⬫⬪⬫ 26 ⬪⬫⬪
Papa rentre aujourd'hui. Maryse est allée le chercher avec Izzy et Max qui se sont précipités pour l'accompagner. Cela m'a surpris de les voir aussi impatients qu'il rentre à la maison, agréablement surpris cela va sans dire. Ils sont sans doute même plus impatients que moi, parce que j'avoue lui en vouloir encore d'avoir osé envoyer une candidature à ma place à l'une des plus grandes universités du pays. D'accord, je ne l'aurais pas fait moi-même, mais peut-on me le reprocher ? Je suis toujours certain de ne rien avoir à y faire, même si j'ai renvoyé les papiers pour mon inscription hier matin.
Mon père a raison de dire que je n'aime pas l'imprévu, ni le changement, mais en fin de compte, j'ai réussi à m'habituer à vivre ici. Bien sûr, le mode de vie des Lightwood est beaucoup plus « normal » qu'on pourrait le croire, ça m'a certainement aidé à ne pas me sentir trop différent de ce nouvel environnement duquel je fais aujourd'hui partie. Alors peut-être – je dis bien « peut-être » – que Columbia ne sera pas aussi difficile à vivre que ce que j'imagine.
Allongé sur une chaise longue, je profite du soleil et du calme qui fait souvent défaut ici. Je ferme les yeux, la chaleur me recouvre et, comme je suis seul, je n'ai pas couvert mes jambes comme j'ai l'habitude de le faire. Au téléphone avec Catarina, je ne pense même pas à mes cicatrices. En fait, elle accapare mes pensées en me reprochant d'être trop distant ces derniers temps. C'est vrai que je ne l'appelle plus vraiment, ni Ragnor, je préfère leur envoyer des messages, cela évite à ma voix de me trahir.
Je leur ai dit pour Columbia et leur enthousiasme ne m'a pas surpris, ni les craintes que Ragnor a rapidement dévoilées. Il s'inquiète pour moi parce qu'il me connaît bien et qu'il veut me protéger. C'est pour ça que je l'aime autant. Cat, elle, préfère m'encourager et me « mettre des coups de pied au cul » pour que je ne passe pas à côté de choses importantes. Comme mes études. Ou ma relation avec mon père.
— Pourquoi tout le monde me dit combien de temps j'ai le droit d'en vouloir à quelqu'un ? soufflé-je quand elle me dit que je ne pourrai pas en vouloir éternellement à mon paternel.
— Qui d'autre fait ça ? s'amuse-t-elle.
— Izzy... Avec son frère.
— Elle est au courant pour...
— Non, l'interromps-je. C'était à propos de mon coming out. Bref, je sais que je vais devoir pardonner à mon père d'avoir fait ça... parce qu'il l'a fait pour moi. Mais je... C'est comme si on me poussait en haut du plongeoir de six mètres sans que je m'y attende.
Je ressens encore l'impact de la nouvelle à chaque fois que je pense à la rentrée qui arrivera dans quelques semaines. Et j'en tremble encore. Je sais que l'image est étrange mais c'est avec ma meilleure amie que je parle, elle me connaît et me comprend.
— Je vois, me dit-elle de sa voix caressante. On croit en toi, tu sais ?
— Qui ça, Ragnor et toi ?
— Et ton père. Et je suis certaine que Maryse aussi, ou elle n'aurait jamais accepté de te l'offrir.
— Sans doute. Je sais que je suis chanceux, juste...
— Oui, oui, j'ai compris. Tu as besoin de temps pour t'en remettre. Et tu as le droit.
Je relève les yeux vers le ciel, un peu plus serein d'entendre quelqu'un valider mes craintes et mes appréhensions. D'ailleurs, elle change même de sujet pour nous détendre.
— Du coup, ça se passe comment avec ton demi-frère ?
— Max est adorable, éludé-je. Il est content que Papa rentre, c'est mignon.
— C'est pas... Tu sais que c'est pas de lui que je veux parler, hein ?
Son ton mal assuré me fait éclater de rire et elle râle un peu parce que j'ose me moquer d'elle.
— Désolé, oui je sais. Mais il n'y a pas... pas grand-chose à dire.
— Il est toujours gentil ? Ou ça lui est passé ? se méfie-t-elle.
— I-il l'est ! Il est gentil... Tout se passe bien...
À ceci près que je me débrouille encore pour que l'on ne se retrouve pas seuls parce que je n'arrive pas à aligner deux pensées cohérentes quand il est dans les parages et que je crois qu'il a fini par s'en rendre compte.
— Mouais... Ça n'a pas l'air. Il s'est vraiment excusé, n'est-ce pas ?
— Oui ! Oh, pourquoi aurais-je menti là-dessus ?
Je lève les yeux au ciel. Je ne devrais pas être surpris qu'elle se méfie de moi, surtout que je lui cache encore des choses, mais s'il ne l'avait pas fait, je n'aurais pas cherché à ce qu'ils ne pensent plus de mal de lui. Quoique je sache qu'ils lui en veulent toujours.
— Alors pourquoi es-tu gêné de parler de lui ? Il t'attire toujours ?
— Cat... S'il te plaît, je n'ai pas envie de... C'est assez compliqué comme ça.
— Il faut pas que tu continues ça, c'est pas bon. C'est pas sain, Mags.
— Je sais, c'est mon demi-frère et on est une famille et...
— Non, enfin... c'est pas sain parce que tu penses, ça. C'est ce que tu veux, que vous soyez une famille ?
— Hm. Évidemment.
— Vous devriez peut-être mettre les choses au clair dans ce cas-là.
Je passe une main sur mon visage en me forçant à ignorer mon cœur qui se serre brusquement. Je sais qu'elle a raison. Si je veux reprendre une vie normale – et simple –, il faut que je lui parle.
Comme si le destin voulait s'assurer que je ne me défilerai pas après y avoir réfléchi pendant des heures entières, j'entends la porte de la baie vitrée glisser légèrement.
— Oh tu es là, s'étonne Alec de sa voix délicieusement grave.
Cat, qui me parlait, s'arrête net, elle a dû l'entendre. Je lui souris et mon regard descend sur son torse nu. Je vais crever. Il va finir par me tuer à toujours passer les portes torse nu.
— Salut, bredouillé-je. Je croyais que tu étais parti chez Jace.
— Il a annulé, Clary devait aller le voir. Ça t'embête si je...
— Non, non ! Pas de problème.
— Ok, je te laisse ! lance ma meilleure amie contre mon oreille.
Elle raccroche avant même que je puisse lui répondre et je pose mon portable à côté de moi. Quand je regarde à nouveau Alec, je remarque qu'il me fixe. Mes cicatrices. J'attrape la serviette posée par terre pour la mettre sur moi.
— E-excuse-moi, souffle-t-il, comprenant que je l'ai vu faire. Je ne voulais pas...
— Hein ? demandé-je innocemment. Non, c'est juste une habitude... Ce n'est pas très esthétique.
Je fais une petite grimace avant de détourner la tête. Pourquoi je fais comme si ce n'était rien alors qu'il sait parfaitement comment je me sens à propos de ces marques ? Il n'insiste pas et pose sa propre serviette sur le bord de la piscine avant d'entrer dans l'eau.
Lui parler, je dois lui parler. Sinon Catarina va me tuer, et puis... Ma santé mentale ne supportera pas ces non-dits longtemps, de toute manière.
Je repousse la serviette et me lève pour aller m'asseoir sur le bord de la piscine, les jambes dans l'eau. Je pose nonchalamment mes avant-bras sur mes cicatrices pour les couvrir.
— A-Alec... l'appelé-je doucement.
Il se tourne vers moi, sourcils haussés. Un sourire se glisse sur sa bouche pour m'encourager à parler, mais c'est aussi difficile que je m'y attendais d'entamer cette conversation. En plus, c'est prétentieux non ? Si ça se trouve, il va me dire qu'il n'y pense plus, qu'il ne me voit même pas comme moi je le vois.
Mon hésitation me fait rougir, j'ai soudainement peur de me ridiculiser devant lui et de rendre à nouveau notre relation extrêmement compliquée – bon d'accord, elle n'a jamais cessé de l'être !
— Qu'y a-t-il ?
Sa voix est proche. Revenant à moi, je réalise que son visage n'est qu'à quelques centimètres du mien et je sursaute, ça le fait rire.
— Tu m'as fait peur, lui reproché-je en détournant la tête, gêné.
— C'est toi qui m'as appelé !
— Oui, mais...
Je me mords la lèvre pour retenir les mots qui veulent sortir et qui sont tous saufs en adéquation avec ce que je dois lui dire.
— Je suis surpris que tu ne sois pas allé chercher ton père, me dit-il sans s'éloigner.
— C'est la dernière chose à laquelle j'ai droit pour manifester mon mécontentement.
— Qui a dit ça ?
— Cat. Je dois être mature, je me vante trop de l'être pour faire l'enfant maintenant.
— Je ne pense pas que ce soit « faire l'enfant ». Tu as le droit de ne pas être satisfait de ce qu'on fait pour toi quand tu n'as rien demandé. Et je ne crois pas que ton père t'en veuille pour ça.
Sa main se pose à côté de ma jambe et son pouce vient doucement caresser ma peau. Le contact me fait frissonner aussitôt et je dois lutter pour ne pas me jeter dans ses bras.
— Peut-être, murmuré-je.
Je relève les yeux vers lui, il s'est encore rapproché et son torse touche mes genoux. Le bas de mes jambes est collé à son corps. Inconsciemment, je tends mon visage vers le sien et il comble la distance pour m'embrasser. Mes jambes s'écartent pour le laisser s'avancer encore et il passe ses bras autour de ma taille pour me tirer plus près, sur le bord, collant mon bassin contre son ventre. Je gémis et entrouvre la bouche, invitant sa langue à rejoindre la mienne. Il grogne quand j'enfouis mes doigts dans ses cheveux et le désir qui parcourt alors mon corps me fait tressaillir. Putain, mais qu'est-ce que je fais ?
— Non, je devais te parler, soufflé-je en rompant le baiser. Il faut qu'on parle, c'est important.
C'est pas possible que je sois à ce point attiré par lui que je n'arrive même pas à lui résister ? Ça ne devrait pas être si bon de le sentir contre moi, c'est injuste.
Heureusement pour moi, il comprend que c'est sérieux et s'écarte pour qu'on ne se touche plus. Il s'appuie contre le bord et passe une main dans ses cheveux.
— Okay, finit-il par dire. Je... je crois savoir ce dont tu veux parler.
— C'est vrai ?
— Et tu as raison, ce n'est pas... C'est pas une bonne idée qu'on fasse ça, hein ?
Il me regarde, attendant mon approbation – ou peut-être une protestation – et je hoche la tête.
— À quoi ça rimerait ? dis-je. Nos parents sont ensemble, on est une famille. Je sais que c'est ce que mon père veut et j'ai pas envie de détruire ça...
— Ton père... Le mien me tuerait sûrement s'il apprenait ce qu'on a fait.
Le ton léger d'Alec me fait trembler d'effroi. Il le tuerait ? Vraiment ? J'ai l'impression que c'est pas seulement une façon de parler. Je m'empêche de le prendre dans mes bras, ça ne ferait qu'empirer les choses, mais je trouve cela tellement triste. Comment peut-il prendre ça aussi facilement ?
— On est une famille, reprend-il. Ça me va. Je peux pas faire n'importe quoi. En plus, pourquoi prendre le risque d'être découvert ? Pour une passade...
— Ouais...
Ma gorge se serre mais il a raison. C'est une passade. Qu'est-ce que ça pourrait être d'autre dans notre situation ? Je hoche à nouveau la tête, espérant que le sujet est clos et essayant de me dire que c'est une bonne chose. Mais le silence tombe et on ne se regarde pas. Je m'éloigne un petit peu plus, repose maladroitement mes mains sur mes cuisses.
Après quelques minutes, je ressors lentement de l'eau en disant que je vais rentrer. Il m'interpelle quand j'essuie mes jambes.
— Je peux te poser une question ?
— Bien sûr...
— La photo de l'autre jour, c'était quoi ?
— La pho... Oh !
Je pouffe de rire et prends mon téléphone à la recherche de la photo de la Pride. Je tends ensuite l'écran vers lui et il se hisse sur le bord pour mieux voir. Il pique un fard.
— Je t'avais dit que ce n'était pas toi.
En riant, je lui explique d'où elle vient et insiste sur le fait que c'est sa sœur qui l'a prise et me l'a envoyé pour l'embêter. Il se met à rire à son tour même si je vois bien qu'il est gêné de voir quelqu'un qui lui ressemble autant assumer une sexualité « déviante ». Je me sens triste et blessé pour lui et je réalise qu'aujourd'hui on a probablement pris la meilleure décision de notre vie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top