chapitre 8


L'été était arrivé comme une vague étouffante, enveloppant tout sur son passage. L'air, lourd et immobile, semblait vibrer sous l'intensité du soleil. Les routes, noircies par la chaleur, dégageaient une sorte de brume, et les ombres des arbres paraissaient s'évanouir, incapables de rivaliser avec l'ardeur implacable du jour.

Les volets des maisons restaient clos, dans une tentative désespérée de préserver un peu de fraîcheur, désormais inexistante. Même les insectes bourdonnaient avec moins d'énergie, ralentis par cette chaleur accablante. Les rivières, habituellement fraîches, devenaient tièdes sous la lumière brûlante, et l'herbe jaunie craquait sous les pieds, brûlée par des semaines sans pluie. Partout, la chaleur s’imposait, pesante, indéniable, envahissant chaque recoin de l’été.

Cherchant un peu de répit, Angéline et Kalhne s’étaient réfugiées sous l’ombre d’un pommier. La première expérimentait de nouvelles coiffures, tandis que la seconde relisait les légendes d'un vieux grimoire, plongée dans ses pensées.

— Tu devrais lui rendre ce livre et passer à autre chose, dit Angéline en soupirant. Il fait le gentil, mais il est vraiment agaçant quand on le connaît un peu mieux.

Kalhne baissa le livre, l'air perdu, avant de répondre.

— Je ne comprends pas. On s’est embrassés, il avait l’air heureux, et puis… (Elle laissa sa phrase en suspens, puis changea de sujet brusquement.) Pourquoi tu te démènes avec tes cheveux comme ça ?

Angéline s’arrêta dans ses mouvements, un élastique dans une main et plusieurs pinces dans l’autre.

— J’aime pas mes cheveux, on dirait un mouton. Fêter les sabbats, c’était bien pour quelque chose, au moins, on faisait la fête.

Kalhne effleura la couverture du grimoire, le regard perdu. Une larme glissa sur sa joue.

— On n’a toujours pas retrouvé mon frère, le vieux Huber devient fou à parler de diable, de fantômes, et de la lune… Et Diallo… Il est devenu froid, juste après que je lui ai avoué mes sentiments. C’est les vacances d’été et pourtant, je déprime…

Elle fut interrompue par l'arrivée d’une équipe de tournage qui gravissait la petite colline où elles s’étaient installées. Une femme à l’avant pointa un micro vers elles.

— Bonjour, dit-elle, essoufflée. Je suis ici avec deux jeunes habitantes du village. Vous n’avez pas peur de vous promener dans la forêt ? Après tout, vous passez vos vacances dans la région la plus… connue de France, en ce moment.

Kalhne échangea un regard avec Angéline, qui soudain porta la main à son front avec un soupir dramatique.

— Oui, mon dieu, quelle chaleur… Je crois que… je ne me sens pas bien, dit-elle d’une voix languissante.

La journaliste baissa un peu son micro, visiblement déconcertée, tandis que Kalhne se tournait vers Angéline, dos à l’équipe pour leur cacher son fou rire.

— Angéline ! Mais bien sûr, ton allergie au soleil… Et on a oublié ton chapeau ! Rentrons chez moi, je te donnerai de l'eau.

Sans un regard pour la caméra, Kalhne fit mine de porter Angéline, sautillant jusqu’à la route voisine, hors de vue de l’équipe de tournage.

À peine hors de leur champ de vision, elles entendirent les murmures excités des reporters :

— C’est la sœur du garçon disparu !

— Peut-être qu’elle sait quelque chose…

Les deux adolescentes se cachèrent derrière des massifs épicéas. Angéline riait aux éclats, pliée en deux de rire, mais Kalhne restait silencieuse, le regard dans le vide.

— Ils nous laisseront jamais tranquilles… Je n’ai aucune nouvelle de mon frère et ça me tue.

Kalhne s’assit contre le tronc d’arbre, le visage enfoui dans ses mains. Soudain, elle sentit une petite pression sur sa main. Un papillon venait de s’y poser, ses ailes violettes et brunes, bordées de noir, doucement ouvertes et fermées.

Ce papillon, elle l’avait déjà vu. Elle se souvenait du jour où Diallo lui avait fait un tour de magie ; un papillon identique était apparu, de la même teinte violette éclatante. Était-ce un signe, ou cherchait-elle simplement un signe ? Angéline posa la main sur son épaule, brisant sa réflexion.

— Tu devrais le revoir, pour obtenir des explications. Au moins, pour le baiser.

Kalhne sentit son cœur s’accélérer. Oui, elle voulait le revoir, lui parler, se jeter dans ses bras… Mais elle savait qu’elle risquait de retomber sous son charme mystérieux et dangereux. Pourtant, elle se leva et hocha la tête.

— J’y vais.

À ce moment-là, le papillon s’envola, virevoltant autour d’elle, comme pour l’inciter à le suivre. Kalhne s’élança à sa suite, traversant un vaste champ de blé doré. Au loin, elle aperçut une silhouette sombre, avançant d’un pas rapide. Elle reconnut sa démarche.

— Diallo ! Où vas-tu ?

Il se retourna, la regarda une seconde, puis accéléra le pas.

Essoufflée, Kalhne le rattrapa finalement, sa respiration difficile sous la chaleur accablante. Diallo portait un sac de toile, et son visage restait étonnamment calme, comme insensible à la chaleur.

— Je dois partir, murmura-t-il.

Kalhne saisit son visage entre ses mains, le suppliant du regard.

— Pourquoi ?

Diallo prit ses mains et les écarta doucement.

— Je suis dangereux pour toi… pour tous ceux qui s’approchent de moi.

Kalhne secoua la tête sans comprendre, essayant encore de reprendre son souffle sous le soleil brûlant de l'été.

— Qui es-tu ? Je ne comprends pas ... Je pensais que... Je pensais que tu m'aimais ?

Diallo grimaça, se rapprocha doucement de Kalhne. Leur deux visages étaient proches, leur corps aussi. Alors le garçon s'empara des lèvres de la jeune fille, caressa son dos, ses bras, embrassa son coup. Kalhne avait l'impression de chavirer, d'en vouloir encore plus. Mais il s'arrêta net, retenu dans son mouvement. Il s'éloigna de Kalhne de trois bon pas en arrière.

— Je ne peux pas, je n'ai pas le droit. Je suis maudit.

— Pourquoi ? Reste avec nous, nous devons fêter le cycle ! pleura Kalhne.

Diallo s'agita.
— J'emmerde le cycle ! La Lune et le Soleil nous narguent de la haut. Je les hais...

Kalhne s'approcha de lui, tanta de saisir ses épaules, son menton pour qu'il la regarde en face.
— Je pensais que tu aimais tout ça ? Tu m'as apprise telleme de choses... D'où viens-tu ? Qui es-tu ? demanda t-elle désespérément.

— Je viens de loin, et je suis maudis. Il y a un temps j'étais un ange, tu aurais vu, un bel ange. Tu l'as trouvé au fond de moi. Mais je reste qui je suis, on m'a donné un rôle, et aujourd'hui, je suis dangereux pour toi. Je pourrais te détruire, j'ai deja détruit ce que tu avais... Je....

Diallo se mit à faire demi tour et  repoussa Kalhne.
— Je ne t'aime pas, continue à fêter les Sabbat si ça te chante, ton frère reviendra peut-être à la prochaine pleine lune. Mais moi je m'en vais. Tu es collante et immature Kalhne, va-t-en.

La jeune fille reste sans bouger, il l'aimait, elle le savait. Il ne pouvait en être autrement. Cependant elle ne retourna pas vers lui, une aura sombre était en train de l'entourer, comme changeant ses plumes blanches du garçon malicieux qu'elle avait rencontré, en couleur grise et terne.

— Lug a bien failli dérégler le cycle, parfois j'aimerais tout dérégler, dit Diallo une fois à quelques mètres de Kalhne.

— Pourquoi tu ne le fait pas ? interrogea la jeune fille sans comprendre.

— Parce que je l'ai déjà fait, et ça tourne mal, continua à dire Diallo sans s'approcher d'elle.

— Comment ça ?

— Tu n'as jamais remarqué que le temps se dérègle ? haussa t-il la voix.

— Si, mais c'est dû au dérèglement climatique et à la conneries des hommes, dit-elle froidement.

Kalhne s’approcha de lui, tentant de le raisonner, de comprendre. Mais une barrière semblait les séparer, comme si une force invisible l’empêchait de l’atteindre.

— Il y a longtemps, j’étais… différent. On m’a donné un rôle à jouer, un rôle que je ne peux plus supporter. Je suis dangereux pour toi, Kalhne, je n’ai pas le choix.

Il se tourna pour s’éloigner. Elle resta immobile, dévastée.

— Adieu, Kalhne.

Sa silhouette se perdit parmi les blés, et Kalhne sentit ses jambes vaciller. Elle n’était plus certaine de ce qui lui faisait mal : la chaleur, ou ce vide immense qu'il laissait derrière lui.

D’un pas lent, elle retrouva le chemin de la maison.

— Kalhne !

C'était la voix de Mathilde. Arrivée à sa hauteur, Kalhne se jeta dans se bras tout en fondant en larme.

— Il est bizarre et méchant, viens, on à une soirée à se préparer, compatis la jeune fille.

Kalhne releva son visage vers son amie.

— Tu veux fêter le sabbat avec nous ?

— Bien-sûr, je fais partie de votre coven maintenant non ?

Kalhne se mit à rire. Un coven oui, puis son sourire s'effaça.

— Ce groupe ne pourra pas exister sans Diallo. Il est parti.

Mathilde ne répondit pas et ramena Kalhne jusqu'à chez elle.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Il m'a dit qu'il devait partir, sinon il allait me faire du mal, et qu'il m'en avait deja fait, marmonna Kalhne.

— Je l'ai jamais sentie de toute façon. Moi je propose, soirée film ça te va ?

Malgré son chagrin, Kalhne esquissa un sourire.

Elle serra Mathilde dans ses bras.
— Tu n'es pas quelqu'un de mauvais tu sais, tu es mon amie, merci.









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