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Je n'ai pas quitté le chevet de mon père. Cela fait quatre jours que je suis à l'hôpital, je me suis habitué au bruit des machines, au bruit des gens qui passent dans le couloir, et aux infirmiers et infirmières qui viennent de temps en temps. Et ils se sont fait à l'idée que je ne comptais pas partir, même si ça n'a pas été évident. La première nuit, ils ont essayé de me convaincre de repartir, que rester ici ne servait à rien et que m'épuiser au lieu d'aller passer une bonne nuit de sommeil dans mon lit rendrait triste mon père à son réveil. À bien y penser, c'est peut-être vrai, peut-être qu'il se sentira un peu coupable que j'ai eu envie de rester là, mais il saura comprendre que c'était plus fort que moi.

Néanmoins, ils ont tant insisté que j'ai fini par sortir de la chambre et de l'hôpital, pour aller m'asseoir sur les marches devant, attendre que le lendemain arrive avec l'ouverture des heures de visite. Il ne faisait pas froid et j'avais assez de lumière pour lire, mais au bout d'une heure l'infirmière en chef est venue me dire de retourner dans la chambre. À son soupir, j'ai compris qu'elle se disait que je ne tiendrai pas plus de quelques jours. C'est vrai, s'il reste dans cet état plus de quelques jours, je ne sais pas ce que je ferai. Pour l'instant, on me laisse tranquille, j'y penserai plus tard.

J'ai prévenu Catarina et Ragnor de ce qui s'est passé et ils sont venus me tenir compagnie à tour de rôle pour que je ne reste pas tout seul à « ruminer mes pensées » comme il m'arrive apparemment de le faire, d'après mon meilleur ami. J'étais content qu'ils viennent et je l'étais d'autant plus qu'ils ne sont pas venus en même temps. Pourtant ils ont réussi à me poser presque les mêmes questions concernant Alec. Je ne les blâme pas, à leur place, je serais curieux aussi. J'ai pu leur expliquer que les choses ont l'air de s'arranger et qu'il s'est excusé pour tout... sans évoquer la nuit que nous avons passée ensemble.

De toute façon, comment aurais-je pu leur en parler ? Je me rends bien compte que cette situation est complètement absurde et j'ai peur de leur réaction. D'ailleurs, je crois que c'est la première fois de ma vie que j'ai à ce point peur qu'ils me jugent. Je sais que je suis en train de faire n'importe quoi et je me sens terriblement coupable de penser à Alec autrement que comme mon demi-frère. Combien de fois Papa m'a-t-il dit qu'il voulait que l'on forme une vraie famille ? Et pourtant, la culpabilité ne m'empêche pas d'avoir envie de lui parler. Il m'aide et continue d'apaiser mes angoisses, même simplement par messages. C'est agréable.

Putain... Est-ce que je suis en train de tout foutre en l'air ?

— Magnus ?

Je suis en train de somnoler sur le fauteuil quand la voix de mon père trouble le silence. Je sursaute et manque de tomber du fauteuil en voulant me lever trop vite.

— Qu'est-ce que... On est où ? demande-t-il alors qu'il essaie de se redresser.

— Ne bouge pas, on est à l'hôpital.

Il fronce un peu les sourcils mais repose sa tête sur l'oreiller. Je reconnais l'expression pensive sur son visage, il essaie probablement de retrouver ses derniers souvenirs avant de perdre connaissance.

— Oh, c'est vrai, soupire-t-il.

— Mais tout va bien, les médecins se sont occupés de toi.

Malgré mes mots qui se veulent rassurants, je sens les larmes me monter aux yeux tant je suis soulagé de le voir revenir à lui. Je m'approche un peu plus et me penche pour l'enlacer, sa main se pose dans mon dos.

— Je suis là depuis combien de temps ?

— Seulement quatre jours, on est lundi soir.

— Okay.

Il soupire de nouveau, cette fois plus soulagé. J'appuie sur le bouton à côté de son lit pour appeler les infirmiers avant de chasser l'eau au bord de mes paupières. Papa regarde sa main encore tuméfiée qui montre qu'il a certainement rendu des coups. Je l'avais déjà remarquée mais cela m'étonne encore, ce n'est pas son genre. Je n'ose pas lui demander les détails tout de suite, cependant. Je ne sais même pas si j'arriverai à lui poser la question plus tard.

Quelqu'un frappe à la porte qui s'ouvre sur l'une des infirmières. En voyant que Papa est réveillé, elle se retourne vers le couloir pour demander à ce qu'on prévienne le médecin puis elle s'approche.

— Comment vous sentez-vous ?

— B-bien, répond simplement mon père.

L'infirmière me lance un petit regard et je comprends qu'il vaut mieux que je les laisse. Elle doit s'attendre à ce qu'il ne soit pas très honnête pour ne pas m'inquiéter et c'est sans doute exactement ce qu'il fait.

— Tu devrais prévenir ta belle-mère, me suggère-t-elle. Tu pourras revenir d'ici vingt minutes.

— D'accord.

Je me relève et attrape mon téléphone avant de sortir de la chambre. Dans le couloir, je ne tarde pas à croiser le médecin. En sortant, je prends un café et je vais m'asseoir sur un banc.

— Tout va bien ? me demande Maryse sans attendre.

Il est tard, plus de vingt-trois heures, et c'est la première fois que je l'appelle, donc je m'attendais à cette réaction. Elle m'a appelé au moins cinq fois par jour ces derniers jours – en plus de ses visites – et je crois que c'est une règle tacite qui s'est imposée d'elle-même : tant que je ne l'appelle pas, c'est qu'il n'y a pas de changement et que je vais bien.

— Il vient de se réveiller, lui dis-je.

— Oh mon Dieu...

Je l'entends étouffer un sanglot et s'asseoir.

— Est-ce que tu lui as parlé ?

— Oui. Il a l'air de se rappeler ce qui s'est passé.

— Bien, okay. Hum, j'arrive le plus vite possible.

— Le médecin est avec lui, pour l'instant, alors fais attention sur la route.

— On dirait Alec, rit-elle. Je vais faire attention, à tout à l'heure.

Je garde mon téléphone à la main tout en buvant mon café. Un soupir s'échappe de ma bouche tandis que je m'appuie contre le dossier du banc. Enfin, Papa est réveillé. Je ne saurais décrire avec précision le soulagement que je ressens. Je me perds un peu dans la contemplation du liquide sombre dans ma tasse en carton et de la fumée qui s'en élève.

« Maman m'a dit la bonne nouvelle »

Je souris en lisant le message qu'Alec vient de m'envoyer. Maryse l'a sans doute prévenu avant de partir, après tout Max doit déjà être couché donc ce n'est pas comme s'ils pouvaient tous venir. Je me mords la lèvre, un peu déçu par cette pensée.

« Comment tu te sens ? »

« Bien »

« Je peux t'appeler ? »

Je fixe mon téléphone en attendant sa réponse, mais ce n'est pas un message que je reçois : il m'appelle. Je décroche en essayant de me persuader que mon entrain est uniquement dû au réveil de Papa.

— Salut, soufflé-je alors que mes joues rougissent pour absolument aucune raison. Je te dérange pas ?

— C'est moi qui t'appelle, répond-il en riant. Si ça me dérangeait, je ne l'aurais pas fait.

— O-oui, mais... Enfin, d'accord. Je suis content que tu appelles... j'avais envie d'entendre ta voix.

C'est en finissant ma phrase que je réalise ce que je viens de dire. Putain ! Les mots sont sortis tout seuls, je ne voulais pas dire une chose pareille ! Oh c'est pas vrai...

— N-n-n-non non, c'est pas... Je veux dire que c'est plus facile de discuter comme ça, essaie-je de me reprendre. Plutôt que par message...

— Euh... Hm... J'hésitais à t'appeler aussi, pour hum... que ce soit plus simple.

— Ah oui ?

Mon cœur se met à battre soudainement plus fort. Qu'est-ce qui me prend, enfin ? C'est juste... plus facile comme ça, c'est vrai ! Je me racle un peu la gorge.

— Pourquoi tu l'as pas fait ?

— Je pensais que tu serais dans la chambre, avec ton père. Je voulais vous laisser tranquille.

— C'est gentil. En fait, il est avec le médecin alors ils m'ont demandé de sortir.. Je dois y remonter dans une quinzaine de minutes.

— D'accord. Alors je vais te tenir compagnie, en attendant.

— Merci... Ça a été ta journée ?

Nous poursuivons cette conversation banale comme si je ne l'évitais pas hier encore et que nous ne nous détestions pas il y a dix jours. C'est étrangement facile de parler avec lui mais une petite partie de moi m'exhorte toujours à me méfier de lui, cette partie blessée qui craint encore tellement Jonathan.

Quand je vois Maryse arrive, je décide de raccrocher avant qu'elle ne me voit au téléphone. Je n'ai pas envie d'avoir à lui mentir si elle me demande à qui je parle, et je ne suis pas certain qu'elle ne trouve pas bizarre que j'appelle Alec.

Je me lève pour aller jeter mon gobelet vide et Maryse s'approche pour me prendre dans ses bras. Je me rends compte qu'elle est encore fébrile mais je ne dis rien, me contentant de la laisser s'accrocher à mon bras alors qu'on rentre dans la chambre. Dans le couloir, on croise le médecin qui nous assure que mon père se porte bien – compte tenu de la situation – mais qu'il a besoin de repos.

Je laisse Maryse entrer la première dans la chambre et elle va aussitôt enlacer Papa.

— Tu nous as fait tellement peur, lui dit-elle.

— Désolé, Amour. Je recommencerai pas, promis.

Elle s'écarte en riant à travers ses larmes et elle lui met un léger coup sur l'épaule. On tient compagnie à mon père environ une heure avant qu'une infirmière vienne lui donner un sédatif. Apparemment, il est temps pour nous de partir et je n'ai plus de passe-droit.

— Ça va aller ? lui demandé-je en dernière fois.

— Bien sûr. Je vais dormir et il y a plein de gens pour veiller sur moi. Ne t'inquiètes pas, Mags. Allez, rentre.

— Je t'aime, Papa.

— Moi aussi, mon chéri.

J'attrape mon sac et quitte la chambre, je vais attendre Maryse à l'extérieur. Dans la voiture, je ne tarde pas à chercher à satisfaire ma curiosité à propos d'un détail que j'ai remarqué pendant que je veillais Papa.

— Tu sais, commencé-je. Je me suis demandé plusieurs fois comment l'hôpital avait pu t'appeler, alors qu'on lui a volé son portable.

— Ah, oui, c'est vrai. C'est bizarre.

Elle me regarde une seconde, apparemment elle n'y avait pas pensé.

— Et puis, j'ai vu qu'un papier dépassait de son portefeuille. Un papier avec ton numéro et une trace de rouge à lèvres.

— Il l'a gardé ? s'étonne-t-elle avant d'éclater de rire.

Les lumières de l'extérieur me permettent vaguement de voir que ses joues ont rosi.

— Ça date du soir où on s'est rencontrés, me confie-t-elle. On avait discuté mais je n'ai pas osé lui donner directement mon numéro alors je l'ai écrit sur un papier et je l'ai posé sur le comptoir en partant. Je ne pensais pas qu'il l'avait gardé après plus d'un an.

Heureusement qu'il l'a fait, sinon l'hôpital ne l'aurait pas appelée pour nous prévenir et on serait sans doute resté des heures à se ronger les sangs. Je ne me moquerai plus de Papa parce qu'il garde tout.

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