9.1 | Arzhel
Deity,
Règne de l'Empereur Aran Val'Endyr.
Le voyage avait été long, mais mon lycan avait décidé que nous n'irions pas dormir ou nous reposer avant de l'avoir vu. Ce n'était pas négociable et j'en avais conscience, mais je ne voulais pas non plus me faire attraper par Sakari, ou pire Marcellus. Ce ne serait que leur tendre mon dos pour des coups de bâtons supplémentaires.
Malgré tout ça, malgré toutes ces idées noires dans un coin de ma tête, je me dirigeai en tout premier vers la roseraie. Le soleil était couché depuis longtemps maintenant, mais mon lycan savait. Il sentait qu'elle nous attendait. Je ne comprenais pas comment c'était possible, mais ça se déroulait sous mes yeux.
Quand j'arrivais dans la roseraie, je découvris mon anchor installée sur le banc. Elle jouait un ruban bleu, sûrement celui de Rivqa. Un signe d'Earhja. Lentement, je m'approchai d'elle. Son regard se posa sur moi et elle bondit sur ses pieds.
Mes bras s'ouvrirent naturellement quand elle courut et heurta mon torse. Je la pressai un instant contre moi avant de la reculer pour observer son visage. Pour voir si l'Impératrice avait tenté de la blesser.
— Tu es parti longtemps, murmura Nokomis.
Je repoussai une mèche de ses cheveux et elle ferma ses paupières. Je retirai ma main quand l'envie fut trop forte et que je me surpris à vouloir embrasser cette bouche et à agripper ce corps pour le faire mien. Nokomis possédait un corps de femme à présent et je n'étais pas indifférent. Ce qui me vaudrait sûrement une autre punition, mais tant pis.
Pour cette fois, tant pis.
— Nous avons dû combattre nombre d'adversaires, admis-je.
— Es-tu blessé ?
Je secouai la tête.
— Et toi ?
Nokomis grimaça et enroula ses bras autour de son ventre. Je manquais quelque chose. Une émotion, une réaction chez elle que je ne comprenais pas.
— Père a parlé à des émissaires, murmura-t-elle.
Je me figeai.
— Il ne choisira personne avant d'être sûr, remarquai-je, sérieux.
Mon cœur battait dans ma poitrine, bien plus que l'instant d'avant. L'Empereur cherchait à marier la princesse. Il cherchait le meilleur parti pour elle.
— Il a déjà choisi, souffla Nokomis.
— Déjà ?
La peur dans ma voix et le regard de Nokomis qui commençait à se remplir de larmes.
— Je t'avais prévenu, me tança-t-elle.
La colère dans sa voix fut criante de vérité.
Bien sûr qu'elle l'avait.
Bien sûr qu'elle me l'avait répétée.
— Je t'avais prévenu que si nous ne partions pas tous les deux, il le ferait. Nous aurions dû suivre Ani. Nous aurions dû partir avec lui. Nous aurions dû emmener Lothar, Evy et les autres.
— Noko, chuchotai-je.
La douleur dans ma poitrine engourdissait mon torse. Je ne savais même pas quoi dire ni quoi répondre.
Que pouvais-je dire ? Ou faire ?
— Ani aurait dû me prendre avec lui, sanglota Nokomis. Il aurait dû m'emmener. Je ne peux pas vivre comme ça.
— Tu es la Princesse.
La claque qu'elle me mit me fit pivoter le visage sur le côté. Ma joue me brûla tandis qu'un de mes pieds partait en arrière pour me retenir. Nokomis avait de la force.
Mais je méritais cette claque.
Je méritais sa colère.
Car une partie de moi était partie pour cette mission avec la conviction même qu'Aran agirait pour le bien-être de sa fille.
Et qu'il m'éliminerait définitivement de sa vie.
— Je suis plus que ça ! cria Nokomis. Je suis... plus que ça.
Elle glissa lentement par terre, à genoux.
Je la rejoignis et sans attendre, je la pris dans mes bras.
Jamais je ne pourrais lui offrir ce qu'elle désirait.
Jamais elle ne serait à moi.
— Je suis plus que ça, murmurait encore et encore Nokomis.
J'entendis des paroles échangées dans un chuchotis non loin de nous. Des bruits de pas ensuite et le souffle coupé de Lothar. Je me redressai et sentis Nokomis dans mon dos. Dans un geste vain, je plaçai mon bras devant elle.
Toujours la protéger.
Toujours.
— Princesse, la salua Sakari.
Je détestai voir ses yeux.
Ses yeux qui ressemblaient aux miens.
Qui me criait que je lui devais la vie.
Que je lui devais mon existence même.
Et ma présence aux côtés de Nokomis.
— Vous ne devriez pas être ici si tard dans la nuit. Surtout pas en compagnie d'un Soldat de la Garde. Que dirait votre père ?
Je sentis la prise de Nokomis sur mon bras.
— Ce n'est pas un comportement digne de votre rang.
Toujours à la rabaisser.
— C'est ma faute, soufflai-je. Je n'aurais pas dû venir ici.
— Je vais vous épargner à tous les deux de futures déceptions, mes enfants, reprit Sakari. Vous ne pourrez jamais vous lier l'un à l'autre. Jamais.
La douleur dans ma poitrine se fit plus importante.
Je retins mon souffle.
Elle avait attendu de nous trouver tous les deux pour le dire.
Pour assener son dernier coup.
Pour enfoncer une dernière fois la dague dans nos cœurs.
— Arzhel va devenir la main droite d'Aslander et toi Nokomis, tu apporteras la stabilité nécessaire à ton frère pour qu'il devienne un Empereur aussi vertueux que votre père. Tu es la Princesse, la seconde, toute ta vie ne sera faite que de sacrifices. Et le premier que tu dois faire est celui qui se trouve à ta gauche. Votre loyauté ne doit aller qu'à une seule personne. Une seule. Vous devez vous sacrifier pour que ce royaume puisse prospérer. C'est votre devoir.
Non.
Non ! Il devait y avoir un autre choix.
Une façon pour moi de servir Aslander et Nokomis.
Je voulus toucher la Princesse, mais elle recula.
Je suffoquai.
Mon lycan ne comprenait pas pourquoi Sakari disait tout ça.
Pourquoi ?
Nokomis regarda Lothar qui semblait lui aussi à bout.
Nul ne nous sauverait des ordres de Sakari et Marcellus.
Nokomis s'enfuit, des sanglots distincts derrière elle.
J'aperçus un lycan la suivre. Evy.
Je déglutis et tentai de me recomposer des barrières face à celle qui m'avait mise au monde.
— Ne me déçoit pas Arzhel, souffla-t-elle. Tu es né pour ce rôle. Ne t'éloigne jamais de cette route, car la vie d'Aslander en dépend. Le futur d'un peuple entier en dépend.
Sakari me contourna pour partir.
Lothar s'approcha lentement de moi, son visage décomposé.
— Elle va se marier, murmurai-je.
Tout mon corps tremblait.
Un autre homme prendrait ma place à ses côtés.
Car je n'étais pas digne ?
Car on me faisait choisir entre deux personnes ?
Deux personnes que j'aimais.
— Tout a un prix, grognai-je.
Je le bousculai pour partir, les épaules raides et la colère qui grignotait mon contrôle.
Jamais elle ne serait mienne.
Jamais elle ne serait mon anchor.
Jamais je ne pourrais vivre ma vie pleinement.
Je passais la nuit à m'exercer avec la lame qui devenait une extension de mon bras.
Jusqu'à en avoir mal dans toutes mes articulations.
Au matin, je m'exerçais encore, mon corps douloureux pour chaque muscle qui existait sous ma peau.
Mon lycan restait au creux de mon ventre, presque immobile.
Tant qu'il restait calme, alors je pouvais survivre.
Plus d'un solstice était passé depuis la dernière fois que Nokomis m'avait adressé la parole. Elle m'évitait la plupart du temps et je n'avais rien tenté de plus. Pourquoi lui ferais-je ce mal-là ?
Deux fois l'homme qui allait se marier avec elle était venu.
La première fois, j'avais demandé à Lothar de me frapper jusqu'à l'inconscience.
La seconde fois, j'avais tenté de m'attacher dans une des cellules. Raad était venu me détacher sans un mot de plus.
Ainsi réunis dans la grande salle du trône, un silence profond semblait régner ici. Néanmoins, je voyais l'agacement d'Aran.
Je voyais l'impassibilité de Nokomis.
Evy était assise à mes pieds, sa queue de lycan battait l'air. Impatiente. Elle était venue me voir hier dans la nuit et j'avais dû nettoyer son pelage.
Du sang de l'homme qui aurait dû se marier à Nokomis.
Un éminent aristocrate qui laissait une fortune colossale derrière lui et un allié en moins pour Aran.
Tout le monde attendait une quelconque réaction, ou même une punition.
Mais il n'y avait que ce silence.
— Nous savons tous qui a fait ça, souffla Aran.
Evy ne bougeait pas. Elle n'avait pas peur. Elle avait défendu Nokomis.
— Je ne vois de quoi tu veux parler, père, remarqua Nokomis d'une voix sérieuse et presque rauque.
— Crois-tu que cela fasse de toi un bon parti, ma fille ? Crois-tu que cela te fasse bonne réputation ?
— Si les hommes qui se présentent à moi ont peur, alors me méritent-ils ? remarqua Nokomis.
Aran fronça le nez avant de me jeter un coup d'œil prononcé. Je ne dis rien, ne bougeai pas. Je cessais presque de respirer.
— Je ne veux aucune interférence dans les relations politiques que j'établis avec mes vassaux, cracha Aran.
— Il semblerait que ce vassal n'était pas digne de faire partie de nos rangs, père, répondit la Princesse.
Il se leva et fit plusieurs pas jusqu'à elle. Ils s'affrontèrent du regard un instant avant qu'il n'attrape son menton entre ses doigts. Tout mon corps se révolta, mais je ne bougeai pas.
— Deviendrais-tu plus forte que moi à ce jeu-là, ma fille ?
Je ne vis pas le visage de Nokomis, mais sa réaction dut être parfaite.
Car Aran sourit et embrassa sa joue, fier d'elle ?
À n'en pas douter.
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