❦ 05.
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Felix ne s'était jamais senti aussi courroucé auparavant.
Tant sa fureur était grande, ses mains tremblaient comme une feuille. Il avait dû les fourrer dans un pan de son manteau pour les calmer.
Plantureuses, des larmes salées s'échappaient de ses prunelles sombres. Il était las, profondément harassé.
Lorsqu'il rentra à la maison de sa tante, il constata qu'elle était déjà partie travailler. Sur la table, elle avait déposé une note qui lui disait de manger copieusement et de passer une bonne journée.
Incapable de refroidir sa rage, le petit Australien avait le ventre noué. Il décida alors de sauter son repas matinal, ce qu'il avait souvent fait auparavant.
Il pénétra dans sa chambre, alla changer de vêtements, se maquilla légèrement, s'empara de son carnet et de ses crayons, et ferma la porte d'entrée à clef derrière lui.
Peu importait si Jeewon travaillait à la bibliothèque. Il parvenait à en faire fi, puisque désormais, il adorait ce lieu.
Il était certain que la présence du beau noiraud l'aiderait à se sentir mieux.
Et peut-être que, inconsciemment, il pourrait refermer la plaie béante de son cœur qui saignait à flots.
En pénétrant dans la salle qui lui était dorénavant chère, Felix tenta tant bien que mal de se lénifier. Mais ce fut en vain. Il avait cruellement besoin d'extérioriser, mais il n'avait personne à qui se confier.
Personne, sauf son cahier.
Il réprima son envie de relever la tête vers le noiraud, ayant ressenti sa présence. Rien que de le savoir dans la même pièce que lui l'apaisa. Il s'assit en face de lui, et arracha une feuille d'un geste hargneux.
L'adolescent la plaqua sur la table, et sortit un crayon à papier d'une de ses poches. Ses mains trémulaient toujours autant, si bien que son écriture en devint flageolante. Mais cela lui importa peu ; il écrivit.
Changbin avait cessé de dessiner pour contempler l'œuvre d'art qu'était la fille en face de lui. Ce fut avec ébahissement qu'il aperçut la fureur brillant dans son magnifique regard fuligineux.
Et tout au fond, dans les méandres de ses prunelles iridescentes, il y lut une souffrance indicible, plus forte encore que celle qui était présente à l'accoutumée.
Les petites mains de sa belle tremblaient terriblement. Il aurait bien voulu les saisir doucement pour qu'elle se calme. Il ne rêvait que de cela, de la rassurer.
Changbin prenait de plus en plus conscience de ce que Jeewon avait essayé de lui faire comprendre. Il lui semblait bel et bien être en présence d'une personne vivant des angoisses quotidiennes similaires aux siennes.
Étrangement, de connaître quelqu'un dans la même situation que lui le faisait se sentir mieux, bien qu'il ne connaisse l'adolescente ni d'Adam, ni d'Ève.
Les traits autour des belles prunelles de son vis-à-vis étaient tirés, ce que le jeune homme interpréta comme une rage chagrinée. Anxieux quant à son état, il l'observa scrupuleusement alors qu'elle griffonnait sur sa feuille.
Il remarqua immédiatement certains détails insolites : son maquillage bleuté avait été appliqué à la va-vite, et son parfum vanillé était bien moins prononcé que de coutume. Son hoodie d'un blanc crémeux était froissé, de même pour sa jupe céruléenne, et elle n'avait même pas pris la peine de remonter ses chaussettes jusqu'à ses genoux, ce qui permettait au noiraud de distinguer ses longues jambes pâles.
Brusquement, la fille chiffonna son papier hâtivement, faisant sursauter l'adolescent qui ne l'avait jamais vue aussi fébrile. Elle se leva, le regard toujours vissé vers le sol malgré tous les efforts du noiraud pour attirer son attention, et jeta la boulette en direction de la poubelle.
Elle quitta ensuite la bibliothèque avec la célérité et l'élégance d'un félin.
Mais Changbin avait eu le temps d'apercevoir les larmes au coin de ses yeux.
Il alla alors se saisir de la feuille que sa belle avait fait tomber sur le sol dans sa précipitation.
Bien que sachant qu'il n'avait pas le droit de s'immiscer dans la vie d'une inconnue, il désirait l'aider plus que tout au monde. Il n'avait jamais vu autant de désespoir dans le regard de quelqu'un auparavant.
Quelque chose de grave s'était sans aucun doute produit.
Le noiraud retourna s'asseoir, et remarqua que la fille avait oublié son cahier sur la table. La couverture, recouverte de dessins de petits koalas, fit naître un sourire attendri sur ses lèvres. Il se saisit de l'objet et le glissa dans sa poche avec l'intention de lui rendre la prochaine fois qu'ils se verraient.
Il déplia finalement la feuille, et constata aussitôt que plus de la moitié des mots qui avaient été inscrits étaient illisibles et tracés. En parcourant les phrases, Changbin ne comprit qu'une chose : la fille se sentait mal. Le reste lui parut flou, évasif, comme si elle s'était retenue d'y inscrire quoi que ce soit de trop personnel. Il s'agissait essentiellement de paroles immensément peinées et haineuses, sans être insultantes. Les mots étaient maniés avec une grâce qui l'étonna.
Piqué par la curiosité, le noiraud ne put s'empêcher d'ouvrir le petit cahier de la belle adolescente. Sur la première page, il était simplement écrit : « En quête de tolérance ».
Changbin se sentit submergé par une tornade d'émotions différentes. Mais que se passait-il donc dans sa vie pour qu'elle ait des pensées si semblables aux siennes ?
Plus loin, il lut quelques mots qui se référaient aux premiers, suintant de chagrin.
Puis, au fur et à mesure, il tomba sur de courts résumés, et sur des textes n'ayant absolument rien avoir, relatant des histoires mignonnes ou tristes.
Un d'entre eux attira son attention : il s'agissait du dernier que la noiraude avait écrit.
« Un jour, le soleil fit valser de doux faisceaux incandescents, laissant mille éclats de sang se répandre sur son visage et engouffrer son corps.
Ses veines furent pénétrées de dagues de feu, sa conscience désinvolte tressaillit avec douleur.
Mais tandis que les rayons oscillaient doucement dans la lumière suffocante, ils firent scintiller les prunelles de ce jeune homme à la chevelure d'ébène dont le destin fut soudainement brusqué.
Il n'était ni particulièrement fort, ni puissant, mais son âme était différente. Elle chatoyait d'une lueur opaline tellement vive qu'elle se reflétait dans ses iris d'onyx.
L'imaginaire fallacieuse se mêlait à sa raison, comme si une partie de lui ressemblait en tout point à son âme sœur déboussolée. Son cœur éthéré, un rubis cristallin, pulsait en se calquant sur une chanson particulière : celle de l'agonie.
Tout désir avait un prix, et tandis que le sien était la douleur, celui de son compagnon n'était nul autre que le mensonge, cruel, fielleux, et sardonique à souhait.
Ce dernier plongeait de plus en plus dans les affres du désespoir. Il était corrompu jusqu'au sang, comme s'il était destiné à une existence dissimulatrice. »
Parlait-elle du noiraud et d'elle ? Le jeune homme ne pouvait pas en être certain, mais il ne pouvait que s'émerveiller devant la beauté de son écriture.
En proie aux remords, il referma sèchement le cahier. Il ne lui appartenait pas, il n'avait aucun droit d'en fouiller le contenu. Mais finalement, une idée lui vint, et il nota quelques mots à cette page.
Lorsqu'il rangea ses affaires avec l'intention de rentrer chez lui, Jeewon s'approcha. Son regard tomba directement sur les dessins de bébés koalas, et ses sourcils s'arquèrent avec surprise.
Choisissant soigneusement ses mots pour ne pas éveiller de soupçons chez son amie, Changbin déclara :
— Je l'ai trouvé là.
— Je connais son propriétaire, affirma Madame Lee. Je vais le lui rendre.
Le noiraud acquiesça en se disant que c'était là une bonne opportunité. Le visage de la femme se décomposa, comme si quelque chose la tracassait.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda l'adolescent en lui tendant le cahier.
Elle s'en saisit en exhalant un soupir ennuyé.
— Rien, ne t'inquiète pas. Veux-tu que je te ramène ?
Son vis-à-vis secoua négativement la tête, et Jeewon le laissa partir, profondément songeuse.
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La quadragénaire rentra chez elle aux alentours de onze heures pour cuisiner. Elle constata avec amusement que son neveu dormait sur le canapé du salon, une peluche koala serrée contre lui.
Felix finit par se réveiller à cause du vacarme qu'engendraient les activités de sa tante. L'odeur de la nourriture l'attira suffisamment pour qu'il trouve le courage de se lever.
Sans piper mot, il s'attabla et se servit un verre de sirop. La bibliothécaire amena le plat, et prit place en face de lui.
Elle remarqua immédiatement que quelque chose n'allait pas. La tête de l'Australien était baissée en direction de son assiette, et il mangeait par petites bouchées en silence.
Bien décidée à lui remonter le moral, Jeewon lui raconta des anecdotes pour le faire rire, mais rien n'y faisait. Après avoir débarrassé, elle lui tendit son cahier.
— Tu avais oublié ça.
Elle brûlait d'envie de demander à son neveu ce qu'il faisait sur son lieu de travail, mais, en apercevant l'angoisse sur son visage, elle se ravisa.
— Ça va, Lix ? s'inquiéta-t-elle à la place.
Incapable de répondre, celui-ci opina vivement du chef dans l'espérance qu'elle le laisse tranquille.
— Sûr ? Parce que je peux rester avec toi cet après-midi, si tu en as besoin.
Mais Felix était presque aussi borné que Changbin. Dubitative, Jeewon finit par quitter son domicile, bien qu'elle soit immensément anxieuse.
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Lorsque l'adolescent ouvrit son cahier pour y écrire quelques mots, il remarqua qu'un message était inscrit sur la dernière page qu'il avait remplie.
« Salut, c'est le noiraud de la biblio ^^
Écoute, je ne suis qu'un inconnu, mais j'ai remarqué que tu allais mal. Je te donne mon numéro, n'hésite pas à venir me parler si tu en as besoin ! ♡
P;S : T'inquiète, je ne mords pas ;) »
D'abord stupéfait, Felix se sentit ensuite partagé entre l'envie de se confier à celui qu'il aimait secrètement observer à la dérobée, et la méfiance quant à cela. Il se moquerait très certainement de lui. Et puis, qui ne lui disait pas qu'il ne cachait pas quelques funestes intentions ?
Au fond, il ne parvenait pas réellement à croire qu'il y ait une once de méchanceté en lui. Peut-être que s'il parvenait à puiser suffisamment de courage en lui, il réussirait à lui envoyer un message.
À la seule pensée qu'il puisse avoir lu le texte qu'il avait écrit sur lui, ses joues se colorèrent d'une couleur cinabre. Il referma brutalement son cahier avec un soupir dépité.
Bien trop effrayé rien qu'à l'idée de retourner à la bibliothèque, le jeune homme à la chevelure acajou rose décida de se rendre au parc. Il craignait un peu d'y apercevoir Jisung, mais de toute façon, il étouffait dans sa chambre.
Il s'y rendit en tant que garçon, et n'y resta que le temps de prendre l'air et de se balader un peu, avant de rentrer une heure plus tard.
L'Australien avait les idées claires, désormais. Il savait qu'il prenait un risque considérable, mais il sentait, au fond de lui, qu'il avait besoin de parler à quelqu'un.
LiXorne🌈 :
Salut ? ^^ <
La réponse ne tarda pas.
Inconnu :
> Hey ~
> Je suis désolé si je t'ai fait peur 😓
> Je veux juste t'aider, tu sais
LiXorne🌈 :
Merci ^^ <
En vrai... j'ai peur, oui <
Inconnu :
> Oh non t'inquiète pas, je suis gentil ! 🥺
> Je ferai de mon mieux pour te mettre en confiance, même si sociabiliser n'est pas mon point fort :/
> Au fait, je m'appelle Changbin
Felix arrêta un instant de respirer, tandis que les larmes lui montaient aux yeux. Mal, cela commençait terriblement mal. Avec réticence, il finit par répondre.
LiXorne🌈 :
Ce n'est pas mon truc non plus, ne t'en fais pas <
Moi c'est Lexie <
Changbin⭐️ :
> Je sais que je suis qu'un inconnu, mais j'ai vu que tu te sentais mal ce matin
> Alors je me suis dit que je pourrais t'apporter mon aide
> Et puis, peut-être que tu arriveras mieux à te confier à quelqu'un que tu ne connais pas ^^
LiXorne🌈 :
Je n'en suis pas vraiment certaine <
Enfin... <
Je vais pas te le cacher, ça fait un moment que je vais à la biblio' juste pour te voir <
Et même si je sais qu'un jour, tu me détesteras, j'ai envie d'être ton amie <
Changbin⭐️ :
> Te détester ? Mais on vient à peine de se rencontrer !
LiXorne🌈 :
Je sais, mais crois-moi, tu finiras pas me haïr <
Je sais que te parler va finir par me blesser, et toi également <
Alors, je t'en conjure, réfléchis bien Changbin <
Est-ce que tu as vraiment envie de te rapprocher de moi au risque d'être blessé ? <
Changbin⭐️ :
> J'ai vu dans tes yeux que tu me ressemblais, Lexie
> Moi aussi, j'ai peur d'être blessé, mais je suis prêt à prendre ce risque
> Et puis, je doute fortement que je puisse te détester 😊
> Si tu acceptes mon aide, alors je m'ouvrirai à toi également
LiXorne🌈 :
Est-ce que tu es sûr d'avoir vraiment envie d'offrir ton aide à une inconnue ? <
Je n'ai pas d'amis, je ne suis personne <
Changbin⭐️ :
> Tout comme moi
> Et c'est pour cela que j'aimerais essayer d'être ton ami 😊
> J'ai toujours affirmé que jamais je n'en aurais besoin, mais je sais que c'est faux
> S'il te plaît, laisse-moi te prouver que, malgré tous mes tares et ma personnalité bourrue, je suis digne de confiance
> Que malgré ma peur, je t'accepterai telle que tu es
> Et toi, Lexie, m'accepteras-tu ?
LiXorne🌈 :
J'ai peur, je sens déjà les remords m'emporter <
Mais je veux bien essayer, Changbin <
Éreinté, Felix finit par s'endormir sur le sofa du salon, sa peluche dans les bras pour dégoter un semblant de réconfort.
Lorsqu'il se réveilla, il était un peu plus de dix-neuf heures. Il entendait sa tante s'affairer en contrebas.
Le petit Australien se leva, et gravit les marches de l'escalier avec l'intention de retourner se coucher dans son lit.
Lorsqu'il ouvrit la porte de sa chambre, il se figea, debout près de l'embrasure.
Une peur amère, sordide, lui oppressa brutalement les tripes et lui coupa la respiration.
Les vêtements qu'il avait cachés sous l'édredon étaient exhibés, pliés sur les draps propres.
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