chapitre 6
— Combien de mètres fait la ficelle ? demanda Kalhne en déroulant enfin la corde au-dessus du trou derrière le cimetière.
Huber se pencha en avant, la main sur le dos.
— Ah ! C'est la ficelle de pêche de mon grand-père, il participait à des concours. Il gagnait souvent, vous savez, les meilleurs poissons sont loin…
— Cinq mètres, répondit Angeline, consciente que le vieux Huber s’emballerait dans un long monologue.
Kalhne commençait à avoir mal au bras. Cela faisait deux semaines que le vieux Huber les faisait venir ici chaque jour, avide d'en découvrir plus. La fin d'année approchant, il pensait que les deux adolescentes avaient du temps à perdre. Kalhne aussi était curieuse de découvrir ce que cachait ce trou, mais et si Dan n’avait rien à voir avec cela ? À part son apparence sans fond et le fait que les objets jetés dedans réapparaissaient ailleurs en ville, ce trou n’avait rien révélé d’autre qui aurait pu les aider à savoir si son frère y était tombé ou non.
— Mathilde s’est mise à chercher partout dans la ville les objets perdus. Je me demande pourquoi elle nous aide, grimaça Angeline. Peut-être qu'elle passe à côté de plein d'indices.
Kalhne remonta la corde à laquelle ils avaient accroché un caillou.
— Moi, je trouve ça sympa de sa part. Si tu crains qu'elle rate quelque chose, vas-y toi-même. Peut-être qu'elle profite de la situation pour attirer les regards, comme d'habitude, mais peu m'importe aujourd'hui…
Huber était en train de distribuer des tracts qu'il avait lui-même fait imprimer. Son histoire d’horreur avait attiré des touristes fascinés par l'apocalypse dans leur petit village, même des youtubeurs désireux de percer le mystère de ce gouffre. Heureusement, Kalhne et Angeline avaient réussi à convaincre leur voisin de ne pas révéler la localisation de leur trou. Sinon, adieu les recherches, ce ne serait plus possible avec tous ces amateurs de sensations fortes penchés sur la curiosité.
— Monsieur Huber ! Pensez-vous qu'un objet pourrait réapparaître en dehors de la ville ? demanda Angeline.
Le vieux homme abandonna ses tracts et s'approcha des deux adolescentes.
— Pour l’instant, tout apparaît dans la ville. Même la gamine d'autrefois a réapparu ici. Mais Dan, ce n’est pas un objet. Peut-être que le trou réagit différemment avec des êtres vivants.
C'est alors que Mathilde fit son apparition, tenant un rat assommé par la queue.
— J'ai retrouvé la pomme qu’on a jetée hier, sur le capot d'une voiture. Et d'ailleurs, on peut jeter une souris dedans si vous voulez.
Kalhne fit un bond en arrière.
— Où as-tu trouvé ça ? marmonna-t-elle.
— Le pauvre rat, j'espère que tu ne l'as pas tué ! s'énerva Angeline.
Mathilde souffla.
— Mais non, il essayait de manger la pomme quand un vélo l’a percuté.
Huber s'avança en vacillant. Sa canne en bois s’enfonçait dans la boue, et ses pieds semblaient glisser à chaque pas.
— Faites attention ! Vous allez salir ma nouvelle veste ! Tenez, cette souris empeste, râla Mathilde en tendant le rongeur, qui s’agitait, la tête à l’envers.
— Passe-moi ça.
Le vieillard, avec son vieux chapeau de paille mal ajusté et une veste trop grande pour lui, courait maladroitement dans la boue, tenant la souris du bout du bras. Sa barbe grisonnante, ébouriffée, était parsemée de taches de boue, et ses bottes en caoutchouc, beaucoup trop grandes, s’enfonçaient à chaque pas, émettant des bruits de schlurp. Il tentait de garder l’équilibre tout en tenant le rat, ses bras gesticulant comme s’il essayait de voler, mais il avançait avec détermination, un grand sourire malicieux sur son visage ridé.
Arrivé au trou étrange, il balança la souris à l’intérieur avec un petit rire joyeux. Le trou l’absorba sans un bruit, et le cri du rongeur se perdit dans les profondeurs de la terre. Le vieillard essuya ses mains sales sur son pantalon, tout fier de son exploit, éclatant d’un rire enfantin, indifférent à l’étrangeté de la situation.
— Plus qu'à retrouver la souris… souffla Kalhne.
Mathilde leva les mains au ciel.
— Pas aujourd'hui, j'ai déjà trop marché. Je rentre chez moi, on se voit demain, Kalhne, bye !
Quand elle fut presque partie, Angeline leva les yeux et imita la jeune fille d’un geste de la main.
— À demain, Kalhne, bye ! Et moi, je suis transparente ?
— Elle ne m’a pas dit au revoir non plus, attesta Huber d’un air triste.
Kalhne se leva difficilement, les membres engourdis.
— Il faut que j’y aille aussi, le devoir de maths ne va pas se faire tout seul. Ensuite, je dois aller avec ma mère au poste de police. Ils semblent prendre cette histoire à cœur maintenant qu’elle est popularisée…
Angeline acquiesça et expliqua qu'elle aussi devait partir. Les deux adolescentes laissèrent Huber seul.
L'homme décida de se pencher au-dessus du trou pour observer ce qui était advenu de la souris. Mais, en s'approchant un peu trop près, son pied glissa soudainement sur une flaque de boue, et il perdit l'équilibre. Battant des bras désespérément, il chercha à se rattraper, mais il n’y avait rien à saisir. Lentement, puis d’un coup, il bascula dans le vide, ses bottes en caoutchouc disparaissant les premières.
Il tomba, sans fin, ses cheveux et sa barbe flottant dans l’air comme pris dans un courant invisible. Autour de lui, il n’y avait que l’obscurité, une sorte de néant étrange et silencieux. Il sembla ne jamais toucher le fond, tourbillonnant parfois dans une position ridicule, ses bras et ses jambes ballottant comme une marionnette mal contrôlée. Malgré la situation, il continua de rire, un éclat de rire incontrôlable qui résonnait dans ce gouffre sans fin, sa voix rebondissant contre des parois invisibles.
Il tomba ainsi, sans cesse, l’air de plus en plus perplexe, mais toujours amusé, comme s’il vivait une farce cosmique dont il n’était pas tout à fait conscient.
À la surface, le trou s’élargit un peu plus, et pour seule trace de Huber, son chapeau de paille abandonné.
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En juin, l’été s’était installé doucement, presque imperceptiblement, comme une brise tiède effleurant la terre encore imprégnée de la fraîcheur printanière. Le matin, l’air était chargé de rosée, et le soleil, bien qu’encore timide, se levait un peu plus tôt chaque jour, projetant ses premiers rayons dorés sur les champs endormis. Le ciel, débarrassé des dernières traces de l’hiver, s’étendait en un bleu limpide, à peine ponctué de quelques nuages blancs et vaporeux.
Les journées s’étaient allongées, et la lumière du soleil prenait une teinte plus vive, enveloppant les paysages d’une douce chaleur. À midi, l’ombre des arbres offrait un refuge accueillant contre le soleil, qui devenait de plus en plus insistant. Dans les prairies, les coquelicots et les marguerites s’étaient ouverts, parsemant de couleurs vives les verts tendres des herbes qui ondulaient sous la brise.
Les oiseaux, eux aussi, avaient ressenti ce changement subtil. Leurs chants légers et joyeux accompagnaient chaque réveil, emplissant l’air de cette énergie nouvelle que seule la promesse de l’été pouvait apporter. Les bourgeons avaient cédé la place aux premières fleurs de jasmin, dont le parfum enivrant, mais discret, se diffusait dans les soirées de plus en plus longues.
Les rivières et les lacs, encore froids il y a peu, commençaient à refléter un éclat plus chaleureux sous la lumière de juin. Les plus courageux s’étaient déjà aventurés à y tremper les pieds, savourant cette sensation de fraîcheur contrastant avec la chaleur douce des journées. Aux terrasses des cafés, les conversations se faisaient plus animées, les rires éclataient plus facilement, et dans l’air flottait le parfum des premières glaces, qui fondaient lentement sous le soleil.
Tout semblait s’éveiller lentement, comme si la nature elle-même hésitait à précipiter l’arrivée de la saison chaude. Pourtant, à chaque instant, on sentait que l’été était là, sur le point de prendre possession pleinement des jours. Le mois de juin, avec sa lumière douce et ses promesses en suspens, marquait cette transition délicate où le printemps s’effaçait peu à peu, laissant l’été s’épanouir dans un souffle chaud, paisible et empli d’espoir.
Kalhne passa sa semaine au post de police ou dans la forêt avec Diallo qui semblait toujours présent.
On retrouva la bague de Dan près du canal qui entourait la ville, ce qui piqua la curiosité des touristes. La police se retrouvait empêtrée entre la foule de curieux qui brouillaient leur piste et le manque d'indices apparents : la bague était sortie de nul part.
Angeline qui l'avait bien remarqué, fit le rapprochement entre l'apparition de la bague comme celle des autres objets jetés dans le trou. C'est Mathilde, qui malgré elle, retrouva la sourit assommée, près du même canal. Ne trouvant plus Kalhne, elle rejoignit Angeline prêt de trou sans fond.
Celle-ci étudiait une trace au sol et semblait paniquée.
— Mathilde, où est Huber ?
L'adolescente jeta la sourit au sol et croisa les bras.
— Bonjour, comment tu vas ? elle souffla entre ses dents. Non, je sais pas où est ce vieux dingo. Il vous laisse tranquilles maintenant ?
Angeline cherchait partout autour d'elle, comme si elle allait le retrouver par miracle derrière un arbre. Mais elle fut rapidement essoufflée.
— Arrête de le chercher comme ça, tu devrais faire du sport, ta corpulence ne t'aide pas, répliqua Mathilde.
L'amie de Kalhne s'arrêta subitement dans ces gestes.
— Que viens-tu de dire ?
Mathilde s'approcha de son interlocutrice.
— Ne le prend pas mal c'est vrai. Regarde Kalhne, elle s'habille bien et elle s'est trouvé un petit copain.
— Comment ça ?
Angeline était étonnée que cette bécasse ne soit pas inconnue à cet étranger dans la forêt.
— Mais oui c'est évident, ça fait trois semaines que je ne vous vois plus ensemble, et Kalhne qui s'en va dans la forêt. Je l'ai aperçue avec un garçon ma foie plutôt beau. Tu devrais toi aussi te mettre à chercher d'autres amis.
La sang de la blonde ne fit qu'un tour, mais pour qui elle se prenait celle-là ? Bien-sûr qu'elle savait qu'elle n'était pas particulière jolie, mais fallait-il qu'on lui fasse la remarque ? Bien-sûr qu'elle savait également que Kalhne l'abandonnait peu à peu pour se réfugier dans la forêt. Mais pourquoi le relever ? Parce que c'était la vérité.
— Merci du conseil mais je suis bien ainsi. Il faut que je retrouve Huber maintenant. Je vais signaler sa disparition à la police.
Mathilde ne semblait pas avoir compris que ses paroles avaient été blessantes et se mit à s'intéresser aux traces dans la boue qui avait séchée autour du trou.
— Tu crois qu'il est tombé dans le trou ? Il s'est vachement élargi.
Angéline voulu donner un coup de pied dans le buisson pour calmer sa colère quand elle s'arrêta dans son geste. Elle se pencha pour tirer des branchages un chapeau de paille qui semblait avoir prit l'humidité.
— Je crois oui. Il faut le retrouver.
Mathilde jugea la chapeau.
— Pourquoi ce serait notre affaire ? Et puis, si Dan aussi est tombé dans ce trou, on ne l'a jamais retrouvé. Et si on retrouvait pas n'ont plus Huber ?
Plus loin, beaucoup plus loin, à la cabane dans la forêt, Diallo était en train de faire tourner une pierre pendue au bout d'une chaîne argentée. Kalhne était agenouillée à ses côtés, observant son ami faire.
— La dernière fois tu m'as écris sur les bras, tu vas me sortir quoi cette fois ?
Diallo le regarda en souriant.
— Tu as qu'en même parfaitement réussi ton code de la route non ?
Kalhne aprouva. Ces runes l'avaient effectivement peut-être aidée dans son examen. Comment ? Elle le savait pas. Une histoire d'énergie et de confiance en sois. Depuis un mois qu'elle observait Diallo faire tout un tas de trucs, elle en avait appris des choses. Si au départ elle était sceptique, il lui venait bien à l'évidence que les différents rituels de Diallo fonctionnait. Pour attirer l'argent, et ainsi aider sa mère qui avait reçu une prime, à payer le plombier. Ou soignée le rhume d'Angéline sans même qu'elle s'en rendent compte. Son ami avec de l'asme depuis toute petite et elle pouvait facilement finir à l'hôpital avec une mauvaise crise.
Ses rhumes était propices à la rendre très mal. Cependant cette fois, il était partit efficacement et sans dégât. Chose rare. Alors s'il fallait y croire ou non, Kalhne préférait ne pas être trop terre à terre. Temps que cela ne faisait de mal à personne, ça ne pouvait qu'aider. C'est ce que lui avait Diallo, un peu en rechignant une fois.
" Fait ce que tu veux, temps que ça ne nuit à personne"
Puis il avait ajouté ensuite,
" Sauf à cette Margot, si elle t'embête encore, dis le moi j'en fait mon affaire."
Et Kalhne avait alors été touchée par cette marque d'affection quelque peu étrange tout de même, et ne lui avait plus jamais parlé de Margot ou de Mathilde.
— Vas-y, pose ta question, dit Diallo.
— Dan reviendra t-il à la prochaine éclipse ?
Le pendule ne tourna pas.
— Mmm, la question n'a pas de réponse. Pose là ainsi, Dan a-t-il des chances de revenir à la prochaine éclipse ?
Le pendule se mit à tourner alors vers la droite. Celon les explications de Diallo, cela voulait dire oui.
— Ne me fait pas marcher, c'est toi qui fait tourner cette chaîne !
— Mais non tu vois bien ! protesta le garçon en éloignant le pendule des mains de Kalhne.
— Je voudrais essayer, dit-elle.
Diallo lui donna le bijou.
— D'accord, mais avant protége toi, lui répondit-il d'un air sérieux.
Kalhne soupira, elle saisit le bol de sel, fit un cercle autour d'elle et se leva les mains avec de l'eau qu'ils avaient mis à la lumière de la pleine lune.
Elle tendit le bras devant elle et fixa la pierre noir forme de cône.
— Tu trembles, indiqua Diallo.
— Non.
— Si, rit Diallo. Attend.
Le garçon se plaça derrière Kalhne, son torse touchait le dos de la jeune fille. Son souffle venait caressait ses cheveux bruns relevés en chignon. Il glissa son bras vers le sienne pour lui soutenir délicatement le poignet.
Kalhne devint rouge comme une pivoine. Heureusement que Diallo ne pouvait pas la voir de face. La jeune fille avouait que ce raprochement n'était pas désagréable mais la situation restait un peu gênante. Elle décida de se lancer.
— Dan est-il toujours en vie ?
Et le pendule vira à droite.
— Pourrais-je le retrouver avant l'éclipse ?
La pierre se mit à tourner dans le sens des aiguilles d'une montre, ce qui était une réponse négative.
— Est-il tombé dans le trou sans fond derrière le cimetière ?
Le pendule changea de sens, oui. Kalhne s'apprêtait à changer de questions mais Diallo l'en empêcha.
— Arrêté arrête, n'enchaîne pas les questions. Surtout pour une première fois, tu vas te fatiguer. C'est beaucoup d'énergie utilisée.
La jeune fille se retourna vers son ami.
— Le pendule dit vrai ? Il marche vraiment ?
— Oui, mais maintenant on va le ranger.
L'esprit de Kalhne bouillonnait. Son frère était en vie, mais où ? Dans ce trou ? Alors il était mort. Et s'il était réapparu comme les autres objets ? Elle demanderait à Angeline, elle continuait les expériences. Elle, avouait avoir arrêté car l'histoire d'un gouffre sans fond qui fait disparaitre et réapparaître des objets lui était trop improbable. Et Diallo l'avait dissuadé de s'y approcher trop près. Peut-être que ce pendule ce n'était que du toc. Pourtant elle n'avait pas bougé le poignet, il ne lui semblait pas.
Un mal de tête s'empara d'elle, et ses yeux commencèrent à lui piquer. Elle était fatiguée ? Diallo s'en rendit compte et la prit dans ses bras.
— Fait attention à l'énergie que tu dépenses. Je vais te faire boire un thé ça ira mieux. Ensuite rentre chez toi.
Au même moment, Angeline et Mathilde débarquèrent dans la clairière.
— On vous dérange ? demanda Angeline en voyant Kalhne allongée sur les genoux de Diallo.
— Huber est tombé dans le trou, il a disparu depuis plusieurs jours apparemment, indiqua Mathilde.
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