❦ 04.
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Madame Lee quitta son domicile un peu avant quatorze heures, le laissant au bon soin de son neveu. Elle lui confia la clef, au cas où il voudrait sortir, et prit sa voiture.
La quadragénaire exhala un profond soupir en distinguant la silhouette sombre de Changbin à travers la vitre du bâtiment. Il n'avait donc pas quitté la bibliothèque durant le court laps de temps où elle était partie dîner. Elle poussa la porte et pénétra dans la pièce.
— Tu m'exaspères, songea-t-elle à voix haute.
Le noiraud se tourna vers elle et haussa les épaules avec désinvolture. Au moins, il avait bu le thé qu'elle lui avait préparé, et il s'était bandé les mains pour éviter que le saignement reprenne.
Au moment où Jeewon allait prendre place derrière son bureau, une pensée lui effleura l'esprit.
— Changbin.
— Quoi encore ?
— Est-ce que tu as peur que je te remplace par Felix ?
Ahuri, le jeune homme s'étouffa avec sa salive et se mit à tousser. Il n'avait jamais songé un seul instant à cela.
— Je ne veux pas que tu te mettes à croire que j'ai une préférence pour lui, alors que c'est faux, renchérit la femme, inquiète.
— Je te partagerai, c'est tout. Si tu te mets à le préférer à moi, je m'en fiche. Je ne peux rien y faire de toute façon, alors arrête de flipper pour rien.
— J'ai juste peur que tu penses que, parce qu'il est mon neveu, je lui accorde plus d'importance.
— Noona, intervint Changbin en levant un regard las sur elle, j'en ai rien à foutre de qui tu préfères, tu sais. C'est le seul membre de ta famille qui te reste, alors je comprends. Tant que tu ne m'abandonnes pas, tout me va. Et puis, je suis insupportable comme gosse, alors je comprendrai parfaitement que tu le préfères à moi.
Touchée par sa compréhension, Jeewon s'approcha de son jeune ami pour venir le serrer contre elle. Le noiraud se laissa faire en maugréant, mais malgré tout, il appréciait cette marque d'affection de la part de celle qu'il considérait comme sa deuxième mère.
— Tu n'es pas insupportable, voyons, marmonna l'aînée. T'es juste... borné. Le gars le plus têtu de ce pays, c'est toi.
Un léger sourire amusé flotta sur les lèvres de l'adolescent.
— Je ne vais pas t'abandonner, Bin. Tu es très important pour moi.
— Merci...
Il s'écarta de Madame Lee en marmottant qu'il avait un dessin à terminer. Celle-ci rit de bon cœur, et retourna à son bureau gérer les réservations de livres.
« Décidément, tu es quelqu'un de spécial, Changbin... », songea-t-elle en l'observant, alors qu'il griffonnait dans son cahier.
Elle se promit de parler de lui à son nouveau protégé.
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Le jeune homme à la chevelure de jais s'ennuyait profondément. Cela faisait maintenant plus d'une heure qu'il triturait ses mèches de cheveux et jouait avec ses innombrables crayons à papier. Il les faisait tournoyer autour de ses doigts sans entrain, son regard parcourant son dessin avec morosité.
« Il est temps qu'il reprenne les cours », comprit Jeewon en apercevant sa détresse.
Changbin commençait à se dire que l'ennui le tuerait. En outre, tous les effluves qui lui parvenaient sans cesse le déconcentraient et lui donnaient d'affreux maux de tête.
La quadragénaire était pleinement consciente de l'effet qu'avait un surplus d'odeurs sur son jeune ami, mais elle était dans l'incapacité de pouvoir intervenir. Le noiraud ne savait pas comment s'y soustraire, hormis quitter la bibliothèque le temps qu'elle se vide, mais il n'en éprouvait aucune envie.
Madame Lee dut donner son attention à une femme qui requérait son aide, et elle délaissa ainsi l'adolescent. Ce dernier était de plus en plus harassé par les exhalaisons de parfum, de sueur et de cigarette qui l'enveloppaient en une tornade pestilentielle.
Oppressé par des vertiges, il eut envie de vomir.
Changbin se pinça le nez en poussant un soupir. Il aurait aimé prendre l'air, mais sachant que la pollution l'y attendait, il y renonça.
Il se leva, et alla demander la permission à son amie de se rendre dans la pièce interdite aux clients, le temps de reposer sa tête qui menaçait d'exploser à tout instant. Elle opina du chef en voyant sa mine livide et ses pas chancelants, et le suivit du regard avec inquiétude.
Le noiraud ferma la porte derrière lui, soulagé. Là où il se trouvait, les volutes d'effluves étaient bien moins étourdissantes.
Évidemment, il avait commencé à s'accoutumer à son environnement dont suintait un excès d'odeurs, mais il restait humain. Il n'avait certes pas le corps adapté pour ce sens olfactif exacerbé qui le rendait plus malade qu'autre chose.
Il se servit un verre d'eau froide et l'avala. Il aurait dû prévoir que la bibliothèque serait bondée, cela se produisait tous les mercredis.
Avec un énième soupir, le jeune homme finit par quitter la salle. Il retint son souffle le plus longtemps qu'il put, et retourna s'asseoir sans se préoccuper de l'expression anxieuse de Jeewon. Après tout, il avait l'habitude.
Soudain, alors qu'il allait recommencer à dessiner, la porte d'entrée s'ouvrit. Le regard de Changbin fut irrésistiblement attiré par la personne menue qui pénétra dans ce monde d'ouvrages.
Ses yeux s'écarquillèrent.
Une adolescente un peu plus jeune que lui venait d'entrer. Son visage, encadré d'une chevelure d'ébène qui tombait comme une cascade jusqu'à la moitié de son dos, était recouvert d'un masque anti-pollution. Elle portait un simple hoodie noir, ainsi qu'une jupe de la même couleur lui arrivant à mi-cuisses et enserrée à la taille par une ceinture. Des chaînes, accrochées à cette dernière, pendaient de part et d'autre de ses jambes. Des chaussettes longues lui recouvraient les mollets et les genoux, et elle chaussait des baskets blanches.
La fille leva son regard sur Changbin, et il se sentit défaillir en le croisant. Ses prunelles, embellies par un léger fard à paupières mauve, étaient terriblement sombres. Ses pupilles semblaient même se noyer dans ses iris fuligineux. Le noiraud était complètement éberlué ; elles brillaient d'une douleur semblable à la sienne !
La nouvelle venue baissa brusquement la tête, rompant ainsi le charme qui les avait unis.
Hypnotisé, le jeune homme ne parvenait plus à détourner le regard de l'adolescente. Il l'observa, alors qu'elle déambulait entre les différentes sections des étagères, sélectionnant des livres au hasard pour les feuilleter. Il remarqua ainsi rapidement qu'elle avait de toutes petites mains, et il ne put s'empêcher de trouver ce détail absolument adorable. Elle semblait nerveuse, ses yeux enjôlants furetaient sans cesse dans toutes les directions.
Embarrassé par son propre comportement, Changbin riva ses yeux sur son cahier. Il se sentait infiniment honteux d'ainsi examiner à la dérobée cette jeune fille.
Malgré le nombre de gens conséquents et son mal de tête, il essaya de démêler toutes les exhalaisons qui pénétraient ses narines, à la recherche de celle de l'adolescente. Fermant les paupières pour mieux se concentrer, il finit par détecter une odeur qu'il n'avait jamais sentie auparavant.
Traversant la pièce tel un ruban odoriférant, ses effluves étaient relativement discrets. Mais le noiraud comptait bien les dégoter.
Soudain, ils effleurèrent délicatement son nez, et il constata que la fille sentait délicieusement bon.
Son odeur naturelle, camouflée sous une couche de fragrance artificielle, ne lui apparaissait pas clairement. Mais néanmoins, de douces exhalaisons vanillées en émanaient, et cela l'étonna.
Tout comme lui, elle semblait aimer le parfum de la fleur immaculée.
Sa senteur, bien qu'effacée, dissimulait toutes les autres. Changbin ne sentait plus qu'elle, et il l'adorait.
De cette fille s'exhalait la plus belle odeur qu'il n'ait jamais respirée.
Le noiraud était hébété. Sa découverte l'avait ébahi au point qu'il ne parvenait plus à réfléchir distinctement. Les effluves de l'adolescente lui faisaient tourner la tête, il ne savait pas comment réagir.
Finalement, il ne parvint plus à supporter plus longtemps toutes les émotions qui l'envahissaient. Angoissé par son propre ressenti, il se leva précipitamment, et rangea ses affaires de ses mains trémulantes.
Mais lorsque le jeune homme releva le regard, il aperçut avec stupeur la fille s'approcher de la table où il était assis. Elle prit place sur la chaise en face de lui, et posa un livre à plat devant elle.
Éberlué, Changbin resta paralysé. Il constata finalement que ce qu'elle avait entre les mains n'était pas un ouvrage, mais un cahier.
Il restait debout, figé par la seule présence de cette étrange adolescente. Finalement, se trouvant ridicule, il s'assit à nouveau et sortit une feuille.
Le jeune homme ignorait bien pourquoi, mais il se mit à griffonner son vis-à-vis. Il ne pouvait pas distinguer ses traits, mais il adorait la façon dont elle croisait les jambes devant elle, le regard vissé vers son cahier, un crayon dans sa petite main.
Le noiraud aimait le moindre de ses mouvements.
Il secoua la tête avec l'intention de chasser ces pensées qui l'effrayaient. Il fit le vide dans son esprit, et continua son dessin.
Changbin se risquait parfois à zyeuter en direction de la noiraude. Il déplorait de ne pas parvenir à discerner son visage, elle devait sûrement être d'une grande beauté.
Il n'avait pas d'autres choix que de se contenter de son odeur, ainsi que de son regard qui reflétait une douleur similaire à la sienne.
Bien qu'il ne sache pas à quoi elle ressemblait, son âme l'attirait indéniablement.
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Lorsque Felix apprit qu'il y avait une bibliothèque dans son quartier, il comprit que c'était là sa chance d'essayer le plan qu'il avait échafaudé. Il s'y rendit alors, portant tout de même un masque. Il n'était pas encore assez confiant pour laisser son visage à découvert.
Il avait été considérablement nerveux au départ, mais il avait vite aperçu que personne ne faisait réellement attention à lui. Et cela l'avait profondément rassuré.
Le petit Australien n'était pas vraiment à l'aise, mais il savait qu'il n'avait pas le choix. Et puis, il avait la conviction profonde qu'il finirait par s'y accoutumer.
Il aperçut rapidement un garçon de son âge assis à une des tables mises à disposition pour lire. Il dessinait la bibliothèque dans un cahier. Sa chevelure de jais aussi douce que la soie lui retombait délicatement sur le front, cachant ses yeux par moment. Les traits de son visage étaient marqués, et ses lèvres, rosées. Vêtu d'un t-shirt et d'un jeans à trous, il n'avait pourtant rien de bien spécial, mais Felix le trouva immédiatement terriblement séduisant.
Ses iris d'un noir d'encre, glacés et hermétiques, lui semblèrent transpercer son âme pour y déceler le moindre de ses secrets.
Pour échapper à son embarras et à sa terreur, il partit en trombe lire quelques ouvrages de la bibliothèque, saisissant quelques-uns au hasard. Mais il ne parvint pas à s'y concentrer.
Son cœur lui minaudait tout autre chose.
Alors malgré ses craintes, malgré sa raison qui le conjurait de faire attention, l'adolescent prit son courage à deux mains et s'assit en face du bel homme. Secoué d'une décharge d'inspiration, il ouvrit son cahier pour y inscrire les mots qui fusaient de son esprit par vagues.
Ainsi, Felix resta à cette table jusqu'à la fin de l'après-midi.
Lorsqu'il releva la tête pour regarder l'heure, la personne qu'il vit lui glaça le sang : sa tante. C'était donc là qu'elle travaillait.
Lui qui avait voulu emprunter quelques ouvrages pour étudier le Coréen, il était désormais hors de question qu'il s'approche d'elle. Il avait bien trop peur qu'elle ne le reconnaisse malgré le tissu qui lui mangeait la moitié du visage et sa perruque noire.
L'Australien aurait bien voulu en prendre une colorée, mais il savait que ce n'était pas raisonnable. Il devait se faire discret. Et puis, l'allégresse et le soulagement qu'il ressentait enfin en pouvant porter ce dont il souhaitait n'avait pas de prix. Si, pour éprouver cela, il était forcé de dissimuler son visage et sa chevelure, et bien soit.
Affolé par la présence de Jeewon, il rassembla ses affaires en vitesse et quitta la bibliothèque.
Il savait qu'il ne devrait pas y revenir, mais une part de lui ne pouvait tout simplement pas se résoudre à partir sans jamais revoir le beau noiraud.
Felix avait toujours adoré se travestir. Lui-même n'en comprenait pas réellement la raison. Il ne voulait pas se faire passer pour une femme, il voulait juste être lui : un homme à qui plaisait de porter des vêtements qu'on jugeait féminins.
Mais malheureusement, bien trop d'obstacles s'étaient dressés sur son chemin.
Il n'aimait pas cette discrimination. Pourquoi les hommes ne pouvaient-ils pas porter de robes ? Pourquoi ne pouvaient-ils pas se maquiller ? Il en rêvait tant, de pouvoir sortir de chez lui avec une jupe et du fard à paupières sans qu'on ne le regarde de travers et qu'on ne l'invective.
Il n'était pas une femme, et jamais il n'allait en être une. Mais personne ne lui laissait le loisir de s'habiller tel qu'il le désirait.
L'Australien s'était toujours senti monstrueux à cause de ses envies peu communes. Elles avaient éveillé le dégoût et l'animosité chez ses proches, et ces derniers lui avaient fait savoir qu'il n'était pas normal. Ses parents lui avaient répété des centaines de fois qu'il leur faisait honte.
« Porter une jupe en étant un homme, c'est honteux, Felix. Grave-toi ça en mémoire, c'est dégoûtant et effroyable », lui avait réitéré sa mère.
« Tu fais pitié. On dirait une pute », avait jadis prononcé son ancien meilleur ami.
Sentant les larmes lui monter aux yeux, l'adolescent les réprima avec force. Pour l'instant tout allait au mieux, et le passé ne pouvait pas s'altérer, alors ce n'était pas la peine qu'il y songe à nouveau.
Lorsque ses parents avaient perdu la vie, il avait élaboré un plan pour pouvoir satisfaire ses envies tout en empêchant quiconque de persifler contre lui. Il s'habillerait « normalement » chez sa tante et lorsqu'il allait au lycée, et pendant son temps libre, il sortirait vêtu de ses quelques vêtements féminins restant. Il aurait bien voulu enfiler ce qu'il voulait quand il voulait, mais il ne pouvait pas.
Felix savait qu'il prenait un grand risque en dissimulant le maquillage, les jupes, la perruque et les bijoux sous le nez de sa tante, mais il n'avait nulle part où aller. Tant qu'il restait étudiant, il se voyait forcé de vivre chez elle.
Ce fut avec peine que l'Australien pénétra chez lui et partit se changer en quatrième vitesse dans sa chambre. Une dizaine de minutes plus tard, il entendit la porte d'entrée claquer. Il sut alors qu'il devrait rentrer plus tôt, la prochaine fois.
— Felix ? l'appela Jeewon. Viens goûter !
Le souvenir de ce repas lui revint immédiatement en mémoire, et il se précipita dans la cuisine. Madame Lee avait déjà déposé une assiette sur la table, et s'affairait à lui préparer un chocolat chaud, boisson qu'il raffolait.
Elle se tourna vers lui et le gratifia d'un sourire qui réchauffa instantanément son cœur apeuré.
— Tu as mis du fard à paupières violet ? remarqua-t-elle avec étonnement.
« Et merde... », s'affola intérieurement l'adolescent. Dans sa précipitation, il avait complètement oublié d'ôter son maquillage !
Il baissa piteusement la tête, son cerveau travaillant à plein régime pour dégoter une excuse valable.
— C'est magnifique, le complimenta la quadragénaire en lui apportant son chocolat chaud. Comment t'as fait pour l'appliquer à la perfection, comme ça ?
— Je... je..., balbutia Felix, complètement sidéré.
Sa tante s'esclaffa en apercevant ses joues rouges de timidité.
— Voyons, arrête de paniquer, s'amusa-t-elle. C'est vraiment beau, tu sais.
Le jeune homme à la chevelure acajou rose but sa boisson chaude en réprimant de son mieux la bouffée d'allégresse qui l'avait submergé. Jeewon aperçut l'étincelle de joie dans son regard onyx, et se contenta de sourire.
— Il faudrait que je te présente à un ami, un de ces jours, déclara-t-elle à brûle-pourpoint.
L'Australien secoua aussitôt la tête. Il était absolument hors de question qu'il doive se cacher d'une deuxième personne.
La femme fit la moue. « Pourquoi refusent-ils tous les deux de se rencontrer, alors qu'ils sont si semblables ? » se demanda-t-elle en buvant son café. Elle se promit qu'elle tâcherait de se montrer un peu plus persuasive.
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Pendant le reste de la semaine, Changbin se sentait fébrile. Tous les jours, il avait attendu la venue de la jeune fille avec impatience. Il jubilait intérieurement, mais il entreprenait tout de même d'agir comme il en avait l'habitude pour ne pas attirer l'attention de Jeewon, même s'il était à peu près certain qu'elle devait se douter de quelque chose. Elle le connaissait mieux que personne, elle savait parfaitement déceler la moindre des émotions qui éclairaient son regard.
Bien qu'il soit totalement obnubilé par la belle adolescente, le noiraud n'osait pas l'approcher. Sa timidité y jouait évidemment un grand rôle, mais il avait également peur qu'elle le trouve étrange.
Alors il se contentait de la dessiner dans son cahier et de profiter de sa senteur vanillée, espérant un jour distinguer son visage.
Quant à Felix, malgré sa crainte d'être reconnu par sa tante, il retourna à la bibliothèque tous les jours pendant quelques heures pour voir l'homme séduisant qui semblait passer sa vie dans ce lieu silencieux.
Petit à petit, il commença à apprécier cet endroit. Il avait l'impression que tous les ouvrages poussiéreux alignés sur les étagères agissaient sur la conscience des gens. Ils les apaisaient, leur enlevaient momentanément le don de parole pour les plonger dans cet incroyable univers chimérique qu'était le monde des histoires.
Et cela le mettait en confiance.
Le petit Australien cessa d'être sans cesse sur ses gardes. Il conservait un masque, mais il n'était plus autant effrayé qu'auparavant.
Jeewon essaya de convaincre à nouveau ses jeunes amis d'accepter de se rencontrer, mais ils refusèrent tous les deux obstinément, par peur. Elle ne tenta plus d'interférer dans leur vie privée, mais cela la peinait de les apercevoir rester seuls dans leur coin.
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— Felix, il faut qu'on parle.
Le concerné déglutit péniblement en apercevant les mines hermétiques de ses parents. Il constata rapidement que leurs pupilles reflétaient une haine insurmontable.
Ils avaient tout découvert.
Le brunet se mit à trembler de façon incontrôlable lorsqu'il vit enfin ce que tenait son père à la main.
— C'est quoi, ça ?
Sa voix était animée d'une antipathie pure. Jamais Felix n'avait entendu autant d'animosité vibrer dans les paroles de quelqu'un.
— Ton père t'a posé une question.
Sèche et impitoyable, voilà la définition parfaite de sa mère.
— J-Je... j-je s-sais pas ce que ça f-faisait l-là..., balbutia-t-il alors dans un bref murmure. C-Ce n'est pas à m-moi, j-je vous j-jure !
— Ne mens pas ! persifla l'homme. Ton ami Chris nous a tout raconté.
L'adolescent se sentit défaillir. Le sentiment de trahison lui arracha la raison, et ses yeux s'embuèrent.
— C'est dégoûtant, grimaça la femme. Tu es vraiment immonde. Et dire que j'ai fait tout mon possible pour t'élever correctement !
— Tu as intérêt à immédiatement cesser ces conneries ! C'est une honte pour la famille !
La mère se rapprocha pour tirer l'oreille de Felix avec violence.
— Tu nous entends, Yongbok ?! Tu es monstrueux !
— Que je ne te surprenne plus avec ce genre de choses, où tu passeras un sale quart d'heure, menaça le père.
Suite à cela, ses parents s'étaient emparés de ce qu'il avait de plus cher, et avaient tout jeté sans le moindre remords.
Et l'adolescent, profondément meurtri, se haïssait de tout son âme.
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Le lundi matin, après son affreux cauchemar, Felix s'était levé plus tôt que de coutume. Il devait être aux alentours de huit heures du matin lorsqu'il s'aventura seul dans les rues piétonnes de la banlieue où il habitait.
Ce n'était pas prudent d'ainsi s'aventurer dans une ville qu'il ne connaissait pas, mais il avait cruellement besoin d'air.
Le jeune homme croisa quelques voitures sur son chemin, mais très peu de passants ; la plupart travaillaient déjà, ou dormaient. Ce fut donc uniquement accompagné de la morsure du froid matinal qu'il se balada dans les environs de son nouveau quartier baigné de pénombre.
Enfermé dans ses pensées profondes au sujet de son existence, le petit Australien aperçut trop tard l'adolescent roux qui lui barra la route.
— Felix ! Ça pour une surprise !
Le concerné n'était nullement effrayé par son ancien ami. Il était seulement las, terriblement las.
— Jisung, laisse-moi tranquille, d'accord ? dit-il sans une once d'émotion.
— Ça fait combien de temps qu'on ne s'était pas vus ? Deux ans ? Plus ?
— Trois. Depuis que tu m'as abandonné, et que tes parents ont décidé de déménager.
Le rouquin pencha la tête de manière pensive.
— Moi, je t'ai abandonné ? ricana-t-il. Pourquoi donc ?
Felix savait pertinemment qu'il jouait la comédie. Il tourna les talons, désirant éviter cette conversation qui ouvrirait sans aucun doute une brèche en lui.
— Au fait, Lix... tu t'habilles toujours en nana ?
L'adolescent se raidit brutalement en se mordant les joues.
— T'es toujours autant dégueu... je suis bien content d'être parti, ça m'a évité la honte de traîner avec une tafiole de ton genre.
Poussé par la haine qui l'avait envahi jusqu'au bout des ongles, l'Australien se retourna face à Jisung et finit par crier :
— Si t'avais honte à ce point d'être mon ami, t'avais qu'à partir ! Mais au lieu de ça, t'es revenu tous les jours pour me rappeler à quel point j'étais anormal, et pour me frapper ! Dis-moi, qu'est-ce qui cloche chez toi ?! Si tu me haïssais autant...
Sa voix trémula, et se brisa.
— Si tu me haïssais autant, pourquoi tu ne m'as pas foutu la paix ? Je n'ai jamais rien demandé... Mais toi, tu m'as traité de monstre pendant deux longues années, tu as brûlé mes vêtements, et quand tu as déménagé, Chris a pris la relève parce que tu lui as tout raconté ! Mes parents l'ont appris à cause de vous deux, et à partir de là, ma vie a été complètement détruite. Je n'avais plus rien, tu peux le comprendre ?!
Felix dévisagea son vis-à-vis, la rancœur vibrant dans toutes les fibres de son corps.
— Maintenant qu'ils sont morts et que j'ai déménagé, je suis enfin libre, reprit-il sur un ton impassible. Donc écoute-moi bien, Han Jisung. Si tu reviens foutre ma vie en l'air, je te jure que je me ferai un plaisir de t'arracher les yeux, et te les faire bouffer !
Il rit tristement.
— Mais même ça... ce n'est rien comparé à tout ce que tu m'as fait subir...
Sans laisser au rouquin le temps de répliquer, l'Australien s'éloigna à grandes enjambées, les larmes d'une blessure ancienne coulant sur ses pommettes couvertes de fond de teint.
En apparence, il était aussi calme que l'eau dormante, mais son âme, qu'il croyait avoir réussi à clore pour toujours, s'était fissurée de douleur.
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