle me propose et décide d'essayer de me plonger dedans. Du coin de l'œil, je la vois envoyer un message puis elle vient se blottir contre moi.

Mon essai n'est pas très concluant, mes pensées n'arrêtent pas de divaguer. Je termine ma canette en quelques gorgées puis la repose en soufflant. Je crois que j'ai juste envie d'aller dans ma chambre, mais si je fais ça, je vais inquiéter encore plus Isabelle, donc je prends mon mal en patience.

Heureusement, le film est court et je retourne dans ma chambre tout de suite après. Comme chaque soir de semaine, je m'installe à mon bureau pour recopier mes cours sur mon ordinateur avant d'aller me coucher. C'est encore comme ça que je les intègre le mieux. Mais au milieu de ma besogne, mon portable sonne. Je l'attrape et découvre, surpris, que c'est Clary qui m'appelle.

— Izzy m'a dit que tu as croisé mon frère, me dit-elle après m'avoir salué.

Je me claque le front, mais j'aurais dû m'en douter venant de ma demi-sœur. Elle aime bien se mêler des affaires des autres et, surtout, elle aime régler les choses qui doivent l'être.

— Je suis désolée, j'aurais dû te prévenir qu'il n'était plus au centre.

— Il n'y avait aucune obligation, je t'assure. Ne t'en fais pas pour ça, j'ai seulement été surpris.

— Ouais, mais maintenant tu dois te le coltiner.

Elle souffle. Je suis probablement en train de parler à la seule personne – dans mes connaissances – capable de comprendre ce que je ressens face à son frère. Je sais qu'il ne l'a pas maltraité comme il l'a fait avec moi, en revanche elle a toujours eu peur de lui et c'était très malin de sa part.

— J'ai dit à mon père que je sais que Jonathan est à Columbia. Il m'a dit qu'il voulait lui donner la chance de faire des études pour s'intégrer « à la société », explique-t-elle et j'entends les guillemets. Il s'est assuré qu'aucune des personnes qu'il a persécuté ne s'y trouvait. Sauf qu'il ne sait pas que tu en faisais partie. Tu veux que je...

— Non, ne dis rien ! J'ai envie d'avoir ni renvoi, ni transfert sur la conscience, les rumeurs deviendraient encore pire.

— Quelles rumeurs ? s'enquit-elle avec prudence.

— On m'a entendu lui crier dessus la première fois qu'on s'est croisés... Des étudiants pensent qu'on était en couple...

— Beurk...

Je souris malgré le poids qui n'a pas quitté ma poitrine. Si Jonathan était obligé de quitter Columbia à cause de moi, ce serait comme donner raison aux rumeurs, et j'ai vraiment pas envie que ça se propage.

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