5 | Arzhel
C'était une sensation diffuse au début.
Comme si un petit sifflement s'invitait dans mes oreilles.
Une perte de pression atmosphérique qui me donnait l'impression de plonger sous l'eau.
Pourtant, je pouvais respirer normalement.
Je me sentais presque normal.
Mais ce n'était pas le cas.
Car la sensation devenait plus forte.
— Fais attention à tes doigts, souffla la voix tranquille de Rivqa.
Imriel acquiesça, le petit sécateur dans la main.
Kalén faisait rouler une rose entre ses mains.
Je restai en retrait, perturbé par cette sensation qui ne cessait de s'aggraver. Le mal de tête qui m'imprégnait le crâne n'était pas facile à gérer, même avec des lunettes pour soulager mes yeux fatigués.
Soudain, les enfants se figèrent.
Tout comme moi.
Je posai une main sur ma poitrine, le souffle coupé.
Rivqa voulut venir vers moi, mais je me reculai. Je ne voulais pas être touché. Elle dut sentir mon mouvement, car elle se figea dans son geste. Je contournai la roseraie en passant par le tour en pierre.
Enfin, je la vis.
Elle portait une tenue humaine de ce siècle. Un survêtement très simple, mais qui faisait son affaire.
Je m'affaissai contre le mur derrière moi, le souffle coupé de nouveau.
Une légère douleur dans ma poitrine, puis ce lien tenu de mon Anchor qui se solidifia de nouveau.
Cette émotion que je ressentais qui disait Nokomis.
Nokomis.
Son cri résonna quand elle appela Imriel et Kalén. Le jeune garçon fut le premier à lui courir dessus.
— Mama. Mama. Mama.
Les cris de Kalén me retournèrent l'estomac.
Si vifs.
Si puissants.
Rivqa dut perdre Imriel, car elle l'appela.
Je me traînai à l'entrée de la roseraie et aperçus Evy sous sa forme de lycan. Elle me tendit son museau que je pressais doucement.
— Riv...qa ?
Je sentis la panique de Nokomis comme si c'était la mienne. Le lien d'un Anchor chez un lycan était toujours plus fort que chez les humains. Quant aux autres créatures surnaturelles, j'avais l'impression qu'elles le ressentaient plus. Nokomis était pleine de magie et de puissance, elle devait forcément sentir son lien.
Mais ce fut sa panique qui prit le dessus.
J'étais à deux doigts de toucher son épaule quand elle repoussa Imriel et Kalén.
Persuadée qu'elle Rêvait encore ?
Persuadée qu'elle ne se réveillerait jamais et que je ne pourrais jamais la sauver.
Les jumeaux se figèrent, conscients que leur mère était fragile et qu'ils ne devaient pas trop réclamer maintenant.
Nokomis fit volteface et se heurta brusquement à mon torse.
La sensation de son corps contre le mien fut si... satisfaisante. Mon lycan roula dans tous mes membres et savoura chaque point de contact avec elle.
Comme s'il réapprenait à respirer.
À vivre.
Ses paumes s'étalèrent sur mon torse.
J'enroulai mes mains sur ses poignets. Je voulais sentir sa peau.
Sentir qu'elle était bien vivante.
Avec moi.
Rien qu'à moi.
Mon lycan allait dérailler.
— Noko.
J'étais le seul à l'appeler ainsi.
Le seul.
Mon privilège.
— Je pensais que j'étais Réveiller. Que la Prison... que la Prison... que...que tout... tout... était... mais elle est là et... elle a brûlé.
Rivqa. Elle ne comprenait pas la présence de Rivqa. Comme je pouvais compatir à cette émotion de détresse qui remplissait mon corps.
Nokomis ne s'était jamais remise de la perte de Rivqa. Elles avaient été amies, presque sœurs, et Rivqa avait toujours soigné la Princesse au-delà même de ses capacités.
— Et si elle est là, alors personne, personne n'est réel. Et... et tu... tu ne l'es pas non plus.
Elle ne m'avait toujours pas regardé dans les yeux.
Je voulais qu'elle me voie. Qu'elle comprenne que j'étais là.
Pour elle.
Toujours.
Je glissai mes paumes sur le dos de ses mains et m'imprégnai de sa peau douce.
Enfin, enfin, après tout ce temps à attendre de croiser de nouveau ce regard violet.
Cette lavande qui me hantait depuis toujours.
Elle plongea ses yeux dans les miens.
Pour baisser sa tête juste après.
Un souffle sifflait dans sa gorge.
— Je suis vivante. Je suis vivante, Nokomis. Et tu ne Dors plus.
Rivqa posa une main tremblante sur le dos de la Princesse avant de se presser contre elle.
— Je suis vivante.
Oui. Rivqa voulait que Nokomis l'entende.
— Tu as brûlé.
— Mais je suis vivante. Et tu ne...
— Dors plus, insistai-je.
Lentement, je me reculai. Les mains de Nokomis restèrent suspendues dans le vide. Rivqa la serra un peu plus fort et elle répéta ces quelques mots.
Elle ne dormait plus.
Elle ne dormait plus et elle était là.
Avec nous.
Je posai une main sur mon cœur et plongeai de nouveau mon regard dans le sien.
Ma bouche articula une simple et unique vérité.
Je t'aime.
Le centre de commandement était rempli de Chevaliers et de Membres de la Garde de haut rang. Tous parlaient en même temps et aggravèrent mon mal de crâne. Je me doutais que Nokomis tirait d'une quelconque façon sur notre connexion pour se stabiliser, mais je ne pensais que cela impacterait autant mon esprit.
Mon lycan ne cessait de me mener la vie dure pour retourner vers elle. Pour la presser contre nous. Pour ne plus jamais la lâcher.
Qu'elle ne puisse plus disparaître comme ça, parce qu'une patrie entière devait être sauvée.
Je frémis quand mon lycan grogna. Il ne voulait pas entendre mes doutes, mes peurs et mes besoins en ce qui concernait Nokomis. La revoir était un évènement que je n'aurais jamais cru possible. Mais au lieu de profiter de son retour, comme j'aurais dû le faire, je me trouvais ici, entourés d'hommes qui attendaient des ordres face à une situation complexe.
— Il faut le tuer ! cracha quelqu'un.
— Non ! Il faut l'interroger ! Savoir où se trouvent les autres.
— Jamais il ne nous dira quoi que ce soit. Même à moitié sonné, il sait très bien qu'il a des informations importantes entre les mains.
Je sursautai quand Aslander posa une main sur mon épaule. Je retirai mes lunettes pour frotter mon nez.
— Tu devrais...
— Non, l'interrompis-je. Elle se repose et Rivqa s'occupe d'elle. Il y a des choses pour lesquelles je ne suis ni utile, ni convié.
— Je ne t'interdirais jamais d'aller la voir, Arzhel, souffla Ani. Je ne suis pas mon père. Et Marcellus n'a plus la main mise sur qui tu dois aimer ou non.
— S'il te plaît, soufflai-je, pas maintenant. Nous en parlerons plus tard. Prenons les éléments prioritaires dans l'ordre.
— Gauvain ! clama Lothar pour passer au-dessus du bruit de la foule d'hommes et de femmes devant nous.
Gauvain, l'un des Chevaliers les plus à même de capturer un Général Seeker, avait réussi cette mission. L'homme qui s'approche, immense, avec des épaules deux fois plus larges que les miennes, une natte sur le haut de sa tête qui glissait actuellement sur son épaule, se planta devant nous trois. Lothar, Aslander et moi-même.
— Je n'ai trouvé que lui, admit-il. Il est dans les cachots, sous bonne garde. Je pense pas qu'il est vraiment compris ce qui lui arrivait.
— Comment l'as-tu identifié ? soufflai-je.
Gauvain pivota vers moi, ses bras dans les dos, les jambes légèrement écartées. Comme un soldat.
— Parce qu'il a voulu me tuer lors des Raids Sombres et que j'ai tout fait pour voir son visage avant qu'il ne disparaisse, Conseiller.
Je hochai la tête.
— Bien. Interroge-le quand il sera plus à même de parler et de comprendre ce qu'il se passe.
Aslander reprit la parole pour donner plusieurs ordres à la suite. Gauvain s'approcha de moi et me réclama une entrevue privée. Je la lui accordais et le poussai à passer dans mon bureau.
— Tu ne m'as pas raconté ton voyage en Angleterre, remarquai-je. Tes rapports sont en attente ?
— J'ai quelques problèmes à les écrire, Conseiller, souffla Gauvain, visiblement gêné par quelque chose.
Je me redressai de mon bureau pour l'observer.
— Chevalier, avez-vous quelque chose à m'annoncer ? grognai-je. Car je ne suis pas sûr de supporter une nouvelle annonce aussi grosse que le retour de notre Princesse.
— Je sais pardon, s'excusa Gauvain.
Je levai mes deux mains en signe de paix.
— Je t'ai envoyé en Angleterre pour plusieurs raisons. Je suppose que tu peux me faire un point sur l'état de la famille Pendragon qui se trouve au pouvoir là-bas, et sous notre tutelle accessoirement.
Gauvain hocha la tête.
— J'ai besoin de savoir si nous devons agir sur la situation ou si la Reine sait ce qu'elle fait.
— Disons qu'elle a des verrous qui l'empêchent de faire n'importe quoi, admit Gauvain. Le problème n'est pas là. C'est plus... personnel.
Je haussai un sourcil et appuyai mes fesses contre mon bureau. J'observai attentivement Gauvain. Qu'est-ce qui pouvait être personnel pour lui en Angleterre ? Oh, il avait une réputation là-bas, évidemment. Et l'Angleterre représentait une terre où il y avait le plus de concentrations de peuples différentes. Les lycans, les vampires et les Faes se trouvaient là-bas. C'était aussi la raison pour laquelle Arthur aurait dû continuer à régner. C'était un autre sujet bien plus complexe que ce qu'il n'y paraissait.
— Personnel ?
— J'ai trouvé une personne là-bas.
Un long silence s'étendit entre nous quand soudain, je compris.
— Ne me dis pas que tu as trouvé ton Anchor en Angleterre alors que tu as passé une majeure partie de ta vie là-bas, soufflai-je.
— Elle n'est pas lycan, ajouta Gauvain.
Je me frottai l'arête du nez.
Tout ça se compliquait bien trop à mon goût.
— Ne me dit pas que c'est une Fae en plus de tout ça.
— Je ne fais pas les choses à moitié hein, dit-il, gêné.
— Quelqu'un d'autre est-il au courant de cette information ?
— Nope. Pas même elle j'ai l'impression. Bedivere a un doute cependant, mais normal, il nous a vus l'un à côté de l'autre et je...
— Tu ? l'incitai-je.
— Tu connais mon lycan. Jamais vraiment d'accord sur la façon de se comporter en public.
Je me frottai le visage entier cette fois.
— Tu dois y retourner bientôt non ?
— Oui. Mais pas si vous avez besoin de moi ici.
— Nous y réfléchirons en temps et en heure. Pour l'instant, j'ai besoin de toi sur cette affaire de Généraux.
— Bedivere prendra sûrement contact avec toi pour te faire un rapport plus détaillé que le mien par rapport aux agissements de la Reine.
— Margaret va m'entendre si elle commence à faire des siennes là-bas, je n'ai pas le temps de gérer deux pays entiers.
— La Reine Margaret n'a que ses intérêts en tête, et ce depuis le début, Conseiller, se permit de me rappeler Gauvain.
— Ne m'en parle pas.
Gauvain prit ça pour le moment où je le congédiais. Je le rappelais un instant. Il pivota vers moi.
— Comment s'appelle-t-elle ? soufflai-je.
— Nettelia, chuchota Gauvain.
Pourquoi ce nom me disait-il quelque chose ?
Gauvain partit et on vint me chercher pour une nouvelle réunion à laquelle je ne pouvais que répondre visiblement.
Je ne réussis à me défaire de toute cette agitation avant la fin de la journée. Je me retrouvai dans la bibliothèque du Deity, dans l'aile qui concernait l'histoire de l'Angleterre. Je tirai un nouveau livre sur les créatures Faes qui peuplaient notre monde.
— Conseiller, souffla une Sevae non loin de moi.
Je me redressai un instant et l'observai.
— L'Earhja Kahane vous fait mander aux Grands Bains, m'annonça-t-elle simplement avant de s'incliner et de partir.
Je fronçai les sourcils et refermai le livre sur le peuple des Valkyries. Ce n'était qu'une stupide idée. Je reposai le livre à sa place et me mis en route vers les Grands Bains.
Je croisai plusieurs Chevaliers qui me saluèrent, ainsi qu'Aslander qui me demanda si j'avais terminé un certain rapport. Je répondis par la négative et continuai mon chemin. Je dus passer par les quartiers du Phoenix pour atteindre les Grands Bains qui étaient réservés aux personnalités et à la royauté.
Je m'arrêtai devant les portes qui m'y mèneraient. Je sentais l'énergie chaude et puissante de Rivqa.
Tout comme celle de Nokomis. Qui était plus tranchante et vive. Qui s'écoulait en moi, comme une fontaine de Jouvence et me rendait bien plus fort que personne ne se doutait.
Je frappai deux fois et attendis d'entendre une voix. Celle de Rivqa résonna et j'entrai. Le plus grand bain avait été rempli pour la Princesse Nokomis et de la buée enfumait l'immense pièce haute de plafond, décorée uniquement avec une mosaïque magnifique, qui racontait l'histoire du peuple des lycans.
Je m'avançai lentement vers Rivqa qui tressait les cheveux de Nokomis. La chaleur qui se dégageait du bain floutait le corps nu de la Princesse. Tous mes muscles se tendirent.
Le contrôle était ma première arme.
Je devais garder en tête qui elle était.
Ce que j'étais devenu loin d'elle.
Je ne pouvais pas me laisser aller maintenant.
— Princesse. Rivqa, soufflai-je.
J'aperçus le lycan d'Amset et d'Evy de l'autre côté du bain. Les autres étaient au Deity sans aucun doute. J'étais surpris qu'Evy soit encore là. Sûrement une volonté de la part d'Aslander, même s'il n'avait encore rien dit à Nokomis concernant l'attaque presque mortelle d'Evy contre lui à la suite de la création de la Prison.
— Arzhel me salua Rivqa.
Elle me tendit sa main et je l'aidais à descendre les quelques marches du bain. Je restai en bas après ça. Je ne voulais pas tenter mon diable.
— Je vous laisse, nous annonça Rivqa.
Evy se redressa et se frotta contre les jambes de l'Earhja pour la guider jusqu'à la porte. Elle revint au trot et se frotta contre moi avant de retourner s'installer.
— Princesse, repris-je, en quoi puis-je vous être utile ?
Nokomis grimaça. Tout mon corps se tendit, prêt à la protéger, à lui demander ce qui n'allait pas. Mais je me retins.
Ta place.
Garde ta place.
— Tout est si différent, murmura sa voix.
Je fermai mes paupières et écoutai ce timbre.
Qui m'avait tant manqué.
Que j'avais même cru oublier à un moment donné de ma vie.
— Nous vous aiderons à vous réhabiliter, Princesse, murmurai-je la gorge sèche.
Soudain, elle se recroquevilla en avant et un sanglot éclata dans les Grands Bains.
Mon cœur se déchira face à cette vision d'une Princesse si forte et indépendante à l'époque où elle était encore avec nous.
Je déglutis et grimpai sur les marches du bain.
Lentement, je posai ma main sur ses cheveux encore humides.
— Tout ira bien, soufflai-je.
Elle tira sur ma main et la pressa contre sa joue.
Je retins mon souffle, la sensation qui remontait dans tout mon corps à son contact allait me faire devenir fou.
— Tout ira bien, répétai-je.
Les sanglots de la Princesse s'étendirent à toute la pièce.
L'émotion qui nous étreignait était si forte qu'il était presque impossible de lutter contre.
Elle luttait. Pour revenir.
Pour être elle-même.
Mais tous, nous avions vécu et nous avions changé.
Croyait-elleque nous l'avions oublié à un moment ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top