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La soirée se poursuit et j'apprends à connaître les deux autres garçons. Jace se montre étonnamment curieux et je n'arrive pas à me dire que ça n'est pas bizarre. J'ai fait part de mon inquiétude à Ragnor et il m'a traité de parano. Lui aussi est un peu bizarre, cela dit. Il est plus bavard que d'habitude et, tandis que je termine ma troisième bière, je l'entends même raconter une blague. J'échange un regard ahuri avec Catarina et, quand il a terminé, les autres se mettent à rire. Il retourne au bord de la piscine pour prendre son portable et va en montrer l'écran à Clary.

— Je t'ai eue !

La rouquine se calme une seconde en regardant l'écran, puis repart en fou rire. Au moins, elle est bonne perdante. Et je comprends mieux la soudaine expansivité de mon meilleur ami.

— Si j'avais parié, j'aurais pas parié sur toi, lui dit-elle. Bien joué !

Elle lui renvoie sa mission, je le vois hausser légèrement les sourcils et râler un peu, comme l'a fait Alec, plus tôt.

— Tu regrettes d'avoir réussi ? lui demandé-je, amusé.

— Je voulais me débarrasser... J'avais oublié que j'en aurais une autre à faire.

Cette fois, c'est Catarina et moi qui pouffons de rire. Pauvre Ragnor, obligé d'être sociable le temps d'une soirée.

L'interphone résonne dans l'appartement, nous sommes tous sur la terrasse, dans la piscine. Je vois Alec et Izzy échanger un long regard, comme pour faire comprendre à l'autre d'y aller. Je souffle et m'extirpe de l'eau.

— C'est bon, j'y vais.

— J'ai mis de l'argent sur la table du salon, me dit Alec.

— Okay...

Ça peut sembler anodin, mais sa façon de me parler ce soir me gêne. Est-ce qu'il essaie de faire le grand frère parce qu'il y a son ami, ou les miens ? Non, il ne le fait même pas devant nos parents. Je me sèche vite fait et m'enroule dans la serviette puis je pars vers l'entrée en attrapant les billets laissés dans le salon.

Après avoir récupéré les cinq pizzas, je croise Izzy et Clary dans la cuisine, elles attrapent des verres et d'autres bières. Les autres sont sortis de la piscine et s'installent autour de la table basse de la terrasse, sur les canapés et les fauteuils. Je vais donc y déposer les pizzas et laisse la serviette de bain sur le sol pour ne pas mouiller le canapé sur lequel je m'assois.

Les filles reviennent et on commence à parler. Je ne fais pas tout de suite attention au fait que je n'ai rien pour cacher les jambes, peut-être parce que Catarina est à côté de moi, peut-être parce que je suis concentré sur la conversation que j'ai avec Jace. Toujours est-il que je surprends la voix d'Izzy.

— Tu regardes quoi, exactement ?

Curieux, je tourne la tête : elle s'adresse à Simon qui est, lui, tourné vers moi. Nos regards se croisent quand il relève les yeux et il rougit.

— N-n-non non, c'est pas ce que tu crois !

Sa défense fait rire sa petite-amie et attire l'attention des autres.

— Je... J'étais surpris par ses cicatrices, souffle-t-il, gêné.

Les regards se tournent vers moi et je me sens soudain très mal à l'aise. Instinctivement, je pose ma main sur ma cuisse et sens celle de ma meilleure amie se poser dans mon dos.

— C'est des brûlures de cigarette ? demande Clary qui a, malheureusement, eu le temps de voir.

— Ouais, ça remonte à loin, je les oublie parfois, mens-je.

Je frotte ma peau et retire ma main pour prendre une autre part de pizza. J'essaie de faire comme si je n'étais pas gêné, mortifié.

— Comment tu t'es fait ça ? demande Jace.

Je le regarde mais ce sont les yeux d'Alec, assis à côté de lui, que je croise. Il baisse la tête, je serre les dents en sentant la bile remonter dans ma gorge. Je me force à mordre dans ma pizza et hausse les épaules, comme si ce n'était rien. Je ne sais pas quoi répondre, je ne sais même pas si je réussirais à dire quoi que ce soit. Pas même à admettre que je n'ai pas envie d'en parler.

Mais j'entends s'agiter les neurones de ceux qui ne savent pas. Je prends donc sur moi pour ressortir la même connerie que j'ai dit à Camille et aux mecs dans les vestiaires – et que je m'étais promis de ne plus jamais répéter :

— Je me suis brûlé en fumant, c'est pas glorieux. On peut passer à autre chose ?

Cette fois, je sens que l'excuse ne passe pas aussi aisément. J'aurais sans doute dû réagir plus vite.

— T'en fais pas, t'es pas le seul à avoir deux mains gauches, me rassure Izzy. Alec s'est brûlé les doigts, lui !

— Depuis quand tu fumes ? demande Clary à mon demi-frère.

— J'ai essayé u-une fois, au collège.

Mal à l'aise, il se racle la gorge. Pendant quelques secondes, je crains que mes amis ne fassent le rapprochement mais ils restent calmes et Catarina continue de caresser mon dos pour me rassurer. Jace me fixe quelques instants avant de se tourner vers Alec et lui donner un petit coup de coude. Je commence à me dire qu'il savait peut-être déjà quelque chose.

Une heure plus tard, je ramène les cartons de pizza vides à la cuisine avec Simon. Pendant que je les plie, il s'excuse, le visage à nouveau rouge comme une pivoine.

— Je voulais pas... Je me doute que t'avais pas envie qu'on parle de tes cicatrices mais j'avais peur qu'Izzy pense que j'étais en train de te mater. Je suis désolé.

Je me mets à rire. Comme si je pouvais lui en vouloir, ce n'est quand même pas de sa faute, et c'est pas lui qui m'a interrogé non plus. Je secoue la tête et pose une main sur son épaule.

— C'est pas grave, je ne t'en veux pas. Et merci de te montrer désolé.

Avec un petit sourire, il retourne avec les filles qui viennent s'installer dans le salon. Ils se mettent à choisir le prochain jeu, alors que je me laisse lourdement tomber sur le canapé déserté. Izzy se lève brusquement pour aller chercher du papier et des crayons qu'elle distribue ensuite à tout le monde en nous disant d'écrire des mots à mimer. Génial, j'avais pas eu assez l'attention sur moi ce soir. Je ramène machinalement un coussin sur mes jambes et me concentre pour trouver quelques idées.

Un poids – que je reconnais trop vite à mon goût – se pose à côté de moi et je tourne à peine la tête. Je ne peux pas l'ignorer, mais être gentil avec lui est au-dessus de mes forces. Pas même quand il s'efforce, lui, de l'être. Je croise son regard et un léger sourire se glisse sur sa bouche. Je peux même pas regretter ce que je lui ai dit, tout à l'heure. Il est beau. Il est même putain de canon. Merde ! Je le déteste et c'est mon demi-frère, je ne peux pas le trouver beau !

— Qu'est-ce que tu veux ? demandé-je tout bas, de mauvais gré.

— Juste... savoir si ça va.

— Tu... tu te fous de moi ?

Il se contente de secouer la tête. Je rebaisse les yeux sur mes papiers mais j'arrive même plus à réfléchir. Il se rapproche un peu. Ou alors c'est que je prends brusquement conscience de sa présence à côté de moi ? J'en sais rien. Je sens son bras contre le mien.

— Tu trouves des idées ? souffle-t-il, près de mon oreille.

Un frisson me traverse et je m'écarte du mieux que je peux, c'est-à-dire pas beaucoup parce que je suis déjà contre l'accoudoir.

— Pas vraiment, avoué-je.

J'attrape les quatre papiers où j'ai écrit quelque chose et les tends vers la table mais, comme je suis trop loin, il me les prend des mains pour les y poser lui-même. Je le remercie du bout des lèvres et sur un ton qui montre que cela me coûte énormément. Il ne s'en formalise même pas et approche son crayon de ma main gauche. Je l'écarte et il s'arrête. Mais il recommence la seconde d'après et je sens la mine sur le dos de ma main. Je le regarde faire, perdu et perturbé par son comportement. Et par les frissons qui remontent le long de mon bras et qu'il, je l'espère, mettra sur le compte du froid – alors qu'il fait au moins vingt-cinq degrés. Quand il retire sa main, je vois enfin ce qu'il a écrit : « Tué ». Je fronce les sourcils quand il approche à nouveau la bouche de mon oreille.

— Je t'ai eu.

Je le pousse, un peu rudement, alors qu'il se met à rire, fier de lui. Je sens un poids me tomber sur l'estomac, je me suis fait avoir comme un bleu. Les autres se tournent vers nous et réalisent qu'il a réussi sa mission.

— Allez Mags, envoies-lui la tienne, me dit Izzy avec un sourire désolé.

Je me lève et récupère mon téléphone, resté au bord de la piscine. Je suis obligé de lui demander de me donner son numéro pour pouvoir lui envoyer un message. Au moins, je n'aurai pas à me creuser la tête pour faire asseoir Jace sur une éponge.

Le reste de la soirée se déroule sans incident et Alec est redevenu mutique à mon égard. Bien sûr, il ne s'est montré gentil que pour réussir à écrire sur ma main. Quelque part, ça me rassure. Il ne s'est pas soudainement changé en une autre personne, c'est toujours le même connard.

On fait quelques jeux, normaux ou à boire – sur les suppliques d'Izzy et Clary – et je dois dire que, finalement, je ne tiens pas si mal l'alcool. Encore que ça ne m'empêche pas d'avoir du mal à me concentrer et de perdre beaucoup.

Profitant d'un moment de calme, je m'allonge sur une chaise longue alors que les autres s'amusent dans la piscine. Je fais de mon mieux pour occulter la présence d'Alec et apprécier la soirée, les étoiles au-dessus de ma tête. Jace vient s'asseoir sur la chaise d'à côté.

— Ça va ?

— Putain, vous pouvez arrêter de me demander ça ?

Même si Alec n'était pas vraiment intéressé par ma réponse quand il m'a posé la question. Je regarde Jace, il soupire. Un léger silence s'installe alors qu'il regarde Alec qui est à l'écart, assis sur un canapé à l'autre bout de la terrasse – ce que je n'avais même pas remarqué.

— Il ne voulait pas ça, murmure Jace.

— Tu veux dire m'écrire sur la main ?

— Qu.. ? Non. Non, s'il te plaît, tu sais de quoi je parle.

Je souffle bruyamment pour essayer de lui faire comprendre que je n'ai aucune envie d'avoir cette conversation, mais ça ne l'arrête pas.

— Il voulait pas faire ça, répète-t-il.

— Parce que tu crois que, moi, je voulais ce qui s'est passé ?

— Non, bien sûr que non.

— Mais peut-être que je l'ai mérité, hein ? Je suis sûr qu'il l'a pensé.

— Non, il...

— Vraiment ? Quand il t'a raconté, il ne t'a pas dit que c'était de ma faute ?

— Il n'a jamais dit ça.

— J'en crois pas un mot. Jonathan a toujours...

Ma gorge se serre quand je repense à mon ancien bourreau. Le visage de Jace m'indique qu'il sait parfaitement de quoi je parle. Je dois me mordre la lèvre pour retenir des larmes.

— Tu sais quoi ? J'ai pas envie d'en parler. Ni avec toi, ni avec personne. Jamais. Compris ?

Il hoche la tête et je me lève, entre en trombe dans le salon que je traverse à grandes enjambées. Tant pis si mon comportement semble bizarre. Je ne m'arrête que quand la porte de la salle de bain se referme derrière moi. Serrant les poings, je lutte pour qu'aucune de mes larmes ne roule sur mes joues. Je refuse de pleurer à cause de lui, encore, à cause d'eux.

Je me crispe en entendant des pas dans le couloir mais c'est Ragnor que je vois passer la porte.

— Tu peux me dire ce qui se passe ?

— Rien. J'ai trop bu.

Devant mes yeux toujours larmoyants, il s'approche et me prend dans ses bras.

— T'as réussi ta seconde mission ? lui demandé-je.

Il ronchonne, ce qui m'arrache un rire qui me fait un bien fou. Je sais pas qui était sa victime, mais elle a été plus douée que lui.

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