chapitre 3

Kalhne lisait et relisait le chapitre sur Ostara que lui avait conseillé son nouvel ami. Pourquoi lui avait-il donné ça ? Était-ce l'une des croyances de sa religion ? La jeune fille frémissait à cette pensée, se demandant si elle n'était pas en train de s'engager dans une voie dangereuse.

Cela faisait plus d'une semaine qu'elle n'avait pas revu Diallo, et l'angoisse de s'égarer dans des croyances sectaires la rongeait. Mais il y avait quelque chose de fascinant dans ce livre, un parfum de mystère qui lui était devenu presque addictif. Elle parcourut des yeux la dernière phrase, s'arrêtant sur le mot "Ostara" qui, d'une certaine manière, la séduisait. Elle ferma le grimoire avec un claquement sec, presque défensif. Il fallait qu'elle arrête de le lire.

La couverture en cuir rouge, ornée de coutures évoquant des cordes, l'attirait irrésistiblement. Qu'était donc cette « Wicca » dont elle lisait tant de choses troublantes ? Ce devait être le nom d'une secte, se dit-elle, son esprit grouillant d'angoisse.

Elle descendit au salon, où sa mère était affalée sur le canapé, vêtue d'un peignoir, une tasse de café froid à portée de main.

— Maman, tu as un rendez-vous chez la police dans trente minutes, lui rappela Kalhne, la voix teintée d’une inquiétude sourde.

Sa mère leva les yeux au plafond, émettant un gémissement inaudible.

— Peut-être auront-ils des nouvelles de Dan aujourd'hui ? répondit Kalhne, cherchant désespérément un brin d'espoir.

Sa mère souffla, le regard perdu dans le vide, à la fois absente et désespérée.

— Je sais qu'ils auraient appelé s'ils avaient eu des nouvelles, mais ça ne coûte rien d'y aller, insista Kalhne en continuant de faire la conversation.

Elle se saisit de plusieurs chocolats, les engloutissant en silence.

— Il est mort, il est mort... murmura sa mère, les mains sur ses yeux, la voix chargée de désespoir.

Cette fois, Kalhne ne répondit pas, se contentant de manger son quatrième chocolat à la noisette.

— Où est-il, mon dieu ?

Kalhne tiqua sur les paroles de sa mère. C'était dans ces moments-là qu'elle évoquait la religion. La jeune fille avait bien tenté de parler à l'oiseau, à la fourmi, même aux arbres, mais il ne se passait rien. Elle se sentait ridicule. Depuis sa dernière rencontre avec Diallo, elle voyait des plumes passer devant la lune presque chaque jour. C'était sûrement son inconscient qui jouait, se rassurait-elle.

Cependant, elle ne pouvait pas ignorer ce que lui avait révélé cette plume au bord de l'arbre. À la prochaine éclipse ? C'était peu probable, mais cela l'avait découragée de poursuivre ses recherches, lui donnant l'impression que fouiller la forêt environnante ne servirait à rien avant la fin de l'année.

— Vas-tu y aller à ce rendez-vous ? demanda Kalhne sur un ton autoritaire.

Sa mère ne lui répondit pas. Elle était endormie, les cheveux en bataille, le visage mal nettoyé. Elle était devenue une limace s'enfonçant dans son désespoir, convaincue que Dan était mort.

Kalhne se retrouva donc à gérer la maison, essayant de nourrir la limace qui avait pris résidence sur le canapé. Elle se répétait qu'il n'y avait pas de raison de sombrer dans un tel état, Dan était un adulte. Il devait bien être quelque part.

Mais en vérité, faire les tâches ménagères l'empêchait de penser à lui. Elle enfila donc son manteau, chaussa ses bottes, et sortit, emportant le grimoire dans son sac comme un talisman.

Elle traversa la rue, marchant d'un pas déterminé vers le centre-ville, serrant ses doigts dans sa poche, espérant que la police aurait des nouvelles de son frère. Un frisson parcourut sa nuque alors qu'une voix l'interpella derrière elle.

— Kalhne !

C'était Angeline qui lui courait après, essoufflée, ses mains sur ses cuisses. Kalhne lui trouva un beau prénom, mais elle savait qu'Angeline ne prenait pas soin d'elle. À dix-sept ans, elle s'attachait les cheveux dans un chignon hâtif, sans se soucier de son apparence.

— Angeline, tout va bien ? s'inquiéta Kalhne.

— Oui oui, mais toi ? On ne t'a pas vue à l'école ces derniers jours. J'ai appris pour ton frère. Je suis tellement désolée. Je suis certaine que la police va le retrouver.

Kalhne laissa échapper un rire amer en serrant les dents.

— J'y vais justement. Ils n'ont rien trouvé pour l'instant...

Angeline posa une main moite sur l'épaule de son amie.

— Je t'accompagne. Promets-moi de revenir à l'école demain.

Les deux jeunes filles reprirent le chemin vers le petit bâtiment de police. Elles vivaient dans un village en pleine campagne, où les attentes étaient modestes.

Angeline lui parla de son potager, de sa grand-mère qui venait de s’installer chez elle et du père qui en perdait son calme avec cette intrusion, sans pouvoir échapper à l'odeur de l'eau de Cologne qui flottait dans la cuisine tout en marchant sur de la terre dans le salon.

Angeline n'avait pas grandi avec sa mère, morte en la mettant au monde. Son amie ne semblait jamais perturbée par cette perte, mais Kalhne sentait, dans le fond de ses yeux, qu'une ombre la hantait.

Quelques minutes plus tard, elles étaient assises face à un policier feuilletant un dossier.

— Nous n'avons pas de trace de lui. Nous émettons l'hypothèse qu'il est parti de son propre chef. Nous garderons ce dossier au cas où il refait surface un jour. Il figurera dans la liste des personnes recherchées dans les hôpitaux et postes de police. Mais pour l'instant, l'enquête s'arrête là.

Kalhne se redressa sur sa chaise inconfortable, l'aiguille de l'horloge sur le mur produisant un son répétitif qui embrouillait son esprit.

— Excusez-moi ? Mais s'il a été kidnappé ! Et s'il est mort, il faut bien retrouver son corps ! s'indigna-t-elle.

Le policier leva les yeux de son dossier, son nez crochu émergeant d'un amas de paperasse, comme s'il n'avait pas pris l'air depuis longtemps, ses yeux rougis.

— C'est trop de stress pour une jeune fille. Votre mère n'est pas venue ? Un garçon ne se fait pas enlever, et un corps, ça se retrouve. La mort laisse toujours des traces, mademoiselle. Mais je comprends... si vous n’aviez plus de père...

Les paroles du policier s'estompèrent dans l'esprit de Kalhne. Quel abruti ! Elle se leva, claquant la porte derrière elle, comprenant pourquoi sa mère ne voulait plus venir ici.

— Alors ? demanda Angeline, qui l'attendait sur un banc à l'extérieur.

Kalhne lui jeta un regard noir, faisant reculer son amie.

— Désolée... Non, ils n'ont rien trouvé et ils veulent arrêter les recherches. Selon eux, Dan est parti de son propre chef.

— C'est complètement ridicule. Tu sais quoi ? Je vais proposer une battue avec tous les gens du village. Ensemble, nous serons plus déterminés que trois policiers en balade dans la forêt au lieu de chercher.

Kalhne rit malgré elle, haussant les épaules. Cela pourrait soit aider, soit conforter l'idée qu'il n'y avait aucune trace de Dan. Angeline, déterminée, repartit chez elle, prête à lancer l'idée, laissant Kalhne seule.

Arrivée au bout de sa rue, Kalhne décida de se diriger vers la forêt. Elle fut étonnée de découvrir une véritable cabane de branches et de plantes, un feu de camp, et divers objets comme des bougies, des bocaux, des couvertures et des coussins, soigneusement disposés autour de cet abri. Était-ce l'œuvre de Diallo ? La jeune fille n'en doutait pas une seconde. Des guirlandes de feuilles encadraient l'entrée de la cabane, tandis qu'un doux tintement berçait l'air, produit par de petites décorations en verre colorées accrochées aux branches des arbres. Elle s'assit au bord du tronc où elle avait prié avec Diallo et sortit le grimoire. Peut-être viendrait-il aujourd'hui ? Il faisait beau, et elle voulait lui rendre le livre. Il fallait qu'elle s'en débarrasse.

Soudain, une ombre obscurcit la lumière du soleil qui réchauffait la jeune fille. Une silhouette s'agenouilla devant elle. Diallo l'observait de ses yeux noirs, et son sourire en coin fit fondre le cœur de Kalhne. Il avait de grandes oreilles et un nez à la courbe légèrement cassée. S'était-il déjà battu ? Elle s'aperçut qu'elle le détaillait un peu trop longtemps et rougit.

Pour ne pas arranger les choses, le garçon passa sa main dans ses cheveux indomptables pour les réajuster, laissant apercevoir sa mâchoire un peu ronde.

- Oh tu es là ! dit-il, toujours accroupi devant Kalhne.

- Tu arrives toujours au bon moment, se moqua l'adolescente. Je suis venue te rendre le livre, dit-elle en lui tendant l'ouvrage. Et j'adore cet endroit !

- Marci, dit Diallo sans grande conviction.

Il indiqua une page de son doigt.
- Tu as lu ce passage ?

Puis il s'assit à côté d'elle, comme pour l'inciter à ouvrir le livre. Kalhne respira fort, elle allait encore se faire avoir. Le diable était-il aussi beau que lui ? Peut-être autant persuasif... Son doigt indiquait le titre d'Ostara.

- Oui j'ai lu... dit Kalhne comme si elle avait été prise la main dans le sac.
Diallo fit un bon et se frotta les mains de satisfaction.

- Génial ! Parce que devine quoi ? C'est aujourd'hui Ostara.
Kalhne prit un air suffisant.
- Le même jours que l'équinoxe du printemps ? Pas très original !

Diallo eut l'air vexé, saisit le livre et lui tourna le dos en cherchant quelque chose.

- Les légendes que racontent ce livre existent depuis bien avant les grandes religions. La wicca vénère le cycle de la nature. Soit l'essence même de ce qui nous entoure et nous compose. Il me parait logique donc que l'on fête Ostara pour célébrer la lumière qui gagne sur les ténèbres.
Diallo se retourna pour tendre un œuf à Kalhne qui l'observa sans comprendre.

- La lumière et les ténèbres ne peuvent pas se côtoyer ? Comme la Lune et le Soleil ? J'ai lu aussi cette première partie, indiqua la jeune fille en posant l'œuf sur le côté.

Diallo se rassit en tailleur avec un deuxième œuf et de la peinture.
- Sûrement le passage le plus important mais que tout le monde esquive, marmonna Diallo.

Il se mit à lui expliquer le cycle de la lune, du jour et de la nuit. Que la Lune était enfaite présente dans le ciel en même temps que le soleil, mais qu'elle restait dans l'ombre.

Kalhne aprouva quand il lui parla du pouvoir des femmes qui ne se voit pas mais qui est puissant et vital pour tous.

- Le masculin solaire, le féminin lunaire... Il y a pas d'entre deux ?

Diallo se rapprocha de Kalhne pour l'observer dans les yeux.
- Bien-sûr que si, au milieu de la balance, il y a le pilier.

Et le garçon repartit dans un long monologue. Ainsi la nature est à la fois masculine et féminine car l'essence du soleil et de la lune se mélangent dans la sève des arbres. Et que l'univers n'est propre qu'à lui-même sans se soucier de rentrer dans une case car quiconque connait la vie mieux que l'univers sait qu'en chacun rien ne gouverne mieux que l'âme.

Kalhne s'étonna de la poésie de Diallo et l'en félicita.
- Ce n'est pas que de la poésie, c'est une réalité. Il existe des humains sur terre qui ont choisis de reconnaître en eux leur féminin et masculin. Et crois-moi, cela sont puissants.

- Et il y en a qui ne sont ni l'un ni l'autre n'est-ce pas ? fit remarquer Kalhne en riant.

Diallo lui, resta très sérieux.
- Oui, eux ce sont comme le socle de la balance. Dans l'ancien temps, ils étaient les sages que l'on écoutait.

- Mais que l'on écoute plus ? questionna la jeune fille.

- Certe... marmonna Diallo. Bon, il faut s'y mettre au travail maintenant.

Le garçon saisit un pinceau et se mit à peindre l'œuf sans prêter attention à sa voisine qui le regardait bouche bée.

- Tu fais quoi là ?
Diallo lui tendit un deuxième pinceau et l'œuf qu'elle avait mis de côté.

- Les œufs sont le symbole de la fécondité et de renaissance. Ça porte chance dans ce domaine, de les peindre. Comme le lapin l'a fait avec la déesse.

Kalhne pouffa de rire mais se mit au travail. C'était une activité amusante.
- La fécondité ? Sérieusement ?
Diallo exhibât son œuf peint de lignes vertes et jaunes.

- Bah oui, parce qu'on commence à planter les plantes à cette saison et...

Il n'eut pas le temps de finir que Kalhne lui peignit la joue de couleur orange. Diallo ne se le fit par dire deux fois et riposta avec son pinceau vert qu'il étala sur le bras de l'adolescente. Kalhne saisit la peinture jaune qu'elle étala sur ses mains et se jeta sur le garçon. Elle en mit dans ses cheveux noirs puis sur son coup. Le garçon ne se laissa pas faire et fit basculer Kalhne pour la bloquer au sol. Ensuite, il entreprit de la maquiller de rouge et de vert.

- Et voilà un joli œuf de pâque ! rit Diallo.

Il était assis à califourchon au-dessus de Kalhne, et la dominait de sa haute stature intimidante. Alors, il se pencha au creux de son oreille.

- Et c'est aussi maintenant que débute la saison des amours.
Kalhne pouvait percevoir son souffle chaud sur la peau de son coup. Il se redressa un peu pour fixer le regard de la jeune fille. Ils restèrent quelques instants ainsi, et Kalhne remarqua la douce rougeur de ses lèvres et le teint crème de sa peau. Il était beau, et à cet instant, réellement attirant. Son visage se redit alors et il libéra soudainement la jeune fille qui était devenue rouge pivoine, un peu déçue que le moment ne s'éternise pas d'avantage.

Qu'est-ce qu'il arrivait à ce garçon ? Il avait eu l'air presque bestiale. C'était un peu déroutant. Il n'avait pas l'air d'avoir les codes, on ne se rapproche pas aussi vite d'une fille quand on l'a connait que depuis peu... Même si ce n'était pas désagréable physiquement. Mais maintenant il semblait être revenu à lui. Kalhne essaya de changer de sujet car l'atmosphère était devenu gênante de par se malheur accident.

- Tu t'es regardé toi ? s'esclaffa-t-elle pour faire diversion. Manque plus que le ruban.

Diallo chercha un miroir, ce qu'il trouva assez vite, posé sur un petit meuble en bois vieillit.

- Je ne peux pas rester comme ça, et toi non plus.

- Bien remarqué ! ironisa Kalhne qui essayait de se débarrasser de la peinture qui la rendait ridicule.

- Ça commence à me gratter, dit Diallo sur un ton sérieux.

Il commença alors à marcher vers un endroit inconnu sans lui jeter de regard. Kalhne ne comprenait pas son soudain changement d'humeur. Avait-elle gâché le moment ? Elle décida de ne rien dire et de le suivre. Ce moment était particulièrement étrange mais la rendait également heureuse pour quelques instants. Avec Diallo, elle pouvait oublier un peu la disparition de son frère.

- Où allons-nous ?

Diallo indiqua un petit plan d'eau qui se dessinait au loin.
- De quoi se laver.

Quelques instants après, tous deux étaient penchés au-dessus du lac pour se rincer le visage. Quand Kalhne s'écarta de son reflet distordu, Diallo semblait avoir retrouvé sa bonne humeur. Il souriait en observant la nature autour de lui. La jeune fille se demandait bien ce que ce garçon trouvait chez elle. Elle n'était pas particulièrement belle, enfaite elle avait un visage assez enfantin. Elle leva les yeux au ciel, qui lui avait dit que Diallo s'intéressait à elle de toute façon ?

Un bruit aigue attira l'attention de Kalhne. Elle aperçu Diallo, debout sur un rocher, la chemise froissée et le jean plein de terre, faire sonner une clochette. D'une main, il sortit une autre clochette qu'il donna à Kalhne.

- Pour réveiller la nature, dit-il devant l'air interrogatif de son accompagnatrice.

- C'est un peu ridicule, dit-elle.
Diallo ne sembla pas s'offusquer.

- C'est comme ça que je fête Ostara. Si personne ne sonne les cloches, les fées et les lutins ne se réveilleront jamais, et tu n'auras ni de bonne récolte ni de bon départ pour cette année.

Kalhne secoua un peu la clochette sans grande conviction. Elle était plutôt curieuse des dernières paroles du garçon.

- Tu crois aux fées et aux lutins ?
Diallo l'observa d'un air très sérieux.

- Bien-sûr, le petit monde. On ne les voit pas facilement. A qui sait observer ce qui l'entoure. J'ai vu un gnome voler mon goûter hier. Heureusement, ils sont encore loin pour l'instant. Le voile disparaitra d'ici les prochaines semaines et ce sera pire ! Tu devrais secouer un peu plus cette clochette.

- Tu crois que mon frère va se réveiller aussi s'il entend nos clochettes ? railla Kalhne.

Diallo haussa les épaules.
- Peut-être bien, de toute façon, on ne le reverra qu'à la prochaine pleine lune. Fêter les sabbats de l'année t'aidera à voir le temps passer.

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