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— Je te déteste.
C'est la quarante-cinquième fois que je gratifie ma demi-sœur de ces trois adorables mots depuis mon réveil. Et, comme les quarante-quatre fois précédentes, elle les accueille avec un sourire. Il faut dire que l'organisation de la journée a été un peu chamboulée et que ça ne m'arrange pas du tout parce que j'espérais bien dormir.
Catarina et Ragnor se sont dévoués pour être les premiers arrivés et nous réserver des bonnes places d'où assister à la parade. Nous étions censés les rejoindre à onze heures, ce qui me permettait de rester au lit, au moins jusqu'à neuf heures trente. Trois heures plus tard que toute la semaine, donc.
Mais devinez qui est venue me tirer du lit à huit heures ? Izzy s'est réveillée en panique parce qu'elle s'est soudain rappelé que le haut qu'elle avait prévu de mettre était au pressing et que, donc, elle doit revoir toute sa tenue. Elle m'a appelé au secours. J'aurais aimé être assez fort pour la renvoyer dans sa chambre mais je n'ai pas pu. C'est pourquoi nous sommes assis sur son lit, devant sa garde-robe ouverte pour essayer de trouver une nouvelle tenue. J'ai du mal à garder les yeux ouverts et les idées claires, j'ai déjà oublié les tenues qu'elle m'a montré il y a cinq minutes. Avec un bâillement, je me laisse tomber en arrière. La couette sur son lit est tellement épaisse que j'ai l'impression de me noyer dedans, mais au moins je pourrais me reposer.
— Oh allez, lance-t-elle en me tirant sur le bras. Aide-moi, s'il te plaît ! Je m'occuperai de ton maquillage et de ta coiffure !
Je rouvre un œil, intéressé. Vu mon état, je ne suis pas sûr de réussir à dessiner correctement sur mon visage alors... pourquoi pas ? Je soupire et me redresse. J'observe encore les tenues étalées par terre, qui ne lui plaisent pas vraiment. Pas assez colorées à son goût.
— Vous portez beaucoup de noir, marmonné-je malgré moi.
— Tu me vouvoies maintenant ?
— Toi et ton frère, je veux dire. Enfin, tu portes aussi du blanc et du rouge.
— J'ai rien à me mettre ! se lamente-t-elle.
Elle se laisse tomber à son tour et je pouffe de rire. Elle a encore plus de vêtements que moi, et je la soupçonne d'en cacher ailleurs.
Soudain, je me relève et file dans ma chambre. Je viens de me rappeler d'un sac de fringues dont je n'ai jamais pu me débarrasser alors que je ne les mets plus. Izzy me suit en traînant des pieds et pousse une exclamation ravie en découvrant enfin l'intérieur de mon propre dressing. J'en sors le fameux sac et fouille dedans quelques instants avant de trouver le vêtement auquel je pensais : un short en jean arc-en-ciel. Je me relève et le lui tends.
— Pourquoi tu le portes pas aujourd'hui ? me demande-t-elle.
— C'est des vêtements trop petits là-dedans, réponds-je en désignant le sac.
— Euh... je peux regarder ?
— Oui, sers-toi !
Elle me saute dessus puis, alors que je pensais qu'elle regarderait dans le sac, elle l'emmène directement dans sa chambre et j'éclate de rire.
Après une bonne douche pour finir de me réveiller, je m'habille et rejoins Izzy dans la cuisine. Avec le short arc-en-ciel, elle porte un crop top blanc en dentelle. Devant elle, il y a l'équivalent d'un magasin de cosmétiques. Elle est en train de se maquiller en se regardant dans un petit miroir rond.
— Je pensais qu'on se préparerait dans ta chambre ou la salle de bain.
Histoire de ne pas tomber sur son frère, par exemple. Je jette un œil vers l'étage. Je ne sais même pas s'il est réveillé, il est tout le temps silencieux de toute façon. Et c'est flippant.
— Oh, t'inquiète c'est p-
Comme elle s'interrompt, je la regarde. Ah, c'est vrai, elle ne m'a jamais vu habillé selon mon style habituel. C'est-à-dire que je porte un corset à motifs floraux, paré de chaînettes le long de la couture supérieure, sur un t-shirt noir où il est écrit "I put the Bi in Bitch", avec un jean moulant noir que Cat et moi nous sommes amusés à taillader pour lui donner l'air usé. D'abord, son silence m'inquiète, puis je vois un sourire se glisser sur ses lèvres.
— Ravie d'enfin te rencontrer ! me lance-t-elle.
— Très drôle, rétorqué-je en rougissant.
Je passe une main sur ma nuque avant de me servir un café puis je retourne m'asseoir à côté d'Izzy qui termine de se maquiller. Elle parfait sa routine avec du mascara de différentes couleurs et me demande de dessiner le rainbow flag sur sa joue gauche.
— Et toi, tu veux quoi ? demande-t-elle.
— Je te laisse carte blanche.
Elle étouffe un petit cri suraigu et se lève pour me coiffer. Tout en s'amusant avec mes cheveux, elle m'explique que l'on doit retrouver son petit-ami et Clary, qui sont censés apporter de la laque pailletée.
— Et eux, ils ont le droit de sortir sans chaperon ? m'amusé-je.
— Leurs parents savent que Maman ne me laisserait pas toute seule au milieu de toute cette foule. Elle est un peu surprotectrice.
Je retiens un rire. « Un peu » surprotectrice, c'est un euphémisme.
J'essaie d'en savoir un peu plus sur son copain mais tout ce que j'apprends c'est qu'il s'appelle Simon et qu'il suit les mêmes cours que Clary et elle. Et que leur couple est assez récent.
Elle est en train de terminer son œuvre sur mon visage quand la porte d'entrée s'ouvre derrière moi. Je fronce légèrement les sourcils mais Izzy ne se déconcentre pas.
— Ah fronce pas les sourcils, râle-t-elle. C'est Alec, il revient de la salle de sport.
— La salle de... Il y a une salle de sport dans l'immeuble ?
Mais comment est-ce que je suis passé à côté de cette info pendant un mois ?
— Oui, et même un spa.
Je me recule un peu pour ouvrir les yeux, surpris. Elle me dit ça le plus naturellement du monde, en plus ! Il faut vraiment que j'apprenne à faire attention à ce qui m'entoure.
— Vu le nombre d'heures que tu fais à l'épicerie, j'ai pensé que ça ne t'intéresserait pas, s'explique-t-elle.
— Tu as raison, admets-je après une seconde. Je ne sais pas où j'aurais trouvé le temps.
Le bruit dans les escaliers m'indique qu'Alec monte dans sa chambre, je réprime un soupir de soulagement et referme les yeux. Au moins, sa menace de l'autre jour a soigné mes yeux de leur envie de le regarder quand il passe.
Quelques minutes plus tard, ma demi-sœur m'avise qu'elle a terminé. J'attrape le miroir pour m'observer et lâche un « oh » admiratif. Le tour de mes yeux est balayé de nuances de rose, de violet et bleu avec quelques paillettes dorée sur mes paupières, au-dessus de la ligne d'eye-liner noir qui borde mes cils.
— Tu veux quelle couleur pour tes lèvres ? me demande-t-elle en commençant à farfouiller dans ses rouges à lèvres.
— Euh... Non, pas de...
Je me mords l'intérieur de la bouche. Je suis déjà terrifié à l'idée de croiser son frère avant qu'on parte, inutile d'en rajouter. Je me lève et dépose un baiser sur sa joue droite pour la remercier puis je remets tout le maquillage dans la boite d'où elle les a sorti. Elle me regarde faire sans rien dire, je crois qu'elle voit mon malaise, mais j'espère qu'elle ne sait pas ce qui – ou juste qui – en est à l'origine.
— Je vais monter ça dans ta chambre, lancé-je à Izzy. Je dois récupérer mon portable dans la mienne.
Je n'attends pas sa réponse, je doute qu'elle soit inquiète à l'idée que j'aille dans sa chambre de toute façon.
Mon téléphone à la main, je ressors de ma chambre et, évidemment, tombe nez à nez avec Alec qui sort de la salle de bain, torse nu et les cheveux mouillés. Mon cœur a un dératé mais je n'arrive pas à détourner les yeux de son visage, alors qu'il me regarde de la tête aux pieds. Je passe nerveusement ma main sur ma taille dénudée sur quelques centimètres entre le bas de mon corset et la ceinture de mon pantalon. C'est là qu'il se rend compte qu'il n'est pas discret, je crois, parce qu'il vrille aussitôt mes pupilles d'un regard noir. Comme il y a deux jours, je sens ma gorge se serrer d'angoisse mais je me fais violence. Quand j'ai réalisé que je suis bisexuel, je me suis juré de ne plus jamais avoir honte de ce que je suis. N'avoir honte ni de mon attirance pour les hommes, ni de mon apparence. Qu'il aille se faire foutre si ça ne lui plait pas !
— Quoi ? l'apostrophé-je. Un problème avec mes vêtements ?
Sans répondre, il tourne les talons et va dans sa chambre. J'entre dans la salle de bain et attrape mon tube de rouge à lèvres noir. Je maquille ma bouche avant de rejoindre Izzy qui s'étouffe avec son verre d'eau quand elle me voit.
— J'ai changé d'avis, dis-je aussitôt.
— Parfait.
On rejoint Cat et Ragnor avec un peu plus d'une heure d'avance. Ma meilleure amie porte un legging multicolore sous un short rose pétant avec une chemise arc-en-ciel dont elle a noué les pans sous sa poitrine, et son maquillage est tout aussi coloré. Ragnor, lui, est simplement vêtu d'un t-shirt beige et d'un jean élimé.
— J'ai pas réussi à le décider à porter plus de couleurs, soupire Catarina en m'enlaçant.
— T'inquiète, on s'est arrêté à un stand en arrivant.
J'ouvre mon sac à bandoulière et lui montre les bracelets et colliers arc-en-ciel.
— C'est l'idée d'Izzy, pouffé-je. Quand je lui ai dit que Rag n'aurait probablement pas de vêtement pour la circonstance, elle a dévalisé le premier stand qu'elle a trouvé.
Cat dit à Ragnor de fermer les yeux puis Izzy et elle s'amusent à lui accrocher quatre colliers et deux bracelets à chaque poignet. Puis on se sert en en laissant quelques-uns pour les deux derniers qui doivent encore nous rejoindre.
Ils ont réussi à trouver un bon endroit pour s'installer, près des barrières et au début du parcours. Catarina ne tarde pas à s'asseoir par terre et Izzy fait de même. Comme elles se mettent tout de suite à discuter entre elles, je propose à Rag d'aller chercher des cafés. J'en ai vraiment besoin.
— Ça te va bien, ta tenue, me dit mon ami quand nous sommes seuls.
— Merci. Je profite que mon père ne soit pas en ville...
Et je croise un peu les doigts pour ne pas croiser quelqu'un qu'il connaît, mais je pense qu'il y a quand même peu de risque alors je décide vite de mettre cette crainte de côté pour profiter de la journée.
— Et donc, après ce soir, tu retournes dans le placard ?
— Ouais, soufflé-je en riant. On va dire ça...
— Tu ne devrais pas autant t'en faire. Si ça se passe mal, on sera toujours là, Cat et moi.
— Je sais. Je voudrais seulement être sûr qu'il ne me détestera pas quand je lui dirai.
— Mags, il t'adore.
Je hausse les épaules.
— Des fois, j'aimerais qu'il l'apprenne par accident.
— Et tu regretterais ensuite de ne pas le lui avoir dit toi-même.
— Sans doute.
On entre dans un Starbucks, changeant de sujet. Je commande deux cafés frappés supplémentaires car Cat m'envoie un message pour nous prévenir que les amis d'Izzy sont arrivés.
À notre retour, je suis accueilli par Clary qui me bondit dessus, j'ai juste le temps de refourguer la poche que je tiens à ma meilleure amie. La petite rouquine porte une jupe blanche et un débardeur blanc avec un arc-en-ciel dessiné à la main dessus. En revanche, son visage est un véritable drapeau des fiertés.
— T'as dû bien t'amuser pour te maquiller, fais-je remarquer.
— T'as pas idée !
Izzy s'approche pour me présenter son petit-ami. Un jeune homme mince, plutôt mignon avec des lunettes rondes sur le nez et une tignasse châtain décoiffée. Clary lui a dessiné le drapeau pansexuel sur les joues et il porte un jean blanc avec un t-shirt représentant un panda rose, jaune et bleu.
— Enchanté ! lance-t-il en criant presque.
Je sursaute un peu et recule d'un pas alors que Clary éclate de rire. J'échange un regard surpris avec Ragnor mais Cat semble être aussi prête à rire.
— Je crois qu'il est nerveux, me dit-elle.
— Ah ! Je suis aussi très content de faire ta connaissance, Simon, réponds-je au jeune homme.
Je lui tends une main qu'il saisit en essayant de reprendre contenance, et moi j'essaie de ne pas me mettre à rire devant son air perdu.
— Tu étais très différent l'autre jour, remarque Clary en désignant mon corset.
— Hm en effet, j'ai pas encore dit à mon père que je suis bisexuel. C-comme j'ai jamais eu d'expérience avec un mec, je me dis que... Hm ça peut attendre.
Derrière la rouquine, je vois Ragnor qui lève les yeux au ciel alors que je justifie ma lâcheté et mes craintes qui lui semblent inutiles. Mais ce n'est pas un mensonge, je n'ai jamais eu de petit-copain.
— Alors comment t'as su ? me demande Simon, aussi curieux que sa petite-amie.
— J'ai embrassé un mec à la soirée d'après bal de promo, pendant un jeu à la con. Sur le moment, j'y ai pas fait attention mais après quelques semaines, j'ai commencé à y réfléchir et... Voilà.
Je hausse les épaules alors que les trois lycéens se mettent à rire gentiment. C'est vrai que c'est assez banal.
— Et toi ? l'interroge Cat. Tu es pan, c'est ça ?
— Ouais. C'est idiot, mais je l'ai compris en parlant avec des gens sur des forums. Mon ex est asexuel et c'est un mec. Quand je suis tombé amoureux d'Izzy, j'étais perdu alors...
— Donc tu es un geek, le taquine Ragnor alors que le pauvre garçon devient tout rouge et se met à bafouiller.
— Oui, aussi !
Izzy s'accroche à son cou et se hisse sur la pointe des pieds pour l'embrasser. Ils sont mignons. Et je me rends compte que ça me rassure qu'Izzy soit avec un gentil garçon... Je crois que je m'attache à cette gamine.
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