❦ 08.
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Les deux adolescents avaient convenu de se donner rendez-vous devant la bibliothèque. Changbin se fit un devoir d'arriver en avance et de se vêtir de façon convenable. Il avait endossé un pull blanc à manches longues sur lequel il avait enfilé un t-shirt anthracite, puis revêtu un jeans entièrement noir et des bottines à lacets. Finalement, il avait opté pour sa casquette vermillon, un fin collier en chaîne argenté, ainsi que ses lunettes rondes.
Le jeune homme appréhendait cette journée, même s'il jubilait. C'était la toute première fois qu'il allait se rendre en ville avec quelqu'un, et la nervosité était au rendez-vous. Il craignait de faire mauvaise impression, mais dans le fond, il avait terriblement hâte, et le sourire béat qui s'était dessiné sur ses lèvres en était la preuve incontestable.
Le noiraud ne regrettait pas son invitation. Il y avait quelque chose dans les méandres du regard de Lexie qui le fascinait et le poussait à vouloir se rapprocher d'elle. Toutes ses barrières s'étaient envolées aussitôt qu'elle lui avait timidement adressé la parole.
Cette attirance ne lui faisait pas peur, au contraire. Il sentait qu'il avait enfin la chance de parler à quelqu'un qui le comprenait réellement.
La souffrance de l'adolescente était vive, puissante, peut-être même plus que la sienne. Toutes les fibres de son corps vibraient de peine, de hargne et de méfiance. Mais malgré sa défiance, elle semblait avoir songé à la même chose que lui, car elle avait accepté de le revoir.
Changbin se promit de faire tout son possible pour qu'elle se sente à l'aise auprès de lui.
C'est alors qu'il sentit des effluves vanillés, et son sourire s'agrandit. Il les reconnaîtrait entre mille. Au fur et à mesure qu'il voyait la silhouette filiforme de Lexie, presque fragile, qui se rapprochait, il sentait son cœur battre à la chamade.
Il piqua un fard lorsqu'il se rendit compte que c'était la première fois qu'elle ne portait pas de jupe. En effet, elle était vêtue d'une robe immaculée qui lui arrivait à mi-cuisse et dont les extrémités étaient des voiles nacrés. Ses jambes étaient recouvertes d'un collant sombre, et elle chaussait des petites bottines de cuir. Comme toujours, son masque lui mangeait la moitié du visage mais laissait entrevoir ses prunelles maquillées d'une légère teinte rosacée. Mis à part ses boucles d'oreilles pendantes, elle ne portait aucun bijou.
— S-Salut...
Sa voix, plutôt grave pour une fille, réconforta instantanément le noiraud envoûté par sa beauté.
— Eh Floette... tu... Tu ressembles à une fleur...
Felix rougit furieusement au compliment, avant de détourner le regard sous l'embarras qu'il ressentait.
— Tu... Tu n'es pas mal non plus..., murmura-t-il doucement.
En silence, ils se mirent à marcher côte à côte en direction du parc. Changbin cherchait désespérément quelque chose de pertinent à dire, profondément gêné de leur proximité. Leurs mains se cognaient parfois l'une contre l'autre, leurs pommettes s'empourprant de plus belle.
Finalement, une fois qu'ils parvinrent à l'entrée de l'îlot de verdure, le noiraud rassembla tout son courage et entremêla doucement leurs doigts.
L'Australien tressaillit, en proie à un embarras intense. Ce contact était agréable, une chaleur réconfortante en résultait. Il serra aussitôt sa petite main autour de celle de son aîné.
Ils marchèrent dans le parc en se racontant toutes sortes d'anecdotes. Ils évitèrent sciemment les sujets qui les tracassaient, leur seul souhait étant de profiter de la présence de l'autre.
Le noiraud souriait tendrement à Felix, et ce dernier se sentait bien. Personne ne l'avait dévisagé de travers, à son plus grand soulagement. En fait, il ne voyait plus que le regard doux de son vis-à-vis envers lui. Mais malgré tout, sa double identité le rendait nerveux et l'empêchait de se détendre complètement.
Changbin, pour sa part, n'avait jamais été aussi heureux de sa vie.
Il caressa la main de satin de Lexie de son pouce. Ce simple contact les remplissait de bonheur.
Une grâce divine s'exhalait de son être ; sa senteur capiteuse lui faisait tourner la tête, son regard de velours noir l'envoûtait. Le noiraud n'arrivait tout simplement pas à détourner les yeux d'elle. Ainsi vêtu, elle était d'une splendeur céleste, ce qui accentuait sa ressemblance avec un être éthéré.
Ce fut pendant leur balade que le noiraud comprit enfin l'ampleur de ses sentiments.
Il l'aimait, il en était certain.
Ils s'arrêtèrent à un café pratiquement désert, et pendant que Changbin commandait, Felix s'isola à l'extérieur pour arranger les mèches de sa chevelure falsifiée qui lui retombaient sur le visage. Il dénicha une vitre suffisamment sombre pour qu'il y aperçoive son reflet, et se dépêcha de replacer sa perruque en essayant de ne pas trop s'attarder sur les détails qui ne lui plaisaient pas. Ce n'était pas le moment de s'apitoyer sur son sort.
— Felix ?
Le concerné distingua une silhouette familière derrière lui. Il déglutit péniblement et se retourna pour faire face à un jeune homme bien bâti. La chevelure flavescente de ce dernier lui atteignait la nuque et balayait sans cesse son visage d'albâtre.
Les yeux bridés plissés sous la concentration, il l'examina minutieusement. L'androgyne se mit alors à espérer qu'il croie se tromper sur son identité. Mais finalement, un sourire narquois s'étira sur ses lèvres, faisant ainsi ressortir ses fossettes.
— Je sais que c'est toi. Tes yeux te trahissent, sache-le.
Bien décidé à ne pas répliquer, Felix détourna le regard sans piper mot.
— Pourquoi tu fais ça ? s'enquit Chris. Tu ne t'es jamais déguisé en fille avant, tu ne faisais que porter des jupes.
Son interlocuteur fit comme s'il ne l'avait pas entendu, et chercha à retourner sur la terrasse du café. Mais son aîné lui saisit le bras pour l'arrêter.
— Réponds-moi.
Le plus jeune expira brutalement.
— J'essaie d'éviter de me faire invectiver, répondit-il sèchement en usant d'une voix rauque.
Il se défit brusquement de la poigne d'acier de Chan et poursuivit son chemin sans que celui-ci ne tente de l'arrêter.
Felix se précipita vers la table à laquelle l'attendait Changbin, et s'assit en face de celui-ci. « Que fait-il ici ? » se demanda-t-il en tentant en vain d'apaiser sa respiration angoissée.
Le contact d'une main chaude enrobant la sienne l'arracha à ses pensées concernant son passé. La mine inquiète du noiraud versa aussitôt un baume sur son cœur endolori.
— Ça va ?
L'adolescent opina du chef et glissa la paille de son soda sous son masque pour en prendre une gorgée sans que l'on puisse distinguer son visage.
— Merci pour la boisson, fit-il plutôt.
— Floette, n'essaie pas de t'esquiver. Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Changbin en serrant doucement les petits doigts de son vis-à-vis entre les siens.
Felix inspira profondément, en proie à une grande incertitude.
— C'est rien, t'inquiète pas...
Voyant qu'il était inutile d'insister, le noiraud s'évertua plutôt à lui remonter le moral. Mais ses yeux d'onyx ne chatoyaient pas comme de coutume.
Le plus jeune, dans sa lutte pour réprimer ses pleurs, avait vissé son regard vers leurs mains enlacées. Il sentait que s'il croisait les prunelles de son aîné, il ne pourrait pas se retenir de fondre en larmes.
Lorsqu'ils finirent leurs verres, ils se levèrent et quittèrent la terrasse en saluant un serveur qui passait par là. Changbin voyait bien que Lexie tremblait, mais il ne savait plus quoi dire pour la réconforter.
En descendant dans la rue, l'Australien se figea net. Adossé contre le mur de l'autre côté de la route, Chris l'observait tranquillement.
— Lexie ? s'inquiéta le noiraud. Tu le connais ?
— Je... Attends-moi ici, s'il te plaît...
Sans attendre sa réponse, Felix traversa sur le passage piéton pour rejoindre le blond. Il ne comprenait pas ce qui lui prenait d'aller à sa rencontre, mais son intuition lui soufflait de le faire. Lorsqu'il fut de l'autre côté de la route, il s'arrêta à une distance respectable du jeune homme.
— Chris..., murmura-t-il. Qu'est-ce que tu fais là ?
— J'aimerais te parler, si tu veux bien.
L'adolescent hocha la tête à l'affirmative. Il ignorait bien pourquoi, mais il ne parvenait pas à éprouver ne serait-ce qu'un semblant de haine contre lui. Il était seulement en proie à la peur, tout son corps en était secoué de spasmes. Et s'il recommençait à lui faire d'horribles remarques ?
— Ne t'inquiète pas, je ne resterai pas longtemps, renchérit Chris en apercevant ses mouvements crispés. Je... Je veux juste que tu saches que...
Il se mordit la lèvre inférieure.
— Je suis désolé... pour avoir tout raconté à tes parents. Et pour... le reste.
— Tu...?
— Je sais que tu ne me croiras pas, ajouta-t-il précipitamment. Mais... ce n'était pas ce que je voulais. C'était à cause de Ji'. Il voulait que...
Le blond renifla bruyamment et ôta la larme qui avait eu le temps de couler.
— Je l'aimais..., murmura-t-il doucement. Mais...
— Il s'est servi de toi, comprit enfin Felix.
Chan leva sur lui un regard ravagé par la souffrance.
— I-Il m'a dit que... je devais prouver mon amour. Il m'a demandé de dire à tes parents que tu aimais te travestir, et je l'ai fait... Je ne pensais pas que ça aurait de telles conséquences... E-Et après, quand il est parti, j'ai compris qu'il ne m'avait jamais aimé... Et ça m'a mis hors de moi.
Il essuya son visage de plus en plus mouillé.
— Je me suis défoulé sur toi..., bredouilla-t-il. J-Je pensais que mon humiliation, ma peine et ma haine finiraient par s'épuiser ainsi... Et c'est vrai, je ne ressens plus que des regrets pour Ji'. Mais maintenant... c'est la culpabilité qui me bouffe. Les quelques semaines qui ont précédé ton déménagement, je t'ai laissé tranquille parce que je me sentais vraiment mal. Je cherchais un moyen de faire disparaître tous ces remords. Mais je sais maintenant que jamais ils ne s'en iront, parce que... j'ai détruit ta vie, putain.
— Non, c'est faux ! s'écria brusquement Felix. Le seul fautif c'est Ji', tu n'y es pour rien !
L'adolescent fit un geste qui l'étonna lui-même. Il se rapprocha de son ami et l'étreignit de toutes ses forces. Chris se raidit entre ses bras.
— Tu n'as peut-être pas vécu le même enfer que moi, mais toi aussi, tu as été victime de sa méchanceté.
— À cause de moi, tu te déguises en fille pour échapper aux injures, murmura le blond. Je t'ai fait du mal, alors qu'en réalité, je n'en ai rien à faire, de comment tu t'habilles... Je cherchais juste à effacer mes erreurs et ma faiblesse, mais à la place, je suis devenu un monstre.
— Tais-toi, sanglota Felix. Je t'en supplie, tais-toi.
Il serra son aîné plus fort encore, jusqu'à ce que celui-ci réponde à l'étreinte. Chan enfouit son visage dans le cou de son vis-à-vis et laissa échapper un torrent de larmes amères.
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— Qui c'était ? s'enquit doucement Changbin.
Ils faisaient le chemin du retour en se tenant par la main.
— Chris, c'est mon ami. Il se sentait mal par rapport à... ce qu'il m'avait fait subir, autrefois... Et il s'est excusé.
— C'est une bonne chose...
L'Australien était du même avis. Il esquissa un faible sourire bien que ses yeux soient bouffis par les pleurs.
— Il m'avait beaucoup manqué... C'est quelqu'un de bien, au fond. Il a seulement été brisé par un amour impossible.
— Tu lui as pardonné ? demanda le noiraud avec incrédulité.
— Oui... je suis d'avis qu'il a droit à une seconde chance. Après tout, ce n'était pas entièrement de sa faute. Si j'ai souffert, c'était surtout à cause de mes parents et de Ji'...
Felix toussa discrètement, tentant de stabiliser sa voix qui, malgré ses efforts, avait flanché et s'était éraillée.
— Ça va ? s'inquiéta son aîné.
— Oh euh, oui..., marmotta l'adolescent. J'ai seulement mal à la gorge.
Changbin remarqua que son timbre était plus grave que de coutume, mais il ne fit aucune remarque.
— Je te raccompagne chez toi, signala-t-il avec un doux sourire.
Son vis-à-vis s'empourpra.
— M-Merci... mais... tu peux me laisser devant la biblio'...
— Sûre ?
Felix opina vivement du chef. Il ne devait en aucun cas savoir qu'il vivait chez Jeewon, autrement il ferait rapidement le lien entre son neveu et lui. Il se laissa entraîner par son aîné, infiniment heureux d'avoir pu passer du temps en sa compagnie.
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DarkyBinnie🐇 :
Floette ~ <
Merci pour aujourd'hui <
Ça m'a beaucoup plu 😊 <
Lexie🌹 :
> J'ai aimé aussi ^^
DarkyBinnie🐇 :
On se revoit bientôt ? <
Lexie🌹 :
> Si tu veux bien, alors oui :)
DarkyBinnie🐇 :
Évidemment ! <
Lexie🌹 :
> Je me sens gênée...
DarkyBinnie🐇 :
Pourquoi ? <
À cause du câlin ? <
Lexie🌹 :
> Oui...
DarkyBinnie🐇 :
Oooh Floette <
Je suis désolé ! <
Je voulais juste te dire au revoir 🥺 <
Lexie🌹 :
> Oh non, c'était bien
> Enfin je veux dire
> C'était agréable
> Aaaahgjjhgk
Changbin, assis sur son lit, éclata de rire face à sa réaction. Ils bavardèrent ainsi encore un peu, puis il laissa Lexie partir se coucher.
Il était de plus en plus perturbé par son odeur qui sentait délicieusement bon. Il aurait bien aimé qu'elle ôte son parfum, car malgré la combinaison délicate qui en résultait, il donnerait tout pour sentir ses effluves naturels.
Incapable de faire disparaître le sourire béat qui ornait ses lèvres, il éteignit la lumière de sa chambre et se glissa sous sa couette.
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Le jeune homme à la chevelure aussi noire que la nuit la plus profonde avait silencieusement plaqué son oreille contre la porte de sa chambre.
C'était la première fois qu'il entendait une dispute aussi violente entre ses parents. De coutume, celles-ci se terminaient très rapidement, mais cette fois, quelque chose n'allait pas.
Sa mère, d'habitude relativement calme devant ce genre de situations, vociférait avec tellement de force que son père avait du mal à placer ne serait-ce qu'un seul mot.
Un long frisson parcourut la peau terreuse de Changbin lorsqu'il comprit enfin le motif de leur querelle.
— Je sais que tu me trompes, connard !
Les mots sévissaient en contrebas telle une tempête incisive. Désormais, l'adolescent avait la chair de poule.
Cela ne s'était jamais produit auparavant. Son père n'avait jamais été voir ailleurs, et cela le choquait profondément. Il se sentait presque aussi trahi que sa mère.
— Chérie, souffla l'homme, je ne...
— Assume au moins ce que tu as fait ! cracha sa femme.
Elle hurlait avec tellement de force que Changbin se surprit à sentir les larmes perler de ses prunelles sombres. Isolé dans sa chambre, il ne pouvait pas apercevoir ses parents, mais la rogne sauvage qui vibrait dans chaque fibre de ses paroles le fit frémir de terreur.
— Je n'ai jamais fait quoi que ce soit ! Je t'aime à la folie, chérie !
— Ferme-la, sale hypocrite ! Tu ne m'adresses plus une seule preuve d'amour depuis longtemps !
— Pense à notre fils ! cria le père en dernier recours.
Le concerné, toujours dissimulé derrière la porte, tressaillit avec frayeur. Il ne savait pas ce qu'il avait à faire dans cette histoire, mais un mauvais pressentiment lui oppressa les tripes.
— Changbin mérite l'amour d'un père fidèle, pas d'un salaud comme toi ! siffla la femme entre ses dents.
Un objet s'écrasa au sol, et le fracas résonna jusque dans les méandres du corps du noiraud, qui se sentit soudainement aussi fragile que cette assiette. Les larmes qu'il avait essayé de réprimer coulèrent alors d'elles-mêmes sur ses pommettes.
« Taisez-vous, je vous en conjure... », supplia Changbin, sentant que cela dégénérerait très vite.
— Chérie, ça suffit ! trancha finalement l'homme d'une voix glaciale. Cette dispute n'a pas lieu d'être !
— Très bien. Alors tu ne verras pas d'inconvénients à ce que je quitte cette maison ?
— Chérie...
— Ah oui, et... c'est définitif. Dégage de ma vie, connard.
C'était fini. Sans que le noiraud n'ait pu intervenir d'une quelconque façon, la querelle s'était terminée sur la note la plus terrible qu'il soit.
Effondré, le jeune homme retourna se coucher sous sa couette, pleurant silencieusement à chaudes larmes.
À peine quelques instants plus tard, il entendit des pas lourds gravir les marches. Brusquement, il se mit à trémuler de frayeur, comme si, instinctivement, il savait ce qui allait se passer.
La porte s'ouvrit brutalement, et malgré lui, Changbin tressaillit de surprise.
— Bin, retentit la voix atone de son père. Prépare ta valise, tu pars demain avec ta mère.
Sans même avoir attendu une quelconque réponse de la part de son fils, il quitta la pièce dans un silence uniquement troublé par les vifs sanglots de l'adolescent.
Le jeune homme à la chevelure d'ébène se réveilla en sursaut dans son lit, couvert de sueur.
Il se mit à tousser, alors que des exhalaisons nauséabondes lui chatouillaient le nez et lui brûlaient la gorge.
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Ce chapitre est vraiment nul omg je suis désoléééée 😭
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