⬪⬫⬪ 07 ⬫⬪⬫

Durant la parade, je ne peux m'empêcher de regarder mes meilleurs amis. Je les ai trouvés bizarres quand ils m'ont proposé de sortir ce dimanche sans me dire clairement de quoi il s'agissait. Et j'ai trouvé encore plus bizarre qu'ils n'aient pas osé me dire qu'ils voulaient qu'on aille à la Pride ensemble. Puis Ragnor m'a expliqué et a rapidement fait disparaître mes soupçons concernant le coming out de l'un ou de l'autre – encore que ça me paraissait invraisemblable : pourquoi se seraient-ils sentis gênés devant moi ? –, cette sortie, ce n'était pas pour eux, mais pour moi. Décidément, ils me connaissent beaucoup trop bien et peut-être que mon style vestimentaire des dernières semaines n'a pas uniquement à voir avec le déménagement et mon envie de m'adapter à ma nouvelle famille, mais plutôt avec ma peur d'être rejeté, et pas que par mon père.

Suis-je hypocrite ? Cela fait des années que je me maquille et porte des vêtements « féminins » tout en me défendant d'être gay ou de me considérer comme une femme, et je m'assumais malgré les conséquences. Malgré ça, jusqu'à récemment, les seuls à savoir que je suis bisexuel étaient Catarina et Ragnor. Parce qu'ils sont les seuls à avoir ma confiance totale. Je ne suis même pas certain de pouvoir me fier à mon père et j'estime ne pas exagérer dans mes craintes à son propos, même si je le considère comme l'une des meilleures personnes au monde.

Mes amis me connaissent par cœur et ils savent tout aussi bien que je me voilais la face en disant que j'avais surmonté mes vieux traumatismes. Peut-être devrais-je remercier Alec de m'avoir permis d'ouvrir les yeux sur ce point ? Après tout, sans ce connard aussi près de moi, j'aurais pu continuer à prétendre encore longtemps. Maintenant je sais que je tremble encore d'imaginer qu'ils puissent réapparaître dans ma vie.

Je soupire en reportant mon attention sur le défilé devant moi. Les drapeaux s'agitent, certains participants dansent, l'humeur générale est à la joie et au partage. Et au moment où je me dis que je devrais arrêter de penser à Alec, j'entends Izzy prononcer son nom en s'adressant à Clary.

— Mais si, regarde ! insiste-t-elle. On dirait Alec !

En même temps que la rouquine, je lève les yeux en direction du char qui arrive et qu'Izzy désigne. Clary pouffe de rire et je finis par voir, au milieu de plusieurs hommes en train de danser, couverts de plumes et de paillettes, et légèrement habillés, le sosie de son frère. Ni plus ni moins. En un peu plus vieux, ceci dit. J'éclate de rire à mon tour à l'idée que s'il apprenait que son sosie se trémousse langoureusement, uniquement vêtu d'un string et d'un boa et en compagnie de drag-queens, il ferait une attaque.

— C'est qui Alec ? me demande Cat.

— Mon grand frère ! répond Izzy à ma place. Enfin, notre grand frère.

Elle se tourne vers moi avec un sourire immense qui me fait un peu chaud au cœur avant qu'un frisson glacé ne calme mon hilarité. Mon « frère », tu parles...

La petite brune pointe son portable en direction de l'homme et le prend en photo plusieurs fois. Je suis persuadé que c'est une mauvaise idée et pourtant, je n'arrive pas à me convaincre de l'en empêcher.

— Et ça va comment avec ce frère ? me questionne mon meilleur ami.

— On... va avoir besoin d'un peu plus de temps pour se faire l'un à l'autre.

Comme si c'était possible ! Je suis sûr que Ragnor verra mon mensonge alors je baisse la tête pour faire semblant de regarder quelque chose sur mon propre téléphone. Mes yeux repartent ensuite sur l'homme du char et je rougis brusquement quand nos regards se croisent, il me fait un clin d'œil. Okay, il est canon, je ne peux pas le nier.

Il se passe encore près de deux heures avant que le dernier char ne soit trop loin sur la cinquième avenue pour qu'on discerne les gens dessus. Cependant, la musique ne s'est pas arrêtée, les spectateurs commencent à s'approprier la route de l'autre côté des barrières pour danser et s'amuser. On décide alors d'aller à Greenwich Village, où se tient le PrideFest. Il est tôt et il fait bien trop beau pour ne pas profiter un peu plus longtemps de notre journée.

On s'arrête pour manger un morceau avant de faire le tour des stands et cette pause est la bienvenue après ces heures passées à faire du sur-place. Même si j'ai l'habitude de rester longtemps debout avec le boulot et que, on va pas se mentir, vu les études que j'entreprends, ça ne risque pas de s'arrêter de sitôt, ça ne fait pas vraiment partie des choses que je préfère.

Je suis arrêté à un stand de bijoux avec Cat – et Ragnor qui nous attend en râlant – quand une voix à laquelle je ne m'attendais pas m'interpelle. Dès que je me tourne, la jeune femme me saute dans les bras.

— Dot ? m'étonné-je. Qu'est-ce que tu fais ici ?

Elle s'écarte et je vois qu'elle arbore le même panel de couleurs que moi. Son sourire illumine son visage et elle enlace Catarina.

— Je suis revenue passer les vacances d'été avec mes parents, idiot !

— T'es sérieuse ? s'amuse Cat. Tu n'es pas celle qui a hurlé, au bal, que plus personne ne te verrait une fois que tu serais à Princeton ?

— Oui mais l'équipe de foot avait corsé le punch. J'ai même fait un strip-tease devant Elijah !

— Du club d'échecs ? demandé-je en riant.

— C'était pas voulu ! En plus, il s'est évanoui !

Mes rires redoublent, ainsi que ceux de mes amis, tandis que Dorothea fait mine d'être vexée avant de rire à son tour. Je ne suis même pas étonné par ce qu'elle raconte, elle a toujours eu le chic pour se retrouver dans des situations délirantes et c'est l'une des raisons pour lesquelles on s'entendait si bien.

On discute ensemble jusqu'à ce qu'Izzy et les deux autres reviennent et je fais les présentations. Durant les minutes qui suivent, je vois le regard de ma demi-sœur qui passe de Dot à moi, et j'en apprends la raison une fois que mon ancienne camarade de classe est repartie.

— C'est ton ex ? demande Izzy, de but en blanc.

— Hm ça date un peu, mais oui.

— Je me doutais que tu étais du genre à rester en bon terme avec tes ex, t'es tellement gentil !

Ragnor se met à tousser à côté de moi et je lui donne un coup de coude. Izzy hausse les sourcils.

— Quoi, j'ai dit une bêtise ?

— Non, mais c'est facile de rester en bons termes quand ça se termine sans trop de drame. Et Dot est pas du genre à faire des drames.

— Contrairement à toi.

— La ferme, Rag !

Cat lui met une claque derrière la tête pour moi mais il éclate de rire quand même.

— Dot a été ma première petite-amie, continué-je. On était des gamins, un jour on en a eu marre d'avoir cette relation et on est redevenus amis, c'est tout.

— Et donc... C'est qui celle avec qui ça s'est mal terminé ?

Je me tourne vers Clary qui vient de poser cette question assez gênante et je me demande pourquoi elles sont si curieuses à mon propos, tout à coup.

— Camille, finis-je par dire avec un soupir. On s'est séparés et elle m'a fait une scène dans la cafétéria. Fin de l'histoire.

J'esquisse un sourire avant de m'éloigner vers un autre stand. Pas que je sois encore malheureux à cause de Camille, mais je n'ai pas très envie de raconter ce qu'elle a fait. En revanche, ça ne gêne pas Catarina qui donne plus de détails aux filles. Elle a toujours détesté Camille, et Camille le lui rendait bien. Ceci dit, il n'y a pas grand chose à dire : elle m'a trompé, je l'ai quittée et elle n'a pas apprécié parce qu'on était à une semaine du bal et qu'elle refusait de perdre son cavalier. Dans toute cette histoire, c'est peut-être ça qui m'a le plus blessé. Enfin, bien sûr, j'ai été anéanti quand j'ai appris qu'elle avait couché avec un autre, mais le fait qu'elle veuille que l'on reste ensemble pour ne pas se retrouver seule au bal... Ça m'a fait réaliser que, pour elle, je n'étais rien de plus qu'un accessoire pour la mettre en valeur. Alors que j'étais amoureux.

Oui, l'idée d'être attiré par les hommes en réaction à ce qu'elle m'a fait m'est venue en tête, mais il a fallu que je me rende à l'évidence que cette attirance n'est pas récente, c'est juste que je n'avais sans doute pas la maturité pour la remarquer.

— Vous avez prévu quelque chose après ? demande Izzy à mes amis, en revenant près de Ragnor et moi.

Je suis un peu soulagé qu'elle n'insiste pas, même si je ne sais pas où elle veut en venir. Ils répondent tous les deux par la négative.

— Je me doutais qu'il ne vous aurait pas parlé de notre soirée ! enchaîne-t-elle.

— Parce que je pensais que c'était « ta » soirée...

Et parce que je ne suis pas du genre à inviter des gens à la fête de quelqu'un d'autre, je n'ai même pas encore osé les inviter au penthouse. Je sais que c'est « chez moi » maintenant, et que je m'en suis même défendu devant Alec, mais je ne suis pas encore assez à l'aise pour ça.

— C'est notre soirée, à Alec, toi et moi ! Il a même invité son meilleur ami, enfin c'est le petit-ami de Clary donc il serait venu de toute façon ! Donc, si vous voulez, vous êtes les bienvenus tous les deux !

Je me tourne vers Cat et Ragnor en même temps qu'elle et je vois sur le visage de ma meilleure amie que je dois involontairement la supplier du regard. Passer la soirée avec Alec et son meilleur ami m'angoisse soudain... S'il est comme Alec – et par là j'entends homophobe et brutal –, je vais sans doute faire une crise de panique tôt ou tard.

— Avec plaisir, Izzy, répond Ragnor en m'attrapant le bras.

Ma petite sœur saute de joie et on reprend nos pérégrinations. Apparemment, Cat n'est pas la seule à avoir aperçu mon regard plein de détresse. J'aurais préféré, elle est bien moins insistante que Ragnor même si elle a vite tendance à déballer ma vie aux autres.

Je parviens à ne pas me retrouver seul avec mon meilleur ami dans les heures qui suivent cet échange, ce qui me laisse un peu de répit avant de devoir leur expliquer ce qui se passe. Et nous rentrons à l'appartement tous les six.

Dans le hall, on croise un jeune homme blond sur lequel se jette la rouquine. J'en déduis donc que c'est le fameux petit-ami. Izzy nous le présente et il fronce les sourcils de façon presque imperceptible quand il me serre la main.

— Ton sac fait un drôle de bruit, lui fait remarquer Catarina, avant que je puisse ouvrir la bouche.

— Ah c'est...

— On l'a chargé d'acheter de l'alcool ! répond Clary en souriant de toutes ses dents.

— Il me semble que Maryse et mon père ont laissé des bières à notre disposition, non ?

Ce à quoi je ne m'attendais pas du tout, je l'avoue. Enfin, de la part de Papa un peu, parce qu'il nous a laissé boire quelques bières pour fêter mes dix-huit ans, mais j'ai été surpris que Maryse soit d'accord avec ça alors qu'elle ne voulait pas qu'Izzy sorte aujourd'hui sans avoir quelqu'un de plus âgé avec elle. J'imagine qu'il vaut mieux qu'ils boivent leurs premières bières en sécurité à la maison que dans un bar pas regardant sur les âges.

— Oui mais, du coup, on est plus nombreux, me répond Izzy en me faisant un clin d'œil.

Une fois au penthouse, la petite brune appelle son frère en criant et j'essaie de passer outre le poids qui se met à me peser sur le cœur. Mes amis se présentent et Alec se montre cordial, avant de parer son visage d'un sourire heureux en voyant le blondinet. Les deux jeunes hommes s'enlacent, sous le regard attendri de Clary et Izzy, cela fait longtemps qu'ils ne se sont pas vus. Je commence à me dire que j'ai droit à un traitement spécial de la part de mon frère car, bien qu'il semble un peu mal à l'aise face à Simon, j'ai l'impression que ça tient plus au fait qu'il soit le petit-ami de sa sœur.

Rapidement, Izzy dévoile ce qu'elle a prévu pour la soirée, et le tout peut se résumer à : détente autour de la piscine. Génial... Mais tout le monde semble apprécier l'idée alors je ne me vois pas protester. Et comme elle a tout prévu, elle se propose de prêter un maillot de bain à Catarina et me suggère de faire de même pour Ragnor.

J'emmène donc mon meilleur ami jusqu'à ma chambre, derrière les filles qui vont dans celle d'Izzy. Sans un mot, je cherche des shorts de bain dans mon dressing et Ragnor se contente de s'asseoir sur mon lit en attendant. Quand j'ai trouvé, je lui en donne un et ressors pour aller me changer dans la salle de bain en prétextant vouloir en profiter pour me démaquiller un peu. Ce n'est pas vraiment un mensonge ceci dit, parce que je n'ai pas envie que les couleurs se mettent à baver sur mes joues si je me retrouve la tête sous l'eau. Je redessine quand même un trait d'eye-liner avant de retourner dans ma chambre, sur le palier je vois les filles qui redescendent. Ragnor est à nouveau assis sur mon lit, changé.

— Tu pouvais descendre, lui dis-je.

— J'attendais que les filles le fassent.

Je me mords la lèvre, je n'ai pas besoin de lui demander pourquoi. Machinalement, je me plante devant le miroir du dressing et mon regard glisse jusqu'à ma cuisse gauche. Je tire un peu sur le short, dans l'espoir vain qu'il s'allonge de quelques centimètres.

— Tu sais, elles se voient moins qu'avant, essaie de me rassurer mon ami.

— Alors pourquoi je ne vois que ça ?

Avec un soupir, je pose ma main sur les cicatrices. Depuis quelques jours, il m'arrive même de sentir à nouveau la brûlure.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top