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Je range notre bordel en cinq minutes. Ma gorge est serrée et mon corps tremble, j'ai la trouille que quelqu'un d'autre qu'Alec entre dans cette pièce et m'y trouve. Je laisse le bol – après avoir ramassé le popcorn – sur le canapé, où il était avant qu'Alec ne le fasse tomber. Demain matin, je le récupèrerai avant de descendre, je ne peux simplement pas descendre maintenant. J'éteins enfin le film et attrape le coussin avant de quitter la pièce. Je m'assure que personne ne monte et file vers la salle de bain. Il me faut une douche. Froide.

« J'ai fait n'importe quoi... »

Voilà le message que j'envoie à mes meilleurs amis quand je retourne dans ma chambre. Je pose mon pantalon et la housse du coussin sur le dossier de ma chaise. Je les ai rincé, incapable de me faire à l'idée de juste les balancer dans la panière à linge sale, d'imaginer que quelqu'un puisse soupçonner quoi que ce soit. Et si Maryse demande pourquoi il manque un coussin, je dirai que j'ai renversé du soda dessus.

Je laisse tomber la serviette que j'avais attaché autour de ma taille pour enfiler un sous-vêtement propre et je vais m'installer dans mon lit.

« Qu'est-ce qui se passe ? »

« Quoi 'n'importe quoi' ? 👀 »

Sans surprise, ils me répondent en moins de deux minutes.

« Ça a dégénéré avec Alec... »

« Vous vous êtes battus ? »

« Nan 😳 pas 'dégénéré' comme ça........»

« Vous vous êtes embrassés !? 😲 »

Je hausse les sourcils, mais je ne devrais pas m'étonner que Catarina pense à ça. D'accord, à bien y penser, ce serait bizarre, mais... ce qu'on a fait l'est aussi. Je ne réponds pas tout de suite parce que je la vois en train d'écrire.

« OH MY GOD je savais qu'il te plaisait ! 😍 »

Mais de quoi elle parle ? J'ai quand même pas été si transparent que ça... si ?

« Non, on s'est pas embrassés »

« Beh alors il s'est passé quoi ? 🤨 »

Je dois recommencer mon message à plusieurs reprises parce que je n'arrive même pas à le formuler. Je me sens tellement bête et en même temps, quand j'y repense, mon corps réagit aussitôt. Je me mords la lèvre en essayant de me sortir mes souvenirs de la tête.

« On a fait des choses 😳 Pas 'la' chose,
mais... un peu 👉🏼👈🏼 »

Putain, heureusement que ce sont mes meilleurs amis et que je n'ai aucune honte à leur dire quoi que ce soit, sinon j'aurais envie d'aller me jeter dans les escaliers.

« QUOI ???? 🙊 Mais comment c'est
possible ? 🤯🤯🤯 »

« Euh, on parle toujours de ton demi-frère ? »

Merci Ragnor de toujours mettre les pieds dans le plat. Encore que c'est pas comme si je le considérais comme mon frère, et le véritable problème n'est pas là... Mais comment pourraient-ils le savoir, puisque je ne le leur ai pas dit ? J'ai succombé à mon bourreau brutal et homophobe. Comment ? Pourquoi ?

« Oui, on parle bien de lui 😣 »

« Tu veux qu'on s'appelle ? »

« Non, surtout pas ! Pas maintenant ! »

Je relève bêtement la tête vers la porte, comme si elle allait s'ouvrir soudain sur lui.

« Tu vas bien ? »

« Oui, c'est juste qu'il est dans sa chambre, les
parents sont en bas... Et je suis pas sûr qu'ils
peuvent pas entendre si je parle... »

« Bah... Si t'as peur de parler, comment

t'as pas eu peur de 🍆 ? »

« On regardait un film dans la salle

de projection ! »

Mais pourquoi doit-elle poser des questions aussi gênantes ? Même si c'est vrai qu'à aucun moment j'ai pensé qu'on pourrait nous entendre. M'entendre. Oh Seigneur... J'avais jamais fait ce genre de bruit auparavant en plus... Non, stop ! Inutile de me créer des peurs débiles ! Je l'aurais remarqué si on entendait quoi que ce soit qui vient de la salle de projection.

« AAAAAAAaaAAAa[...]aaaaaAaaa[...]aaAa !!!!!!!!!!
🙊🙈 »

« Cat, je te déteste »

« ❤️ »
« Désolée, c'était trop tentant 🤭 »

« Trop drôle 😒 »

« Mais n'écoute pas ce que dit Ragnor, c'est
pas comme si c'était vraiment ton frère, tu
le connais à peine ☝🏾 »

« C'est ça, m'écoute pas... sérieux... »

« Arrête de râler, Rag ! 🤦🏾‍♀️ Bon, le plus
important : c'était bien ? 😏🔥 »

Je rougis en lisant son message. Ça fait vingt minutes que j'essaye de ne pas penser à ça. J'avais jamais ressenti un truc pareil, je ne m'y attendais pas. Je veux dire, bien sûr que j'ai déjà fantasmé sur le fait de coucher avec un mec mais je me suis toujours vu en top. Peut-être que c'est parce que je n'ai couché qu'avec une fille et que mon expérience est encore assez restreinte, mais je n'ai jamais pu imaginer avoir envie d'être... l'autre. Et pourtant là, pour la première fois, j'ai eu envie d'autre chose. C'était tellement bon de le sentir sur moi, son corps si près du mien.

« Tu veux pas répondre ? 😶 »

« Non »

« Non, tu veux pas répondre ou non c'était
pas bien ? »

« Non, je veux pas répondre 😒 »

« Et vous en êtes où, du coup ? 🤨 Vous
avez parlé au moins ? »

« Il est parti avant que je reprenne
mes esprits »

« 😓 Quel connard »

« Et je sais même pas où j'en suis, moi 😓 »

« Je peux poser une question qui fâche ? »

« Comme si tu te retenais, d'habitude ? 👀 »

« Vas-y »

« C'est juste qu'il te plaît ou c'est plus que ça ? »

« Putain Ragnor 🤐 »

« J'avais prévenu... »

Je passe une main sur mon visage en soufflant. Plus que ça ? Non, comment ça pourrait ? J'ai juste... vrillé parce qu'il est canon, mais ça ne change rien à ce qu'il m'a fait, au fait qu'il était ami avec Jonathan. Il m'a menacé il y a encore quelques jours et il me brutalise. Comment ça pourrait être plus que ça ? Juste parce qu'il est gentil avec le reste de notre famille et que je trouve ça terriblement attendrissant ?

« Mags ? »

« Je vais me coucher. »

Sans attendre une quelconque réponse, je pose mon téléphone sur la table de chevet. J'éteins la lumière et me couche. Je sais que je vais sans doute mettre du temps avant de m'endormir mais je ne peux pas répondre à sa question.

Le lendemain, c'est dimanche et, bien que j'ai réussi à me faire à l'idée que j'allais devoir parler à Alec, ça va être compliqué. Déjà, parce que quand je descends avec le bol de popcorn, mon père est à la cuisine en train de boire son café. Vu l'heure, c'est étrange, même s'il ne travaille pas. J'en déduis qu'il m'a attendu.

— Trop fatigué après le film ? demande-t-il en désignant le bol du menton.

— Ouais... En fait, on l'a pas fini, Max est allé se coucher après à peine une demi-heure et...

— Je sais, on l'a vu descendre.

Logique. Ses doigts pianotent nerveusement sur le comptoir, j'essaie de l'ignorer et vais vider le bol dans la poubelle avant de le mettre dans l'évier. Je me sers un café, attendant qu'il parle.

— Donc t'es resté seul avec Alec ?

— Oui, pourquoi ?

J'agis le plus naturellement possible et m'installe en face de lui pour ne pas montrer que ma seule envie, maintenant, c'est de fuir cette conversation. Pourquoi me pose-t-il cette question ? Il soupire avant de jeter un regard vers l'étage. J'ai de plus en plus peur de ce qu'il va dire.

— Ah... C'est juste qu'avec ce qui s'est passé vendredi, j'ai eu peur qu'il y ait des tensions entre vous.

Des « tensions »... Je réprime un soupir et bois une gorgée de mon café. Je me brûle la lèvre, tant pis !

— En fait, quand Max est descendu j'ai failli vous rejoindre, mais Maryse m'a convaincu qu'il valait mieux vous laisser seuls. Donc, tout va bien ? Pas de dispute ?

Je secoue la tête en prenant une autre gorgée. Lui aussi est visiblement soulagé par ma réponse, même s'il ne devrait pas l'être du tout.

— C'est un bon garçon mais leur père est... Enfin, je suis mal placé pour parler de lui.

— Izzy m'a expliqué dans les grandes lignes.

— Il s'est excusé, au moins ?

— Oui.

Il sourit et tend le bras vers moi pour ébouriffer mes cheveux, je lui lance mon regard habituellement blasé par ce geste, ça le fait rire. Je n'ai pas envie de gâcher ce qu'il essaie de construire mais, une chose est certaine, Alec ne sera jamais mon frère. Pas avec ce qui s'est passé il y a cinq ans... Et encore moins après ce qui s'est passé hier soir.

Il se lève pour aller rejoindre Maryse que j'ai entendue sur la terrasse, avec Max.

Comme je le supposais, je ne parviens pas à trouver l'occasion de parler à Alec de toute la journée. Il faut que j'attende le soir, après que tout le monde est couché et qu'il finit par monter à son tour. J'ouvre la porte de ma chambre, la lumière qui éclaire alors le palier plongé dans la pénombre attire son attention. Il s'arrête à un mètre de sa porte et se tourne vers moi. Mal à l'aise, je le rejoins et parle à voix basse pour ne pas alerter Isabelle.

— Je crois qu'on doit parler.

— De quoi ?

Son visage reste neutre – quoiqu'agacé – mais les rougeurs sur ses joues le trahissent. Il sait parfaitement quel sujet je veux aborder, donc je reste devant lui, les bras croisés, à attendre qu'il l'admette. Il soupire.

— Il n'y a rien à dire. Fais comme si rien ne s'était passé.

— Tu te moques de moi ? C'est hors de question ! Il s'est passé quelque chose et...

— Et quoi ? me coupe-t-il en s'approchant d'un pas. C'est pas comme si ça avait la moindre importance.

Ses yeux me fixent et mon cœur se serre. Je ne suis pas certain de ce que j'attendais de cette conversation... mais pas à ce qu'il me dise ça. Pas d'importance ?

— Te fais pas d'idées, je suis pas comme toi, continue-t-il.

— Pas attiré par les hommes, tu veux dire ?

— Et pas attiré par toi !

Je serre les dents. Pourquoi est-ce que ça me fait mal ? Non, je préfère ne pas y penser. Mettons ça sur mon ego...

— Ça avait pourtant pas l'air de te déplaire, ne puis-je m'empêcher de lui faire remarquer.

— Une bouche c'est une bouche, pas besoin d'en faire tout un plat. J'ai fait bien plus avec des femmes alors imaginer l'une d'elle en train de me sucer n'était pas très difficile !

Je n'arrive pas à répondre tellement je me sens insulté. Il profite de ma confusion pour aller dans sa chambre, le bruit sec de la porte me fait sursauter et j'entre à mon tour dans ma chambre. Je m'appuie contre ma porte et passe mes mains sur mon visage.

Pas d'importance... C'était la première fois qu'un homme me touchait, la première fois que je touchais un homme, et il me dit qu'il pensait à une femme ? Certes, je ne peux pas croire que ce soit entièrement vrai... C'est arrivé trop vite et il était excité avant ça. N'empêche... Quel connard d'oser me dire un truc pareil...

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