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Tous ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas du genre à laisser des messages s'accumuler sur mon téléphone sans y répondre, et encore moins sans les lire. Il n'est jamais éteint, jamais en mode silencieux, le vibreur est toujours activé pour, justement, que je puisse regarder les messages que je reçois quand je les reçois. Ça doit être mon petit côté parano, mais s'il se passe quelque chose, je veux être au courant. Depuis l'accident de Papa, c'était peut-être même devenu encore pire qu'avant. « C'était » parce que je ne l'ai jamais aussi peu utilisé que depuis le vendredi précédent.
Cela fait une semaine que les groupes pour le cours de Monsieur Bennett ont été fait, une semaine qu'Emma a créé une conversation groupée et que Cristina, elle et Imasu envoient des messages beaucoup trop régulièrement. Au début, j'y ai participé, ne serait-ce que pour donner mon emploi du temps, et puis Jonathan s'est mis à répondre. À partir de ce moment-là, j'ai pratiquement arrêté de lire les messages. Ce n'est que quand Imasu m'a dit, un matin durant un cours, qu'ils avaient proposé qu'on se voie pour étudier que j'ai été obligé de m'y intéresser de nouveau. Curieux, j'ai même repris le fil de la conversation et j'ai réalisé que Jonathan s'est montré très bavard. Il s'est même excusé parce que je ne répondais pas, disant que c'est de sa faute. Certes, c'est le cas. Mais qu'il s'en excuse me donne de désagréables frissons dans le dos, il fait comme si nous étions proches. Cela me rend méfiant, encore plus qu'avant, et c'est peut-être mon côté parano également, mais ça ne veut pas dire que ce n'est pas louche.
Le vendredi suivant la création de ce groupe improbable, nous nous sommes donc retrouvés à la bibliothèque du campus pour étudier ensemble. J'essaie de n'avoir pas l'air réticent, je n'ai pas envie d'alimenter les rumeurs sur mon compte qui n'ont pas disparues. Mais les tentatives des filles pour que l'on se retrouve seuls me laissent perplexes. Plusieurs fois, elles ont proposé à Imasu d'aller chercher des cafés pour tout le monde mais il a juste décliné. Ça aurait pu être pour que Cristina ait du temps seule avec lui mais, dans ce cas, Emma n'y serait pas allée. Cela dit, pourquoi essaieraient-elles de me laisser seul avec Jonathan ? Je pense qu'il est évident que je ne veux pas avoir affaire à lui.
À leur dernière tentative, il est vingt-et-une heures – on s'est décidés pour ne pas rester plus tard que vingt-et-une heures trente – et Jonathan les accompagne. C'est donc avec Imasu que je reste et je laisse tomber ma tête sur la table.
— C'est moi ou c'est bizarre ? osé-je lui demander.
— Non, c'est pas toi. Mais je t'avoue que je suis un peu soulagé que Cristina n'essaie pas de m'attirer dans un coin.
Il échappe un rire nerveux qui me pousse à le regarder. De ce que j'ai cru comprendre, il n'ose pas encore dire ouvertement qu'il est gay, alors il n'a pas voulu dire à Cristina qu'elle ne l'intéresse pas. Apparemment, elle lui envoie des messages mais il n'y répond pas trop, dans l'espoir qu'elle lâche l'affaire.
— J'imagine que ce serait plus simple si ça se voyait directement, soupire-t-il. Comme toi.
— Parce que je me maquille et qu'il m'arrive de porter des vêtements féminins ? Tu sais que ça n'a pas de rapport, n'est-ce pas ?
Imasu fait la moue et arque un sourcil, ce que j'interprète comme un « mais oui c'est ça » qui m'agace brusquement. Comme je fronce les sourcils, il se reprend.
— Oui, je sais ! Excuse-moi, Magnus.
— Non, non. Excuse-moi, je pensais que tu serais capable de comprendre mieux que les autres.
— Pourquoi ? Parce que je suis gay, je devrais forcément être efféminé ? s'énerve-t-il à voix basse.
— Qu-... Je suis « efféminé » et je ne suis pas gay.
Putain mais si même les gays sont pas foutus de dépasser les clichés...
Je me lève en disant que je reviens et je pars vers les toilettes pour être tranquille un moment. Oui, parce qu'il est gay, j'espérais qu'il serait moins enclin à me juger ! Est-ce que c'est grave ? J'en attends peut-être trop des gens. C'est vrai qu'on se connaît à peine. Mais ça m'énerve.
Face au miroir, je ne peux m'empêcher de jeter un œil à mon maquillage et, parce que j'aime emmerder les autres, je sors mon gloss de ma poche pour en remettre sur mes lèvres. J'en ai marre que les gens soient pas foutus de passer outre le fait que je me maquille avant de se faire une idée de ce que je suis. D'accord, le fait de me maquiller fait partie de ce que je suis, mais c'est ce que ça implique dans leur esprit qui m'agace. Que je sois gay, un marginal, voire un dépravé. Pour certains, qu'il soit nécessaire de me « recadrer » pour que je devienne « normal »... comme ce taré de Jonathan.
Du bruit derrière moi me sort de mes pensées et je vois Imasu. Il vient aussitôt s'appuyer à côté de moi, contre le comptoir. Il baisse les yeux vers mes doigts qui tiennent toujours le gloss et se met à rire.
— Je t'ai vraiment énervé, on dirait.
— Je vois pas ce qui te fait dire ça, réponds-je en rangeant le tube dans ma poche. Mais ne te fais pas d'idée, c'est pas parce que je suis efféminé que je peux pas te botter le cul si tu recommences avec ce genre de remarque.
Encore une fois, il se met à rire. Je suis légèrement plus grand que lui, de deux ou trois centimètres, mais il est plus large d'épaule que moi. Il m'a dit qu'il faisait partie de l'équipe de natation au lycée. C'est un sportif, il se croit sans doute plus fort que moi. Bon, c'est sûrement le cas, alors je ne dis rien.
— D'accord, d'accord. Je suis désolé pour ce que j'ai dit, et cette fois je le suis vraiment.
— Merci. Et merci d'admettre que tu n'étais pas sincère tout à l'heure.
Je lui souris et vois son regard descendre sur ma bouche. Mes joues rougissent après quelques secondes où il ne me quitte pas des yeux et je me détourne en me raclant la gorge.
— Je voulais pas te mettre mal à l'aise, s'excuse-t-il en baissant la tête. Et après, je me plains que Cristina fait la même chose...
— Non, c'est pas... tout à fait pareil. C'est juste qu'en ce moment j'ai pas trop la tête à ça. Je dois me concentrer sur les cours et...
— Non, ne te justifie pas, s'il te plaît, c'est pas nécessaire. Je comprends. Bon, les autres doivent être revenus.
Il ressort de la pièce aussi vite qu'il y est entré sans que je puisse répondre quoi que ce soit et je le suis avant de me perdre dans mes pensées. En revenant à la table, je vois qu'un gobelet en plastique est posé à côté de mes affaires.
— Je t'ai pris un cappuccino, me dit Jonathan en souriant.
— Désolé, je ne voulais rien. Je pensais vous l'avoir dit.
— Il s'est juste dit que ça te ferait plaisir, insiste Cristina. C'est mignon qu'il connaisse encore tes goûts, non ?
Confus, je la regarde. Je crois que je n'ai plus besoin de me poser la question, elles pensent effectivement qu'il y a eu quelque chose entre Jonathan et moi. Quelque chose d'amoureux. Et comme elles continuent de me fixer, et que nous ne sommes pas seuls dans la bibliothèque, je me retiens de faire une scène.
— C'est ça, merci, grogné-je en me rasseyant.
Mais je touche pas au gobelet. Il reste là, durant la dernière demi-heure où l'on travaille et je suis encore plus silencieux qu'avant. Une fois que l'on a terminé, les filles partent rapidement et je quitte le bâtiment avec Imasu avant qu'il ne parte de son côté et moi, du mien. Je me dirige vers la station de métro la plus proche.
Quelques minutes passent avant que je ne réalise que des bruits de pas résonnent derrière moi. Je tourne légèrement la tête et sursaute en voyant qu'il s'agit de Jonathan. Il me regarde à son tour avant de hausser les sourcils.
— Quoi ? C'est pas de ma faute si on prend le métro au même endroit !
Au même endroit ? Mais comment ça se fait que je ne l'y ai jamais croisé, alors ? Je secoue la tête. Peu importe, ce n'est pas grave.
— A-au fait, je voulais te dire que Cristina n'aurait pas dû insister.
— Sans blague...
— Elle ferait mieux de s'occuper de ses affaires plutôt que des nôtres.
— « Des nôtres » ? répété-je en m'arrêtant. On n'a pas d'affaires, il n'y a pas de nous... Qu'est-ce qui te prend ?
Je ne devrais pas être surpris que ses paroles n'aient pas de sens, mais ça me gêne profondément que ça semble cohérent avec les rumeurs qui circulent depuis plus d'une semaine.
— Je sais qu'il n'y a pas de « nous », répond-il en fronçant les sourcils. Tu crois que je suis débile ? Ce que je veux dire... C'est que ce qui a pu se passer entre toi et moi ne regarde personne d'autre. Rien que toi et moi.
— C'est pas toi qui as lancé les rumeurs, n'est-ce pas ? ne puis-je m'empêcher de demander.
— Bien sûr que non ! Mais c'est pas vrai, tu me fais quoi là ? Pourquoi tu t'entêtes à ne pas comprendre ce que je dis ?
Sa question est presque un hurlement et je recule dans un sursaut, mon dos heurtant le mur. Il s'approche de moi et pose sa main à côté de ma tête alors que j'essaie de me fondre dans le mur – malheureusement sans succès. Ma respiration s'accélère et mon corps se met à trembler.
— Ce que tu m'énerves ! Je fais de mon mieux pour garder le contrôle près de toi, pourquoi tu me pousses à bout ?
— Parce que c'est de ma faute ?
— Non, je n'ai pas dit ça, reprend-il d'une voix douce. Mais je suis malade, je te l'ai dit. Il faut me ménager, sinon ça va recommencer.
Je déglutis difficilement, tétanisé par sa présence aussi près de moi.
— Pourquoi tu as peur de moi ? souffle-t-il sur mon visage. Je t'ai jamais fait de mal, je t'ai dit que c'était pas moi.
— Va te faire foutre.
Je le pousse brusquement et reprends mon chemin sans attendre qu'il riposte. Durant quelques minutes, je crains qu'il ne me frappe par derrière, mais je réalise que je n'entends plus ses pas. Quand je regarde, il n'est plus là. Je me hâte vers les escaliers qui descendent vers le métro et cours pour monter dans le train qui vient de s'arrêter.
Ce mec me fait tellement flipper. Je me fiche qu'il soit malade, je ne compte pas oublier ce qu'il m'a fait subir. J'ai été terrorisé pendant des années, pourquoi devrait-il pouvoir s'en sortir aussi facilement ?
Je suis presque calmé quand je passe la porte de l'appartement, et l'agitation à l'intérieur finit de me rassurer. Je ne comprends pas encore la teneur de leur conversation, mais Izzy semble s'amuser à embêter Alec.
— De quoi vous parlez ? demandé-je après avoir enlevé mes chaussures et ma veste.
Papa et Maryse sont assis sur le canapé, Max sur un fauteuil en train de jouer sur sa tablette, et Alec est assis à la table de la salle à manger. Izzy, elle, s'est levée pour venir m'enlacer.
— On parle de la fête que je veux faire pour Halloween, répond Alec sans me regarder.
— Depuis quand tu organises des fêtes ? rétorqué-je, un peu surpris.
— Izzy dit que c'est sa copine qui l'en a convaincu ! lance Max.
Nos parents se mettent à rire et Alec lève enfin les yeux vers moi. Je sens mon cœur pulser dans ma gorge. « Sa copine » ?
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