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L'état de Papa n'est plus préoccupant, ce sont les mots de son médecin. Je l'avoue, je ne serai rassuré que lorsqu'il sera rentré à la maison, ce qui ne se fera pas avant quelques jours. En attendant, je continue de me rendre chaque jour à l'hôpital. Seul, la plupart du temps lorsque Maryse travaille et elle s'y rend avant de rentrer à la maison. Au début, Max se plaignait qu'elle ne rentre pas tout de suite, jusqu'à ce qu'on y aille tous ensemble parce qu'Isabelle avait envie de voir mon père, elle aussi. Les traces sur le visage de Papa étaient plus ténues, mais c'est là que mon petit frère a compris ce qui se passait vraiment. Je ne sais pas pourquoi ni comment, peut-être a-t-il fait un blocage ? Peut-être son esprit d'enfant a-t-il nié la gravité de la situation ? Dans tous les cas, depuis ce soir-là, il se montre plus compréhensif.
Assis au comptoir, devant mon café qui fume encore, j'ai du mal à ouvrir les yeux. Je me suis couché tard à cause d'Izzy qui a voulu regarder des films. Bon, d'accord, si je me suis endormi tard ce n'est pas seulement à cause des films mais plutôt à cause du fait que j'étais assis à côté d'Alec. Juste ça. On ne s'est pas touché, pas même effleuré, parce que nous n'étions pas seuls. Et quand nous sommes allés nous coucher, il a simplement fixé ma bouche quelques secondes avant d'entrer dans sa chambre. Et il m'a fallu des heures pour me calmer ! J'ai longuement hésité à aller le voir, sauf que nous n'avons pas abordé le sujet depuis la dernière fois, alors je n'ai pas osé.
La porte qui s'ouvre me fait vaguement relever les yeux, parce que j'ai vu Maryse sortir il y a quelques minutes pour aller chercher le courrier.
— Il y a du courrier pour toi ! chantonne-t-elle presque en s'approchant.
Il me faut un instant pour saisir que c'est à moi qu'elle parle. Je me redresse et attrape l'enveloppe qu'elle me tend. Machinalement, je l'ouvre et en sors une feuille que je déplie. Ce n'est que quand mon regard se pose sur le logo de l'Université de Columbia que j'y prête vraiment attention.
— Tu te trompes, lui dis-je. C'est sûrement pour Alec.
— Non, non ! C'est ton nom sur l'enveloppe !
Je fronce les sourcils et regarde à nouveau l'enveloppe qui m'est, effectivement, adressée. Intrigué, je lis rapidement le contenu de la lettre avant de regarder Maryse. Son visage s'illumine mais je n'arrive pas à comprendre.
— C'est quoi, ça ? demandé-je, un peu énervé.
Son expression s'assombrit et elle me prend la feuille des mains pour lire. Aussitôt, elle retrouve son entrain et me prend dans ses bras. Pourquoi est-ce que cette fichue lettre dit que je suis accepté à Columbia ?
— Félicitations, Magnus ! souffle-t-elle.
— Mais je n'ai jamais envoyé de dossier ! répliqué-je en m'écartant. Je n'ai... Pourquoi l'aurais-je fait ? Je n'ai ni les moyens ni le niveau pour entrer à Columbia ! Tu le sais, je me suis inscrit à la fac communautaire du Bronx !
— Bien sûr que tu as le niveau ! Ils t'ont accepté, mon chéri !
— Comment ? Je n'ai pas fait de dossier de candidature !
Sans se départir de son sourire, elle soupire et m'invite à me rasseoir. Elle se fait un café, me laissant dans l'attente quelques minutes alors que je lis de nouveau la lettre. Il n'y a pas d'erreur, c'est bien mon nom qui est écrit, ainsi que d'autres informations personnelles. Je secoue la tête, j'ai du mal à y croire.
— Ton père et moi avons envoyé un dossier pour toi, à Columbia, m'annonce-t-elle en s'asseyant.
— Quoi ? Mais...
— Il a fait une copie de ton dossier pour la fac communautaire et on y a ajouté ce qu'ils demandaient en plus, dont un essai que tu avais écrit pour le lycée.
— Pourquoi est-ce qu'il ne m'a rien dit ?
— On voulait attendre que tu sois accepté, que tu n'aies pas l'impression d'avoir échoué alors que tu n'avais même pas choisi d'essayer. En juin, on a reçu un courrier disant que tu étais mis sur liste d'attente, alors on a gardé le secret encore un peu.
Je souffle, perdu. Je ne suis pas certain de ce que je ressens, je me sens mal que mon père ait fait ça dans mon dos ! Avec Maryse ! Et si je n'avais pas été pris, ils auraient gardé tout ça secret, avec le fait que je les ai déçu parce que je n'ai pas été accepté. Je me sens trahi et en même temps... J'ai été accepté à Columbia ! J'ai du mal à y croire.
— Non, réponds-je. Non, je ne peux pas. J'ai juste les moyens de me payer l'entrée à la fac communautaire, pas pour...
— Magnus, je t'en prie, ne t'occupe pas de ça.
— Et comment est-ce que je pourrais ?
— Parce que c'est moi qui vais le faire.
Quoi ? Je vivais déjà mal son envie de payer les frais pour la fac communautaire pendant deux ans, et elle veut me payer Columbia pendant... beaucoup plus longtemps !
Voyant ma réaction, elle pose une main sur mon épaule.
— Je sais bien que tu n'es pas à l'aise avec l'idée que je me charge de payer tes études mais ton père et moi l'avons décidé il y a plusieurs mois.
— C'est ridicule, Maryse ! Tu ne peux pas...
— Et pourquoi ça ? Je fais ce que je veux de mon argent. Et, ce que je veux, c'est offrir la possibilité à un jeune homme intelligent de faire des études dignes de ce nom. Mais tu devrais en parler avec ton père, d'accord ?
Elle caresse ma joue et se relève pour aller boire son café sur la terrasse. C'est certain que je vais en parler avec papa ! D'où peut bien lui venir une idée pareille, franchement ? Il a perdu la tête pour imaginer que je vais aller à Columbia, c'est ridicule ! Comme si j'y avais ma place !
Je comptais me rendre seul à l'hôpital, en fin de matinée, mais ma belle-mère en décide autrement et nous nous rendons tous à l'hôpital. Je ne fais pas part de mon désaccord, ni concernant cette visite en famille, ni cette admission insensée. Mais je suis heureux qu'elle ne leur parle pas de la lettre avant que j'ai pu discuter avec Papa. L'enveloppe est dans ma poche et je sais que mon humeur n'est pas passé inaperçu mais je suis resté silencieux jusqu'à notre départ, après le déjeuner.
Je saute pratiquement de la voiture quand Maryse se gare dans le parking et je me mets à courir jusqu'à la chambre de mon père. Je n'ai aucune envie d'attendre qu'ils nous laissent un moment seuls, pas plus que je n'ai envie d'en parler devant eux. Dans mon élan, j'ouvre la porte à la volée et fais sursauter Papa.
— Nom de Dieu, Magnus ! Tu veux me faire avoir une crise cardiaque ? s'exclame-t-il, la main sur le cœur.
Sans dire un mot, je m'approche, approche la chaise du lit pour m'y asseoir et je le regarde quelques instants. Le silence le met rapidement mal à l'aise et il jette un œil vers la porte que j'ai laissée entrouverte. Il se frotte nerveusement les mains, je soupire.
— Elle t'a prévenu, n'est-ce pas ? finis-je par demander. Elle t'a dit que j'ai reçu un courrier de Columbia.
— Bien sûr qu'elle m'a prévenu, ça faisait des semaines que nous attendions ça ! Magnus, je suis tellement fier de toi !
— De moi ? C'est toi qui as envoyé le dossier !
— Peut-être, mais... ce n'est pas comme si j'avais répondu aux questions à ta place.
— Non, c'est pareil.
Il se redresse et tend sa main libre vers moi. Je l'ignore d'abord mais il insiste, alors je viens m'asseoir sur le bord du lit.
— Chéri, écoute, je sais que ce n'est pas ce que tu avais prévu. Et je sais aussi que tu n'aimes pas les imprévus. Aurais-je préféré faire les choses autrement ? Absolument. Mais nous nous sommes déjà disputés plusieurs fois parce que tu ne voulais pas faire un cycle complet, alors j'ai préféré...
— Je n'en ai pas besoin ! m'écrié-je. Deux ans suffisent pour être infirmier et je pourrai travailler et gagner ma vie !
— Tu n'y es plus forcé ! Tu n'es plus forcé de te lancer dans ta vie d'adulte aussi précipitamment. Prends le temps de vivre ta jeunesse, s'il te plaît. Tu peux aller à Columbia, faire des années d'études, t'enrichir. Et même si tu peux être infirmier en allant à la fac communautaire, pense à la façon dont on te verra quand tu diras que tu as fait tes études à Columbia. Ce sera plus facile de trouver un travail et si tu veux changer de métier, tu pourras le faire. Tu ne seras pas coincé avec un diplôme qui ne te sert à rien.
J'ouvre la bouche et la referme, conscient de ce qu'il me dit. Non, ce n'est pas lui qui s'est retrouvé dans cette situation, parce qu'il n'a jamais pu faire d'études, c'est Maman. Elle est allée dans une fac communautaire pour pouvoir devenir institutrice, mais son diplôme n'avait pas la même valeur que celui des autres qui postulaient aux mêmes postes. Je sais qu'avant que je naisse, elle enchaînait les petits contrats pour joindre les deux bouts et ensuite, c'était plus simple de rester à la maison pour s'occuper de moi plutôt que d'avoir à trouver une nounou.
— Tu dois penser à ton avenir Magnus, Columbia c'est inespéré.
— Columbia ?
La voix d'Isabelle résonne dans la chambre et je me tourne pour voir les quatre Lightwood à la porte de la chambre. Maryse fait une moue désolée.
— J'ai pas pu les garder loin plus longtemps.
Et c'est sûrement de ma faute parce que je n'ai pas été capable de me contrôler, mon comportement était plus que suspect. Je souffle en passant une main sur mon visage.
— Tu as été accepté à Columbia ? demande Alec.
— Mais je suis inscrit à la fac communautaire, alors peu importe !
— À vrai dire... tu n'es pas encore inscrit, m'avoue mon père. Je n'ai pas posté le dossier parce qu'on attendait encore la réponse de Columbia.
— Et si je n'avais rien reçu ?
— La fin des inscriptions était à la fin du mois d'août, Mags. Je l'aurais envoyé à temps. Maintenant, tu peux faire ton choix.
Je me relève en secouant la tête. Maryse et Papa me regardent avec tellement d'espoir dans les yeux que je ne sais même pas quoi dire. Je vois bien qu'ils sont fiers de moi mais je n'ai pas l'impression de pouvoir l'être.
— Tu peux pas dire non à Columbia ! lance Izzy.
— Je peux pas dire oui !
— Mais pourquoi ?
— C'est à cause de l'argent, n'est-ce pas ? demande Alec.
Je le regarde, pas vraiment surpris qu'il ait deviné même si nous n'avons jamais reparlé de son père depuis que j'ai surpris leur conversation.
— C'est débile, pourquoi ce serait un problème ? interroge Max.
— C'est vrai, continue Izzy. Maman a déjà dit qu'elle paierait tes études comme elle le fera pour nous, non ?
— Columbia est beaucoup plus chère que la fac communautaire !
— Ce n'est pas un problème, dit Maryse. Sinon, on n'aurait pas fait ça. C'est à toi de décider, ne te préoccupe de rien d'autre que ce qui est bon pour toi.
— Et c'est Columbia qui serait bon, hein ?
— Il faudrait être idiot pour refuser Columbia !
Un sourire se glisse sur la bouche d'Alec, et Izzy se jette sur moi comme si j'avais dit oui. Mais après tout, je n'ai pas refusé. C'est vrai, il faudrait être idiot...
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