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Sans Ragnor pour me pousser en dehors de la chambre, j'aurais sans doute prétexté être malade pour passer la soirée seul à l'étage. Pourtant, quand on rejoint les autres sur la terrasse, il n'y a que les filles et Simon, qui s'est aussi changé. Surpris, je me retourne vers le salon, en me demandant si je ne serais pas passé à côté des deux derniers sans les voir mais Izzy ne tarde pas à m'informer.

— Oh ils sont allés chercher de quoi manger. Je leur ai dit qu'on commandera des pizzas plus tard mais ils sont quand même sortis.

— Ils ont sans doute un tas de choses à se dire, suggère Clary. Jace m'a dit qu'Alec n'est pas du genre à rester pendu au téléphone pendant des heures.

Comme c'est étonnant.

Simon et Clary sont assis au bord de la piscine, les jambes dans l'eau, et Izzy et Catarina, sur les chaises longues. Je m'avance, mal à l'aise à l'idée de m'exposer. Je dois prendre sur moi pour ne pas tirer sur mon short, ce qui attirerait encore plus l'attention sur ma cuisse ou me ferait paraître très bizarre. Ragnor doit sentir ma gêne parce que dès que je suis au bord de la piscine... il me pousse dedans. J'ai à peine le temps de fermer les yeux avant de me retrouver submergé et je refais surface rapidement. Les quatre autres sont morts de rire et mon meilleur ami me rejoint, il rit aussi, mais s'excuse quand il se trouve près de moi.

— Je me vengerai ! clamé-je en le remerciant du regard.

Je m'appuie contre le bord et pose ma tête sur le sol, je ferme les yeux. Je vais certainement être angoissé toute la soirée et malheureusement je ne peux pas rester dans l'eau tout le temps. Encore que... C'est vrai que j'adorais ça, me baigner, quand j'étais gamin. Un vrai poisson. Mais depuis plus de cinq ans, je n'ai plus osé. Pas même chez Ragnor, de peur que ses parents ne voient les marques et en parlent à mon père.

J'écoute les autres parler en laissant mon corps flotter un peu, je bats vaguement des jambes pour ressentir le poids de l'eau. Et je sens un peu le poids de mon manque de sommeil aussi.

Je me force à participer à la conversation, avec la satisfaction que mes meilleurs amis ont l'air de plutôt bien s'entendre avec ma nouvelle petite sœur. Catarina, c'était évident, mais Ragnor peut être un sauvage et passer une soirée entière en ignorant les autres est totalement dans ses cordes. C'est ce qu'il a fait le soir du bal de promo, il a réussi à n'adresser la parole qu'à notre meilleure amie et moi. Aux regards qu'il lance vers moi de temps en temps, je déduis qu'il fait des efforts pour moi, ou parce que Catarina l'a menacé de représailles s'il ne le faisait pas. Cette idée m'oblige à retenir un rire.

Alec et Jace finissent par revenir, je me redresse et les vois mettre une tonne d'affaires dans les placards et le réfrigérateur. Il aurait peut-être fallu leur rappeler qu'on est que huit ?

Clary se relève et essuie ses jambes à une des serviettes posées près de la piscine.

— Parfait ! crie-t-elle. Puisque vous êtes enfin revenus, on va pouvoir commencer !

— Commencer quoi ? demande Alec, suspicieux.

On la regarde retourner à l'intérieur et attraper son sac à dos. Elle en sort son portable et Izzy pousse un « oh oui » surexcité. La rouquine fait signe aux garçons de venir sur la terrasse et elle s'assoit à côté d'Izzy.

— Promis, c'est Maman qui a tout préparé et je n'ai pas regardé, explique-t-elle en levant sa main droite.

— De quoi tu parles ? lui demande Jace.

— Le jeu de la soirée sera le Jeu du Tueur.

Je crois me souvenir d'avoir déjà joué à ça, une fois ou deux quand j'étais en première ou deuxième année de lycée.

— On a passé quelques jours à chercher un jeu pour tout le long de la soirée, explique Izzy. Finalement, on a demandé à Jocelyne de choisir des actions amusantes à faire ou faire faire à un des invités.

— C'est pour ça que vous avez pris mon téléphone tout à l'heure ? les interroge Ragnor.

Les deux jeunes filles rougissent et pouffent de rire en s'excusant.

— Je savais pas que tu nous avais vues. Mais on avait besoin de ton numéro de téléphone, je te jure qu'on a touché à rien d'autre.

La façon dont il hausse les épaules en affichant un air peu concerné me fait sourire. Isabelle continue son explication.

— Jocelyne va nous envoyer un message dans quelques instants, et chacun de nous aura la soirée pour accomplir la mission. Sa « victime » ne devra pas se rendre compte de l'action, sinon le « tueur » a perdu. S'il réussit à « tuer » sa victime, il lui dit « je t'ai eu » ou « je t'ai tué ». Le perdant, que ce soit la « victime » ou le « tueur », devra envoyer à l'autre sa mission et celles qu'il a déjà gagnées si c'est le cas, puis la et les effacer de son téléphone. Si la mission n'a pas déjà été accomplie, il doit la faire. Le gagnant est celui qui finit la soirée avec le plus de missions.

Un léger silence s'installe alors qu'on essaie tous, je crois, d'intégrer les règles du jeu. Personnellement, je suis partagé. C'est le genre de jeu que j'aime, mais avec des gens avec lesquels je suis à l'aise. Pas quand il y a un de mes bourreaux dans le lot.

— Est-ce que ça n'aurait pas été plus simple de le faire avec des papiers ? demande Alec.

— Ça aurait supposé que l'un de nous soit le maître du jeu et, donc, qu'il ne joue pas. Et un tirage au sort aurait risqué que quelqu'un se retrouve avec son propre nom.

— Bien, ça nous permettra de briser la glace, lance ma meilleure amie. Je suis partante !

Tout le monde acquiesce et Clary envoie un message à sa mère. Je réprime un soupir en réalisant que je vais devoir ressortir de la piscine pour aller chercher mon téléphone mais, quand je commence à me hisser sur le bord de la piscine, Jace m'interpelle.

— C'est ton portable qui est sur le comptoir ?

— Euh ouais.

— Bouge pas, j'y ai laissé le mien.

J'arrive à balbutier un « merci » qu'il n'entend probablement pas parce qu'il est déjà parti. Je l'avoue, je suis surpris de sa proposition mais je souris quand il me donne mon bien. Quelques secondes plus tard, les messages commencent à arriver et mon portable vibre dans ma main.

« Faire s'asseoir Jace sur une éponge ou un linge mouillé »

Ah. Tu parles d'une façon de se montrer reconnaissant, le pauvre. Heureusement, je suis chez moi mais comment je suis censé mettre la main sur une éponge sans que ça éveille les soupçons ? J'entends quelques rires étouffés. J'entends Alec grogner et soupirer, ce qui ne m'étonne même pas venant de lui. Il lance à la cantonade qu'il revient et retourne à l'intérieur.

Simon et Jace vont chercher des bières, ainsi que le sac de Jace que le blond pose sur une chaise longue. Clary commence alors à fouiller dedans, les bières circulent, Cat nous en apporte à Ragnor et moi avant de s'asseoir, les pieds dans l'eau. On trinque sans attendre qu'Alec nous rejoigne.

— Il reviendra sans doute pas avant vingt bonnes minutes, explique Izzy. Sa batterie sociale est restreinte.

— Je connais ça, grogne Ragnor.

Je lui fais un sourire encourageant et prends une première gorgée. Les conversations partent rapidement quand tout le monde – ou presque – se retrouve installé autour et dans la piscine. Je ne peux m'empêcher de lancer des regards inquiets vers l'intérieur, redoutant un peu le retour de mon demi-frère. Encore une fois, mes amis doivent sentir mon malaise parce que Cat se rapproche légèrement de nous et Ragnor passe un bras sur mes épaules en plaisantant – ce qui n'est pas trop son genre.

Catarina finit d'ailleurs par remarquer que ma bière descend assez vite.

— Fais attention, tu n'as plus l'habitude, me dit-elle avec un sourire en coin.

— Comme si j'avais déjà eu « l'habitude » de boire !

— Avec toutes les fêtes au lycée...

Je lève les yeux au ciel. Okay, j'allais à quelques fêtes mais je ne buvais pas non plus au point d'être ivre à chaque fois. Notre échange semble néanmoins intéresser ceux qui sont toujours au lycée.

— Vous étiez populaires au lycée ? questionne Simon.

— Pas spécialement, répond Catarina. C'est surtout Magnus qui était invité à toutes les fêtes.

— Donc, toi, tu étais populaire ? me demande Jace.

J'hausse un sourcil, le ton de sa voix me fait aussitôt me mettre sur la défensive. Comme si c'était difficile de croire que j'aie pu être populaire. Ce n'était pas le cas, certes, mais quand même !

— Pas vraiment...

— Si tu l'étais. Grâce à Camille, mais tu l'étais.

Elle va vraiment parler d'elle pour la deuxième fois de la journée ? Simon, Clary et Izzy hochent la tête, se rappelant sans doute de ce qu'elle a raconté cet après-midi.

— Tu étais de toutes les fêtes quand vous sortiez ensemble ! continue-t-elle.

— C'est pas exactement la même chose, lui fais-je remarquer.

— Le fait est que tu buvais régulièrement, ce qui n'est plus le cas.

— Merci, « Maman » !

Je l'aime. Je l'adore. Mais elle pourrait être un peu moins maternelle et gênante, et je sais que c'est sûrement une façon de me mettre en avant mais tout ce que ça me rappelle c'est que j'aurais dû moins boire, à ces fêtes, et alors j'aurais peut-être vu les infidélités de Camille.

Je rentre dans le salon et file jusqu'à la cuisine pour sortir une autre bière. Je sursaute en trouvant Alec, assis sur un tabouret, son portable à la main. Il le pose et je sens son regard tandis que j'attrape une bouteille dans le réfrigérateur.

— Toujours difficile de parler des ex, hein ?

— Pardon ?

Il me parle ? À moi ? Gentiment ? Qu'est-ce qui lui prend au juste ?

Je me tourne vers lui pour le regarder, il esquisse un faible sourire et tend sa bière vers moi pour trinquer. J'approche la mienne pour les faire tinter légèrement et son sourire s'accentue.

— Non, c'est pas... pas spécialement difficile, finis-je par répondre. Mais c'est des vieilles histoires. Et puis qu'est-ce que ça peut faire d'avoir été populaire ou non au lycée, de toute façon ?

— M'en parles pas...

— Comme si tu savais ce que c'est. D'accord, t'es du genre réservé, mais t'es beau, riche et intelligent, je suis certain que tu avais le lycée à tes pieds !

Il ne répond pas et se contente de me regarder, ébahi, c'est alors que je réalise que je viens de dire qu'il est beau. Je sens le sang affluer vers mon visage, de sorte que je ne peux même pas faire comme si c'était simplement dit comme ça. Mais évidemment qu'il est beau, il est quand même au courant, non ? Et c'est pas bizarre que je le dise, si ? Merde. Putain, il m'arrive quoi ?

— Je retourne dehors, lancé-je quand il se met à bafouiller une réponse.

Voilà, il me parle comme à un humain normal une fois et je déraille. C'est n'importe quoi. Je tourne les talons et, une fois dehors, attrape le décapsuleur pour pouvoir ouvrir ma bière et en avale de longues rasades. Je vais avoir besoin d'alcool pour tenir ce soir...

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