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Je n'ai plus adressé la parole à Alec depuis le lendemain de la Pride. Pas même pour faire semblant devant nos parents, c'est au-dessus de mes forces. Bien sûr, j'ai peur qu'Izzy se doute que je lui ai menti et je n'ai toujours pas envie qu'elle apprenne la vérité, mais pourquoi devrais-je faire des efforts lorsqu'il n'en fait pas ? Quand il me vrille de son regard et me bouscule dès qu'il passe à côté de moi alors que je fais de mon mieux pour, juste, l'éviter.
Ce soir, je rentre de mon dernier jour de travail à l'épicerie. Je pensais que je passerais le trajet à chercher des annonces pour trouver un autre job, ou encore que j'écouterais la musique en envoyant des messages à Cat ou Ragnor. Mais non, au lieu de ça, je fixe mes pieds et mes pensées vagabondent. Comme souvent ces jours-ci – et bien malgré moi –, elles partent vers mon demi-frère que je m'efforce d'exécrer. Je pourrais mettre ça sur le compte de la fatigue parce que la semaine a été longue, ou sur le fait que je me pose des questions depuis notre dernière « conversation », mais si je devais être honnête avec moi-même... ce n'est rien de tout ça.
Ce n'est pas qu'il m'intrigue, c'est que ce mec n'a aucun putain de sens. Une seconde, je vais le surprendre à me lancer un regard noir et, l'instant d'après, il est en train de s'amuser à un quelconque jeu débile avec Max. Et s'il a le malheur de me voir approcher notre petit frère, il trouve ensuite le moyen pour me plaquer contre un mur avec assez de force pour me faire mal. Ce matin, j'ai même remarqué des ecchymoses dans mon dos et sur mon épaule. Hier soir, il a... Merde, pourquoi j'en tremble rien qu'à y penser ?
— Qu'est-ce qui va pas chez moi ?
La personne devant moi lève les yeux et je réalise que j'ai pensé à voix haute. Je voudrais me frapper la tête contre la vitre, mais ça paraîtrait encore plus bizarre, non ?
Quand je suis rentré du travail, hier soir, Max était seul dans le salon. Izzy était montée après le repas et Papa et Maryse profitaient de la terrasse. Il m'a tout de suite proposé de jouer à des jeux vidéos et je n'ai pas eu le cœur de refuser. On s'est beaucoup amusé et puis Alec a fini par rentrer. Il s'est laissé tomber à côté de Max et l'a convaincu d'aller se coucher. Il était un peu tard, certes. Le garçon m'a souhaité une bonne nuit et m'a fait un câlin pour me remercier d'avoir passé du temps avec lui.
J'ai pressenti l'orage parce que je n'ai pas oublié ses menaces de l'autre fois, alors je me suis levé et j'ai commencé à partir vers la porte de l'étage. Il m'a brutalement attrapé par l'épaule et m'y a plaqué. J'ai cru qu'il allait me redire de laisser Max tranquille mais il est resté silencieux. Sa main s'est desserrée et resserrée à plusieurs reprises, comme s'il hésitait à me laisser partir. Et moi, comme un idiot, je suis resté là, à fixer sa bouche. Je me suis enfui quand j'ai senti des frissons naître où son souffle effleurait ma peau.
Je ne comprends pas l'effet qu'il me fait. J'ai été bien assez violenté pour ne pas fantasmer sur ce genre de choses, alors pourquoi je me retrouve aussi faible devant lui ? Ce n'est pas juste que j'ai peur. Même si, effectivement, il m'arrive d'avoir peur de lui. C'est autre chose. De plus fort. Et problématique.
Je réalise soudain que ma musique s'est arrêtée. J'attrape mon téléphone et soupire. Rectification : j'ai oublié d'allumer la musique. Plus de trente minutes de trajet et à aucun moment je ne me suis rendu compte que mes écouteurs dans mes oreilles ne diffusent aucune musique. Cette fois, ça y est, je suis un cas désespéré.
Il me faut environ quinze minutes de plus pour arriver à l'appartement. J'entends Papa et Maryse en train de discuter dans la cuisine alors que je retire mes chaussures et ma veste. Je les rejoins et vois que mon père est en train de cuisiner pendant que ma belle-mère met la table. Sauf qu'il est plus de vingt-deux heures !
— Ta journée s'est bien passée ? me demande mon père en reposant la cuillère en bois.
— Ouais. Vous n'avez pas mangé ?
— On t'attendait ! m'explique Maryse. Tu as dîné seul tous les soirs, cette semaine. Et puis c'est ton dernier jour, je me suis dit qu'on pouvait fêter ça !
Fêter le fait que je n'ai plus de travail ? Je me force à sourire. Bien sûr, elle et mon père sont toujours persuadés que le mieux, pour mes études, serait que je ne trouve pas d'autre emploi mais je n'arrive pas à me dire que c'est bien de la laisser payer. Et en même temps, je ne peux pas lui dire clairement que je ne veux pas qu'elle le fasse, ma seule excuse c'est qu'elle n'a pas à le faire parce que je ne suis pas son fils et... lui dire ça serait comme lui dire que je ne veux pas d'elle comme belle-mère et ce serait faux et terriblement cruel.
Elle s'approche de moi pour m'enlacer, comme elle le fait tous les jours pour me saluer. Elle m'enlace comme elle le fait pour ses propres enfants et je commence à m'y habituer. Je lui rends son étreinte, un peu maladroit néanmoins. Elle dépose un baiser sur ma joue avant de me lâcher. Je rejoins mon père pour lui proposer mon aide mais je me fais aussitôt chasser. Donc je vais m'asseoir sur le canapé et j'y trouve Izzy qui fixe Max, qui lui-même est en train de jouer à un jeu sur sa tablette.
— Salut, tous les deux, leur dis-je.
— Bonsoir, Mags, répond Izzy.
Mais mon petit frère reste silencieux et concentré sur son écran. Je questionne la petite brune du regard mais elle se contente de hausser les épaules.
— Il est comme ça depuis tout à l'heure, murmure-t-elle.
— Il s'est passé quelque chose ?
— Non, je crois pas. On regardait un film et, depuis, il n'a plus prononcé un mot.
J'observe Max, je sais qu'il nous entend et son teint est légèrement plus pâle qu'habituellement.
— C'était quoi, le film ? demandé-je, même si je doute qu'elle lui ai fait regarder quelque chose susceptible de le choquer.
— Enola Holmes. Il l'avait déjà vu, en plus, donc je pense pas que ce soit ça.
— Max ?
Il lève enfin la tête vers moi, mais je n'ai pas le temps de lui demander directement parce que nos parents nous appellent pour le repas. Comme à chaque fois, Izzy est à côté de moi et Alec en face, ce qui me force à garder la tête baissée.
— Est-ce que c'est gay de trouver un acteur beau ?
La question de Max survient en plein milieu du repas et personne ne s'y attendait. Il se tasse sur sa chaise quand on se tourne vers lui, sans comprendre. Puis Izzy soupire.
— Oh sans blague... C'est toujours comme ça quand Papa l'appelle.
— De quoi tu parles ? lance Alec. Papa essaie juste de le protéger.
— N'importe quoi...
Elle croise ses bras sur sa poitrine en se calant contre le dossier de sa chaise, agacée. Comment ça, leur père essaie de « protéger » Max ? Je n'ai pas osé reparler de lui avec Izzy puisqu'il est évident qu'elle n'aime pas évoquer son père, mais entre ça et les menaces d'Alec... Les questions commencent à s'accumuler dans mon esprit.
— Non, Max, ce n'est pas gay, finis-je par dire. Tu as le droit de trouver un autre homme beau sans qu'on te dise que tu es gay.
— Il a raison, mon chéri, poursuit Maryse. Être gay, c'est plus compliqué que ça, mais tu es un peu jeune pour y penser.
— Vraiment ?
Un sourire timide vient éclaircir le visage du petit garçon. J'aimerais ne pas avoir à le « rassurer » sur ce genre de chose, parce que ça n'a rien de mal mais il va avoir onze ans, je ne comprends pas qu'on puisse l'amener à se poser ce genre de question... et qu'il en soit aussi gêné.
— Alors, toi aussi Magnus, tu trouves des acteurs beaux ?
Je hoche innocemment la tête et son sourire s'accentue. Comme si c'était un crime de dire d'une autre personne qu'elle est belle, qu'elle soit du même sexe ou non, qu'est-ce que ça change ? C'est vraiment son père qui lui met ces idées dans la tête ?
— Ouais mais c'est pas vraiment un bon exemple vu qu'il aime les hommes.
La voix d'Alec résonne dans le silence et, enfin, je le regarde. C'est pas possible, il a pas dit ça, n'est-ce pas ? Nos regards se croisent, pour la première fois depuis plusieurs jours. Il hausse les sourcils, surpris.
— Qu'est-ce que tu viens de dire, Alec ? lui demande mon père. Qui aime les hommes ?
La main d'Izzy vient se poser sur la mienne, sur la table, tandis que je sens le regard de mon paternel venir sur moi. Mon visage est en feu et pourtant j'ai l'impression d'avoir la tête qui tourne, comme si tout mon sang avait reflué. Mon cœur bat trop fort, ma gorge est nouée et je ne parviens pas à prononcer le moindre mot pour me défendre.
— Magnus ?
Le ton sec de mon père me fait tressaillir, bondir même. Je repousse brusquement ma chaise et quitte la table. Il m'appelle à nouveau, plus fort, mais je franchis la porte de l'escalier pour monter dans ma chambre. Des larmes me piquent les yeux et la panique commence à me gagner quand j'entends du bruit dans les marches. Je reconnais le pas de mon père. Je m'écarte de la porte et m'assois sur mon lit. Pendant une seconde, j'envisage d'empaqueter quelques vêtements et de quitter l'appartement sans lui parler. J'ai vu son regard, il est en colère.
Il frappe et entre sans attendre que je lui en donne l'autorisation, puis il referme derrière lui. J'ai juste le temps d'entendre Maryse faire des reproches à Alec.
— Si j'en crois ta réaction, il a dit la vérité, commence-t-il de sa voix grondante.
Je détourne la tête, une larme coule sur ma joue et je m'empresse de l'essuyer.
— Réponds-moi, Magnus !
— Je le savais, soufflé-je. Je savais que je devais rien te dire, que tu réagirais comme ça. Je suis désolé, Papa.
D'autres larmes suivent la première, je cache mon visage dans mes mains. Je connaissais d'avance sa réaction mais ça ne veut pas dire que ça ne me fait pas mal. Je crois que, malgré tout, une partie de moi espérait encore qu'il m'accepterait.
Je ne l'entends pas s'approcher et sa main sur mon épaule me fait sursauter. Il prend mes poignets pour me regarder.
— Je ne comprends pas pourquoi tu t'excuses. Et, comment ça, tu ne devais rien me dire, depuis combien de temps est-ce que tu... ?
Il ne finit pas sa phrase. Je me mords la lèvre mais ses yeux sombres m'ordonnent de lui répondre.
— Quelques mois.
— Tu as gardé ça pour toi pendant des mois entiers ? Mais enfin, pourquoi ?
— Parce que je savais que tu ne m'accepterais pas comme ça !
La colère disparaît de son visage pour laisser place à une surprise franche. Il me lâche et me permet enfin d'essuyer mes yeux et mes joues. Il s'assoit à côté de moi en poussant un soupir.
— Pourquoi est-ce que tu crois ça ?
— Tu ne te souviens pas ? m'étonné-je alors que ce souvenir me hante depuis près d'un an. Tu as oublié le regard que tu m'as lancé la première fois que je me suis maquillé ? Et le soulagement quand tu m'as surpris en train d'embrasser Dot ?
— Tu penses que je me suis énervé parce que tu es gay ? C'est ça, tu es gay ?
— N-non... Je suis bisexuel. Mais si c'est pas pour ça, alors quoi ?
— Je suis en colère parce que c'est Alec qui me l'a appris. Parce que tu ne me l'as pas dit toi-même. Et si je comprends bien, ce n'était pas dans tes plans de me le dire, n'est-ce pas ?
Je hausse les épaules et il me prend dans ses bras. Un peu perdu, je me laisse aller à l'étreinte rassurante, posant ma tête sur son épaule. Il me caresse doucement le dos.
— Je crois qu'il y a eu méprise. J'ai eu peur que tu sois gay, c'est vrai, mais pas pour les raisons que tu imagines. Tu étais si jeune, j'ai craint qu'on s'en prenne à toi, même si tu avais l'air tellement sûr de toi.
Ses bras se resserrent sur moi puis il me lâche et me prend à nouveau par les épaules. Ses mains remontent sur mes joues pour les essuyer, mes larmes peinent encore un peu à se calmer pour de bon. J'ai du mal à croire que je me sois trompé pendant tout ce temps.
— Mon chéri, continue-t-il. Je t'aime et je t'aimerai toujours. Je me fiche de qui tu aimes, homme ou femme, tant que tu es heureux, c'est tout ce qui compte pour moi. D'accord ?
— Je t'aime aussi, Papa.
Il me sourit et me laisse revenir dans ses bras. Je crois que j'ai besoin d'encore quelques instants pour être certain que je ne rêve pas.
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