8.1 | Nokomis
Elijah.
Il se trouvait devant moi, au Deity. En Australie. Et non plus dans cette projection de moi-même dans un ailleurs que je ne connaissais pas. Je me retins de me pincer pour être bien sûre qu'il s'agissait bel et bien de la réalité.
Lui ici, avec ses cheveux de lumière blanche et son bandeau sur les yeux. Un visage très doux, une impression de quiétude teintée de danger. La femme à ses côtés paraissait suspicieuse, mais là encore, elle portait une tenue faite de cuir et de sangles. Des armes semblaient l'habiller. Mes yeux se posèrent de nouveau sur Elijah et j'occultai la présence d'Aloysius, pas vu depuis si longtemps. Lui aussi portait une tenue similaire à la femme à ses côtés. Et son croc, son croc, je ne voyais que lui. Ce léger mouvement.
Elle aussi portait un croc à son lobe. Et ça ressemblait à un trophée. Pourquoi ? Pourquoi porter pareil objet et l'exhiber de la sorte ?
— C'est le premier loup tué.
La voix d'Elijah fut portée par les hauteurs de la pièce, par l'espace tout entier.
Le... premier loup tué ?
— Tu es un lycan, dis-je. Pourquoi tuerais-tu l'un des tiens pour l'afficher de la sorte ?
— C'est une coutume chez les Chasseurs, répondit Aslander, dans mon dos. Un rite de passage pour pouvoir faire partie des leurs.
— Vous chassez les... vôtres ?
La femme aussi était lycan. Mais Chasseur aussi.
— Nous sommes Chasseurs avant d'être loups, répondit Elijah.
— Non, soufflai-je.
Je m'arrêtai devant lui. Je sentis le poids de l'attention de la jeune femme sur moi. Ses doigts glissèrent vers l'une de ses dagues.
Dangereuse.
Puissante.
Protectrice.
— Tu es un Seeker.
Comme moi.
Comme moi.
Comme moi.
La pulsation.
Je levai un bras dans sa direction et je crus que la femme allait retenir mon geste, mais elle n'en fit rien. Lorsque je m'apprêtai à effleurer le bandeau, se furent les doigts d'Elijah qui s'enroulèrent autour de mon poignet.
Une peau froide.
Douce.
Chaleureuse.
— Je veux juste voir...
Tes yeux.
Plonger dans le regard d'un Seeker tout aussi puissant que moi. Parce qu'il l'était. J'ignorai comment je pouvais le savoir, mais je le sentais.
Un murmure au creux de moi.
Une vérité soufflée.
Un lien étrange entre nous deux.
Elijah libéra mon poignet et défit lui-même le bandeau qui glissa pour dévoiler des paupières brûlées, marquées à jamais.
Comme une vaine tentative de contrôler ce qui ne pouvait l'être.
Ses yeux s'ouvrirent et je plongeai en lui comme lui en moi. Ce fut bref et soudain.
Un murmure dans sa tête. Une présence. De la force, de l'obscurité.
Une succession de souvenirs.
De moments passés, mais pas oubliés.
Je vis Liam se pencher sur lui pour le brûler.
Je vis le pouvoir d'Elijah le dévorer de l'intérieur. Je le vis lutter contre lui-même.
Un pan entier de sa vie, de son existence.
Il était vieux. Si... vieux.
Je me fondis en lui, comme s'il m'appelait. Et son pouvoir heurta le mien. Deux Seekers qui s'observaient, deux pouvoirs qui se confrontaient.
Respirai-je encore ?
L'obscurité. Pendant un long, très long moment.
Comme moi.
Un silence profond et terrifiant.
Et là, je sentis mon pouvoir exploser entre nous. Et lorsque je battis des paupières, je me retrouvai au cœur du Sommeil.
Un espace blanc. Du sable. Et au loin, la rumeur de l'eau.
Rien autour.
Rien au-dessus ni au-dessous.
Rien.
Juste...
— Combien de temps es-tu restée ici ?
Elijah se tenait à côté de moi. Je levai mon visage vers le sien.
— Des siècles.
— Pourquoi ?
— À cause de notre pouvoir, répondis-je.
Il fronça les sourcils.
— Nous prenons. L'esprit et les souvenirs. Les vies.
— Les pouvoirs aussi.
Je hochai la tête.
— Une guerre a éclaté contre la Prima. Beaucoup d'innocents sont morts. Les autres... il fallait les protéger.
— Des autres ou d'eux-mêmes ?
— Les deux. Alors on nous a enfermés et nous avons dormi.
Jusqu'à ce que la Prison s'ouvre et nous libère tous. Revenu à la case départ. Que faisait-on d'un peuple que l'on craignait ?
— Je t'entends, murmura Elijah. Tu hurles.
De l'eau dans ma bouche.
Dans mes poumons.
De l'eau tout autour de moi.
Je me noyai.
Je me rappelais.
Ce moment.
Je suffoquai.
Je hurlai.
J'implorai.
Plongée dans l'eau, le sort qui faisait effet. Qui me coupait de tout. Et de tout le monde. Le silence. Juste après les cris, les hurlements.
Et soudain, l'épée tirée du sol.
Et la douleur.
La conscience.
Mon cri.
Ma peau qui s'effritait, des lambeaux qui se détachaient de moi. Dans une souffrance
Intolérable.
Dans une douleur
Innommable.
— Tu souffres encore.
— Il faut que je laisse le Rêve s'en aller.
— Tu crains ton pouvoir.
— Toi aussi. Tu te brûles.
— Pour le contenir.
— Mais ça ne fonctionne pas.
— Il reste en latence un moment. Jusqu'à ce que la sensation revienne, m'avoua Elijah.
— Il est nous et nous sommes lui. Nous sommes Seeker.
Nous sommes Seeker.
Je me sentis chanceler en arrière, épuisée mentalement. Mon dos heurta le torse d'Arzhel et je fermai les yeux un instant.
Juste un instant.
Le temps de reprendre mon souffle.
Et de repousser le hurlement qui grimpait dans ma gorge. Je percevais les battements de mon cœur. Une course folle. Sans limites.
De la sueur sur mon front.
— Noko.
La prise d'Arzhel était forte. Assurée. Il ne me lâcherait pas. Je pouvais sentir l'odeur de sa peau. Je pouvais m'enivrer de sa présence.
Je pris donc quelques secondes pour respirer. Pour calmer mon cœur. La femme se colla à Elijah et lui murmura quelques mots qu'il fut le seul à entendre. Son sourire dansa sur ses lèvres et il hocha la tête dans un mouvement qui fit cliqueter son croc. Le geste m'attira. M'hypnotisa.
— Je pense que vous n'avez pas besoin de moi ici, lâcha Aloysius. Je vais aller voir ma chère Merlin.
— Tu ne paies rien pour attendre, marmonna Aslander, mais le Mage se contenta de sourire et de simplement disparaître.
L'existence d'Elijah n'avait pas dû être facile à encaisser pour Aslander et les autres. Un Seeker en dehors de la Prison ; un Seeker en dehors même du pays. Comment ?
— C'est moi qui ai fait venir Elijah ici, dis-je.
En me retrouvant de son côté, je l'avais comme... attiré. Appelé à moi.
Pourquoi ? Je l'ignorai. Mais c'était arrivé. Il devait donc y avoir une raison. Un but à sa présence. Je me redressai et Arzhel m'aida à me stabiliser. Ses doigts quittèrent mon corps et je frissonnai un instant.
Je me tournai vers Aslander qui faisait la moue. Il ne semblait pas content de voir deux étrangers au Deity. Ou un autre Seeker ?
Je clignai des yeux lorsque la sensation derrière mon crâne revint. Je jetai un coup d'œil à Elijah, mais ça ne semblait pas venir de lui.
— Il y a un autre Seeker ici.
Aslander étrécit les yeux et je le vis regarder très brièvement Arzhel.
— N'est-ce pas ?
Mon Anchor ne chercha pas à se détourner de moi.
Ni même à me mentir. L'aurait-il pu de toute manière ?
— Nous avons réussi à mettre la main sur un Général de la Prima.
Aclayri.
Aclayri.
Aclayri.
— Lequel ?
— Il s'agit de Pejat Shattohat.
La Prima comptait nombre d'Aclayri autour d'elle. Tous des monstres. Les pires de tous les Seekers.
— A-t-il... a-t-il dit quoi que ce soit ?
Arzhel secoua la tête.
— Je veux le voir, dis-je alors.
— Nokomis, commença mon frère, mais je gardai mes yeux rivés sur Arzhel.
S'il rejetait cette idée ?
S'il me pensait trop faible ?
Incapable ?
— Je déteste cette idée, murmura Arzhel.
Oui. Oui, je le savais.
Je savais qu'il pensait qu'on m'avait assez utilisée. Il ne voulait plus faire partie de ceux-là. Il ne voulait plus me contraindre à quoi que ce soit. Plus jamais.
— Quel comité, ricana Pejat en nous avisant tous.
Sourire goguenard. Il nous observa tous, un par un. Je sentais son pouvoir affaibli, mais pas amoindri. Juste encore un peu... groggy en quelque sorte.
Il s'arrêta sur Elijah et je vis son intérêt pervers pour ce Seeker. Avant que ses yeux ne se posent de nouveau sur moi.
— Petite Princesse Nokomis, quel... plaisir, ronronna-t-il.
— Ce n'est pas partagé, répliquai-je.
— Ce n'est pas grave, susurra l'Aclayri. Et toi, qui es-tu ?
Il s'adressa à Elijah. Ce dernier s'accroupit devant le Seeker enchainé. Il avait dû être interrogé et torturé, vu à quoi il ressemblait.
Rien de glorieux.
Les paupières d'Elijah se soulevèrent et Pejat sembla se figer.
— Ma reine adorera te posséder, petit Seeker. Que de... puissance !
— Ne le regarde pas lui, Pejat.
Ce dernier se détourna d'Elijah et lorsque mes yeux plongèrent dans les siens, tout s'écoula entre nous.
La Prima était Réveillée elle aussi. Sortie de notre Prison.
Tous les Aclayri rappelés à elle.
Pour se venger.
D'Aslander et de tous les lycans.
Pour se venger d'un Sommeil forcé.
— Elle rappelle les siens, soufflai-je. Aclayri ou non.
— Où ça ? demanda quelqu'un.
Je secouai la tête et sentis Pejat qui luttait. Il hurla et mon emprise s'effilocha.
— Je ne... sais pas, avouai-je.
Pejat le savait-il lui-même ?
Une porte grinça un peu plus loin et Gauvain débarqua, le souffle court, mais régulier.
— Des rapports de Godar viennent d'arriver, dit-il. Vyara aurait été aperçu en Australie-Occidentale il y a quelques heures.
— Raad, lâcha Arzhel.
Ce dernier se contenta de hocher la tête et donna une tape dans l'épaule de Gauvain avant de filer. Ce dernier attendit qu'Ani parle.
— Tu vas avec la Garde de Nokomis, ordonna l'Empereur.
Ainsi débutait la traque contre la Prima.
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