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« Je suis désolé »

Je fixe mon téléphone depuis quelques minutes. Papa est redescendu après m'avoir assuré que Maryse ne fera pas cas de cette nouvelle. Cependant, avant qu'il ne parte, je suis persuadé d'avoir entendu Alec rentrer dans sa chambre. Ce n'était pas Izzy – la porte n'a pas claqué. Donc il est dans sa chambre, de l'autre côté du couloir. Et il m'envoie un message pour dire qu'il est désolé ?

J'essaie, durant ces quelques minutes, de calmer ma colère, mais je ne suis pas doué pour réprimer ce genre d'émotions. C'est pourquoi je sors de la chambre et débarque dans celle de mon demi-frère sans même frapper.

— Un message ? crié-je dès que la porte claque derrière moi. Tu te fous de ma gueule ? T'as même pas les couilles de venir demander pardon en face ?

Assis sur son lit, il me fixe avec des yeux ronds et met quelques secondes à se reprendre. Il lâche son téléphone qu'il avait à la main et se redresse un peu. Comme il fait mine de se rapprocher, je recule instinctivement.

— Je pensais pas que tu voudrais me parler.

— Évidemment que je n'ai pas envie de te parler mais ça aurait été la moindre des choses ! Même si je me doute que c'est ta mère qui t'a demandé de le faire... Est-ce que tu te rends compte de ce que t'as fait ?

J'inspire longuement pour retenir une nouvelle salve de larmes – je n'ai pas envie de pleurer devant lui ! – et il soupire. Ça s'est peut-être mieux passé que ce que je craignais, mais Ragnor avait raison. Je regrette de ne pas l'avoir avoué moi-même à mon père.

— Elle ne m'a rien demandé et je suis vraiment désolé. Je pensais que ton père savait déjà, et que Maman aussi... Il est toujours en train de dire à quel point vous êtes proches et que tu ne lui caches rien.

— Il me semble pourtant que tu es le mieux placé pour savoir que ce n'est pas le cas.

Le pire dans tout ça, c'est qu'il a l'air sincère. Et ça m'énerve encore plus parce que je lui en veux moins ! Il ferme les yeux en hochant la tête, sa main passe sur son visage et remonte ébouriffer ses cheveux noirs. Il ouvre la bouche mais je le devance.

— T'es quand même un connard. Et puis, pourquoi es-tu désolé alors que tu me détestes ?

— Oui, je te déteste, mais ça ne m'empêche pas de reconnaître mes erreurs, moi !

— Comment ça ?

— Arrête de faire l'innocent. Si tu savais ce que ça m'énerve...

Cette fois, il se lève et je n'ai pas le temps de m'écarter qu'il est déjà devant moi, mais le mur est trop près de mon dos pour que reculer maintenant serve à quoi que ce soit. Alors je campe sur mes pieds et me tiens le plus droit possible pour réduire au mieux notre différence de taille... bien qu'il fasse quand même une tête de plus que moi et soit plus large d'épaules.

— Je ne « fais » pas l'innocent ! lui réponds-je, droit dans les yeux. Je ne sais même pas de quoi tu parles et si t'es pas capable de me le dire clairement, arrête de m'intimider parce que ça ne marche plus !

Il hausse les sourcils – peu impressionné par mon audace – et avance d'un pas de plus mais je me force à ne pas bouger. Je serre les poings alors que mes mains se mettent à trembler, je ne saurais même pas dire si c'est de peur ou d'autre chose.

— Alors je vais être clair, puisque c'est ce que tu veux, grogne-t-il en approchant son visage du mien. Je te déteste et je déteste les gens dans ton genre. Si tu touches à un seul cheveu de Max, je te tue, c'est compris ?

Une larme traîtresse roule sur mon visage sans que je la sente venir. Pourquoi imagine-t-il que je pourrais faire du mal à Max ?

— Qu'est-ce qui va pas chez toi ? soufflé-je en essuyant ma joue. Jamais je ne...

Des coups sur la porte m'interrompent et la porte s'ouvre aussitôt sur Isabelle. Elle met ses poings sur ses hanches et nous regarde d'un air mécontent.

— Alec, tu t'es pas excusé ?

— Si, je l'ai fait. Mais il n'est visiblement pas satisfait.

Je lui lance un regard furibond. Mais sans déconner, il se moque de moi ? Il me menace et je devrais simplement le laisser faire ? Je le frappe au torse pour le repousser et je sors de cette pièce. Je ne veux plus le voir, j'en ai assez.

Je retourne dans ma chambre et me laisse tomber sur le lit, Izzy me rejoint.

— Donc c'est toi qui lui as dit de s'excuser ? demandé-je, un bras sur mon visage.

— Pas vraiment, je crois qu'il s'est vraiment senti con d'avoir fait ton coming out à ta place... Pourquoi vous vous disputiez ? Il ne l'a pas fait exprès, tu sais ?

Elle s'allonge à côté de moi et souffle.

— C'est ce qu'il m'a dit, admets-je.

— Tu ne le crois pas ?

— Je crois que si, mais... Izzy, c'est plus compliqué que ça.

Comme si je pouvais lui raconter. Je secoue la tête et espère qu'elle laisse tomber, mais elle ne semble pas décidée à changer de sujet.

— Je sais qu'il peut se montrer odieux, parfois, mais tu as aussi vu qu'il est gentil, non ?

— Avec vous, peut-être...

— Il ne serait pas comme ça s'il n'était pas parti vivre avec notre père. Avec lui, il faut être parfait, c'est-à-dire ne pas faire de vague et ne surtout pas être le clou qui dépasse.

— Pourquoi est-ce qu'il est parti avec lui, alors ?

— J'en sais rien, il n'a jamais voulu me le dire... ni à Maman, et ça l'a tellement blessée qu'il parte. Il n'était pas comme ça, avant... Et comme tu l'as peut-être compris tout à l'heure, notre père n'est pas vraiment tolérant vis-à-vis des LGBTs. Ce qu'il fait à Max, il l'a fait à Alec.

— Ça n'a pas dû être facile pour toi, non plus. Je me trompe ?

Elle hausse les épaules, d'un air détaché.

— Dès que j'ai compris que ce qu'il disait rendait mon frère malheureux, j'ai arrêté de l'écouter. L'année précédant le divorce, je lui adressais pratiquement plus la parole parce qu'il n'était que reproches et menaces. Laisse... Laisse un peu de temps à Alec avant de te faire une idée de lui, tu veux bien ?

Ses yeux suppliants se lèvent vers moi et, faible que je suis, je n'arrive même pas à lui refuser ça, quand bien même je suis persuadé que ça ne changera rien.

— Ça va... S'il arrête d'être con, je ferai des efforts.

— Mais je t'accorde le droit de lui en vouloir pendant au moins un mois, pour ce qu'il a fait ce soir.

— Vous êtes trop bonne avec moi, Princesse.

Son rire me rassure et elle vient se caler dans mes bras. Pourquoi est-ce que je me retrouve à faire ce genre de compromis ? Je ne suis pas certain de réussir à lui pardonner un jour ce qu'il m'a fait, il y a cinq ans. En plus, pourquoi le devrais-je ? Il ne montre pas le moindre remord...

Quand je me réveille, le lendemain matin, j'hésite un long moment avant de me lever. Malgré ce que m'a dit Papa, j'ai un peu peur de la réaction de Maryse quand je me retrouverai face à elle. Surtout qu'il n'est pas là. Je ne crois évidemment pas ma belle-mère capable d'avoir un comportement diamétralement opposé juste parce que Papa n'est pas là, mais ça m'inquiète quand même.

Alors je reste allongé sur mon lit, à regarder des vidéos sur mon téléphone. J'ignore mon ventre qui gargouille. Je me mets même à somnoler de nouveau et c'est ce qui m'empêche d'entendre quelqu'un arriver.

— Bonjour, bonjour ! clame Maryse en entrant.

Dans un sursaut, je me tourne vers elle et elle éclate de rire. Y a pas à dire, Izzy est bien sa fille.

— Et dire que je croyais que tu étais du matin !

— Seulement quand j'ai des obligations, grogné-je en enfouissant ma tête dans mon oreiller.

Je l'entends faire quelques pas dans la chambre avant qu'elle ne s'assoie au bord du lit. Elle ne dit rien, attendant que je me redresse, ce que je finis par faire en retenant un soupir.

— Je pense que j'ai été moins surprise que ton père, hier soir.

— Ça, je veux bien le croire.

— Il était bouleversé que tu aies eu peur de sa réaction et il s'en veut que tu aies enduré ça... alors ne t'étonne pas s'il se montre plus démonstratif ces prochains jours.

Je ris avec elle et remonte mes genoux contre mon torse pour y poser mes bras.

— Je suis désolé que ça se soit passé comme ça, soufflé-je. J'aurais dû être plus honnête.

— Magnus, tu ne nous connais que depuis à peine plus d'un mois, c'est normal que tu n'aies pas su trouver comment en parler. Nous faisons tous face à de nombreux changements et nous devons apprendre à vivre ensemble, comme une famille. Mais ça ne veut pas dire qu'on doit tout se dire.

J'acquiesce et elle prend mon visage entre ses mains pour me regarder. Je ne sais pas quelle tête je fais mais son sourire s'agrandit.

— Je vais sûrement te dire la même chose qu'a dit ton père, hier : peu importe la personne que tu aimes, nous t'aimerons toujours.

Mes joues rougissent et elle se moque gentiment de moi avant de continuer :

— Sens-toi libre d'être toi-même, tu es ici chez toi.

— Merci, Maryse.

Elle me lâche puis se relève et commence à partir de la chambre, mais elle se retourne avant d'atteindre la porte.

— Dis... tu ne comptais pas m'éviter aujourd'hui, n'est-ce pas ?

— Pas du tout ! mens-je aussitôt.

À l'expression de son visage, je vois qu'elle ne me croit pas. Elle plisse les yeux et lève un doigt vers moi en guise d'avertissement. En quittant la chambre, elle me dit de venir prendre mon petit-déjeuner, je l'entends ensuite descendre les escaliers.

Une famille... Ça a été, pendant si longtemps, juste Papa et moi que je n'ai pas l'habitude que d'autres personnes que lui – ou Catarina et Ragnor – s'inquiètent pour moi et prennent soin de moi. Alors c'est à ça que ça ressemble, d'avoir une mère ? Je crois que j'avais fini par oublier.

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